Cass. com., 23 novembre 1993, n° 91-21.166
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
CEP Information et professions (SA)
Défendeur :
SEPE (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M. Raynaud
Avocats :
Mes Choucroy, Capron.
LA COUR : - Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses trois branches : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 26 septembre 1991), que la société CEP information et professions (société C) édite une revue professionnelle Emballage Magazine concurrente de la revue Emballage Digest diffusée par la Société européenne de presse et d'édition (société S) ; que ces deux revues ont le même objet et s'adressent aux professionnels et utilisateurs de l'emballage et du conditionnement qui sont démarchés par les deux sociétés tant pour des abonnements payants que pour des annonces publicitaires insérées dans ces périodiques ; qu'à l'occasion du salon de l'emballage, tenu à Lyon en 1989, la société C a diffusé une plaquette publicitaire proposant des formules d'encarts d'espaces publicitaires faisant état pour les insertions publiées dans Emballage Magazine du mois d'octobre, outre de remises substantielles, d'un potentiel de 106 000 lecteurs, ces chiffres étant portés à 151 700 lecteurs, si les insertions étaient renouvelées pour le numéro du mois de décembre 1989, et de 196 800 lecteurs, pour une troisième insertion, dans le numéro de septembre ; que la société S, estimant que ces indications étaient trompeuses et ne correspondaient pas au tirage de la revue Emballage Magazine a assigné la société C en dommages-intérêts ;
Attendu que la société C fait grief à l'arrêt, de l'avoir déclarée coupable d'agissements constitutifs de concurrence déloyale, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en ne justifiant pas en quoi le coefficient multiplicateur adopté par elle aurait constitué une donnée " franchement erronée ", alors que ce coefficient multiplicateur était le résultat du sondage " MA 21 ", et que les juges d'appel, sans réfuter la valeur de ce sondage, ont retenu, au moins à titre de supposition, qu'il était " techniquement et moralement irréprochable ", la cour d'appel n'a pas établi légalement le caractère trompeur de la publicité, privant sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en jugeant " trompeur " l'addition des chiffres de tirages pour la détermination du nombre des lecteurs, alors que cette addition était expressément mentionnée sur la publicité et n'induisait donc pas en erreur les lecteurs annonceurs, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ; et qu'en n'opposant aucune réfutation aux motifs du jugement et aux conclusions de la société C, faisant valoir que, en publicité, étaient pris en considération non les " lecteurs " mais les " contacts utiles " avec la publicité, ce qui autorisait, pour apprécier l'efficacité d'une publicité répétitive, à additionner les lecteurs des tirages successifs, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse aux conclusions, violant l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, ainsi, qu'en ne justifiant pas en quoi le recours à des valeurs mathématiques résultant d'un sondage, dont la valeur n'était pas réfutée aurait été de nature à conférer un caractère trompeur à la publicité, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant analysé les éléments chiffrés concernant le nombre de lecteurs annoncé par la société C et le nombre réel d'exemplaires tirés chaque mois de la revue litigieuse, l'arrêt retient que cette société a commis une faute en intégrant dans une plaquette publicitaire " des données franchement erronées " sous couvert d'une apparence indiscutable sur le plan mathématique, et qu'elle s'est rendue coupable d'agissements anticoncurrentiels ;qu'ainsi la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument omises, a légalement justifié sa décision ;que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses deux branches : - Attendu que la société S fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à des dommages-intérêts pour s'être rendue coupable d'un acte de concurrence déloyale par dénigrement, alors d'une part, selon le pourvoi que la diffamation se distingue du dénigrement en ce que la première, à la différence de la seconde, porte sur un fait précis, susceptible de faire l'objet d'une preuve contraire et d'un débat contradictoire ; que la cour d'appel relève que le plagiat dénoncé par la société C est réel ; qu'elle reconnaît, autrement dit, qu'il s'agit d'un fait susceptible de donner lieu à la preuve contraire et à un débat contradictoire ; qu'en qualifiant, dès lors, ce fait de dénigrement, la cour d'appel a violé les articles 1382 du Code civil et 29 de la loi du 29 juillet 1881 ; et alors, d'autre part, que l'éditeur d'un journal qui est victime du plagiat d'un concurrent, ne fait qu'employer un moyen de défense légitime en dénonçant ce plagiat dans sa publication ; que la cour d'appel constate que le plagiat dénoncé par la société S est réel ; qu'elle admet que cette société a réagi avec modération, puisqu'elle reconnaît que la formule dont elle s'est servie "tend (...) à ne pas (...) exagérer l'importance" de l'incident ; qu'en déclarant la société S coupable de concurrence déloyale, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel saisie d'une instance en concurrence déloyale, pour dénigrement du produit diffusé par un concurrent, n'avait pas à statuer en se référant à la réglementation concernant la diffamation ; que c'est par une appréciation souveraine, qu'elle a décidé que les termes utilisés par la société S étaient constitutifs d'agissements anticoncurrentiels par voie de dénigrement ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette tant le pourvoi principal que le pourvoi incident.