CA Paris, 4e ch. A, 8 novembre 1993, n° 92-004221
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Adam, Meteor (SA)
Défendeur :
Microland (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gouge
Conseillers :
Mme Mandel, M. Brunet
Avoués :
SCP Roblin, SCP Teytaud
Avocats :
Mes Iteanu, Feral-Schul.
Dans des circonstances suffisamment exposées par les premiers juges, la Société Microland, se plaignant de ce qu'un module intitulé " P base " dont elle avait acquis la version source en 1986 et qu'elle avait inclus dans les logiciels " Tenora " et " Maestria plus " se retrouvait dans un logiciel de gestion commercialisé par la Société Double Face depuis devenue Météor elle avait attrait Double Face et son gérant devant le Tribunal de Grande Instance de Paris afin de faire juger que l'un et l'autre avaient commis des actes de contrefaçon et utilisé des pratiques contraires aux usages loyaux du commerce et d'obtenir qu'il soit mis fin aux agissements critiqués et qu'une indemnisation lui soit allouée.
Par son jugement du 11 décembre 1991, statuant au vu d'un rapport d'expertise technique, la 3ème chambre 1re section du Tribunal, retenant à la charge de Double Face devenue Meteor et de son gérant M. Adam une contrefaçon de logiciel les a in solidum condamnés à payer une indemnité de 183 185, 50 F, une somme de 8 000 F pour frais non taxables et les dépens comprenant les frais d'expertise. Elle leur a fait défense de diffuser le logiciel Meteor incluant le module P base sous astreinte de 10 000 F par infraction passé le délai d'un mois à compter de la signification et ordonné des publications judiciaires dans trois journaux aux frais in solidum des défendeurs, dans la limite globale de 30 000 F.
Les défendeurs ont relevé appel par déclarations du 27 janvier 1992 et saisi la Cour le 26 février 1992.
Ils ont conclu à l'infirmation et formé contre Microland une demande reconventionnelle basée sur une " exploitation abusive des termes du jugement " sollicitant la condamnation de l'intimée à leur payer une idnemnité de 400 000 F HT, une somme de 50 000 F HT au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et tous les dépens, ainsi que trois publications judiciaires aux frais de l'intimée dans la limite de 100 000 F TTC.
Microland a conclu à l'irrecevabilité de la demande basée sur le dénigrement, à la confirmation de principe du jugement et, par voie d'appel incident, à la condamnation solidaire des appelants à lui payer 1 100 000 F en réparation de son préjudice, matériel, moral et commercial d'une somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et de tous dépens, à ce que le coût des publications judiciaires puisse atteindre 50 000 F.
M. Adam et Meteor ont demandé l'adjudication du bénéfice de leurs écritures antérieures.
Sur ce
1 - Sur la recevabilité de la demande nouvelle en paiement de 400 000 F pour dénigrement
Considérant que Microland soutient que cette demande, à l'évidence nouvelle, fait échec au principe du double degré de juridiction ;
Considérant que les appelants répondent que l'on est en présence d'une " survenance ou révélation d'un fait " né du jugement ou survenu postérieurement ;
Considérant, ceci exposé, que les appelants fondent leur demande d'indemnité, présentée pour la première fois devant la Cour, sur une utilisation abusive des termes du jugement aux fins de leur nuire auprès de la clientèle ; qu'il s'agit donc de la survenance d'un fait, par sa nature nécessairement postérieur au jugement ; qu'en outre les appelants ayant été condamnés à payer une indemnité dont les intimés demandent l'augmentation en appel, la demande nouvelle, qui tend de même au paiement d'une indemnité est de nature à permettre d'opposer la compensation ; qu'il s'agit d'une demande reconventionnelle qui a un lien suffisant avec la demande principale ; que la demande nouvelle est donc recevable au titre des articles 564 et 567 du NCPC ;
2 - Sur la contrefaçon
Considérant qu'il résulte des écritures des parties tant devant le Tribunal que devant la Cour que la présence du module P base appartenant à Microland dans le logiciel Meteor n'est pas contestée ; qu'il est non moins certain que cet " outil de gestion " " a, en exécution d'un contrat de développement passé le 1er juillet 1988 entre Microland et M. Adam, été utilisé parmi d'autres par ce dernier pour réaliser l'écriture du logiciel Maestria Plus ;
Considérant que les appelants soutiennent qu'une transaction a été conclue entre les parties le 14 septembre 1989 ; qu'ils ont intégralement exécuté leurs obligations nées de cette transaction ; que la transaction impliquait que les parties renonçaient à exercer toute action ayant pour objet " leurs relations jusqu'à ce jour et le programme Meteor " ; que l'interdiction d'utiliser notamment le module P base ne valait que pour l'avenir mais n'impliquait pas un retrait de ce module des logiciels Meteor ; qu'elle ne valait que pour l'écriture de nouveaux programmes ;
Considérant que Microland répond que l'utilité du module est sans incidence sur la contrefaçon et que l'exception de transaction n'est pas fondée ; qu'en effet M. Adam souhaitait à l'époque être libre de développer des logiciels de gestion et de comptabilité en utilisant la technique de programmation " apprise et testée " chez Microland ; que celle-ci " acceptait le marché " à condition que M. Adam n'utilise pas un certain nombre de modules parmi lesquels P base ; que Microland n'avait pas été informée à cette époque de la présence de ce module au sein de Meteor ; que Microland n'avait pas les moyens d'en détecter la présence, sa fonction étant interne, dans la version objet commercialisée ; que l'article 3 du protocole ne donnait aucune autorisation de reproduire eu égard aux dispositions de l'article 31 de la loi du 11 mars 1957 ; que l'objet du présent litige serait afférent de celui sur lequel portait la transaction ;
Considérant, ceci exposé, qu'aux termes des articles 2048 et 2049 du Code Civil les transactions se renferment dans leur objet, c'est à dire ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ; qu'elles ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris selon la commune intention manifestée par les parties ou se déduisant par une suite nécessaire de ce qu'elles ont exprimé ; que l'objet du litige sur lequel les parties ont eu en vue de transiger doit donc être recherché ;
Considérant que par contrat du 1er juillet 1987 M. Adam a été engagé par Microland avec effet au 1er novembre 1986 en qualité de développeur de logiciels, au salaire de 8 000 F par mois plus un intéressement ; qu'il était stipulé que les outils, tant matériels que logiciels fournis par Microland demeuraient la propriété de celle-ci ; qu'à la même date les parties ont passé un contrat de " développement de logiciel " portant sur le projet " comptabilité Maestria Plus " ; que selon l'article 3, Microland mettait à la disposition de M. Adam les moyens suivants :
" - les outils de programmation nécessaires au développement... P base... "
Que le 28 mars 1988 Microland a licencié M. Adam ;
Considérant que par une première transaction du 18 juin 1988 les parties au contrat ont réglé leur différend ; qu'on notera que Microland offrait de céder à M. Adam une licence d'utilisation de l'outil de développement P base pour un prix de 10 000 F HT et que M. Adam s'engageait à fournir la dernière version des programmes sources notamment de P base ;
Considérant que le 1er juillet 1988 M. Adam et Microland ont passé un contrat d'auteur de logiciel emportant cession des droits à la suite de la réalisation de l'écriture de " Maestria Plus comptabilité pour Macintosh " ;
Qu'il y était rappelé que parmi les moyens mis à la disposition de l'auteur figuraient notamment P base et " les sources... de l'outil gestion séquentiel indexé P base appartenant à l'éditeur " ;
Considérant que par lettre recommandée du 6 avril 1989 Microland a fait reproche à M. Adam et à sa société Double Face de n'avoir pas achevé le nouveau format de la liaison externe de Maestria Plus, de n'avoir pas respecté la clause de préférence ni celle de non concurrence en réalisant le logiciel de facturation Meteore permettant une gestion comptable intégrée et " 5... contrairement à la clause 6, l'utilisation, dans la facturation Météore de certains outils mis à la disposition de Microland (...outil de gestion de la base indexée) " ;
Considérant qu'après une saisie-contrefaçon et une instance introduite par Microland et l'Agence de Protection des Programmes contre M. Adam et Double Face, a été signée la transaction du 14 septembre 1989 ;
Que dans son préambule figure un rappel des conventions liant les parties, de la procédure civile en contrefaçon et d'une procédure prud'homale pour violation de la clause de non concurrence ;
Que selon l'article 1er M. Adam et Double face acceptent de supprimer du logiciel Meteor la fonction " Impression du Grand Livre " cette suppression ne s'appliquant toutefois pas aux programmes actuellement vendus ;
Que l'article 3 reconnaît que " à compter de ce jour " M. Adam est libre d'écrire tout logiciel " même en utilisant la technique de programmation retenue pour le programme Maestria 2 Plus sauf à utiliser les modules typiques suivants... P Base P module de gestion de fichier séquentiel indexé multiclés à fichier physique de données unique " ;
Que l'article 5 stipule qu' " une fois la transaction exécutées Microland et l'APP se désisteront de toutes instances engagées à l'encontre de M. Eric Adam et de la Société Double Face et renoncent à exercer toute action ayant pour objet leurs relations jusqu'à ce jour et le programme Météore " ;
Considérant qu'il résulte de cet ensemble d'éléments de fait que le module P base qualifié " d'outil de gestion séquentiel indexé " dans le contrat du 1er juillet 1988 et dans la mise en demeure du 6 avril 1989 était dans le litige puisque Microland reprochait à M. Adam et à sa société de l'avoir utilisé dans le logiciel Meteor ; qu'il se déduit nécessairement des termes employés, et en dépit de la maladresse de la rédaction de l'article 3 dans lequel une négation a été omise, de telle sorte qu'il est interdit à compter de ce jour d'écrire un logiciel utilisant les modules typiques parmi lesquels P base, qu'en contrepartie d'une renonciation temporaire (jusqu'au 1er mai 1990) de M. Adam et de sa société à la fonction " Impression du Grand Livre " dans les logiciels Meteor non encore vendus (et la documentation) cette fonction devant être supprimée dans les quinze jours et d'une renonciation définitive, pour l'avenir, consentie par M. Adam sur les droits pécuniaires dus pour l'exploitation du logiciel Maestria Plus, Microland a renoncé pour sa part à exercer toute action ayant pour objet ses relations, jusqu'à la date de la transaction, avec M. Adam et sa société et concernant le programme Meteore ;
Considérant que c'est de manière erronée que Microland entend se prévaloir de l'article 31 de la loi du 11 mars 1957, applicable eu égard à la date des faits ; que l'article 31 qui pose en principe que les contrats de représentation d'édition et de production audiovisuelle doivent faire l'objet d'un écrit précisant par une mention distincte les droits cédés, le domaine de la cession, son étendue, sa destination, sa durée est un texte qui a pour objet de protéger l'auteur et lui seul contre d'éventuels ayants droit ;
Que Microland n'est pas l'auteur du module P base puisqu'il résulte d'une facture du 6 octobre 1986 qu'elle en a acquis de P. Ingenierie pour le prix de 50 000 F la version source (annexe 1 de l'expertise) ; qu'elle a donc pu valablement renoncer à ses droits selon les règles de droit commun du Code Civil dans le cadre limité déterminé par la transaction ;
Considérant qu'il s'ensuit que M. Adam et Meteor qui étaient parties à une transaction et dont il n'est pas contesté qu'ils en aient exécuté les stipulations, sont fondées à opposer à la demande en contrefaçon en tant qu'elle concerne le logiciel Meteor qui entrait dans l'objet de la transaction, l'irrecevabilité découlant de l'autorité de la chose jugée en dernier ressort attachée à un tel contrat par l'article 2052 du Code Civil ; que le jugement sera réformé en tant qu'il a retenu la contrefaçon et prononcé des condamnations à l'encontre des défendeurs ;
- Sur le bien fondé de la demande pour dénigrement
Considérant que les appelants reprochent à Microland une précipitation suspecte à exploiter les termes du jugement et une exploitation tendancieuse de ceux-ci ; que la presse spécialisée a amplifié et dénaturé les faits, créant une inquiétude parmi les distributeurs alors même que les logiciels Meteor ne comportaient plus le module P base ; que l'exécution provisoire ne concernait que l'interdiction ;
Considérant que Microland n'a pas répliqué sur le fond ;
Considérant ceci exposé que, moins d'un mois après le prononcé du jugement, soit le 13 janvier 1992 et alors que l'exécution provisoire ne concernait que la mesure d'interdiction, Microland a cru pouvoir publier par extraits le jugement dans un communiqué de Presse;
Qu'une telle publication était fautive comme prématurée; que d'autre part en extrayant des morceaux choisis de la motivation du Tribunal Microland laissaient entendre que le logiciel Meteor, dans son ensemble constituait une contrefaçon alors qu'il résulte du rapport d'expertise - et du jugement - que le module représentait 80 kilooctets sur 2912 et n'avait " qu'un importance fonctionnelle très limitée ";
Que si Microland, en l'état des pièces produites, ne peut être tenue pour responsable des termes excessifs employés dans la presse spécialisée notamment " piratage " il reste que c'est à son initiative que la presse a été informée prématurément et mal informée ;
Que ces fautes sont de nature à porter atteinte à l'honorabilité d'un homme et d'une entreprise qui n'avaient pas fait l'objet d'une condamnation irrévocable par les Tribunaux ;
Que d'autre part des lettres circulaires ont été adressées par Microland aux distributeurs dès le 15 janvier 1992 dont l'une au moins a été reçue par la Société Polysoft qui en fait état dans une lettre du 21 janvier 1992 à Meteor ; que si ces lettres mentionnent que c'est " sous réserve d'appel " que Meteor et M. Adam ont été condamnés la diffusion de cette nouvelle " importante pour l'avenir de notre profession " était prématurée;
Considérant que compte tenu de ces éléments la Cour estime à la somme de 100 000 F le préjudice matériel et moral subi par M. Adam et à celle de 200 000 F celui subi par Meteor et constituant une suite immédiate et directe des fautes commises ; que la publication constitue une réparation supplémentaire adéquate ;
Considérant qu'en équité il sera alloué globalement 20 000 F aux appelants pour les frais non taxables exposés devant deux juridictions ; que Microland qui succombe gardera la charge de ses propres frais ;
Par ces motifs : Réformant le jugement du 11 décembre 1991 et statuant à nouveau, Dit la Société Microland irrecevable à agir en contrefaçon du module P Base pour l'utilisation de ce module dans le logiciel Meteor par M. Adam et la Société Meteor, La déboute de toutes ses prétentions, Dit M. Adam et la Société Meteor recevables en leur demande nouvelle devant la Cour ; Dit que la Société Microland, en publiant prématurément un communiqué de Presse et des circulaires et en donnant en outre une relation tronquée de la teneur du jugement a commis des fautes et engagé sa responsabilité, La condamne à payer : - à M. Adam Cent Mille Francs (100 000 F), - à la Société Meteor Deux Cents Mille Francs (200 000 F), - aux appelants la somme globale de Vingt Mille Francs (20 000 F) au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et tous les dépens. Autorise pour ceux d'appel la SCP Roblin avoué à recouvrer conformément à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile. Autorise les appelants à faire publier le dispositif de l'arrêt dans trois journaux ou périodiques de leur choix aux frais de la Société Microland sans que le coût total des insertions puisse excéder 45 000 F HT.