CA Paris, 14e ch. A, 19 février 1997, n° 96-85397
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fédération Nationale de l'Habillement, Nouveauté et Accessoires, Chambre syndicale des commerces de l'Habillement, Nouveauté et Accessoires de la région parisienne
Défendeur :
Naf-Naf Boutiques (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Tric
Avoués :
SCP d' Auriac, SCP Bommart
Avocats :
Mes Doueb, Fishelson
Procédure et prétentions des parties
La Fédération Nationale de l'Habillement, Nouveautés et Accessoires et la Chambre Syndicale des Commerces de l'Habillement, Nouveauté et Accessoires de la Région Parisienne ont interjeté appel d'une ordonnance de référé rendue le 2 septembre 1996 par le Président du Tribunal de grande instance de Bobigny qui les a déboutées de leurs demandes.
Les appelantes exposent que la société Naf-Naf Elysées exploite depuis le mois de juin 1995 un fonds de commerce d'habillement et prêt à porter 52, avenue des Champs Elysées et s'est vu refuser par arrêté préfectoral du 8 mars 1996, l'autorisation d'accorder le repos hebdomadaire par roulement au personnel de son établissement, le repos hebdomadaire n'étant pas préjudiciable au public et ne compromettant pas le fonctionnement normal de l'établissement. Or il résulte d'un contrat d'huissier que la société Naf-Naf Elysées continue à ouvrir le dimanche en employant du personnel salarié. Elles rappellent que l'article L. 411-11 du Code du travail et les articles 12-4 et 8-5 de leurs statuts respectifs leur donnent qualité pour engager des poursuites judiciaires dans l'intérêt général de la profession. L'infraction à la législation du travail étant établie, elles l'estiment constitutive d'un acte de concurrence déloyale qui infère nécessairement l'existence d'un préjudice. Elles contestent la spécificité des ventes Naf-Naf le dimanche, 84 % du chiffre d'affaires étant constitué de prêt à porter classique, 16,12 % seulement portant sur les tee-shirts et sweat-shirts.
Vu l'urgence à faire cesser le trouble, elles sollicitent la fermeture des établissements de la société Naf-Naf Boutiques le dimanche sous astreinte de 100 000 F par infraction constatée, que l'ordonnance soit exécutoire sur minute et qu'un huissier soit désigné pour vérifier le respect de l'arrêt. Elles réclament une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile. La société Naf-Naf Boutiques conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise et réclame une somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile. Elle fait valoir que le simple non-respect d'une réglementation n'est pas en soi constitutif d'un trouble en l'absence de preuve d'une baisse de clientèle pour les membres du syndicat.
Elle prétend que sa clientèle, formée de touristes, ne revient pas en semaine acheter les tee-shirts ou sweat-shirts remarqué le dimanche pour garder un souvenir du passage à Paris en raison de la notoriété de sa marque.
Elle conteste un préjudice économique en l'absence d'éléments comptables et le préjudice moral.
Elle se prétend contrainte d'ouvrir le dimanche pour ne pas perdre des parts de marché et préserver l'emploi face aux magasins Eurodisney et Planète Hollywood ouverts le dimanche qui commercialisent les mêmes articles qu'elle. Elle soutient qu'il n'y a ni urgence, ni trouble illicite, l'ouverture du magasin permettant la socialisation d'un personnel âgé de 18 à 25 ans. Les appelantes répondent que la situation du magasin Naf-Naf des Champs-Elysées est identique aux autres magasins de prêt-à-porter des Champs-Elysées ou d'ailleurs, et aux autres magasins Naf-Naf qui ferment le dimanche. Elles ajoutent que le recours contre l'arrêté préfectoral a été rejeté, si bien que celui-ci est définitif. Elles soulignent que l'intérêt général de la profession qu'elles défendent ne se confond pas avec le préjudice subi par chacune des victimes et que l'infraction à la loi rompt l'égalité entre tous les membres d'un même commerce et constitue ainsi une concurrence illicite par rapport à ceux qui respectent la légalité.
La société Naf-Naf Boutiques réplique que la preuve du préjudice subi par les autres commerçants n'est pas rapportée, bon nombre de magasins de vêtements et d'accessoires ouvrant le dimanche sur les Champs-Elysées.
Elle maintient que les conditions ne sont pas réunies pour que le juge des référés se déclare compétent.
Les appelantes rétorquent que le constat établi à la demande de la société Naf-Naf Boutiques ne permet de retenir qu'un magasin de prêt à porter et d'habillement [est] en infraction, les autres n'employant pas de salariés, et que ce magasin a été condamné.
Motivation
Selon l'article 809 alinéa 1 du nouveau Code de Procédure Civile, le Président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
L'application de ce texte n'est pas subordonnée à la preuve de l'urgence de la mesure sollicitée.
Il suffit qu'il y ait un comportement manifestement illicite et que celui-ci occasionne un trouble.
En l'espèce, considérant d'une part que la vente de prêt à porter et d'accessoires de mode le dimanche ne correspond pas à un besoin du public dont la satisfaction ne peut être différée et reportée à un autre jour de la semaine et, d'autre part, que cette vente n'est pas susceptible de faciliter les activités de détente et de loisir des visiteurs, promeneurs et touristes fréquentant les Champs-Elysées, la Préfecture de Paris, par arrêté du 8 mars 1996, a refusé à la société Naf-Naf Boutiques l'autorisation d'ouvrir le dimanche son magasin des Champs-Elysées.
Cette décision s'impose au juge des référés qui ne peut en apprécier la légalité.
Il résulte du constat d'huissier du 19 mais 1996 et il n'est pas contesté que l'établissement susvisé est ouvert le dimanche et qu'il emploie des salariés.
La société Naf-Naf Boutiques viole ainsi les articles L. 221-4 et L. 221-5 du Code du travail qui prescrivent un repos hebdomadaire de vingt quatre heures consécutives donné le dimanche.
Cette violation délibérée de la loi est manifestement illicite dès lors que la dérogation a été refusée.
L'ouverture d'autres magasins en infraction le dimanche et l'accord du personnel pour travailler le dimanche ne peuvent la légitimer.
Contrairement à ce qu'a affirmé le premier juge, il n'est pas établi que la société Naf-Naf Champs-Elysées vende principalement des tee-shirts et sweat-shirts de valeur modeste le dimanche puisqu'au contraire ces articles ne représentent que 16,12 % du chiffre d'affaires réalisé sur dix dimanches successifs.
Rien ne permet de distinguer les articles offerts dans le magasin en cause de ceux vendus dans les autres boutiques Naf-Naf.
Les photographies versées aux débats démontrent que la boutique Naf-Naf Champs-Elysées vend des articles similaires à ceux qui sont présentés par les magasins de même gamme et qui provoquent la même impulsion d'achat. Elle ne peut se comparer ni aux griffes de prestige qui symbolisent la coutume française, ni aux magasins qui vendent des articles souvenirs.
Son comportement illicite constitue donc une rupture de l'égalité entre concurrents voulue par la loi et porte, de ce fait, préjudice aux membres du même commerce affiliés à la Fédération et à la Chambre, appelante, qui respectent la légalité.
Il y a donc bien trouble manifestement illicite et la seule mesure permettant d'y mettre fin est la fermeture le dimanche sous astreinte sans qu'il y ait lieu, en l'absence de circonstances exceptionnelles, de dire la décision exécutoire sur minute.
L'ordonnance déférée sera donc infirmée et il sera fait droit à la demande des appelantes.
Il convient de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile et d'allouer aux appelantes une somme de 10 000 F de ce chef.
La solution du litige emporte le rejet de la demande de l'intimée.
Décision :
La COUR, Infirme l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau, Interdit à la société Naf-Naf Boutiques à compter de la signification du présent arrêt toute opération commerciale réalisée en contravention des articles L. 221-4 et suivants du Code du travail sous astreinte de 100 000 F par magasin et par infraction constatée, Autorise la Fédération Nationale de l'Habillement, Nouveautés et Accessoires et la Chambre Syndicale des Commerces de l'Habillement, Nouveauté et Accessoires de la Région Parisienne à se faire assister par l'huissier de leur choix pour faire procéder à tout constat de la violation de l'interdiction ci-dessous prononcée et se faire communiquer tout document justifiant l'identité et la qualité de salarié du personnel travaillant sur place et de recueillir les dires de tout client ou tout sachant, Condamne la société Naf-Naf Boutique à payer à la Fédération Nationale de l'Habillement, Nouveautés et Accessoires et la Chambre Syndicale des Commerces de l'Habillement, Nouveauté et Accessoires de la Région Parisienne la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, rejette sa demande de ce chef, la condamne en tous les dépens et admet la SCP d'Auriac-Guizard, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.