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Décisions

CA Montpellier, 1re ch. B, 12 février 1997, n° 94-0006368

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Levi Strauss & Co (Sté), Levi Strauss Continental (SA), Marion (ès qual.)

Défendeur :

La Ruche Méridionale (SA), Auchan (SA), Anthémion (SA), Best France (Sté), Casino France Etablissements (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guichard

Conseillers :

Mme Minini, M. Armingaud

Avoués :

SCP Nègre, SCP Capdevila-Gabolde, SCP Salvignol-Guilhem, SCP Estival-Divisia

Avocats :

Mes Lesec, Pons, Guin, SCP RAffin-Courbe-Gofard.

TGI Montpellier, du 27 sept. 1994

27 septembre 1994

Faits, procédure et prétentions des parties

La Société Levi Strauss & Co est propriétaire des marques suivantes :

- marque dénominative "501" déposée en France le 26 août 1983, sous le numéro 674.282, en renouvellement de dépôts antérieurs, enregistrée sous le numéro 1.243.900, et renouvelée le 16 mai 1993 ;

- marque dénominative " 505 " déposée en France le 31 octobre 1986, sous le numéro 821.790, en renouvellement de dépôts antérieurs enregistrés sous le numéro 1 377 515 ;

- marque dénominative "Levi's", déposée en France le 24 décembre 1991 sous le numéro 327.647, en renouvellement de dépôts antérieurs, enregistrée sous le numéro 1.714.281 ;

- marque figurative constituée d'une petite étiquette de forme rectangulaire cousue verticalement le long du bord gauche de la poche arrière droite, déposée en France le 27 février 1991 sous le numéro 270.465, en renouvellement de dépôts antérieurs, enregistrée sous le numéro 1.651.517 ;

- marque figurative constituée d'une surpiqûre double traversant horizontalement le milieu de la poche du pantalon, avec la forme incurvée des ailes d'une mouette, déposée en France le 27 mars 1984 sous le numéro 697.414, en renouvellement de dépôts antérieurs, enregistrée sous le numéro 1.266.773, et renouvelée le 7 décembre 1993 ;

- marque figurative constituée d'un dessin reproduisant deux chevaux écartelant un jean, déposée en France le 20 janvier 1984 sous le numéro 689.054, en renouvellement de dépôts antérieurs, enregistrée sous le numéro 1.258.127, et renouvelée le 7 décembre 1993 ;

- marque figurative constituée d'une étiquette de forme rectangulaire, déposée en France le 24 décembre 1991 sous le numéro 327.650 en renouvellement de dépôts antérieurs, enregistrée sous le numéro1.714.284 ;

- marque figurative constituée d'un bouton comportant les mentions " Levi Strauss & Co *S.F.CAL* " déposée en France le 23 mars 1984 sous le numéro 897.017, en renouvellement de dépôts antérieurs, enregistrée sous le numéro 1.266.399, et renouvelée le 7 décembre 1993 ;

- marque figurative constituée du dessin d'un rivet, déposée en France le 30 novembre 1982 sous le numéro 646.917, enregistrée sous le numéro 1.220.500, et renouvelée le 21 août 1992 ;

- marque figurative constituée d'une étiquette en carton de forme trapézoïdale dont la base a la forme incurvée des ailes d'une mouette, déposée en France le 3 juin 1988 sous le numéro 931.488, en renouvellement de dépôts antérieurs, enregistrée sous le numéro 1.469.536 ;

- marque figurative constituée d'une étiquette en carton de forme rectangulaire, déposée en France le 19 décembre 1986 sous le numéro 829.988, en renouvellement de dépôts antérieurs, enregistrée sous le numéro 1.385.183.

Ces marques visent les produits de la classe 25 et sont exploités notamment pour des pantalons en jean fabriqués par la Société Levi Strauss & Co et commercialisés en France par la Société Levi Strauss Continental, titulaire d'une licence exclusive d'exploitation des marques en cause.

Après y avoir été autorisée par ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance, la Société Levi Strauss & Co a fait diligenter dans les locaux du magasin Auchan au Centre Commercial Mériadec à Bordeaux, une saisie-contrefaçon de deux jeans Levi's "501" argués de contrefaçon.

Le 19 Février 1991, la Société Levi Strauss & Co a fait également diligenter, dans les locaux du magasin Continent à Mondeville, une saisie-contrefaçon de deux jeans argués de contrefaçon.

Lors de ces deux opérations de saisie-contrefaçon, il était révélé que le fournisseur de ces articles était, dans les deux cas, la Société Best France.

Les Sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental ont fait assigner la Société Auchan, la Société Continent et la Société Best France, pour les entendre condamner pour contrefaçon et concurrence déloyale, par exploit du 27 Février 1991.

A la suite de la saisie-contrefaçon opérée le 20 Mars 1991 dans les locaux du magasin "L'Univers" à Castres, une procédure était intentée par les Sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental devant le Tribunal de Grande Instance de Saint-Etienne à l'encontre des Etablissements Casino, la Société La Ruche Méridionale étant intervenue volontairement pour se substituer à la Société Casino et ayant assigné en garantie son fournisseur, la Société Best France, qui a également réassigné son fournisseur, la Société Anthémion.

Le Tribunal de Grande Instance de Saint-Étienne, saisi de la deuxième instance, s'est dessaisi au profit du Tribunal de Grande Instance de Montpellier, saisi de l'instance entre la Société Levi Strauss & Co, la Société Auchan, la Société Continent et la Société Best France.

En définitive, le Tribunal de Grande Instance de Montpellier a été saisi de l'ensemble des demandes formées par la Société Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental à l'encontre des Sociétés Auchan, Continent, La Ruche Méridionale et Best France, ainsi que les appels en garantie régularisés à l'encontre de la Société Anthémion.

Un protocole transactionnel est intervenu entre les Sociétés Levi Strauss et la Société Continent.

Par jugement rendu le 27 septembre 1994, le Tribunal de Grande Instance de Montpellier a débouté les Sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental de l'intégralité de leurs demandes et les a condamnées à payer à la Société Best France la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts et à payer, au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, 10 000 F à la Société Best France, 10 000 F à la Société Auchan et 5 000 F à la Société Casino.

Les Sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental ont régulièrement relevé appel de cette décision.

Elles en sollicitent la réformation.

Elles demandent à la Cour de dire que la détention et la commercialisation par les Sociétés Best France, Auchan, Casino et Anthémion, de jeans reproduisant servilement les marques dont elle est propriétaire pour des produits qui ne sont pas de sa production, en constituent des contrefaçons.

Elles demandent qu'il soit jugé que les intimées ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la Société Levi Strauss Continental.

Elles demandent qu'il soit fait interdiction aux intimées de faire usage des marques de la Société Levi Strauss & Co, sous quelque forme que ce soit, à quelque titre que ce soit, sous astreinte définitive de 5 000 F par infraction commise, à compter de la signification de la décision à intervenir.

Elles sollicitent la condamnation solidaire des intimées à verser à la Société Levi Strauss & Co la somme de 500 000 F à titre de réparation de son préjudice commercial et à verser à la Société Levi Strauss Continental la somme de 500 000 F à titre de réparation des actes de concurrence déloyale qu'elle subit.

Elles sollicitent que soit ordonnée la destruction de tous les articles contrefaisants aux frais solidaires des intimées, sous contrôle d'un Huissier de Justice et sous astreinte de 5 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.

Elles demandent que soit ordonnée la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq revues ou journaux français ou étrangers, à concurrence de 25 000 F par insertion.

Elles réclament la condamnation solidaire des intimées à leur verser une somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par conclusions complémentaires, les Sociétés Levi Strauss demandent qu'il leur soit donné acte de ce qu'elles limitent leur demande de publication de la décision dans cinq journaux à un montant de 30 000 F par insertion.

Les Sociétés appelantes exposent que tous les jeans saisis lors des procès-verbaux de contrefaçon, commercialisés par la Société Best France et revendus par les Sociétés Auchan et Casino, sont des jeans contrefaits, portant dix des marques appartenant à la Société Levi Strauss & Co.

Elles indiquent qu'il résulte de la comparaison d'un jean authentique avec les jeans saisis, que ceux-ci sont des jeans contrefaisants.

Elles font valoir que les jeans Levi's sont fabriqués industriellement, ce qui garantit la parfaite homogénéité des produits et leur conformité au standard de construction Levi Strauss.

Elles font valoir qu'il apparaît des comparaisons des jeans originaux et des jeans contrefaisants :

- que les poches arrières des jeans contrefaisants ne sont pas cousues conformément au standard Levi Strauss, les deux coutures intérieures situées horizontalement en partie supérieure de la poche sont piquées en simple au lieu d'une piqûre chaînette sur le produit authentique ;

- que l'étiquette de lavage et d'entretien du jean contrefaisant est prise dans le surfil intérieur de la couture latérale, ce qui démontre qu'il a été rajouté après finition ;

- que la construction des passants présente de la souplesse, alors que ceux des jeans authentiques sont rigides ;

- que les passants sont trop petits et ne correspondent pas à la taille de ceux cousus sur les jeans authentiques ;

- que les poches arrières des jeans livrés par la Société Best France sont plus grandes que sur les vrais jeans "501" ;

- que les rivets des jeans incriminés sont apposés trop haut par rapport à leur emplacement normal sur un jean authentique ;

- que les étiquettes cartonnées apposées sur le jean contrefaisant sont fixées sur celui-ci au moyen de piqûres faites avec du fil blanc, alors que sur les jeans authentiques, les étiquettes sont toujours fixées par l'intermédiaire de petits fils en nylon.

Elles font valoir que les jeans Levi's saisis reproduisent tous les signes distinctifs dont la Société Levi Strauss & Co est propriétaire et que leur structure révèle qu'ils n'ont été fabriqués ni par la Société Levi Strauss & Co, ni par ses licenciés, ni sous son contrôle.

Elles soutiennent dès lors que la contrefaçon est manifeste.

Elles soutiennent que le certificat d'origine produit par la Société Best France n'apporte pas la preuve que les jeans soient des jeans authentiques, dans la mesure où seule la preuve du transit par les Etats-Unis de pantalons Levi's "501" est administrée.

En ce qui concerne le crédit documentaire Best France où il est fait référence à un envoi de jeans "LS Original 501", elles indiquent que cette mention ne peut, en aucun cas, constituer une preuve de l'authenticité des produits.

En ce qui concerne le certificat d'origine, elles exposent qu'il est constitué de déclarations de Charles Hayat à un Notaire, qui n'était ni habilité, ni en mesure de déterminer si les jeans provenaient réellement des Etablissements Levi Strauss.

Elles font valoir que le certificat prouve, tout au plus, que les jeans ont transité par les Etats-Unis, mais en aucun cas qu'il s'agit de produits Levi Strauss & Co.

Elles indiquent que la plupart des contrefaçons proviennent du sud-est asiatique, que les contrefacteurs s'efforcent de les faire transiter par un grand port des Etats-Unis avant de les réexpédier vers l'Europe pour leur conférer un semblant d'authenticité.

Elles indiquent que la Société Best France, qui est un professionnel de l'import-export, ne peut prétendre ignorer qu'un certificat d'origine géographique des produits ne prouve pas leur authenticité et que, seul, un certificat d'authenticité émanant de la Société Levi Strauss aurait pu remplir ce rôle.

Elles font valoir qu'elles ont subi des préjudices importants, le préjudice de la Société Levi Strauss résultant tout d'abord de l'atteinte portée à la valeur distinctive de chacune de ses dix marques, qui provoque une baisse de leur valeur patrimoniale et d'une perte financière qu'il résulte aussi du manque à gagner commercial qu'elle subit du fait de la reproduction de ces marques notoires sur des articles de moins bonne qualité, ce qui discrédite les produits authentiques.

Elles indiquent que le préjudice de la Société Levi Strauss Continental résulte des ventes manquées par détournement de clientèle, de la désorganisation de sa politique commerciale, du parasitisme dont est victime son activité publicitaire et de la diminution de la valeur de sa licence de marques du fait de leur avilissement.

Par conclusions additionnelles, les Sociétés exposent qu'elles se sont attachées à faire état des différences existant entre les jeans saisis et les jeans authentiques.

Elles indiquent que le fait que la Société Levi Strauss & Co ait concédé des licences de marques ne justifie pas la possibilité de trouver des différences notables dans la construction de jeans, la production étant surveillée.

Elles précisent que les différences tenant à l'emplacement des coutures ou à la structure du pantalon, telles que constatées entre les jeans saisis et les jeans authentiques, ne peuvent se justifier, les jeans étant fabriqués mécaniquement grâce à des machines réglées de manière uniforme sur l'ensemble des sites de production.

Elles précisent qu'il est impossible de trouver des pantalons dont les étiquettes de lavage internes auraient été cousues après la finition de la jambe.

Elles font valoir que la bonne foi de la Société Best France ne pourrait être prise en considération.

La Société Casino France, sur la saisie-contrefaçon des deux pantalons "501" Levi Strauss au magasin "L'Univers" à Castres le 20 mars 1991, affirme que les Sociétés appelantes n'ont apporté aucune preuve de la contrefaçon.

Elle soutient que la preuve n'est pas rapportée de ce que les jeans en cause n'aient pas été fabriqués par les licenciés de la Société Levi Strauss & Co.

Elle fait valoir que l'acte de contrefaçon ne peut pas être constitué par la description non justifiée de détails impossibles à déceler par un acheteur moyen.

La Société Casino fait valoir que les Sociétés appelantes ne produisent aucun élément de comparaison et qu'une comparaison n'est pas possible entre des jeans originaux et les jeans saisis, les Sociétés appelantes se contentant de citer les différences entre les jeans fabriqués par elles et des jeans contrefaits sans aucune application pratique.

Subsidiairement, la Société Casino soutient que, si elle était condamnée, la Société Best France devrait être condamnée à la relever et garantir.

La Société Casino demande la condamnation des Sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental au paiement de la somme de 10 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société Best France sollicite la confirmation du jugement et la condamnation des appelantes à lui verser la somme de 25 000 F à titre de dommages et intérêts pour action abusive et, à titre subsidiaire, elle sollicite la garantie de la Société Anthémion et la condamnation de cette Société à lui payer également la somme de 10 000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société Best France ayant été déclarée en liquidation judiciaire, Maître Lue Marion est intervenu en qualité de liquidateur et a demandé qu'il lui soit donné acte de ce qu'il s'en remet à Justice.

Il est nécessaire d'examiner les arguments qui étaient développés dans les conclusions de la Société Best France puisqu'il n'est pas contesté que c'est cette Société qui a livré aux Sociétés Auchan et Casino les jeans argués de contrefaçon.

La Société Best France soutenait qu'il n'était pas rapporté la preuve que les jeans litigieux ne provenaient pas d'un licencié de la marque Levi Strauss. Elle exposait que Levi Strauss avait de multiples licenciés à travers le monde et que des modifications de fabrication pouvaient apparaître, des modifications touchant à des détails dans la fabrication des jeans étant inévitables.

Elle soutenait que l'argumentation des Sociétés Levi Strauss était inopérante, dans la mesure où elle ne visait pas les signes distinctifs déposés à titre de marques, seuls susceptibles de fonder une action en contrefaçon.

La Société Best France arguait de sa bonne foi, les affaires se déroulant sur une place régulière et avec un certificat d'origine certifié par les Chambres de Commerce concernées.

Elle indiquait que le prix correspondait à celui des jeans Levi's vendus dans le commerce.

Elle soutenait que la demande fondée sur les actes de concurrence déloyale n'est pas recevable et conteste l'existence d'un préjudice.

La SA des Marchés Usine Auchan sollicite la confirmation du jugement.

Subsidiairement, elle demande qu'il soit constaté que les Sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental ne justifient pas du quantum du préjudice allégué et qu'il soit jugé qu'il n'y a pas lieu à condamnation solidaire avec les Sociétés Best France, Anthémion et Casino.

Elle conclut à la condamnation des Sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental au paiement d'une indemnité de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle fait valoir qu'elle est le simple revendeur des produits litigieux acquis auprès de la Société Best France.

Elle se rapporte aux écritures de la Société Best France selon lesquelles les allégations de contrefaçon ne sont pas démontrées.

Elle indique qu'il est justifié qu'aucune imprudence n'a été commise et que tous les éléments d'information démontraient l'authenticité des produits : prix payé pour l'achat des marchandises, prix normal, provenance des produits (Los Angeles), existence d'un crédit documentaire sur l'appellation "In voice jeans LS original 501 0190" et certificat d'origine établi par un Notaire.

Elle fait valoir que la demande de dommages et intérêts à titre de concurrence déloyale se fonde sur les mêmes faits que l'action en contrefaçon.

Elle expose que la Société Best France, qui a fourni les produits litigieux, est tenue à son égard d'une obligation à garantie.

Subsidiairement, elle fait valoir que les Sociétés en cause n'ont, subi aucun préjudice.

Elle conteste qu'une condamnation solidaire puisse être prononcée à son encontre avec les Sociétés Best France, Casino et Anthémion.

Elle indique que, si la Cour considérait que la vente des jeans litigieux constituait une faute, seules les Sociétés Best France et Anthémion pourraient être condamnées solidairement au paiement de toutes les condamnations, puisqu'elles ont fourni la totalité des marchandises litigieuses, soit 3 600 pièces.

Elle expose qu'elle n'a acheté et revendu, pour sa part, que 432 jeans, soit 12 % à peine de ce stock et qu'elle ne pourrait, en toute hypothèse, être condamnée à plus de 12 % du préjudice total.

En réponse, les Sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental indiquent que la détention de marchandise contrefaisante est assimilée à la contrefaçon, que la Société Auchan reconnaît avoir commercialisé 432 jeans litigieux et qu'elle s'est rendue coupable de contrefaçon en détenant et vendant ces marchandises contrefaites.

Assignée à Parquet, la Société Anthémion n'a pas constitué Avoué.

Discussion et Décision

Attendu, en ce qui concerne l'action des Sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental à l'encontre de la Société Casino, que s'il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 20 mars 1991 que deux pantalons jeans "501 Levi Strauss" ont été saisis au magasin "L'Univers" à Castres, ces jeans portants des signes distinctifs des marques de la Société Levi Strauss & Co tels que rappelés en tête du présent arrêt, aucun de ces jeans saisi n'est présenté à la Cour ;

Qu'il est, dès lors, impossible de comparer ce jean avec le jean authentique fabriqué par la Société Levi Strauss & Co et produit par elle ;

Que les seules énonciations du procès-verbal de saisie-contrefaçon sont insuffisantes à établir l'existence de cette contrefaçon ;

Qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les Sociétés Levi Strauss de leurs demandes à l'encontre de la Société Casino France ;

Attendu que la condamnation prononcée par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en première instance, sera maintenue ;

Qu'il y a lieu d'allouer à la Société Casino la somme supplémentaire de 5 000 F sur le fondement du même article ;

Que la demande de dommages et intérêts sera rejetée, en l'absence de démonstration d'un préjudice ;

Attendu, en ce qui concerne les demandes des Sociétés Levi Strauss à l'encontre de la Société Auchan, qu'il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 14 février 1991, qu'a été dénombrée par l'Huissier une cinquantaine de jeans délavés, portant le nombre "501" et le nom "Levi's" ;

Que les marques distinctives rappelées en tête du présent arrêt se trouvaient sur ces jeans ;

Que la Société Auchan a fourni la facture de la commande dont faisait partie les jeans en cause, commande de 432 jeans "Levi's 501" livrée par la Société Best France ;

Attendu que les documents produits, tels que certificat d'origine, attestation de Monsieur Hayat, crédit documentaire et documents émanant des Chambres de Commerce de Zurich, de Toronto et le crédit documentaire, sont insuffisants à démontrer que ces jeans ont bien été fabriqués par la Société Levi Strauss ou par ses licenciés ;

Que sur le certificat d'origine, il est noté "Levis Straus" et non "Levi Strauss" ;

Que, si ces documents démontrent que les jeans sont passés par les Etats-Unis, ils ne sont pas suffisants à démontrer l'origine exacte de ces pantalons ;

Attendu qu'il résulte de la comparaison entre les jeans provenant de la saisie opérée par l'Huissier lors du procès-verbal de saisie-contrefaçon, et les jeans originaux produits par la Société Levi Strauss :

- que l'étiquette apposée sur le pantalon saisi dans les magasins de la Société Auchan, étiquette de deux chevaux écartelant un jean, n'est pas semblable dans ses caractéristiques, à celle du jean original en ce qui concerne les dessins figurant au pied des chevaux ;

- que les rivets intérieurs du pantalon contrefait ne sont pas en cuivre, contrairement au pantalon original ;

- que le bouton argenté fermant la ceinture n'est pas semblable à celui d'origine, qui porte le numéro "501", alors que celui d'origine porte un autre numéro ;

- que les poches arrières du jean saisi chez Auchan sont beaucoup plus grandes que les poches arrières du jean original ;

Qu'on relève également des dissemblances notables entre les étiquettes de lavage, la qualité des poches, les surpiqûres à l'extrémité de la ceinture ;

Attendu que, compte tenu du nombre et de l'importance de ces dissemblances, il est impossible qu'il s'agisse de pantalons fabriqués par la Société Levi Strauss & Co ou par ses licenciés ;

Que, notamment, le calibre des poches, les mentions sur les rivets, la qualité de ceux-ci et les graphismes des étiquettes ne peuvent différer d'un licencié à l'autre, en raison des standards nécessairement imposés par la Société Levi Strauss ;

Attendu en conséquence, qu'il résulte de ces éléments que les jeans commercialisés par la Société Best France et vendus à la Société Auchan, sont des faux ;

Que la reproduction à l'identique ou quasi-servile de l'ensemble des marques de la Société Levi Strauss & Co constitue, au sens des articles L. 713-2 et L. 416-9 du Code de la Propriété Intellectuelle, une contrefaçon ;

Attendu que la bonne foi de la Société Auchan, qui n'est pas mise en doute, ne peut avoir aucune incidence en l'espèce ;

Que la Société Auchan, qui a commercialisé des jeans contrefaits, doit réparer le préjudice subi de ce fait par la Société Levi Strauss & Co et la Société Levi Strauss Continental ;

Attendu qu'aucune condamnation solidaire ne peut être prononcée, en l'état de la liquidation judiciaire de la Société Best France ;

Que, d'autre part, compte tenu du volume de jeans commercialisés par la Société Best France et de celui acquis par la Société Auchan, il n'aurait pu être fait droit à une réclamation de condamnation solidaire, sauf pour une partie seulement du préjudice ;

Attendu que le préjudice de la Société Levi Strauss & Co consiste à l'atteinte aux droits privatifs qu'elle a sur chacune des dix marques contrefaites et à l'avilissement de celles-ci ;

Attendu que la Société Levi Strauss & Co ne justifie pas avoir subi un préjudice distinct de celui résultant directement de la contrefaçon et de l'atteinte à la marque ;

Attendu que le préjudice de la Société Levi Strauss Continental est un préjudice commercial, du fait d'un acte de concurrence déloyale dont elle est l'objet, de tels actes ayant pour conséquence une diminution de la valeur de sa licence, et entraînant un préjudice résultant des ventes manquées par détournement de clientèle ;

Attendu, en ce qui concerne la réparation à la charge de la Société Auchan, qu'il convient de condamner cette Société à payer à la Société Levi Strauss & Co la somme de 200 000 F pour atteinte à la marque et à la Société Levi Strauss Continental la somme de 150 000 F en réparation de son préjudice commercial ;

Attendu qu'il doit être fait droit aux mesures d'interdiction et de confiscation telles qu'indiquées dans le dispositif du présent arrêt ;

Qu'il sera fait droit à la demande de publication dans trois revues ou journaux français ou étrangers, à concurrence de la somme de 20 000 F par insertion ;

Attendu, en ce qui concerne l'appel en garantie de la Société Auchan à l'encontre de la Société Best France, qu'il convient d'y faire droit, mais seulement en fixant la créance de la Société Auchan à l'encontre de la Société Best France à hauteur du montant des condamnations prononcées par le présent arrêt, tant en ce qui concerne les condamnations à paiement que les condamnations accessoires et les frais qu'elles auront entraînés ;

Attendu, en ce qui concerne l'action des Sociétés Levi Strauss à l'encontre de la Société Best France, que la Société Best France a commis des faits de contrefaçon en commercialisant des jeans ne provenant pas de la Société Levi Strauss & Co ;

Que les factures produites font état d'une commande de 3 842 jeans américains ;

Qu'il convient de faire droit à l'intégralité des réclamations des Sociétés et de dire que la créance de la Société Levi Strauss & Co à l'encontre de la Société Best France sera d'un montant de 500 000 F et la créance de la Société Levi Strauss Continental d'un montant de 500 000 F également ;

Qu'il sera également fait interdiction à Maître Luc Marion, ès-qualités, de faire usage des marques de la Société Levi Strauss & Co sous quelque forme que ce soit, sous astreinte ;

Que la condamnation à la destruction des articles contrefaisants sera également prononcée à l'encontre de la Société Best France ;

Attendu que Maître Marion, ès-qualités, n'a formé aucune demande à l'encontre de la Société Anthémion ;

Que le rôle de cette Société n'est pas établi ;

Qu'il convient donc de rejeter les réclamations des Sociétés appelantes à l'encontre de la Société Anthémion ;

Par ces motifs : En la forme, reçoit l'appel ; Au fond, confirme le jugement déféré en ce qui concerne l'action des Sociétés Levi Strauss à l'encontre de la Société Casino ; Ajoutant au Jugement ; Condamne ces Sociétés à payer à la SNC Casino France la somme supplémentaire de cinq mille francs (5 000 F) par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Les condamne aux dépens de l'appel interjeté à l'encontre de la SNC Casino France, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Salvignol - Gutlhem, Avoués, conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Réformant pour le surplus le jugement déféré et statuant à nouveau ; Dit qu'en commercialisant sans l'autorisation de la Société Levi Strauss & Co des jeans reproduisant servilement les marques "Levi's" et "501", ainsi que les marques figuratives enregistrées, dont la Société Levi Strauss & Co est titulaire, les Sociétés Best France et Auchan ont commis des actes de contrefaçon de ces marques et des actes de concurrence déloyale au préjudice de la Société Levi Strauss Continental ; En conséquence ; Interdit à la Société Auchan et à Maître Luc Marion, agissant en qualité de liquidateur de la Société Best France, de faire usage de ces marque, sous astreinte de mille francs (1 000 F) par infraction constatée, à compter de la signification du présent arrêt ; Dit que la Cour se réserve le contentieux de la liquidation de l'astreinte ; Ordonne la remise aux Sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental des jeans saisis, aux fins de leur destruction, en présence d'un Huissier de Justice, aux frais de la Société Auchan ; Condamne la Société Auchan à payer, à titre de dommages et intérêts, à la Société Levi Strauss & Co, la somme de deux cent mille francs (200 000 F) et à la Société Levi Strauss Continental la somme de cent cinquante mille francs (150 000 F) ; Autorise la Société Levi Strauss & Co et la Société Levi Strauss Continental à faire publier le présent dispositif par extrait, dans trois journaux ou revues de leur choix, aux frais de la Société Auchan, à concurrence de vingt mille francs (20 000 F) par insertion ; provision suffisante ; Condamne la Société Auchan à payer aux Sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental ensemble, la somme de dix mille francs (10 000 F) par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Vu la liquidation judiciaire de la Société Best France ; Donne acte à Maître Luc Marion, agissant en qualité de liquidateur, de son intervention à l'instance ; Constate qu'il s'en est remis à Justice ; Reçoit l'appel en garantie de la Société Auchan à l'encontre de Maître Marion, en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la Société Best France ; Fixe au montant des présentes condamnations prononcées contre la Société Auchan, la créance de cette Société à l'encontre de la liquidation judiciaire de la Société Best France, en principal, tous frais, intérêts, condamnation accessoire, article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et dépens ; Fixe à la somme de cinq cent mille francs (500 000 F) la créance de la Société Levi Strauss & Co et à la somme de cinq cent mille francs (500 000 F) la créance de la Société Levi Strauss Continental à l'encontre de la liquidation judiciaire de la Société Best France ; Rejette les demandes formées contre la Société Antelémion ; Condamne la SA des Marchés Usine Auchan aux dépens de l'appel interjeté à son encontre ; Autorise la SCP Nègre, Avoués, à recouvrer directement les frais et taxes dont il a fait l'avance sans en avoir reçu ; Dit que les dépens de l'appel interjeté à l'encontre de la Société Best France seront frais privilégiés de liquidation judiciaire.