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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 31 janvier 1997, n° 93-26836

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

IDV Initial Distribution Vidéo (SARL)

Défendeur :

The Walt Disney Company (SA), Buena Vista Home Vidéo (SA), The Walt Disney Company

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Gaultier-Kistner, SCP Roblin Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Desachy, Thorn.

T. com. Paris, du 22 nov. 1993

22 novembre 1993

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Initial Distribution Vidéo (IDV) à l'encontre d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 22 novembre 1993 dans un litige l'opposant à la société de droit américain The Walt Disney Company et aux sociétés Buena Vista Home Vidéo (France) et The Walt Disney Company (France) - ci après les sociétés Disney.

Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.

Quelques semaines après la sortie en salles en France, début novembre 1992, de son dessin animé de long métrage La Belle et la Bête, The Walt Disney Company a fait procéder à un constat d'huissier puis à une saisie contrefaçon, les 23 et 29 décembre 1992, dans les locaux d'un magasin à l'enseigne Aprovision exploité à Paris par IDV, société spécialisée dans la production et la distribution de cassettes vidéo bon marché.

Ces mesures ayant permis d'établir qu'IDV commercialisait une cassette vidéo intitulée également la Belle et la Bête, les sociétés Disney l'ont fait assigner le 17 février 1993 devant le Tribunal de commerce de Paris. Elles exposaient que la jaquette de la cassette litigieuse constituait une contrefaçon de décors et de personnages de leur film, et que sa commercialisation caractérisait des agissements constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire. Outre des mesures de confiscation, d'interdiction et de publication, elles réclamaient qu'IDV soit condamnée à payer des indemnités provisionnelles de 1 million de F pour la société américaine The Walt Disney Company et de 250 000 F et 500 000 F respectivement pour The Walt Disney Company (France ) et Buena Vista Home Vidéo (France).

IDV a conclu au débouté et réclamé reconventionnellement paiement de la somme de 300 000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive.

C'est dans ces circonstances qu'est intervenu le jugement entrepris qui a débouté les demanderesses du chef de la contrefaçon mais a fait droit à leurs prétentions sur la concurrence déloyale et parasitaire et a en conséquence interdit sous astreinte à IDV de poursuivre la commercialisation de la vidéocassette revêtue de la jaquette incriminée, ordonné trois publications du jugement à ses frais et l'a condamnée à payer aux sociétés demanderesses la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts ainsi que celle de 15 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Ayant interjeté appel, IDV poursuit la réformation du jugement sauf en ce qu'il a débouté ses adversaires sur la contrefaçon et elle réitère les demandes qu'elle avait formées devant les premiers juges.

Les sociétés Disney concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné IDV pour des actes de concurrence déloyale et parasitaire, et ordonné des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication. Formant appel incident pour le surplus, elles réclament que soit porté à 500 000 F le montant des dommages intérêts mis à la charge d'IDV au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, et elles prient la Cour de dire qu'IDV a commis des actes de contrefaçon et de la condamner de ce chef à payer à la société américaine The Walt Disney Company la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts. Elles demandent qu'il soit fait interdiction à IDV, sous astreinte de 100 000 F par infraction constatée, de poursuivre ces actes, que soit ordonnée la confiscation et la destruction de tout support comportant un des personnages contrefaisants, enfin, que soient ordonnées dix publications de l'arrêt à intervenir aux frais de leur adversaire.

Toutes les parties sollicitent l'application à leur profit des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Sur la contrefaçon

Considérant qu'il est constant que la vidéo cassette litigieuse, qui contient deux dessins animés, La belle et Bête et Le pique Nique des Oursons, d'une durée respective de 20 et 30 minutes, est présentée sous une jaquette mettant en valeur La Belle et la Bête, seul titre mentionné sur la tranche du boîtier et sujet exclusif des illustrations figurant sur chacune des faces de celui-ci ;

Que l'illustration de la face avant de la jaquette représente " la belle ", jeune fille blonde en longue robe bleue, la main posée sur un muret à balustres et le regard tourné vers " la bête ", à crinière, vêtue d'une veste rouge, l'index d'une patte pointé vers la belle, l'autre tenant un chandelier à 5 bougies allumées, avec en arrière-fond un château à hautes tours pointues se détachant devant une lune pleine ;

Que cette illustration est seule incriminée au titre de la contrefaçon par les intimées, le dessins animé intitulé La Belle et la Bête contenu dans le cassette - dont la réalisation technique est extrêmement médiocre - ne reprenant en rien le dessin des personnages et des décors du film de Disney ; qu'en marge du volet arrière de la jaquette figure d'ailleurs en petits caractères la mention " Illustration non contractuelle " ;

Considérant que le tribunal a estimé que les illustrations incriminées copiées selon IDV sur les dessins d'un album du dessinateur Van Gool auquel Disney avait [fait] parvenir dès 1990 les premières esquisses de ses personnages se rapprochaient globalement de dessins de sujets et de situations de Disney ayant un caractère original, mais n'en étaient pas la copie servile et n'en constituaient pas la contrefaçon ;

Considérant qu'IDV, qui conclut à la confirmation du jugement de ce chef, expose :

- que l'illustration qui lui est reprochée serait antérieure à la divulgation de l'œuvre de Disney puisqu'elle aurait fait réaliser la jaquette litigieuse par la société Optimum début 1991, alors que le copyright des dessins de Disney date du 7 août 1991,

- que les ressemblances qui peuvent être perçues entre les illustrations de sa jaquette et les dessins de Disney s'expliquent par le fait que les unes et les autres représentent le même conte du domaine public, mais qu'elle n'a pas repris les personnages secondaires de fantaisie propres à l'œuvre de Disney (Monsieur Big Ben, monsieur Lampadaire, Madame La Théière),

- que ses illustrations avaient un caractère nécessaire compte-tenu de leur thème (Elle précise à cet égard : " une autre représentation des personnages et des décors pourrait-elle être faite ? Une réponse négative s'impose à l'évidence. ") ;

Considérant que cette argumentation et la motivation du Tribunal sont justement critiquées par Disney ;

Considérant que l'appelante relève en effet avec raison que la circonstance que la jaquette litigieuse ait pu être inspirée par des dessins de Van Gool dérivés de ses œuvres ne suffit pas à exclure que cette jaquette constitue la contrefaçon de celles-ci, et que par ailleurs l'existence d'une copie servile n'est nullement indispensable pour qu'il y ait contrefaçon ;

Considérant qu'il sera également observé qu'IDV ne rapporte en rien la preuve de ses affirmations selon lesquelles l'illustration incriminée aurait été réalisée début 1991, avant la divulgation des dessins de Disney ; que la facture d'Optimum datée du 4 février 1991 qu'elle verse aux débats à cet égard n'est pas probante puisque si elle vise bien la fabrication de 5 000 Jaquettes pour La Belle et la Bête, Disney soutient qu'il est vraisemblable que ces jaquettes concernaient un film produit par United Artists, également intitulé La Belle et la Bête, distribué par IDV en 1991 ; que Disney observe encore qu'IDV n'a jamais révélé le nom de l'auteur de la jaquette litigieuse, ni d'ailleurs celui du dessin animé que celle-ci présente (qui comporte une mention de copyright 1992), et n'explique pas comment, si la jaquette avait effectivement été réalisée en février 1991, elle aurait pu mentionner comme distributeur " Aprovision 48 rue du Colisée ", enseigne d'un fonds de commerce acquis par IDV, en juin 1991 seulement ;

Considérant que les allégations d'IDV selon lesquelles ; les caractéristiques des personnages et du décor représentés sur la jaquette litigieuse auraient été imposées par le sujet du film sont dépourvues de tout fondement et apparaissent d'autant plus audacieuses que les dessins du film contenu dans la cassette n'ont aucun rapport avec les illustrations ;

Que les pièces versées aux débats, et notamment un grand nombre d'albums illustrés consacrés au conte "La belle et la bête" permettent de constater l'originalité, d'ailleurs reconnue par le Tribunal, des dessins de Disney ;

Qu'il y a lieu de relever tout particulièrement de ce point de vue la représentation de la bête, sous la forme d'une créature hybride alliant la crinière du lion, le crane, les cornes et la barbe du bison, les défenses et le mufle du sanglier, le front du gorille, le torse de l'ours, avec des yeux bleus exorbités, affublée d'une redingote à revers de couleur et manchettes blanches qui dépassent, avec une écharpe-jabot blanche sur un pantalon noir de même style ;

Que Disney verse aussi aux débats un dessin, dont l'originalité n'est pas contestée, qu'elle a utilisé pour les produits de marchandisage et qui représente " de façon romantique la belle et la bête devant un balcon à balustres avec un fond de décor le château aux hautes tours se découpant sur la pleine lune " ;

Considérant que la scène figurant sur la jaquette litigieuse reproduit les éléments caractéristiques du décor ci-dessus décrit et surtout de l'image de la bête à forme hybride représentée par Disney, avec seulement quelques différences mineures, couleur de la redingote rouge avec revers jaunes, au lieu d'être bleue avec des revers jaunes, cornes tournées vers l'arrière au lieu d'être pointées vers l'avant, crocs tombant de la mâchoire supérieure, au lieu d'être plantés sur la mandibule inférieure ;

Considérant que ces dissemblances portant sur des détails accessoires ne conjurent pas les ressemblances d'ensemble qui doivent être relevées entre l'illustration de la jaquette litigieuse et les dessins de personnages et de décors de Disney dont elle constitue en conséquence la contrefaçon ; que le jugement sera réformé de ce chef ;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que, pour retenir à l'encontre d'IDV le grief de concurrence déloyale et parasitaire, le Tribunal a relevé que :

- IDV a édité sa cassette postérieurement à la sortie du film aux Etats Unis et dans la perspective de sa sortie en France annoncée pour la Toussaint 1992,

- elle a volontairement illustré cette cassette avec une image représentant des personnages très différents de ceux qui figurent sur le film enregistré dans la cassette et ayant une certaine parenté avec ceux de Disney de manière à créer une confusion qui n'a pu manquer de se produire chez des acheteurs moyennement attentifs entre le contenu de sa cassette et le film Disney,

- elle a profité ce faisant de la promotion et du succès du film tant en Amérique, qu'en France, et du fait que Disney se trouvait dans l'impossibilité de mettre sa propre cassette sur le marché avant la Toussaint 1993 ;

Considérant qu'IDV qui poursuit la réformation du jugement de ce chef expose essentiellement qu'elle n'intervient pas sur le même marché que les sociétés Disney parce qu'alors que celles-ci commercialisent leurs cassettes vidéo à des prix élevés, elle vend au contraire des cassettes très bon marché ; qu'elle soutient qu'ainsi aucune confusion n'a pu se produire entre sa cassette et celles que commercialisent les sociétés Disney, et qu'au surplus cette cassette n'a en rien compromis le succès du film de Disney, qui a réalisé les meilleurs résultats parmi tous les films sortis au dernier trimestre 1992 ;

Considérant que les intimées concluant au contraire à la confirmation sur la concurrence déloyale, insistent sur le préjudice que leur aurait causé leur adversaire dont elles dénoncent les agissements selon elles illicites (pas d'indication du numéro de référence éditeur, mention en qualité de distributeur d'une simple enseigne non mentionnée au registre du commerce, tromperie des consommateurs et publicité mensongère) et la mauvaise foi ;

Considérant, ceci étant exposé, que la Cour fera siens pour l'essentiel les motifs du Tribunal ci-dessus rappelés, étant précisé toutefois que l'illustration de la cassette n'a pas simplement " une certaine parenté " avec celles de Disney mais en constitue la contrefaçon;

Que même si leur " positionnement " est différent, l'appelante et les sociétés Disney interviennent sur le même marché des dessins animés pour enfants, de telle sorte que par ces agissements IDV a suscité un risque de détournement de clientèle, et en tout cas une atteinte à l'image de Disney auprès de la clientèle enfantine qui n'a pas nécessairement pu se rendre compte que le film particulièrement médiocre d'IDV n'était pas une production Disney, ou qui, s'étant aperçue de la confusion, n'en a pas moins associé Disney à l'expérience très décevante ayant consisté à acheter le film rudimentaire, composé d'images à peine animées, vendu par IDV;

Qu'en toute hypothèse, même à admettre que les parties n'aient pas eu de clientèle commune, il demeure qu'IDV a commis des actes de parasitisme caractérisés en se plaçant dans le sillage des sociétés Disney pour profiter de leurs investissements, de leurs efforts de promotion et de leurs opérations massives de marchandisage;

Considérant que le jugement mérite donc pleine confirmation en ce qu'il retenu le grief de concurrence déloyale et parasitaire ;

Sur les mesures réparatrices

Considérant que les actes de contrefaçon établis à la charge d'IDV ont causé à la société américaine The Walt Disney Company, titulaire des droits enfreints, un préjudice dont la Cour estime, au vu de l'ensemble des éléments du dossier, qu'il sera équitablement réparé par l'allocation d'une somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Considérant que compte tenu également des circonstances de l'espèce, et notamment de l'ampleur relativement modeste des agissements commis par IDV (qui indique avoir fait fabriquer 5 000 cassettes) au regard de la dimension des activités des sociétés Disney, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé à 100 000 F le montant global des dommages-intérêts alloués aux sociétés Disney au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;

Considérant que les mesures d'interdiction ordonnées par les premiers juges sont suffisantes et seront confirmées ; que les circonstances et notamment l'ancienneté du litige ne justifient pas que soient prescrites les mesures de confiscation aux fins de destruction réclamées par les intimées ; que les mesures de publication prescrites par les premiers juges et qui n'ont pas été assorties de l'exécution provisoire seront également confirmées, sauf en ce qui concerne leur coût mis à la charge d'IDV qui sera élevé à 50 000 F, et précision étant apportée que ces publications devront faire mention du présent arrêt ;

Considérant enfin que l'équité commande d'allouer aux sociétés Disney une indemnité de 15 000 F pour leurs frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté les demandes formées au titre de la contrefaçon et limité à 30 000 F le coût des publications mis à la charge d'IDV ; Statuant à nouveau de ces chefs et ajoutant ; Dit qu'en commercialisant la vidéocassette intitulée " La Belle et la Bête " comportant une illustration reproduisant les dessins et décors dont les droits d'auteur sont détenus par la société américaine The Walt Disney Company, la société Initial Distribution Vidéo a commis au préjudice de celle-ci des actes de contrefaçon ; Condamne Initial Distribution Vidéo à payer de ce chef à The Walt Disney Company la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts ; Dit qu'il sera fait mention du présent arrêt dans les publications ordonnées par le Tribunal, dont la société Initial Distribution Vidéo devra supporter le coût dans la limite d'une somme de 50 000 F ; Condamne la société Initial Distribution Vidéo à payer aux sociétés intimées une indemnité de 15 000 F pour leurs frais irrépétibles d'appel ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Initial Distribution Vidéo aux dépens d'appel ; Admet la SCP Gaultier Kistner au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.