CA Paris, 4e ch. A, 15 janvier 1997, n° 95-009753
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Wavin (SA)
Défendeur :
Raccords et Plastiques Nicoll (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duvernier
Conseillers :
Mme Mandel, M. Ancel
Avoués :
SCP Bommart forster, Me Moreau
Avocats :
Mes Lesage Catel Legrand, Mollet Vieville.
La SA Raccords et Plastiques Nicoll est titulaire d'un modèle de gouttière pluviale déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 29 février 1984 sous le n° 840.877 et publié le 20 octobre 1988.
Alléguant que la SARL Wavin détenait, offrait à la vente et vendait un modèle de gouttière reproduisant les caractéristiques du modèle susvisé et autorisée par ordonnance sur requête du Président du Tribunal de Grande Instance de Nanterre du 6 juillet 1990, elle a, le 25 juillet suivant, fait procéder à une saisie-contrefaçon dans l'établissement de Puteaux de ladite société.
Le 26 juillet 1990, la société Nicoll a assigné la société Wavin en contrefaçon et concurrence déloyale, devant le Tribunal de Commerce de Paris.
Par jugement du 27 mars 1992, celui-ci a ordonné une expertise à l'effet de déterminer :
- si les profilés et éléments de gouttière de la société Nicoll, procédaient d'une œuvre de création originale, protégeable au titre du modèle déposé et/ou de l'œuvre de l'esprit ou répondaient, au contraire, par des formes et caractéristiques banales à des nécessités purement fonctionnelles,
- s'il n'y avait eu de la part de la société Wavin copie servile des profilés et éléments de gouttière Nicoll et limitation des méthodes et stratégies commerciales et de promotion publicitaire de celle-ci,
- sur pièces justificatives, le préjudice allégué par la société Nicoll.
L'expert a déposé son rapport le 23 décembre 1993.
Par jugement du 27 janvier 1995, le Tribunal a dit :
- que les quatre éléments des gouttières de la société Nicoll ne présentaient pas " le caractère d'œuvre de création originale requis par la loi pour conférer un droit privatif ni de caractère de nouveauté et de différenciation ",
- qu'en commercialisant les éléments de gouttière identiques ou similaires à ceux versés au procès-verbal du 25 juillet 1990, la société Wavin avait commis des actes de concurrence déloyale dans les termes de l'article 1382 du Code civil au préjudice de la société Nicoll.
Il a en conséquence :
- interdit à la société Wavin la poursuite de tels actes sous astreinte provisoire de 500 F par infraction constatée à compter des trente jours de la signification de sa décision et ce, pendant soixante jours,
- ordonné la confiscation aux fins de destruction des éléments illicites,
- ordonné la publication du jugement dans cinq journaux ou revues périodiques, au choix de la société Nicoll et aux frais de la société Wavin dans la limite d'un coût de 8.000 F TTC par insertion,
- condamné la société Wavin à payer à la société Nicoll à titre de dommages et intérêts la somme de 3.725.569,21 F assortie des intérêts de droit à compter du 31 décembre 1993,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement " pour le motif de concurrence déloyale ",
- alloué à la société Nicoll la somme de 25.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Wavin (devenue société anonyme) a interjeté appel de cette décision le 6 avril 1995.
Une ordonnance du 23 juin 1995 a suspendu l'exécution provisoire s'attachant au jugement en ce qu'il avait :
- ordonné la confiscation des éléments illicites aux fonds de leurs destruction,
- ordonné sa publication,
- condamné la société Wavin, au paiement d'une somme de 25.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Wavin allègue " qu'en commercialisant des éléments connus en eux-mêmes d'une gouttière de " 25 " avec un rayon de 56,7 mm permettant l'interchangeabilité ", elle n'a commis aucune faute.
Elle conclut en conséquence au rejet de l'ensemble des prétentions de la société Nicoll et à la condamnation de celle-ci à lui verser les sommes de :
- 3.725.569,21 F avec intérêts au taux légal à compter du règlement, à titre de restitution,
- 500.000.000 F en réparation d'une procédure qualifiée d'abusive,
- 100.000.00 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Soulevant en outre que la société Nicoll l'aurait dénigrée et aurait ainsi commis une faute constitutive de concurrence déloyale, elle poursuit l'attribution d'une indemnité de 500.000 F.
Imputant également à la société intimée " son élimination provisoire du marché français pour les gouttières en cause ", elle demande à la Cour d'ordonner une mesure d'expertise aux fins de réunir tous les éléments lui permettant de statuer sur ce chef de préjudice et de condamner la société Nicoll à lui verser une provision d'un million de francs.
Elle sollicite enfin la publication du présent arrêt dans cinq journaux ou périodiques de son choix, aux frais de la société Nicoll dans la limite d'un coût unitaire de 25.000 F HT.
La société Nicoll qui ne remet pas en cause les dispositions du jugement relatives à la contrefaçon, en poursuit la confirmation du chef de concurrence déloyale, des mesures d'interdiction, de confiscation aux fins de destruction, de publication ordonnées et de l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Pour le surplus, elle en demande l'infirmation aux fins de voir :
- juger que l'interdiction sera assortie d'une astreinte dont la Cour se réservera la liquidation,
- porter le coût maximal de chaque publication à 20.000 F HT,
- condamner la société Wavin à lui verser les sommes de :
* 12 millions de francs en réparation des actes commis jusqu'au 31 décembre 1993,
* 4 millions de francs pour les actes commis à compter de la date susvisée,
* 2 millions de francs en indemnisation du préjudice résultant de la persistance au-delà de la date de cessation de la copie litigieuse des actes incriminés,
* 50.000 F en supplément de la somme allouée en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
SUR CE,
Sur la demande principale
Considérant que la société Wavin fait grief au jugement déféré d'avoir retenu que " ses fabrications se substituaient, pièce par pièce, à celles de la société Nicoll et en constituaient une copie quasi-servile, elle-même constitutive de concurrence déloyale dans les termes de l'article 1382 du Code civil ".
Considérant que la société Nicoll réplique que, si elle ne détient pas de droit privatif sur les produits qu'elle commercialise, elle peut se prévaloir de la mise au point et sur le marché depuis 1965 d'éléments de gouttière présentant des caractéristiques spécifiques qui lui sont personnels et l'autorisant à interdire à un concurrent de les copier.
Sur les produits Nicoll
Considérant que l'intimée spécialisée dans la production d'objets plastiques pour le bâtiment relatifs, à la plomberie, à l'écoulement des eaux et aux raccords, fabrique et offre à la vente notamment des gouttières en PVC consistant essentiellement en un profilé qui recueille les eaux ruisselant d'un toit.
Qu'elle rappelle qu'un profilé comporte " un bourrelet, une section semi-ronde avec son rayon interne et externe, un becquet, un déversement qui représente la hauteur entre le sommet du bourrelet et le haut du becquet, déplié entre le bas du bourrelet et le sommet du becquet " et est fixé à l'aide de crochets ou de supports qui, " visibles d'en bas, confèrent un aspect discontinu et hachuré à la gouttière pluviale ".
Qu'elle expose qu'en 1965, elle a conçu un profilé de gouttière dite " de 25 " (ayant un développé de 25 cm) sans talon, qui se monte sur un crochet-berceau et présente :
- un bourrelet de 14 mm de diamètre,
- un rayon de 56,7 mm,
- une épaisseur moyenne de 1,25 mm avec une tolérance de + 0,15 mm,
- un déversement de 10 mm,
- un becquet triangulaire dont la base horizontale est de 3 mm.
qu'elle a commercialisé dans la couleur grise ainsi que dans la couleur sable dont elle précise qu'elle a été la première à l'utiliser dans le domaine des gouttières plastiques.
Qu'elle fait, en outre, valoir que Jean-Claude Blandin, en charge du développement des produits nouveaux au sein de la société, ayant eu l'idée en 1982, pour donner à la gouttière un aspect unifié et lisse, de supprimer le crochet-support au profit d'un crochet-potence placé au-dessus du profilé pour qu'il soit suspendu, elle a alors mis au point un modèle de gouttière avec talon se montant aussi bien sur société crochet-potence que sur un crochet support, caractérisé par :
- un bourrelet extérieur fermé de 14 mm de diamètre,
- une section courbe d'épaisseur de 1,25 mm, de rayon intérieur de 56,7 mm, développé sur 204/205,5 mm,
- un talon de 1 mm d'épaisseur, situé à 8 mm du becquet et d'une largeur de 7 mm,
- un becquet de 3 mm de largeur horizontale, situé à 8 mm au-dessus du talon et comportant une pente inclinée,
- le fait que le talon et le becquet sont situés au-dessus du niveau du bourrelet.
Qu'elle précise que ce profilé est offert à la vente dans les couleurs sable, gris clair, marron, noire et blanche.
Sur la concurrence déloyale
Considérant que la société Wavin critique la décision entreprise en ce que celle-ci a observé qu'il existait " une grande similitude de formes de dimension pour les éléments de gouttière " type 25 " en PVC de Nicoll et de Wavin ", a retenu que " si les similitudes de parure pouvaient se justifier en partie par des nécessités fonctionnelles, rien n'obligeait Wavin à adapter dans la plupart des cas et notamment pour le rayon intérieur des profilés les mêmes dimensions que Nicoll, si ce n'est la recherche délibérée de l'interchangeabilité des produits " et a conclu que " s'il était normal de chercher à rendre compatibles entre eux deux systèmes différents au moyen de pièces de liaison, en revanche la possibilité de substituer chacune des pièces composant un ensemble par un autre constituait une copie quasi servile en raison de la copie des dimensions caractéristiques à chacune des pièces ".
Considérant que la société appelante déclare revendiquer le droit d'adopter quelque raison que ce soit pour le profilé de sa gouttière, y compris un rayon proche de la gouttière Nicoll ou identique à celle-ci, dont elle reconnaît que découle effectivement l'interchangeabilité des éléments de gouttière qui lui est reprochée mais qu'elle tient comme relevant seulement du libre jeu de la concurrence.
Qu'elle fait valoir que " dans ces conditions, il convient de rechercher d'une part, si la société Nicoll peut, prétendre à un quelconque droit sur un simple rayon et d'autre part, si l'interchangeabilité de produits peut être constitutive de concurrence déloyale alors que la compatibilité, sans interposition d'un dispositif le permettant est reconnue licite par la jurisprudence ".
Considérant que la société Nicoll réplique que la société Wavin offre au public des produits identiques aux siens sans que le public puisse relever un avantage propre qui les distinguerait et que la copie porte non seulement sur le rayon du profilé mais sur toutes les autres dimensions et formes du profilé et des accessoires justifiant ainsi le grief par elle allégué.
- Sur le rayon intérieur du profilé
Considérant que la société Wavin soutient qu'il résulte du rapport d'expertise que " le rayon n'a été adopté que pour vaincre la résistance des couvreurs qui voyaient initialement une supériorité de la gouttière en zinc par rapport à la gouttière en PVC et que c'est donc volontairement que les fabricants ont adopté un rayon de 56,7 mm correspondant exactement au développé de 250 mm, étant souligné que la gouttière en zinc est normalisée ".
Que la société Nicoll lui oppose que ce rayon ne découle pas d'une norme mais " constitue bien une création aléatoire ".
Considérant que l'expert relève d'emblée que la principale cause d'interchangeabilité des éléments de gouttière Wavin et Nicoll procède de l'adoption par l'appelante pour le profilé de gouttière " de 25 " du même rayon intérieur de 56,7 mm et que cette ressemblance ne peut se justifier par une norme " inexistante en ce qui concerne les dimensions du profilé de 25 en PVC ".
Qu'il souligne que le rayon en cause n'est repris ni par la gouttière " de 25 " en zinc normalisée NF-36402 de 1949 (59,2 mm) ou de 1968 (60 mm) ni par les gouttières " de 25 " en PVC d'autres fabricants, observe qu' " en ce sens, c'est une originalité ", et avance que " la seule hypothèse qui parait expliquer le rayon de 56,7 mm serait l'objectif d'avoir voulu conserver le développé de 250 mm ".
Qu'il en déduit que si ce rayon n'est pas une création originale, il est devenu une caractéristique spécifique du profilé de gouttière Nicoll et que l'identité constatée entre les produits Nicoll et Wavin ne peut être fortuite ni résulter d'une formule de calcul obligatoire pour tous dans la mesure où si l'hypothèse susvisée était exacte, " ce calcul ne saurait s'imposer à tous car il eût été plus logique de définir un profilé de gouttière en PVC ayant la même capacité d'évacuation d'eau que la gouttière de 25 en zinc ".
Qu'il conclut que l'identité en cause " permet donc une interchangeabilité que les autres caractéristiques de chaque profilé permettent également ou à laquelle elles ne font pas obstacle ".
- Sur les autres caractéristiques
Considérant que l'expert rappelle que le bourrelet du bord extérieur du profilé constitue un dispositif de rigidification de ce bord mais aussi un élément important de tous les raccordements dans la mesure où il fait office de partie mâle pour emboîtement dans les parties femelles des raccords destinés à le recevoir.
Qu'il souligne que l'interchangeabilité au plan de cet emboîtement procède de l'identité du diamètre extérieur de ce bourrelet sur l'un et l'autre profilés.
Or considérant que si la société Wavin a prétendu que " le comparatif de profils de gouttière de 25 " dressé par elle indiquait " 14,4 mm pour elle contre 14 mm pour Nicoll ", l'expert observe pour sa part que la mesure au pied à coulisse effectuée par lui sur les deux tronçons de profilés révèle " 14 mm pour Nicoll et 14,2 mm pour Wavin " et que " comme on pouvait s'y attendre du fait que les dimensions de son bourrelet sont à l'intérieur des tolérances de fabrication de Nicoll, le profilé Wavin s'emboîte sans difficulté et sans force dans tous les raccords et accessoires Nicoll ".
Considérant que l'expert note encore que l'autre rive du profilé présente pour le produit Nicoll " un talon en T dont le bord inférieur se situe à 8 mm - 0/ + 0,5 mm au-dessus du bord supérieur du profilé, ce talon ayant une profondeur de 7 mm + / - 0,4 mm " alors que les dimensions indiquées par la société Wavin sur son " comparatif " sont de 9,5 mm et 7,3 mm.
Qu'il précise que " la profondeur de talon de 7,3 mm est à l'intérieur des tolérances de fabrication de Nicoll et (que) de ce fait, le talon du profilé Wavin se place bien à l'intérieur du logement du crochet-potence de Nicoll ".
Qu'il ajoute que " s'il existe une différence de 1 à 1,5 mm sur la distance séparant la base du talon du bord supérieur du profilé, la forme du talon de Wavin, plus épais mais aussi d'épaisseur décroissante vers son extrémité, fait qu'au plan pratique, la portion de rive située au-dessus du talon est pratiquement la même, de l'ordre de 7 mm, de telle sorte que, pour le profilé Wavin, elle entre parfaitement dans le logement (redan) du crochet-support Nicoll, ainsi que dans celui de la jonction et dans ceux des autres accessoires de raccordement à coller, ainsi encore que dans celui de la naissance de dilatation ".
Qu'il considère que la seule cote qui paraisse différente est celle de la hauteur de déversement (7,9 mm pour Wavin - 10 mm pour Nicoll) mais que " là aussi, en l'absence d'indications de cotes nominales et de tolérances, la cote 7,9 mm n'apparaît pas cohérente avec deux autres cotes dont elle doit être la différence : " 22,5 mm (distance adoptée pour la distance séparant le bord supérieur du profilé côté mur du bas du bourrelet) - 14,4 mm = 8,1 mm plutôt que 7,9 mm ".
Considérant que l'expert conclut ainsi qu' " ont été mises en évidence des ressemblances qui, portant sur les caractéristiques dimensionnelles essentielles des divers éléments leur confèrent une compatibilité permettant leur interchangeabilité...
(qu') aucune combinaison n'est impossible et (qu') elle se réalisent sans difficulté et sans forcer ".
- Sur les accessoires
Considérant que le rapport d'expertise rappelle que la fonction de raccordement et celle d'accrochage nécessitent que les divers accessoires en cause aient, notamment dans leur partie " raccordement ", une forme qui se déduit de celle du profilé et qui l'épouse au plus près, le profilé jouant le rôle de partie mâle et l'accessoire, celui de partie femelle.
Que l'expert observe, tant pour la pièce de jonction, que pour les fonds de gouttière et fonds de naissance, les naissances, les naissances à dilatation, les besaces de dilatation, les angles à 90 % et les crochets bandeaux que ceux-ci présentent, dans l'un et l'autre cas, des ressemblances dimensionnelles essentielles qui permettent l'interchangeabilité et des ressemblances d'aspect général susceptibles de rendre la distinction difficile si l'on n'a pas les deux pièces sous les yeux en même temps.
Que la société Nicoll fait ainsi valoir à juste titre que la copie qu'elle incrimine porte non seulement sur le rayon du profilé mais sur toutes les dimensions et formes du profilé et des accessoires.
Qu'au demeurant, l'expert relève :
" En fait, la copie est reconnue par Wavin puisqu'elle plaide le droit à l'adaptabilité et à l'interchangeabilité que des décisions de justice auraient consacré. C'est en effet très franchement que Wavin explique que sa démarche industrielle résulte d'études de marché lui ayant montré que les formes et modèles de gouttière qu'elle fabrique et commercialise sur le marché britannique ne sont pas acceptés sur le marché français, traditionnellement axé sur la gouttière pendante demi-ronde et surtout que la clientèle, principalement celle des négociants en matériaux de construction, lui a fait savoir qu'un nouveau programme de gouttière de 25 ne trouverait un marché qu'à la condition d'être interchangeable avec le produit leader ".
- Sur l'interchangeabilité
Considérant que la société Wavin qui ne conteste pas comme le lui a fait observer l'intimée, qu'il n'existe pas de normes en l'espèce allègue cependant que les pouvoirs publics français et les autorités communautaires favorisent les combinaisons d'éléments divers qui permettent aux consommateurs de composer des ensembles à partir de produits offerts à la vente par différents producteurs dont la concurrence est un facteur de progrès techniques et d'amélioration des services rendus à l'acheteur.
Qu'elle fait valoir qu'en l'absence de droits privatifs, la réalisation de produits interchangeables ne constitue en elle-même " qu'un moyen de la liberté du commerce et de l'industrie, exempt de tout faute, imprudence ou négligence ".
Qu'elle ajoute que les éléments d'une gouttière sont des objets acquis par les professionnels qui ne peuvent être trompés sur leur origine dès lors qu'ils sont individualisés par le nom de leurs fabricants.
Considérant que la société intimée lui oppose que l'adaptation n'autorise pas la copie servile laquelle n'est au demeurant pas nécessaire à celle-là dans la mesure où elle pouvait adapter ses produits aux gouttières Nicoll " sans avoir à reproduire la moindre forme " connecteur " ou des " pièces de liaison " ou " d'adaptation ".
Que l'intimée en déduit qu'elle a le droit d'interdire à son concurrent la reproduction incriminée qui lui permet d'éviter des frais de mise au point, de s'implanter plus facilement sur le marché avec des prix inférieurs et de vendre un produit qui se confond avec un produit déjà connu du public ou qui peut profiter de la notoriété de celui-ci en créant avec lui un lien dans l'esprit de la clientèle qui est ainsi susceptible de retenir plus vite le second article.
Considérant que l'expert observe qu'en l'espèce, " la frontière entre compatibilité admissible et non admissible ", " induit l'idée d'interface entre deux interfaces que l'on rend deux systèmes compatibles et non nécessairement en rendant tous les éléments interchangeables " et qu'elle " passe aussi entre les notions d'adaptabilité et de compatibilité d'une part, et celles d'interchangeabilité et de substituabilité d'autre part ".
Qu'il soutient " qu'on ne peut innocemment opérer le glissement sémantique d'adaptabilité à interchangeabilité ainsi que le fait Wavin, comme si les deux mots étaient synonymes " et que l'interchangeabilité de tous les éléments des deux systèmes concurrents de gouttière pluviale, objectif avoué de la société appelante est " évidemment très différent de la mise au point d'une compatibilité d'interface permettant aux utilisateurs de manier les deux systèmes ".
Qu'il précise que s'il n'est pas anormal de vouloir rendre deux systèmes compatibles à leur interface pour que l'utilisateur puisse les manier, il apparaît plus anormal de rechercher la compatibilité au plan de chacun des éléments d'un système complet car alors, ce n'est plus la compatibilité entre deux systèmes concurrents que l'on vise mais la substituabilité et la substitution de n'importe quel élément et de tous les éléments d'un système à n'importe quel et à tous les autres éléments de l'autre système ".
Qu'il conclut que " si les similitudes de forme peuvent se justifier en partie par des nécessités fonctionnelles, rien n'obligeait Wavin à adopter dans la plupart des cas et notamment pour le rayon intérieur du profilé, les mêmes dimensions que Nicoll si ce n'est la recherche délibérée de l'interchangeabilité des produits " et retient, au plan des faits, qu'il y a copie quasi-servile, " à raison principalement de la copie des dimensions caractéristiques permettant la substituabilité ".
Mais considérant qu'en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, la copie même servile d'un modèle non protégeable à raison de sa banalité, de son caractère exclusivement utilitaire ou de son appartenance au domaine public, n'est pas en elle même un fait de concurrence déloyale.
Qu'il convient en effet de rappeler qu'en l'absence de droits privatifs de propriété industrielle qui, seuls, autoriseraient, par le monopole en résultant, un fabricant déterminé à s'opposer à la libre disposition d'un produit, le principe ci-dessus évoqué a pour but de permettre non seulement à tous fabricants d'exercer leur activité dans le domaine et les conditions qui leur paraissent les plus favorables à leurs intérêts mais, en outre et surtout, à l'acheteur, qu'il soit un simple consommateur d'attention moyenne ou, comme en l'espèce, un utilisateur professionnel, de choisir librement les produits qu'il entend employer et de les associer ou combiner à bon gré, au mieux de la destination qu'il entend leur attribuer.
Qu'au surplus, la société Nicoll ne saurait valablement incriminer la reproduction à l'identique des éléments incriminées alors qu'elle ne précise pas dans ses écritures les modalités par lesquelles la société Wavin aurait pu rendre ses produits compatibles avec les siens sans encourir ses critiques.
Considérant que le comportement de la société Wavin ne serait répréhensible que s'il résultait suffisamment des éléments propres à la cause que ladite reproduction n'a été faite que dans le but de tromper le public sur l'origine d'une marchandise et de détourner ainsi la clientèle d'un concurrent ou de profiter indûment des investissements, des efforts de recherche et de création de celui-ci.
Mais considérant, outre qu'aucun grief de cette nature n'est établi, qu'il n'est pas contesté que la société Wavin appose sur ses produits sa propre marque laquelle suffit à exclure tout risque de confusion auprès d'une clientèle constituée, ainsi que déjà mentionné, non pas de consommateurs moyennement attentifs ou informés mais de professionnels.
Que ces derniers ne peuvent en outre manquer de relever les différences observées par l'expert tenant à " des améliorations au plan professionnel et, surtout, au plan de l'esthétique " caractérisées par l'adoption pour les produits de l'appelante d'angles adoucis, de courbes et de lignes fluides s'opposant aux lignes très géométriques des produits Nicoll, ou de couleurs qui " ne sont pas l'exact contretype l'une de l'autre ".
Qu'il en résulte que le jugement sera réformé en ce qu'il a fait droit à la demande en concurrence déloyale.
SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE
- en restitution
Considérant que la société Wavin poursuit à bon droit le remboursement de la somme de 3.725.569,20 F par elle réglée à la société Nicoll en vertu de l'exécution provisoire du jugement.
Que cependant, les intérêts au taux légal assortissant ladite somme prendront effet non pas du jour du versement, comme le demande l'appelante mais à compter de la notification valant mise en demeure de la décision ouvrant droit à restitution, c'est-à-dire du présent arrêt.
- en dommages et intérêts
Considérant que la société Wavin allègue que la société Nicoll " cherche d'évidence à se constituer une position monopolistique sur le marché de la gouttière en France ", notamment en poursuivant systématiquement ses concurrents.
Qu'invoquant ainsi le caractère abusif de son action et le fait qu'elle-même aurait subi en raison de l'exécution provisoire du jugement un préjudice important, elle sollicite une mesure d'expertise aux fins de voir statuer sur la réparation de celui-ci et l'attribution d'une indemnité provisionnelle de 1.000.000 F.
Mais considérant que la société Nicoll ayant pu, de bonne foi, se méprendre sur la réalité et l'étendue de ses droits, le caractère abusif de son action n'est pas établi.
Que ce chef de demande sera donc rejeté.
Considérant que la société Wavin fait en outre valoir que la société Nicoll n'a pas hésité à la dénigrer dès avant l'introduction de la présente procédure.
Qu'elle argue du fait que, dans le Moniteur du 29 juin 1990, Jean-Michel Lambert, directeur général de l'intimée a, à propos des produits réalisés par extrusion (tubes, gouttières, profilés) déclaré : " L'extrusion... tout un chacun est capable d'en fabriquer... (à commencer par son concurrent Wavin sur le marché des gouttières, avec un produit) " tellement similaire au nôtre que cela ne restera pas sans suites ".
Qu'elle soutient que, ce faisant, la société Nicoll a commis une faute constitutive de concurrence déloyale qui l'autorise à se voir attribuer la somme de 500.000 frs à titre de dommages et intérêts.
Qu'il ne saurait être contesté que la déclaration en cause, prononcée par l'un des dirigeants de la société intimée s'exprimant au nom de celle-ci, et diffusée largement par le truchement d'un organe de presse, s'analyse comme l'imputation d'agissements illicites susceptibles de ce fait de sanctions et ce, alors qu'aucune décision revêtue du caractère définitif n'avait encore, par définition, statué sur ce grief.
Mais considérant que le préjudice en résultant sera suffisamment réparé par la publication du présent arrêt, également sollicitée par l'appelante.
SUR LES FRAIS NON TAXABLES
Considérant que la société Nicoll qui succombe, sera déboutée de la demande par elle fondée sur les dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Qu'il est en revanche équitable d'allouer de ce chef à la société Wavin une somme de 50.000 F.
Par ces motifs : Statuant dans les limites de l'appel, Réforme le jugement déféré et, statuant à nouveau, Déboute la société Raccord et Pastiques Nicoll de l'ensemble de ses demandes, Condamne ladite société à verser à la société Wavin les sommes de : - 3.725.569,20 F assortie des intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt, à titre de restitution, - 50.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Autorise la société Wavin à faire publier ledit arrêt dans cinq journaux ou périodiques de son choix, aux frais de la société Raccord et Plastiques Nicoll dans la limite d'un coût de 25.000 F HT par insertion, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Raccords et Plastiques Nicoll aux dépens de première instance et d'appel, Admet la SCP Bommart Forster, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.