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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 15 janvier 1997, n° 95-012188

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

VF Diffusion (SNC), VF Boutiques (SA)

Défendeur :

Chantelle (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Ancel

Avoués :

SCP Barrier-Monin, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Lenoir, Ménard.

T. com. Paris, 6e ch., du 10 avr. 1995

10 avril 1995

La SA Chantelle dont l'objet est la conception, la fabrication et la commercialisation de lingerie féminine sous les marques Chantelle et Passionata, a conçu pour rationaliser l'élaboration de ses produits un système de dessin assisté par ordinateur à partir d'un logiciel diffusé par la société Lectra Systèmes.

Ces données informatiques qui ont pour support le disque dur du système Lectra, permettent la mise en œuvre digitalisée et automatique des " règles de gradation spécifique Chantelle " qui constituent selon la société un élément essentiel de son savoir-faire.

Alléguant :

- d'une part, que de novembre 1992 à mars-avril 1993, quatre employés du service " création ", à savoir un chef de produit senior, deux techniciennes aux modèles et une patronnière nommée Valérie Buisson, avaient quitté son entreprise pour la SNC Stylmod ou la SA Ets André Sylvain et Cie, sociétés contrôlées par le groupe américain Vanity Fair qui commercialisent notamment les marques Variance, Bolero, Lou, Naf-Naf et Vanity Fair,

- d'autre part, que Valérie Buisson avait sans autorisation dupliqué sur disquettes les " données spécifiques Chantelle " pour les inscrire sur le disque dur de la société Stylmod, la société Chantelle s'est vue autorisée, par ordonnance sur requête du Président du Tribunal de grande instance de Paris du 24 mars 1993, à faire procéder à la saisie-description dans les locaux des sociétés Stylmod et Ets André Sylvain et Cie des données, images d'écran ou de listings de tout objet, support magnétique, documents, biens mobiliers corporels ou incorporels, reproduisant, incorporant ou susceptibles d'incorporer ses données informatiques, comme par exemple ses références.

La saisie dont s'agit a été exécutée le 27 mai 1993, au département Bolero de la société Ets André Sylvain et Cie et au département Variance de la société Stylmod.

Le 9 juin 1993, la société Chantelle a assigné ces sociétés en référé devant le Président du Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir ordonner l'expertise informatique des documents et fichiers saisis.

Une ordonnance du 23 juin suivant a désigné à cette fin Jacques Viet, lequel a déposé son rapport le 28 avril 1994.

Le 10 juin 1993, la société Chantelle a assigné au fond les mêmes sociétés à l'effet de voir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- juger que les sociétés Stylmod et Ets André Sylvain et Cie avaient porté atteinte à ses droits réservataires au sens de l'article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle et commis à son préjudice des actes de concurrence déloyale ou, à tout le moins parasitaire au sens de l'article 1382 du Code civil,

- condamner solidairement les défenderesses à lui verser les sommes de 150 000 000 F à titre de dommages-intérêts et de 200 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois revues spécialisées et trois quotidiens de grand tirage de son choix, aux frais des défenderesses à hauteur de 30 000 F par insertion.

Par conclusions des 30 novembre 1993, 16 janvier et 6 mars 1995, les sociétés Stylmod et Ets André Sylvain et Cie ont invoqué la nullité des saisies-contrefaçon, l'absence de justification des faits allégués et ont sollicité reconventionnellement l'attribution des sommes de 200 000 F en réparation d'une procédure qualifiée d'abusive et de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par jugement du 10 avril 1995, le Tribunal a :

- dit la saisie-contrefaçon valable,

- dit l'action recevable et le logiciel protégeable au titre de la création intellectuelle,

- dit que les défenderesses avaient commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Chantelle.

Il a, en conséquence :

- condamné in solidum les sociétés Stylmod et Ets André Sylvain et Cie à payer à la société Chantelle la somme de 15 000 000 F, avec exécution provisoire et celle de 100 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- ordonné la publication de sa décision dans trois revues spécialisées et trois journaux à gros tirage au choix de la société Chantelle et aux frais solidaires des défenderesses dans la limite d'une somme totale de 180 000 F.

Les sociétés Stylmod et Ets André Sylvain et Cie ont interjeté appel de ce jugement le 12 mai 1995.

La suspension de l'exécution provisoire de celui-ci a été prononcée par ordonnance du 21 juillet 1995 (frappée d'un pourvoi en cassation).

La SNC Stylmod, désormais dénommée "VF Diffusion SNC " et la SA Ets André Sylvain et Cie, devenue " VF Boutiques SA "qui concluent à l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, demandent à la Cour de :

- dire et juger que les saisies-contrefaçon pratiquées à leur préjudice le 27 mai 1993 sont nulles et de nul effet,

- écarter des débats tous documents appréhendés au cours desdites saisies,

- dire l'action en contrefaçon de droits d'auteur irrecevable et mal fondée.

Elles sollicitent en outre la condamnation de l'intimée à leur verser la somme de 300 000 F conformément aux dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La SA Chantelle qui a formé un appel incident par conclusions du 30 mai 1995, fait valoir que les sociétés VF Diffusion SNC et VF Boutiques SA ont porté atteinte à ses droits réservataires au sens de l'article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Elle poursuit la condamnation solidaire desdites sociétés à lui verser les sommes de 150 000 000 F à titre de dommages-intérêts et de 200 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce,

Sur les saisies-contrefaçon :

Considérant que les sociétés VF Diffusion SNC et VF Boutiques opposent à la validité de celles-ci quatre motifs de nullité.

. Sur le fondement juridique :

Considérant que les appelantes exposent que la requête afin de saisie-contrefaçon était fondée sur les dispositions de l'article L. 332-4 du Code de la Propriété Intellectuelle qui organise les opérations de saisie en matière de logiciels alors que la société Chantelle incrimine non pas une contrefaçon de logiciel mais l'approbation, par hypothèse frauduleuse, d'un savoir-faire confidentiel.

Qu'elles en déduisent que les opérations de saisie-contrefaçon exécutées à la diligence de l'intimée sont nulles parce qu'autorisées sur le fondement d'un texte que la société Chantelle ne pouvait valablement invoquer.

Mais considérant que l'intimée leur objecte à juste titre que les saisies ont été sollicitées et autorisées sur le fondement de l'article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle et seulement mises en œuvre dans le cadre de l'article L. 332-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, dans la mesure où les fichiers détournés, support des données informatiques lui appartenant, ne pouvaient être accessibles que par la mise en œuvre d'un système et d'un matériel informatique complexes.

Que ce motif de nullité sera donc rejeté.

. Sur les pouvoirs de l'huissier commis :

Considérant que les appelantes allèguent que Me Maurice Lévy aurait outrepassé les pouvoirs qu'il tenait de l'ordonnance du 24 mars 1993 notamment en posant aux représentants de la société Stylmod de nombreuses questions alors que la mention relative à celles-ci avait été purement et simplement supprimée de l'ordonnance par le magistrat saisi.

Mais considérant que la société Chantelle leur oppose à juste titre que si la suppression de ladite mention visait l'autorisation de " poser toutes questions ", l'huissier commis n'en demeurait pas moins, à l'évidence, autorisé à poser les questions nécessaires à l'accomplissement de sa mission.

Que les premiers juges ont pertinemment observé que l'ordonnance prescrivant d'effectuer toutes recherches et constatations utiles, il était vain de croire que le juge qui avait autorisé la saisie ait entendu réduire l'huissier au silence.

Qu'au surplus, il n'est nullement établi que ce dernier ait outrepassé les termes de sa mission et causé à la société saisie un quelconque préjudice en demandant à Jean-Marc Thiercellin, directeur du département Variance de la société Stylmod des précisions sur les marques exploitées par celle-ci.

. Sur l'assistance d'un expert :

Considérant que les sociétés VF Diffusion SNC et VF Boutiques SA font valoir qu'en violation des dispositions de l'article L. 322-4 alinéa 2 du Code de la Propriété Intellectuelle, les saisies-contrefaçon ont eu lieu en présence de deux experts, soit un expert en propriété industrielle et un expert en informatique et non d'un, comme le prévoit le texte susvisé.

Considérant que les huissiers qui ont procédé aux saisies-contrefaçon effectuées dans les locaux de la société Stylmod et de la société Ets André Sylvain et Cie étaient effectivement assistés l'un et l'autre d'un expert informaticien et d'une personne qualifiée d'" homme de l'art ".

Mais considérant que l'ordonnance du 24 mars 1993 autorise expressément " chacun des huissiers instrumentaires à se faire accompagner, le cas échéant... par un mandataire de la requérante, homme de l'art pris en dehors de ses préposés... ainsi que par un expert informaticien inscrit en cette qualité sur une liste de Cour d'appel ".

Que, de surcroît, outre le fait comme le souligne le tribunal qu'il est usuel qu'un huissier se fasse assister de spécialistes en informatique pour opérer des saisies de logiciel, il n'est pas contesté que ledit expert n'est intervenu que sous son contrôle.

Qu'enfin les appelantes qui n'ont pas protesté contre sa présence n'apportent la preuve d'aucun grief qui en résulterait pour elles.

. Sur l'exécution des opérations de saisies-contrefaçon :

Considérant qu'à titre subsidiaire, les sociétés VF Diffusion SNC et VF Boutiques SA soutiennent que, contrairement au principe selon lequel l'huissier doit procéder personnellement aux opérations autorisées, celles-ci auraient été exécutées par les conseils appointés de la société Chantelle.

Mais considérant que les procès-verbaux de saisie-contrefaçon révèlent que les deux huissiers se sont fait présenter les systèmes informatiques en cause, ont fait fonctionner les ordinateurs dans les termes de l'ordonnance, ont requis copies de toutes données susceptibles d'intéresser leur mission, ont visé et paraphé les originaux des documents en cours et placé sous scellés les photocopies et les disquettes saisies.

Qu'ils ont d'autre part demandé à l'expert et à l'homme de l'art qui les accompagnaient de faire toutes constatations, observations et déclarations utiles et relaté les investigations ainsi effectuées sous leur contrôle.

Qu'enfin, ils ont pris soin de distinguer lors de la rédaction des procès-verbaux les dires des experts de leurs constatations personnelles.

Qu'ils ont ainsi exactement rempli leur mission, étant au surplus observé que les appelantes ne démontrent pas le préjudice que leur aurait infligé le grief allégué.

Considérant, en conséquence, que le jugement déféré a, à bon droit, déclaré les saisies-contrefaçon régulières.

Sur la demande principale :

. Sur la nature des droits invoqués :

Considérant que l'expertise prescrite par ordonnance de référé du 23 juin 1993 fait apparaître que le produit de la saisie effectuée dans les locaux de la société Stylmod est composé de 26 fichiers informatiques présents sur le disque dur de l'ordinateur Lectra de celle-ci.

Qu'il convient d'emblée de relever que l'expert mentionne dans son rapport (page 7) qu'au cours de la troisième réunion des parties, soit le 30 septembre 1993, " Stylmod a déclaré que l'identité des fichiers saisis sur son site avec ceux de Chantelle n'était ni discutable ni discutée... Que Mlle Valérie Buisson, ex-salariée de Chantelle, avait emporté des copies desdits fichiers lorsqu'elle avait quitté son emploi chez Chantelle et les avait apportées chez Stylmod, son nouvel employeur ".

Qu'en revanche, les sociétés appelantes font valoir que les données qu'il leur est reproché d'avoir détenues sont de caractère purement technique, ne concernent au demeurant qu'une seule étape de la fabrication d'un soutien-gorge et ne peuvent de ce fait être protégées par le droit d'auteur.

Que la société Chantelle réplique sur les données contenues dans les 26 fichiers informatiques en cause, relatives aux plans de fabrication, dans toutes les tailles, de trois soutiens-gorge et d'un sous-vêtement dit " body ", sont originales et justifient la protection recherchée.

Considérant qu'une banque de données, ensemble de données se référant à un domaine défini de connaissances, organisé pour être offert aux consultations des utilisateurs, peut être qualifiée d'œuvre de l'esprit et bénéficier à ce titre de la protection qui s'attache au droit d'auteur lorsqu'elle comporte un apport intellectuel caractérisant une création originale, laquelle exclut la reprise d'éléments du domaine public, s'apprécie au regard du plan, de la composition, de la forme, de la structure, du langage et, plus généralement de l'expression de l'œuvre en cause et exige de son auteur la preuve d'un effort personnalisé dépassant la mise en œuvre d'une logique automatique et contraignante dans la conception et l'écriture du programme.

Considérant que la société Chantelle invoquant le détournement des données permettant la mise en œuvre digitalisée et automatique des règles de gradation qui lui seraient spécifiques et constitueraient un élément essentiel de son savoir-faire, il appartenait à l'expert de déterminer dans un premier temps si les informations contenues dans les fichiers saisis apportaient aux sociétés Stylmod et Ets André Sylvain et Cie une connaissance de la méthode de gradation litigieuse puis, dans l'affirmative, de mettre en évidence les éléments d'information susceptibles de voir retenir l'originalité de celle-ci.

Considérant que l'expert après avoir rappelé qu'une méthode de gradation est constituée de l'ensemble des règles qui sont appliquées pour faire évoluer la géométrie des gabarits (longueurs, courbes, angles) de manière à obtenir dans toutes les tailles les pièces à assembler, relève que :

- la mise au point et la finition d'un nouveau modèle Chantelle qui peut s'inspirer des précédents concrétisés par le stockage en bibliothèque des données techniques des modèles anciens, passent par 27 étapes dont les principales sont :

. la modélisation dans la taille de base (90 B)

. les essayages

. le prototype en taille de base

. la gradation dans les tailles extrêmes (haute et basse)

. la gradation pour toutes les tailles intermédiaires

. les retouches effectuées sur la taille de base et reproduites dans toutes les tailles

. le prototype définitif dans toutes les tailles,

- 13 règles de gradation, qualifiées par l'expert de " précises, rigoureuses et parfaitement déterminées ", sont nécessaires à l'élaboration des modèles Chantelle, les évolutions des contours des gabarits étant aussi complexes dans leur croissance que dans leur invariance,

- le caractère de confort qualifié de " bien allé " qui dépend d'une bonne méthode de gradation est particulièrement reconnu aux produits Chantelle, l'expert précisant sur ce point : " Stylmod et Lou Diffusion participant à l'expertise reconnaissent que Chantelle est célèbre pour le " bien allé " de ses modèles. Il s'agit d'une renommée acquise dans la profession et auprès de la clientèle ".

Qu'entendue en qualité de sachant et ce, à la demande de la société Stylmod, Denyse Rousseau, technicienne de haut niveau et de grande expérience qui a obtenu les insignes de " meilleur ouvrier de France " et qui dispense l'enseignement technique de la lingerie dans le cours qui porte son nom, après avoir attesté qu'elle savait qu'il existait un système de gradation Chantelle " original et confidentiel au point qu'elle-même ne serait pas en mesure de le décrire " et après avoir pris connaissance de celui-ci, a déclaré constater, avec des exemples ponctuels et précis, la différence existant entre les règles Chantelle et son propre enseignement, a qualifié lesdites règles de " très originales, spécifiques et non évidentes " et conclu " qu'il n'est pas d'usage d'appliquer une gamme de gradation comparable à la méthode de Chantelle, telle que décrite et analysée en expertise ".

Que Janine Dellal, monitrice en matière de modélisme, patronage de lingerie et corseterie au Centre d'Etudes techniques de l'industrie de l'habillement Cetih, également entendue en qualité de sachant à la requête de la société Stylmod a attesté que " les règles de gradation de Chantelle telles qu'exposées à l'expertise lui étaient inconnues et ne font pas parties du bagage de connaissances de ses anciennes élèves en sortant de ses cours ".

Qu'enfin si le troisième sachant, M. Danon, expert conseil, spécialiste des techniques de l'habillement et ingénieur Cetih dans une consultation en date du 29 novembre 1993, a soutenu, que " toutes les règles présentées par Chantelle étaient bien connues dans la profession et enseignées au Cetih ", l'expert observe d'une part, que ces assertions ne reposent sur aucune démonstration et que les graphiques et tableaux joints à la consultation " ne montrent pas qu'il existe des ressemblances entre le système de gradation appliquée chez Chantelle et les techniques enseignées au Cetih ", d'autre part que s'il n'a pas été autorisé à disposer des supports pédagogiques actuels dudit Cetih, il a néanmoins pu étudier 7 pages extraites d'une brochure intitulée " La Gradation - Soutien-gorge classique, base droits, Tirage septembre 1981. Dépôt légal 3ème trimestre 1981. Copyright Cetih " et constater que " pour résoudre des problèmes semblables, les règles de gradations de Chantelle et de cet enseignement ne sont pas les mêmes ".

Considérant que le rapport d'expertise conclut : " toutes les données ... recueillies tant en constats qu'en témoignages, conduisent à dire que le savoir-faire de Chantelle est original ", l'originalité résultant, selon l'expert, non seulement de la mémorisation et de l'absence de divulgation des informations techniques ou du " choix de règles impératives conservées secrètes qui défient l'évidence et qui sont reconnues comme spécifiques et comme dérogatoires aux usages de l'enseignement technique " ou encore du fait que les deux enseignantes interrogées aient affirmé que la méthode Chantelle était " connue pour être originale et secrète " mais encore de l'incapacité des sociétés Stylmod et Ets André Sylvain et Cie à démontrer qu'elles appliquaient un système de gradation semblable.

Qu'il en résulte que les données contenues dans les fichiers informatiques en cause constituent une œuvre de l'esprit originale bénéficiant de la protection du droit d'auteur.

. Sur les fautes alléguées :

Considérant que la société Chantelle incrimine tant des faits de contrefaçon au sens de l'article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle que de concurrence déloyale ou à tout le moins parasitaire sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Considérant que le fait pour les appelantes d'avoir inséré dans leur système informatique les données spécifiques appartenant à la société Chantelle dupliquées sur disquettes d'autant plus caractérisée que l'expert relève dans son rapport que " les dessins visualisés à l'écran sur l'ordinateur de Stylmod ainsi que le contenu des fichiers et les gabarits imprimés ou découpés devant (lui) chez Stylmod sont identiques en tous points à ceux constatés chez Chantelle " et observe que Stylmod et Sylvain ne contestent pas cette identité puisque l'apport des fichiers contrefaisants, effectué par une salariée transfuge, est un fait connu ".

Considérant que la société Chantelle allègue en outre que ce détournement de savoir-faire s'est accompagné du débauchage massif et préalable de plus de la moitié de son service de création et qu'au demeurant la quasi-totalité des membres de celui-ci a été approchée et démarchée à l'initiative des appelantes.

Qu'elle soutient qu'un tel comportement démontre la volonté coupable et déloyale de ces sociétés de capter à tout prix et par tous moyens son savoir-faire et de désorganiser le service susvisé et constitue à l'évidence un acte de concurrence déloyale.

Considérant que les appelantes ne contestent pas la matérialité du grief ainsi allégué mais font valoir que, dans le milieu bien spécialisé de la corseterie dans lequel intervient un nombre limité d'entreprises, il est " normal que des salariés dans la mesure où ils ne sont pas tenus par une clause de non-concurrence, quittent un employeur pour être embauchés par l'un de ses concurrents ".

Considérant que si, en vertu du principe de la liberté de l'embauche, il est loisible à un employeur de solliciter le personnel d'une entreprise concurrente notamment lorsque celui-ci n'est pas lié par un engagement de non-concurrence, le débauchage effectué afin d'obtenir la connaissance des secrets de l'entreprise abandonnée et le départ massif d'employés qualifiés ayant une certaine ancienneté suffisent à compromettre gravement l'organisation de ladite entreprise et constituent une faute dans les termes de l'article 1382 du Code civil.

Qu'en l'espèce, l'embauche de Valérie Buisson dans les conditions particulièrement répréhensibles déjà relatées et de trois autres employés expérimentés du service de création de la société Chantelle sur un effectif global d'une dizaine de personnes suffit à caractériser la concurrence déloyale invoquée.

. Sur le préjudice :

Considérant que la société Chantelle sollicite l'infirmation du jugement qui lui a alloué à titre de réparation la somme de 15 000 000 F au motif que le préjudice par elle subi est considérable et justifie l'attribution d'une indemnité de 150 000 000 F.

Qu'elle produit à l'appui de ses prétentions le rapport d'Alain Martin, consulté par elle en qualité d'expert-conseil.

Considérant que les appelantes qui qualifient son attitude d'" irréelle ", répliquent que le tribunal est entré en voie de condamnation à leur encontre au vue d'un rapport qui, rédigé de façon non contradictoire " dans l'intérêt et à la demande de la société Chantelle ", aurait dû être écarté des débats et opposent à celui-ci les termes du rapport de Maurice Nussenbaum expert financier qui en constituerait, selon elles, " une réfutation point par point ".

Considérant que si les avis produits ne sauraient être écartés au seul motif qu'ils ont été établis sur la demande unilatérale d'une partie alors que l'adversaire a été à même d'en débattre contradictoirement, les positions respectives des sociétés en présence de même que la gravité du préjudice allégué et l'importance de la réparation réclamée, justifient d'une part que soit ordonnée avant dire droit une mesure d'instruction dans les conditions qui seront précisées au dispositif, d'autre part que soit alloué à la société Chantelle une indemnité provisionnelle de 500 000 F.

Sur les autres demandes :

Considérant que les appelantes ayant conclu à l'infirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions ont, de ce fait, remis en cause les publications ordonnées et la somme allouée sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à la société Chantelle.

Que celle-ci sollicite en revanche la confirmation du jugement du chef des publications et l'élévation de l'indemnité à elle attribuée pour ses frais irrépétibles à 200 000 F.

Considérant qu'il convient de limiter la publication du présent arrêt qui se substituera au jugement à trois périodiques au choix de la société Chantelle et aux frais in solidum des appelantes dans la limite de 50 000 F HT par insertion.

Considérant que les sociétés VF Diffusion SNC et VF Boutiques SA qui succombent, seront déboutées de la demande par elles fondée sur les dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Qu'il est en revanche équitable de les condamner in solidum à verser à la société Chantelle pour les frais par elle exposés tant en première instance qu'en appel, non compris dans les dépens, une somme de 100 000 F.

Par ces motifs : Donne acte à la SNC VF Diffusion et à la SA VF Boutiques de ce qu'elles viennent respectivement aux droits de la société Stylmod et de la société Ets André Sylvain et Cie, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a : - dit les saisies-contrefaçon valables, - dit la demande en concurrence déloyale recevable et bien fondée, - condamné les défenderesses aux dépens de première instance, Y ajoutant, dit la demande en contrefaçon également recevable et bien fondée, Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau, Ordonne la publication du présent arrêt dans trois périodiques au choix de la société Chantelle et aux frais in solidum des sociétés VF Diffusion SNC et VF Boutiques SA dans la limite d'un coût de 50 000 F HT par insertion, Avant dire droit sur la réparation du préjudice de la société Chantelle, Commet Stéphane Lipski 19 rue Clément Marot 75008 PARIS Tél. 01.47.23.99.98 Fax 01.47.23.77.66 en qualité d'expert avec mission de : - se faire remettre ou présenter tous documents utiles détenus par les parties ou par des tiers qui devront les lui communiquer en application de l'article 138 du Nouveau Code de Procédure Civile, - donner son avis sur le préjudice qui est résulté pour la SA Chantelle des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale commis à son préjudice par les sociétés Stylmod et Ets André Sylvain et Cie désormais dénommées VF Diffusion SNC et VF Boutiques SA, - recueillir tous éléments d'information de nature à permettre à la Cour d'évaluer exactement la réparation dudit préjudice, - répondre dans la limite de ces chefs de mission aux dires des parties après leur avoir fait part de ses premières conclusions, - dresser de ses opérations un rapport qui sera déposé au Greffe de la Cour (contrôles des expertises) dans un délai de six mois à compter du jour où il aura été saisi de sa mission, Dit qu'en cas d'empêchement dudit expert, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance de Mme Mandel Conseiller de la Mise en Etat, rendue sur requête de la partie la plus diligente, Dit que l'expert sera mis en œuvre et accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 à 284 du Nouveau Code de Procédure Civile, Dit que la société Chantelle à qui incombe l'avance des frais d'expertise devra, le 1er mars 1997 au plus tard, consigner au Greffe de la Cour (contrôles des expertises) une somme de 50 000 F à valoir sur la rémunération de l'expert, Renvoie la procédure à l'audience de Mme Mandel Conseiller de la Mise en Etat du 17 mars 1997 pour vérification du versement de la consignation, Condamne in solidum les sociétés VF Diffusion SNC et VF Boutiques SA à payer à la société Chantelle les sommes de : - cinq cents mille francs (500 000 F) à titre de provision, - cent mille francs (100 000 F) en vertu des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne in solidum les sociétés VF Diffusion SNC et VF Boutiques SA aux dépens d'appel, Admet la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.