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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 30 janvier 1997, n° 559-94

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Danone (SA)

Défendeur :

Andros (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Magendie

Conseillers :

MM. Frank, Boilevin

Avoués :

SCP Keime, Guttin, Me Bommart

Avocats :

Mes Destremau, Saint-Esteben.

T. com. Nanterre, du 16 déc. 1993

16 décembre 1993

Rappel des faits et de la procédure

En 1987, la Société Andros a lancé sur le marché, des compotes de pommes conditionnées sous emballages plastiques présentés dans les rayons frais des grandes et moyennes surfaces sous l'appellation " compote Andros ".

En avril 1993, la Société Danone a annoncé la mise en vente de ses compotes sous l'appellation de " compotes fraîches " ;

Par ailleurs, alors qu'était annoncée pour le 24 mai 1993, la commercialisation de la " compote fraîche " de la Société Danone, la Société Andros procédait le 19 mai 1993 à une campagne nationale d'affichage présentant sa compote, comme " une compote de pommes fraîches ".

Les 26 et 28 mai, la société Danone et la Société Andros se sont sommées mutuellement de se donner des informations sur les caractéristiques de leur fabrication les autorisant à utiliser pour l'une, les termes " compotes fraîches " et pour l'autre, " compotes de pommes fraîches ".

Enfin, le 2 juin 1993, la Société Andros assignait à bref délai la Société Danone devant le Tribunal de Commerce de Nanterre afin de voir cesser les manœuvres de la Société Danone et que celle-ci soit condamnée à la réparation des préjudices qu'elle avait commis.

Par un jugement du 16 décembre 1993, le Tribunal de Commerce de Nanterre a fait droit pour l'essentiel aux demandes de la Société Andros en retenant notamment que " Danone s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale résultant tant de l'utilisation du mot " frais " qui constitue une publicité trompeuse, que d'actes de dénigrement de ses produits ".

Exposé des thèmes en présence et des demandes des parties

A l'appui de son appel, la Société Danone fait valoir :

Sur les demandes formées par Andros à son encontre

* D'une part, que l'emploi des termes " compotes fraîches " n'est pas constitutif de publicité mensongère, dès lors qu'aucune réglementation ne définit de manière générale les conditions d'emploi du terme frais pour une denrée alimentaire et que seul le Conseil National de la Consommation dans un avis du 8 février 1990 subordonne l'allégation " frais " à la réunion de trois conditions, notamment la mise en vente dans les 30 jours et l'absence de traitement destiné à la conservation.

Bien que cet avis soit dépourvu d'effet obligatoire, les industriels peuvent s'y référer, pour que leur utilisation du terme frais ne soit pas constitutif de publicité mensongère à l'égard du consommateur ;

Or, le Tribunal de Commerce de Nanterre a fait une interprétation erronée de cet avis en lui conférant une valeur normative et en considérant qu'il interdisait l'emploi des procédés de pasteurisation pour les produits frais.

Il est en effet faux de prétendre que tout ce qui est cuit est pasteurisé, et que donc, tout produit cuit ne peut être qualifié de frais.

* D'autre part, que la divulgation accidentelle par Danone à Paridoc d'un tableau comparatif interne et confidentiel ne constitue pas un dénigrement.

Ce document ne constituant en aucun cas la 8ème page d'une plaquette de présentation destinée aux centrales d'achat, mais un document strictement interne n'ayant fait l'objet que d'une remise accidentelle et limitée à la seule centrale d'achat Paridoc, et non pas une diffusion délibérément orchestrée et généralisée à l'ensemble des centrales d'achat.

La plaquette produite aux débats par la Société Andros a été falsifiée par la suppression de la mention " Paridoc " pour laisser croire à une diffusion générale.

* Qu'en outre, la Société Andros n'établit pas l'existence d'un préjudice résultant de la prétendue concurrence déloyale, en raison :

- des performances exceptionnelles de la compote Andros en 1993,

- de l'absence de preuve d'une perte de marge bénéficiaire,

- quant aux investissements publicitaires de la Société Andros, ceux-ci n'ont pas été nécessités pour la réhabilitation de son image de marque qui aurait été atteinte par cette concurrence déloyale, mais par l'arrivée sur le marché de plusieurs concurrents.

Par ailleurs, s'agissant de l'émission télévisée de Monsieur Jean-Pierre Coffe, qui ne constitue pas une publi-information, Danone a été approchée comme Andros pour y participer et ne peut être tenue pour responsable des propos tenus par cet animateur.

Sur ses propres demandes, la Société Danone fait valoir :

* D'une part, que la commercialisation des compotes Andros au sein du rayon frais est trompeuse, les produits du rayon frais bénéficiant d'une image positive à l'égard du consommateur ; de plus, il existe pour celui-ci un risque potentiel de confondre les notions de froid et de frais, ce qui se produit précisément pour les compotes Andros, leur emplacement au rayon frais laissant supposer que ces compotes sont fraîches.

La Société Andros ayant elle-même reconnu que ces compotes ne pouvaient être qualifiées de fraîches, l'introduction de celles-ci en 1987 au sein du rayon frais est artificielle et résulte d'un choix de marketing tendant à persuader le consommateur que ces compotes étaient un nouveau produit présentant des caractéristiques de fraîcheur.

De même, les distributeurs ont été trompés par l'apposition sur les emballages de ces compotes de mention impérative telle que " conservation au frais ".

* D'autre part, que l'utilisation par la Société Andros des mentions " pommes fraîches " et " à la compote de pommes fraîches " est mensongère et trompeuse (1) et que les conditions de cette utilisation sont aggravées (2) :

- s'agissant du caractère mensonger et trompeur de ces mentions créant l'amalgame froid/frais, il résulte directement de la non-conformité de cette mention à l'avis du 8 février 1990 du Conseil National de la Consommation et indirectement de la notion de fraîcheur qui s'inscrit dans un contexte global aux yeux du consommateur.

- concernant les conditions d'utilisation de ces mentions, celles-ci sont particulièrement déloyales et préjudiciables à Danone :

- le contexte particulièrement déloyal de la campagne publicitaire de mai 1993 de la Société Andros doit être souligné, celle-ci sachant que Danone lancerait son nouveau produit le 24 mai 1993, a programmé une campagne d'affichages massifs.

- en août 1993, Andros n'a pas hésité dans une campagne publicitaire à renouveler sa stratégie consistant à galvauder le terme frais et à devancer Danone qui avait annoncé sa propre campagne publicitaire pour l'automne 1993, dans le but évident de dévaloriser la compote Danone en la banalisant.

- le caractère trompeur et déloyal des publicités Andros a été aggravé du fait de la nouvelle campagne télévisée d'octobre 1993 qui était à nouveau axée sur le qualificatif " frais ".

Enfin, il est demandé à la Cour que Danone soit indemnisée des différents préjudices causés par Andros du fait des agissements déloyaux de cette dernière.

La Société Danone prie la Cour :

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de la reconnaissance par le Tribunal de la légitimité de l'apposition, par Danone, d'une DLC sur les emballages de ses compotes ;

Sur l'infirmation partielle du jugement de première instance :

- de constater que la note du CNC du 8 février 1990 n'a pas de valeur normative,

- de constater que cette note n'exclut pas l'emploi du terme " frais " pour une compote pasteurisée,

- de constater que la loi du 27 décembre 1973 sur la publicité mensongère et trompeuse constitue la seule réglementation applicable,

- de constater que la compote Danone n'est pas pasteurisée et qu'en tout état de cause, l'allégation " compote fraîche " utilisée par Danone n'est pas de nature à tromper le consommateur sur les qualités substantielles de sa compote ;

- de constater le caractère accidentel et unique de la divulgation d'un tableau confidentiel à un seul distributeur, la centrale d'achats Paridoc,

- de constater l'absence de tout dénigrement et de tout préjudice lié à cette divulgation accidentelle et unique,

En conséquence,

- de déclarer licite l'emploi par Danone de l'allégation " compote fraîche ",

- d'infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a alloué 16 millions de francs de dommages et intérêts à Andros,

Sur les demandes de Danone à l'encontre d'Andros :

- de constater qu'Andros ne justifie pas de la licéité des allégations " C'est nouveau ", " pommes fraîches ", " à la compote de pommes fraîches ",

- de constater que ces allégations sont de nature à induire en erreur le consommateur sur les qualités substantielles de la compote Andros, et sur le caractère nouveau du produit commercialisé en 1993 par Andros,

- de constater le caractère effectivement trompeur de ces agissements,

- de constater les manœuvres d'Andros destinées à paralyser le lancement du produit Danone,

- de constater qu'Andros s'est abstenue jusqu'en mars 1994 d'étiqueter l'acide L ascorbique qu'elle emploie dans sa compote et que depuis lors son étiquetage est illicite ;

- d'ordonner à Andros d'opérer la mise en conformité de ses emballages en y apposant l'une des deux seules mentions légalement applicables à l'espèce, et ce sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée et par jour de retard ;

- de constater le préjudice subi par Danone du fait de ses agissements trompeurs et déloyaux d'Andros,

En conséquence,

- de déclarer illicites les allégations et manœuvres utilisées par Andros tant sur ses emballages que dans ses publicités, notamment en ce qu'elles sont trompeuses pour le consommateur ;

- de déclarer ces manœuvres constitutives de concurrence déloyale vis à vis de Danone,

- de condamner Andros à verser à Danone la somme de 24 209 000 F en réparation du préjudice subi par cette dernière jusqu'en Mai 1993,

- de condamner Andros à verser à Danone la somme de 40 522 000 F en réparation du préjudice subi par cette dernière depuis Mai 1993,

- de condamner Andros aux entiers dépens et à la somme de 100 000 F HT en application de l'article 700 du NCPC,

- de condamner Andros aux entiers dépens d'instance et d'appel dont le montant sera recouvré par la SCP Keime et Guttin, avoués à la Cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC ;

La Société Andros s'attache à réfuter cette argumentation point par point.

* D'une part, les actes de concurrence déloyale sont constitués par

1°) l'utilisation de la mention : " compotes fraîches ", cette mention n'étant pas conforme à la nature du produit selon la législation en vigueur et l'avis du Conseil National de la Consommation,

2°) un usage illicite d'une date limite de consommation (DLC),

3°) par le dénigrement dont le tableau comparatif constitue l'un des éléments,

4°) en outre, l'émission Jean-Pierre Coffe a constitué une véritable publicité comparative où ont été répertoriés tous les arguments développés par Danone dans ses conclusions.

S'agissant des préjudices résultant de ces actes de concurrence déloyale, ils se décomposent en :

1°) un préjudice financier correspondant notamment au coût de l'investissement nécessaire à la reconstitution de la marge,

et 2°) un préjudice d'image, nécessitant également un réinvestissement pour la reconstitution de l'image de la Société Andros.

* D'autre part, concernant les demandes reconventionnelles de Danone, Andros n'a ni commis d'infraction, ni trompé les consommateurs, (en effet, le placement des compotes Andros au rayon frais est techniquement et juridiquement fondé, de plus aucune ambiguïté sur la nature de ces compotes n'existe, enfin, Andros n'a jouté aucun additif pour leur conservation.

Quant aux campagnes lancées en 1993 par Andros, celles-ci sont licites et loyales.

La Société Andros prie la Cour :

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Nanterre le 16 décembre 1993,

En conséquence,

- d'interdire à Danone d'utiliser dans tous ses documents commerciaux, promotionnels et publicitaires et d'une manière générale dans tous les écrits relatifs à la présentation de ses compotes, le terme " frais " accolé au terme " véritable compote " ou " compote " et d'une manière générale, toute mention de nature à tromper l'acheteur ou le consommateur sur la qualité substantielle de ses produits au détriment de la concurrence, et ce sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée ;

- de dire que Danone s'est rendue coupable d'acte de concurrence déloyale tant au niveau de la publicité trompeuse par l'utilisation du mot " frais " qu'au niveau du dénigrement ;

- de dire que la présence des compotes Andros dans les rayons frais est légitime,

- de dire qu'Andros ne s'est livrée à aucune publicité trompeuse, aucune concurrence déloyale et qu'il n'y a pas lieu d'interdire la projection du film publicitaire critiqué par Danone ;

- d'ordonner la publication du présent jugement par extrait ou in extenso au choix de l'intimée par voie de presse dans des revues professionnelles (Linéaire LSA Points de Vente) et des journaux d'informations générales (le Figaro pages économiques, les Echos, la Tribune) et/ou sous la forme de messages d'informations sur les ondes de trois radios et/ou de deux chaînes de télévision ;

Toutefois,

- de réformer le jugement en ce qu'il dit que l'apposition de la mention " Date limite de Consommation DLC " pour les compotes est licite et de dire que seule la mention Date Limite d'Utilisation Optimale " DLUO " aurait du être apposée par Danone sur le produit concerné ;

- d'amender ledit jugement concernant le quantum des réparations et condamner de ce fait Danone à payer à Andros les sommes de :

- 34 252 644 F au titre de son préjudice financier,

- 36 097 449 F au titre de son préjudice d'image,

- d'amender également ledit jugement concernant le coût des publications et messages à la charge de Danone et le porter à la somme de 500 000 F HT ;

- de condamner Danone au titre de l'article 700 du NCPC, à verser à Andros la somme de 60 000 F en sus de celle de 40 000 F,

- de la condamner en tous les dépens, en ce y compris les frais de constats et d'une manière générale d'actes d'huissier, exposés par Andros, dont distraction au profit de Maître Bommart, avoué, conformément à l'article 699 du NCPC

Sur ce, LA COUR

Sur la demande d'Andros fondée sur la concurrence déloyale commise par Danone à son encontre

Considérant qu'il doit préalablement être rappelé que la Société Andros, spécialiste du fruit, a pour dynamiser ses ventes, eu l'idée en 1987, de conditionner sa compote dans des coupelles individuelles en plastique vendues en barquettes ; qu'elle a demandé aux distributeurs que ce produit ainsi conditionné, soit présenté dans les rayons réfrigérés de leurs magasins, ce qui lui fût accordé ;

Que ce produit connut un très vif succès, ce qui incita les principaux industriels du secteur à se positionner rapidement à leur tour sur le marché ; que la presse spécialisée se fit l'écho de cet engouement des consommateurs, afin qu'il résulte des titres de plusieurs articles, tels que " la compote ressuscitée " (linéaire n° 47, Mars 1991) ou " la compote aux coupelles d'or " (linéaire n° 70, Avril 1993) ;

Considérant que le litige dont est saisie la Cour devait surgir lorsque la Société Danone, dont la réputation dans le secteur des produits laitiers n'est plus à faire, décida de se positionner dans le secteur des compotes individuelles qualifiées de " juteuses " par un critique spécialisé (LSA 24.01.1991 Nathalie Lemoine) qui soulignait également la progression record de ce produit ;

Considérant qu'Andros devait reprocher à Danone d'avoir employé des procédés déloyaux à son encontre, d'une part, en utilisant l'appellation " compote fraîche " qui n'aurait correspondu ni à la réalité ni à la réglementation existante, et qui se serait livrée à un dénigrement de ses produits ;

Qu'il convient d'examiner le bien fondé de la demande au regard de ces deux griefs, étant entendu que la concurrence, aussi vive soit-elle, doit rester conforme à la loyauté et aux usages du commerce ;

* Sur l'appellation " compote fraîche " des produits Danone

Considérant qu'il doit être précisé que si un communiqué du Ministère de l'Agriculture du 9 mars 1959 a cru bon de définir la compote - pour autant que la définition d'un dessert aussi classique soit nécessaire - , il n'existe en revanche, aucun texte relatif à la fraîcheur de ce produit;

Considérant que les conditions d'emploi du terme " frais " en matière de denrées alimentaires sont précisées dans une note du Conseil National de la Consommation du 08.02.1990ayant pour but d'aboutir à un usage clair et cohérent du terme frais en matière de denrées alimentaires, ce qui évite les distorsions de concurrence et participe à l'information du consommateur ;

Considérant que si ce texte, nonobstant sa publication au bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, n'a aucune valeur normative, il n'en présente pas moins un grand intérêt pour la solution du présent litige dans la mesure où la compétence scientifique de ses auteurs, qui font autorité en ce domaine, ainsi que leur indépendance permettent de le considérer comme une référence pour la détermination de la déontologie des entreprises quant à l'utilisation du terme frais dans la définition de leurs produits;

Considérant que cet avis limite l'emploi du terme frais au cas où trois conditions sont simultanément réunies ;

- que le produit alimentaire possède, au moment de la vente, les caractéristiques essentielles, notamment organoleptiques et hygiéniques qu'il présentait lors de la production ou de la fabrication.

- qu'il n'ait pas été conservé grâce à l'emploi de tout traitement ou à l'addition de toute substance destinée à stopper l'activité des enzymes et de la microflore, exception faite de la réfrigération, et dans certains cas, de la pasteurisation,

- qu'il ait été produit ou fabriqué depuis moins de 30 jours ;

Considérant que les exigences posées par le texte précité rejoignent le sens commun en interdisant d'appliquer le terme frais à un produit qui a subi un traitement de conservation, quel qu'il soit; que la pasteurisation à laquelle le Conseil National de la Consommation fait allusion, ne constitue pas une exception autorisée en matière de compote, un tel procédé interdisant alors de considérer le produit comme frais puisque les conditions de sa conservation s'en trouvent naturellement radicalement modifiées ;

Considérant que les pièces produites aux débats, notamment le " process " indiqué dans un tableau comparatif émanant de la Société Danone elle-même, démontrent que la compote litigieuse a subi un traitement de conservation dont les effets sont identiques à ceux d'une pasteurisation, laquelle, faut-il le rappeler, n'est qu'un mode de conservation parmi d'autres;

Considérant que si aucune expertise contradictoire n'a été mise en œuvre dès l'origine du litige, ce qui doit être déploré, les études et analyses produites aux débats dont se prévaut Andros apparaissent suffisamment sérieuses, eu égard à la rigueur des démonstrations faites, à la qualité de leurs auteurs et à l'indépendance morale que l'on est en droit d'attendre d'eux (Note Technique du Professeur Leveau, Professeur de biotechnologie et Hygiène des Aliments à l'Ensia, rapport du Professeur Rougereau, expert près la Cour de cassation) pour permettre l'adoption de la conclusion de ce dernier formulée comme suit : " les analyses réalisées par les Laboratoires Ercem nous montrent, même si le nombre d'échantillons est peu élevé, que les compotes Danone sont stables microbiologiquement et se conservent 3 mois au minimum aussi bien au réfrigérateur qu'à température ambiante. Ces produits sont donc de bonne qualité pour le consommateur et se conservent parfaitement. Ils ne peuvent présenter une telle stabilité que s'ils ont subi une pasteurisation ou un traitement thermique équivalent ".

Considérant que la consultation du Professeur Rosset, dont l'avis a été sollicité par Danone, n'est pas de nature à remettre en cause les conclusions des Professeurs Leveau et Rougereau qui retiennent, ce qui est d'ailleurs corroboré par le simple bon sens, que la cuisson à laquelle il est procédé sur le plan ménager ou industriel, vise tout à la fois à permettre l'obtention d'une texture onctueuse, à détruire, par réduction les enzymes responsables des opérations de brunissement, et à détruire également par réduction les micro-organismes, c'est à dire à pasteuriser ; qu'il ne peut être admis, comme l'affirme le professeur Rosset, pour ce qu'il appelle " la compote simple ", que " les conditions de température et de durée sont celles de la cuisson et n'ont aucune connotation microbiologique " ;

Considérant qu'il convient de souligner que ces conclusions sont corroborées par les propres documents émanant de Danone, notamment un tableau comparatif qu'elle a présenté en annexe de l'argumentaire destiné à Paridoc ; qu'il y est indiqué que, dans un premier temps la pomme fraîche est broyée à 92° centigrades, 12 minutes, puis refroidie à 25 ° centigrades ; qu'ensuite, après ajout de sucre et du deuxième fruit, l'ensemble est réchauffé à 72° centigrades pour faire fondre le sucre, avant d'être refroidi à 4° ;

Considérant que c'est vainement que Danone soutient que le tableau comparatif dont s'agit, porterait des indications relatives au " process " qui ne correspondaient pas à la réalité ; que l'attestation du directeur de l'usine non corroborée par des éléments précis, n'a aucun caractère probant eu égard au lien de subordination de l'intéressé ; que de surcroît, elle se heurte à l'objection de bon sens suivant laquelle ce tableau n'avait pu être établi sans l'aval des services techniques de Danone, qui n'avait pas hésité à le faire parvenir à un client, lequel était dès lors fondé à croire aux informations qu'il contenait ;

Qu'il est ainsi établi que " les compotes fraîches " de Danone avaient subi un traitement de conservation qui s'apparente à la pasteurisation, ce qui contredit ses affirmations(conclusions 1re instance, 8 juillet 93 p. 14) selon lesquelles, " à la différence des compotes traditionnellement commercialisées, lesquelles utilisent une partie de ce traitement thermique pour stériliser le produit afin d'en allonger la durée de conservation ", ... l'élaboration de la sienne " obéit aux prescriptions des recettes figurant dans les ouvrages de cuisine de référence(comme le Larousse gastronomique, Escoffier) " ; qu'il n'est nullement nécessaire d'être expert pour savoir qu'une compote fabriquée suivant les recettes figurant dans tous les ouvrages de cuisine ne peut se conserver même réfrigérée, que seulement quelques jours, le produit se dégradant ensuite très rapidement ;

Considérant qu'il en résulte que si Danone a utilisé pour ses compotes une DLC (Date Limite de Conservation), ce n'est nullement pour éviter des pertes de qualités organoleptiques ou des risques d'incidents micro-biologiques, mais pour conforter auprès du public l'image de fraîcheur qu'elle a voulu donner à son produit, lequel ne peut être considéré, du fait du traitement subi, comme très périssable sur le plan micro-biologique, au sens de la directive CEE du 18 décembre 1978;

Que les analyses de laboratoire démontrent que la compote Danone, dégustée après sa date limite de consommation ne présente aucun danger immédiat pour la santé humaine au sens de l'article 17 du décret du 7 décembre 1984 relatif à la DLC ;

Considérant par suite qu'en utilisant abusivement l'appellation " compote fraîche ", la Société Danone a commis un acte déloyal ne correspondant pas à un exercice sain de commerce; qu'en agissant comme elle l'a fait, elle a introduit une distorsion artificielle dans la concurrence existant entre elle et Andros dont elle a cherché à capter la clientèle à son profit, sachant que celle-ci serait naturellement séduite par un produit paré d'une qualité - la fraîcheur - à laquelle elle est aujourd'hui, particulièrement sensible et qui par sa vertu réelle ou supposée, opère sur elle un pouvoir attractif très fort;

* Sur les actes de dénigrement reprochés par Andros à Danone

Considérant qu'après avoir rappelé la progression exceptionnelle des compotes individuelles en rayons frais, la Société Danone, dans son argumentaire, présente son produit comme " la première compote fraîche du marché ", et précise que " même réfrigéré, le produit actuellement proposé reste une conserve " ; que le fabricant de ce produit, à savoir la Société Andros, était parfaitement identifiable par les contrats d'achat auxquelles cet argumentaire était destiné;

Considérant que l'emploi du terme conserve a, dans ce contexte, une connotation péjorative puisqu'il implique que la compote Andros doit être considérée comme un produit appertisé, qui n'a pas sa place dans le rayon frais;

Considérant que le tableau comparatif, qui a été joint à l'argumentaire destiné à Paridoc, apparaît également dénigrant, à plusieurs égard :

- il indique qu'Andros s'approvisionne 6 mois par an en pommes fraîches et 6 mois avec des compotes fabriquées à l'avance (4 à 6 mois) alors qu'il résulte des pièces versées aux débats (attestation et constat d'huissier) que l'approvisionnement est fait toute l'année.

- il indique encore que la Société Andros, a priori, ne fabrique pas quotidiennement ses compotes, alors que l'attestation produite aux débats révèle au contraire que la fabrication est quotidienne et que le conditionnement s'effectue tous les jours sur le lieu de fabrication ;

- il affirme gratuitement, c'est à dire, sans aucune preuve qu'Andros cuit les pommes à 100 ° puis à 15 ° pour stériliser, qu'Andros ne refroidit pas ses compotes après conditionnement, qu'elle transporte ses compotes en camions réfrigérés mais que ce ne serait pas obligatoire, le produit pouvant être conservé à température ambiante ;

- il retient, en conclusion, que la compote Andros est " caramélisée ", qu'elle constitue " un produit mort " et " stérilisé " ;

Considérant que ces affirmations présentées par Danone avec l'autorité que lui confère sa notoriété, tendent ainsi à déconsidérer les produits de la Société Andros auprès de la clientèle afin de détourner celle-ci des produits de sa concurrente ;

Considérant que la Société Danone ne saurait, pour échapper au comportement déloyal qui lui est reproché, prétendre que le tableau comparatif aurait été joint par erreur à l'argumentaire destiné à Paridoc ; qu'il apparaît à l'évidence que ce tableau comparatif faisait partie de l'argumentaire et que toutes les centrales d'achat l'ont reçu ; que la Société Danone n'explique pas de façon convaincante les raisons de la méprise dont elle tente de se prévaloir, qu'elle n'explique pas davantage l'utilité du tableau comparatif indépendamment de l'argumentaire alors qu'à l'évidence, tous les commerciaux de Danone, au nombre de 180, devaient être en possession de ce tableau qui leur permettait de corroborer sur le plan technique les éléments présentés sur l'argumentaire lors du démarchage des centrales d'achat ;

Considérant que la Société Danone a ainsi commis des actes de dénigrement, destinés à jeter le discrédit sur son concurrent et sur les produits qu'il fabrique ; qu'à partir d'indications erronées, tendancieuses ou non démontrées relatives au processus de fabrication d'Andros, elle a cherché à dévaloriser les produits et l'image de celle-ci auprès des acheteurs des grandes surfaces qui sont des prescripteurs auprès des consommateurs;

Que ce comportement est d'autant plus fautif en l'espèce que l'argumentaire et le tableau comparatif dénigrants reposent sur un postulat erroné selon lequel le produit Danone serait une " compote fraîche" ;

Considérant en revanche qu'Andros ne peut valablement invoquer l'émission télévisée de Monsieur Jean-Pierre Coffe à l'appui de sa demande formée sur la concurrence déloyale de Danone les propos de cet animateur TV n'engageant à l'évidence que lui-même ;

Sur le préjudice d'Andros

Considérant que les parties s'opposent sur le quantum du préjudice auquel la société Andros serait fondée à prétendre ;

Considérant que la Cour dispose, par les pièces produites aux débats, des éléments suffisants pour lui permettre de déterminer le préjudice de la Société Andros ; que celui-ci doit être fixé à 16 000 000 F toutes causes confondues ;

Sur les demandes reconventionnelles de Danone

Considérant que Danone soutient à son tour qu'Andros aurait développé des actions de marketing illicites dès lors qu'elle aurait indûment installé ses compotes dans le rayon frais et qu'elle aurait créé une ambiguïté quant à la nature de son produit ;

Considérant cependant qu'aucun de ces griefs n'est justifié ;

* Considérant d'une part, que le placement des compotes d'Andros dans le rayon frais apparaît techniquement et juridiquement justifié;

Considérant en effet que les rayons réfrigérés des grandes surfaces dits " rayons frais " ne sont pas destinés exclusivement à la présentation des produits laitiers, lesquels ne constituent qu'une catégorie de produits génériquement dénommés " ultra frais " ; que d'autres produits tels les desserts, jus de fruits, certains produits laitiers assortis d'une DLUO sont également présentés au rayon frais, soit pour leur permettre de conserver leurs qualités organoleptiques, soit parce qu'ils font partie des produits que le consommateur s'attend à trouver dans les rayons réfrigérés, étant essentiel de préciser, à cet égard, que seuls les distributeurs décident de l'emplacement de tel ou tel produit dans tel ou tel rayon de leurs magasins, ce même si les fabricants préconisent l'un plutôt que l'autre ;

Considérant que c'est ainsi qu'Andros leur a demandé que ses compotes individuelles soient placées dans le rayon réfrigéré ;

Considérant que ce choix apparaît en outre justifié par le souci légitime d'Andros de garantir des qualités organoleptiques à ses produits, ce qui explique qu'elle se soit de façon cohérente imposé le respect de la chaîne complète du froid, en particulier lors du transport, ainsi qu'il résulte des attestations versées aux débats ;

Considérant qu'en choisissant une DLVO pour ses produits, Andros n'a fait que se conformer à la réglementation existante (article 17 du décret du 7 décembre 1984) qui n'impose la DLC qu'aux " seules denrées microbiologiquement périssables et qui, de ce fait, sont susceptibles, après une courte période, de présenter un danger immédiat pour la santé humaine " ; qu'en l'espèce, la compote Andros ayant subi un traitement thermique en vu de sa consommation, ne peut être considérée comme un produit très périssable au sens du texte précité ; que la précision d'une DLVO pour son produit, - que rien n'interdit de vendre dans les rayons réfrigérés des magasins - ne constitue qu'une information pour le consommateur sur le risque de ne pas trouver, après la date mentionnée, toutes les qualités organoleptiques qu'avait le produit dans la période antérieur ;

Considérant qu'il convient d'observer que le grief formulé par Danone est en contradiction avec sa propre pratique puisqu'il n'est pas contesté que certains produits de ses produits, qui ont contribué à sa réputation, tels Danette et Dany, sont présentés dans des rayons réfrigérés, alors pourtant qu'il s'agit de produits stérilisés ;

Considérant enfin que la Société Danone reproche vainement à Andros d'avoir opté pour le rayon frais alors que sa compote pourrait, selon elle être vendue dans des boites de conserve et qu'elle aurait été artificiellement réfrigérée ;

Considérant en effet qu'Andros contrairement à Danone, n'a nullement revendiqué la fraîcheur de son produit au sens de l'article 1er de la circulaire du 4 mars 1992 du Conseil National de la Consommation ; qu'elle a seulement conseillé au distributeur et au consommateur de conserver le produit au frais pour lui permettre de mieux conserver les qualités organoleptiques qu'il possédait lors de sa fabrication, celles-ci pouvant être diminuées du fait de leur conditionnement qui est un concept nouveau et un choix marketing unanimement salué par la presse spécialisées, personne notamment Danone, n'y trouvant alors à redire ;

Considérant d'autre part, qu'il ne peut être davantage reproché à Andros d'avoir créé une ambiguïté concernant la nature de son produit ;

Qu'en portant la mention sur les documents publicitaires relatifs à son produit, d'une " conservation au frais " et " température conseillée + 6° centigrades ", la Société Andros n'a nullement cherché à opérer une confusion entre froid et fraîcheur, tout producteur étant libre de recommander de conserver son produit à la température qui lui semble la plus adéquate pour qu'il conserve ses qualités gustatives, tandis que l'intelligence du consommateur moyen ne peut être mésestimée au point qu'il doive nécessairement confondre le mode de conservation du produit et sa nature;

Considérant enfin qu'Andros, en utilisant la mention " compote de pommes fraîches " dans sa campagne lancée en Mai 1993, n'a commis aucune faute, que cette appellation, très en retrait par rapport à celle utilisée, à tort, par Danone, n'est en effet ni mensongère, ni trompeuse ;

Que le CNC dans la note précitée admet en effet la réfrigération des pommes, un tel procédé n'étant nullement de nature à leur faire perdre leur qualité de pomme fraîche ; que les pommes, comme les autres fruits, font en effet l'objet d'une cueillette annuelle et sont ensuite réfrigérées par les coopératives agricoles de manière à permettre l'approvisionnement, toute l'année, des industriels, des distributeurs et des consommateurs; que les produits ainsi réfrigérés conservent l'ensemble de leur propriétés nutritionnelles et organoleptiques, ce qui en fait des produits frais au sens de la circulaire précitée;

Considérant qu'Andros justifie par les pièces produites aux débats, notamment les procès-verbaux de constats et les attestations, qu'elle s'approvisionne quotidiennement en pommes qu'elle utilise immédiatement pour la fabrication de ses compotes;

Qu'en conséquence, Andros, qui est en droit de revendiquer l'appellation " compotes de pommes fraîches ", tout à fait différente d'une compote fraîche dans l'esprit d'un consommateur d'attention moyenne, n'a commis en l'utilisant, ni publicité mensongère, ni concurrence déloyale; que les campagnes qu'elle a lancées en 1993 sur ce thème sont licites et loyales, n'étant pas démontré en l'espèce que les moyens publicitaires aient été dénigrants, en infraction à certaines dispositions spécifiques, ou qu'il ait été contrevenu aux dispositions de la loi du 18.01.1992 sur la publicité comparative ;

Que pour ces raisons, et sans qu'il soit utile dès lors d'examiner le préjudice allégué par Danone, celle-ci doit être déboutée de sa demande reconventionnelle ;

Sur l'article 700 du NCPC

Considérant que l'équité justifie de ne pas laisser à la charge de la Société Andros les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ; que la Société Danone sera condamnée de ce chef à lui verser la somme de 60 000 F ;

Par ces motifs : Et ceux non contraires des premiers juges, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, condamne la Société Danone à payer à la Société Andros la somme de 60 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires, Condamne la Société Danone aux dépens, lesquels seront recouvrés par Maître Bommart, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.