CA Paris, 4e ch. A, 13 octobre 1993, n° 93-005463
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
SEIF (Sté)
Défendeur :
LMB Distribution (SA), Chief (SA), LMB Participations (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gouge
Conseillers :
Mme Mandel, M. Brunet
Avoués :
Mes Huyghe, Melun
Avocats :
SCP Siméon, associés, Me Pigassou
Faits et procédure
Référence étant faite pour l'exposé de la procédure antérieure à l'arrêt de cette Cour en date du 13 juillet 1993 qui a révoqué l'ordonnance de clôture rendue le 14 juin 1993 et fait injonction à SEIF de communiquer aux sociétés intimées copie de la plainte contre X par elle déposée le 21 novembre 1991, il convient de rappeler les faits essentiels suivants :
SEIF, qui a pour activité la fabrication et la commercialisation de tous matériels électroniques ou mécaniques et, notamment, les matériels de réfrigération commerciale ou industrielle est issue de la fusion en novembre 1989 des sociétés Bonnet Réfrigération et FSB qui faisaient partie du groupe Thomson.
Elle est une filiale de la société italienne ELFI et distribue notamment ses produits sous les marques Bonnet, FSB et Alca. Entre 1990 et 1991 vont être créés et immatriculées au Registre du Commerce les trois sociétés intimées à savoir :
- la société LMB Distribution (statuts signés le 18 septembre 1990) immatriculation le 1er octobre 1990 qui a pour objet la commercialisation de produits, services, équipements, procédés et licences ainsi que le placement, le courtage, la négociation commerciale, le traitement de marchés en qualité de mandataire commissionnaire, intermédiaire de commerce dans le cadre de toutes activités industrielles, commerciales, artisanales libérales, culturelles ou de loisirs.
Elle compte parmi ses actionnaires Messieurs Mis et Moreau, anciens salariés de Bonnet Réfrigération et détenant chacun 49 500 actions sur 200 000 ainsi que Monsieur Alain Bergeret, également ancien salarié qui détient avec son épouse, 50 000 actions.
- la société LMB Participation (statuts signés le 27 juin 1991 immatriculation le 3 juillet 1991) qui a pour objet la prise de participation directe ou indirecte par achats, souscriptions, apports fusions ou autres de tous biens mobiliers et valeurs mobilières dans toutes entités juridiques, ainsi que la participation dans toutes opérations commerciales, industrielles, financières ou immobilières.
Cette société n'a aucune activité commerciale dans le domaine de la réfrigération.
La société LMB Distribution en est actionnaire à hauteur de 51 % environ ainsi que onze anciens membres de l'équipe commerciale de SEIF : Messieurs Bergeret, Mis, Moreau, Bournot, Calvet, Thibaut, Roques, Legrand, Rello, Rampon et Gueno (ces deux derniers à compter du 28 septembre 1991).
- La société Chief SA dont LMB Participations détient 20 393 actions sur 40 000 (statuts signés le 6 septembre 1991 immatriculation le 30 septembre 1991) qui a pour objet la fabrication, l'assemblage, la conception, l'installation et la commercialisation de matériels frigorifiques, aérauliques, électriques, électroniques et de distribution automatique.
Messieurs Bergerot, Mis, Bournot et Moreau détiennent chacun une action de cette société.
Faisant grief à ces trois sociétés de s'être livrées à son encontre à des actes de concurrence déloyale en pratiquant le débauchage de plusieurs de ses salariés, membres de la direction des ventes, en utilisant un document dénommé " projet Chief qui reproduirait le plan stratégique SEIF confidentiel, en sa dénigrant et en détournant des commandes, SEIF les a assignées dans les conditions exactement rappelées dans le jugement entrepris.
L'arrêt du 13 juillet 1993 ayant déjà énoncé les prétentions des parties devant la Cour, il sera simplement précisé que les 11 août et 6 septembre 1993, les sociétés du groupe LMB ont pris de nouvelles écritures tendant à ce que la demande de SEIF soit déclarée irrecevable faute de justification d'un préjudice et subsidiairement ont sollicité sur le fond le sursis à statuer.
SEIF, quant à elle, s'est opposée à la demande de sursis à statuer.
Sur ce, la COUR, qui pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties se réfère au jugement repris et aux écritures d'appel,
I - Sur la recevabilité
Considérant que les sociétés du groupe LMB soutiennent tout d'abord qu'est irrecevable en cause d'appel la demande de SEIF au titre d'une prétendue complicité des sociétés LMB Distribution, Chief et LMB Participations dans les fautes qu'auraient commises Messieurs Moreau et Bournot en violant leur obligation de loyauté et de non-concurrence durant le contrat de travail
Mais considérant qu'à juste titre SEIF réplique que n'est pas nouvelle la demande fondée en appel sur un moyen nouveau mais tendant aux mêmes fins que la demande originaire.
Que le moyen invoqué pour la première fois en appel par SEIF à savoir la complicité de la violation par Messieurs Moreau et Bournot de leur obligation de loyauté n'a pas d'autre objet que de faire constater des actes de concurrence déloyale qu'auraient commis les sociétés LMB Distribution, chief et LMB Participation envers SEIF.
Qu'aucune irrecevabilité ne saurait donc être retenue de ce chef.
Considérant par ailleurs, qu'il apparaît que les sociétés intimées estiment que la demande de SEIF du chef de la concurrence déloyale est irrecevable au motif que celle-ci ne justifierait d'aucun préjudice.
Mais considérant que s'il est exact que SEIF ne peut demander sur le fondement de l'article 1382 du Code civil une indemnisation aux sociétés intimées que si elle démontre que celles-ci ont commis une faute, qu'elle justifie d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice, il n'en demeure pas moins que la condition tirée de l'existence d'un préjudice relève du bien fondé de la demande et non de sa recevabilité.
Que, dès lors que SEIF justifie d'un intérêt légitime à agir de par la nature des activités des sociétés en cause ce que ne conteste pas les sociétés intimées, et de sa capacité à agir en justice, sa demande est recevable.
Qu'il convient enfin d'observer que, s'agissant de la copie du plan stratégique SEIF par le projet Chief et de l'utilisation de ce dernier, SEIF ne fonde pas sa demande sur sa loi du 11 mars 1957 mais se prévaut uniquement de l'article 1382 du Code civil.
11 - Sur le sursis à statuer
1 - au regard de l'instance prud'homale
Considérant que les sociétés du groupe LMB font valoir qu'il convient de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour d'Appel de Versailles saisie du litige opposant SEIF à Messieurs Bournot et Moreau.
Considérant que SEIF réplique que cette demande formée pour la première fois en appel et postérieurement à toute défense au fond est irrecevable et qu'au surplus elle est mal fondée dès lors que l'instance pendante devant la Cour d'appel de Versailles ne tend pas à la sanction de griefs identiques et que les demandes sont formées à l'encontre de Messieurs Bournot et Moreau et non du groupe LMB.
Mais considérant que le chapitre II du Titre 5 du nouveau Code de Procédure Civile sur les exceptions de procédure ne vise à la section III que certaines exceptions dilatoires devant être soulevées avant toute défense au fond, lesquelles sont limitatives.
Que le sursis à statuer dont il est traité au chapitre III du Titre 11 ne rentre pas dans le cadre de cette exception et ce, d'autant plus que les juges du fond disposent d'un pouvoir discrétionnaire pour admettre ou rejeter une demande de sursis à statuer fondée sur la bonne administration de la justice et qu'ils peuvent au surplus suspendre d'office l'instance.
Que cette demande est donc recevable.
Considérant sur le fond que cette demande est bien fondée.
Considérant en effet que la Cour d'appel de Versailles se trouve saisie de deux appels interjetés de deux jugements du Conseil de Prud'hommes de Saint-Germain en Laye du 29 mars 1991 qui ont débouté SEIF de ses demandes en paiement de dommages et intérêts pour violation tant par Monsieur Bournot que par Monsieur Moreau de leur obligation de loyauté et de fidélité à l'employeur et pour violation de l'obligation de non-concurrence durant le contrat de travail.
Considérant que SEIF reproche aux sociétés du Groupe LMB de s'être rendues complices de ces violations.
Que le grief est donc strictement identique.
Que la complicité supposant par essence un fait principal constaté et caractérisé, l'existence d'un auteur principal reconnu responsable, il échet de surseoir à statuer sur le moyen jusqu'à ce qu'une décision définitive soit intervenue dans les procédures opposant SEIF à MM. Bournot et Moreau.
2 - au regard de l'instance pénale
Considérant que les sociétés du groupe LMB font valoir qu'il convient de surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale initiée par SEIF dans le cadre de la plainte déposée le 21 novembre 1991 pour vol et recel du plan stratégique SEIF.
Qu'elle expose que dans sa plainte SEIF fait précisément état de ce que :
" l'utilisation du plan stratégique 1990-1992 caractérise un élément de concurrence déloyale "
moyen repris devant le juge civil.
Considérant que SEIF réplique d'une part que cette demande est irrecevable car soulevée postérieurement à la défense au fond.
Que d'autre part elle fait valoir que cette procédure pénale, quelle que soit son issue, ne peut avoir aucune influence sur la solution du litige dans la mesure où aucun moyen n'est invoqué, ni aucune demande formée quant aux circonstances dans lesquelles certains dirigeants du groupe LMB se sont procurés le plan stratégique SEIF.
Qu'elle précise que même s'il existe un rapport entre l'objet de la plainte et le grief de reproduction servile du plan stratégique SEIF invoqué dans le cadre de l'action civile, les objectifs recherchés par les deux actions sont différents.
Que l'action civile en concurrence déloyale vise ce grief dans la perspective de la constatation d'un résultat à savoir l'élaboration du projet Chief, l'économie d'études de marché, la mise au point d'une structure immédiatement opérationnelle.
Qu'en revanche, selon elle, l'action pénale s'attache à la cause du détournement d'informations confidentielles.
Qu'il est demandé au juge pénal de se prononcer sur la qualification de la manœuvre qui a permis à un tiers de se procurer le plan stratégique SEIF.
Considérant ceci exposé sur la recevabilité de la demande pour les mêmes motifs que ci-dessus exposés, celle-ci est recevable.
Considérant par ailleurs que cette demande de sursis à statuer sur le fondement de l'article 4 du Code de Procédure Pénale doit être déclarée bien fondée.
Considérant en effet que contrairement à ce que soutient SEIF la décision à intervenir sur l'action publique est susceptible d'exercer une influence sur celle qui sera rendue par la juridiction civile.
Considérant que les deux actions procèdent du même fait.
Que le texte de la plainte énoncé en page 2 :
" de ce qu'à la suite de la constitution très récente d'un nouveau groupe concurrent, SEIF a des motifs légitimes de soupçonner des manœuvres de concurrence déloyale menées par d'anciens et actuels salariés de la société. SEIF a découvert que ces manœuvres ont consisté, pour le nouveau groupe concurrent, à utiliser un document très confidentiel appartenant à la société.
Qu'après avoir énoncé qu'elle avait établi en mars 1990 un document strictement confidentiel intitulé " Plan Stratégique 1990-1992 " SEIF fait état en page 4 de sa plainte de ce que le document " Projet Chief " comporte des caractères d'impression identiques à ceux du plan stratégique, reprend mot pour mot, de nombreux éléments de nature confidentielle contenus dans le plan stratégique établi par SEIF et contient des copies intégrales de certaines pages de ce dernier document ainsi que de 13 tableaux.
Qu'elle en conclut en page 5 que " sans l'autorisation de SEIF le plan stratégique a été utilisé par des tiers intéressés par les données qu'il convient et que ces faits constituent les délits de vol et recel.
Or, considérant que, devant la Cour, SEIF reprend exactement le même grief.
Qu'il convient de remarquer que la page 4 de la plainte est pour ainsi dire reprise intégralement à la page 10 des conclusions signifiées le 11 mars 1993.
Qu'aux pages 39 et 41 de ses conclusions SEIF fait grief aux sociétés du Groupe LMB non seulement d'avoir reproduit servilement des éléments contenus dans le plan stratégique mais encore de s'être servi de celui-ci pour définir sa propre stratégie, et éviter d'avoir à engager les frais d'une étude de marché.
Qu'aux pages 2 et 5 de ses conclusions du 1er septembre 1993 SEIF insiste plus précisément sur cette utilisation par les sociétés du groupe LMB du document confidentiel SEIF.
Or, considérant que le recel se définit comme la détention, l'utilisation en connaissance de cause de choses obtenues ou détournées à l'aide d'un crime ou d'un délit.
Que si on reprend l'argumentation quelque peu hermétique de SEIF les objectifs recherchés par les deux actions sont identiques dès lors que SEIF a visé dans sa plainte outre des faits de vol, ceux de recel d'un document et d'informations.
Considérant que même si la plainte tend à la condamnation de personnes physiques alors que l'action en concurrence déloyale vise celle de personnes morales, il n'en demeure pas moins que les noms des mêmes personnes physiques sont cités dans la plainte et les conclusions signifiées par SEIF devant la Cour.
Que notamment sont nommés
- M. Mis, un des fondateurs et dirigeants du groupe LMB auquel SEIF reproche d'avoir utilisé pour le compte des sociétés intimées le plan stratégique SEIF qu'il avait rédigé dans le cadre de son contrat de travail et pour le compte de SEIF (m.40 concl. 11/3/93),
-MM. Moreau et Bergeret autres dirigeants.
Qu'il est indéniable dans ces conditions que la décision de la juridiction répressive est susceptible d'exercer une influence sur le résultat de l'action civile.
Qu'en conséquence il convient de surseoir à statuer sur la demande en concurrence déloyale en ce qu'elle porte sur l'utilisation du plan SEIF.
III - Sur les autres griefs invoqués à l'appui de la demande de SEIF
A - Dénigrement
Considérant que SEIF fait valoir que le projet Chief qui a été diffusé aux partenaires financiers et commerciaux du Groupe LMB contient des propos dénigrants à son égard de nature à altérer son image de marque.
Considérant que les sociétés intimées répliquent que les observations faites sur SEIF dans le document Chief ne constituent qu'une analyse objective d'un concurrent et qu'au surplus le projet Chief n'a été communiqué qu'à quelques personnes intéressées.
Considérant ceci exposé que SEIF soutient à juste titre que le document Chief qui contient une analyse du marché, de la structure des objectifs du nouveau groupe LMB, ainsi qu'un compte d'exploitation prévisionnel était destiné à être diffusé auprès d'éventuels partenaires commerciaux et financiers.
Que d'ailleurs, il résulte des informations contenues en page 53 que les partenaires bancaires du groupe LMB ont eu entre leurs mains ce document ainsi que diverses autres sociétés comme le reconnaissent les intimées en page 15 du projet et M. de La Martinière, PDG du Groupe MC International (attestation du 14 mai 1993).
Mais considérant que les informations relatives à SEIF contenues dans ce document ne sauraient être qualifiées de dénigrantes.
Qu'en effet, ce projet qui compte 79 pages au total se livre aux pages 6 et 7 à une analyse des concurrents en présence et relève tant leurs faiblesses que leurs forces ce qui démontre une volonté d'objectivité.
Que ces informations ne sont pas données dans l'intention de nuire à la représentation dans le public des sociétés visées mais de fournir à des partenaires éventuels une vision la plus réaliste possible de la concurrence.
Considérant au surplus que la société SEIF n'est pas directement citée mais la société mère ELFI Européenne du Froid non partie à l'instance.
Que ce grief n'est donc pas fondé.
B - Débauchage
Considérant qu'au soutien de son appel SEIF fait valoir que c'est à tort que les premiers juges l'ont déboutée de ce chef dès lors qu'en l'espace de quelques semaines, 11 de ses salariés ont démissionné de manière quasi simultanée pour être immédiatement réembauchés par le groupe LMB ou des sociétés qui lui sont liées : qu'il y a eu une véritable concertation entre les salariés démissionnaires et Monsieur Moreau qui, tout en occupant les fonctions de directeur des ventes de SEIF, s'est comporté comme dirigeant créateur du groupe LMB ; que les salaires offerts étaient plus élevés et qu'enfin, les fondateurs du groupe LMB ont entrepris des démarches ou incité des salariés à quitter SEIF.
Considérant que les intimées répliquent que les salariés concernés étaient libres de s'intéresser à une entreprise concurrente, que l'embauche par les sociétés LMB Distribution et Chief de six personnes sur un effectif de 800 environ chez SEIF ne traduit aucune concurrence déloyale.
Qu'aucune manœuvre n'a été entreprise et que, contrairement à ce que soutient SEIF, les salaires proposés n'étaient pas supérieurs ou s'ils l'étaient en ce qui concerne Messieurs Calvet et Rello cela s'explique par le fait qu'ils occupaient des fonctions plus exigeantes.
Qu'enfin elles ajoutent que l'appelante est à l'origine de sa propre désorganisation et que le départ des personnes concernées s'explique par le climat d'instabilité régnant au sein de SEIF.
Considérant ceci exposé que l'examen de l'organigramme de la Direction des Ventes France Bonnet Réfrigération (société SEIF) dont l'exactitude n'est pas contestée par les intimées révèle que cette direction comprenait au 1er août 1991 29 salariés.
Que Monsieur Moreau, directeur des ventes depuis le 1er juin 1984 et salarié de SEIF depuis 14 ans, a donné sa démission le 9 septembre 1991 puis a été licencié pour faute lourde le 4 novembre 1991.
Qu'il est devenu actionnaire de LMB Distribution à sa création et président du conseil de surveillance avant d'être nommé le 15 décembre 1991 membre du directoire et directeur commercial de cette société et donc salarié. Qu'il est également actionnaire de LMB Participations (1 action) et de Chief (1 action).
Que Monsieur Alain Bournot, directeur des ventes adjoint de SEIF, licencié pour faute lourde le 12 novembre 1991 est actionnaire de LMB Participation et de Chief.
Mais qu'il n'est pas établi qu'il occupe un emploi salarié dans l'une des sociétés intimées, une simple carte de visite portant la mention " directeur commercial " ne constituant pas en elle-même une telle preuve et le registre du personnel de Chief examiné par l'huissier Me Gendron ne faisant pas mention de son nom.
Que Messieurs Calvet, Gueno, Legrand, chargé de clientèles nationales à la Direction des Ventes BR ont démissionné entre le 6 août et le 14 octobre 1991.
Que les deux premiers ont été immédiatement embauchés par SEIF pour occuper des fonctions identiques si on se réfère aux fiches de position annexées au constat de Maître Gendron, huissier.
Qu'en revanche M. Legrand est simplement actionnaire de LMB Participations.
Considérant que Messieurs Rampon, Roques et Thibaut chefs de ventes régionales à la Direction des Ventes BR ont démissionné entre le 1er et le 19 octobre 1991.
Que seul Monsieur Rampon a été embauché par une des sociétés du groupe LMB, en l'espèce LMB Distribution, en qualité de chargé de clientèle avant de démissionner à effet du 1er février 1992 pour être embauché par la société Iberica Del Frio dont les liens avec le groupe LMB sont constants.
Que M. Rello chef de produits a démissionné le 19 août 1991 pour être embauché par Chief en qualité de responsable marketing.
Que Mmes Gabrielle Trokhatcheff et Nicole Ringuet respectivement assistante à la direction du marketing de Bonnet Réfrigération et secrétaire administrative des ventes ont démissionné les 30 septembre et 9 octobre 1991 pour être embauchées par Chief en qualité d'assistante de direction pour la première et d'assistante du directeur commercial responsable de l'administration des ventes pour la seconde.
Considérant qu'au total, dix membres de la direction des ventes BR sur 29 ont démissionné, que cinq d'entre eux ont été réembauchés par une des sociétés du groupe LMB ainsi que deux autres salariés de SEIF dépendant d'autres services.
Considérant que, dans la conjoncture contemporaine du marché du travail il ne saurait être tiré argument de ce que la majorité des salariés aient attendu d'être embauchés par le groupe IMB avant de démissionner de SEIF.
Mais considérant qu'il apparaît que les sociétés Chief et LMB Distribution ont pu approcher les salariés de SEIF grâce aux connaissances que M. Mis, ancien cadre dirigeant de cette société, avait du personnel.
Que M. Mis, signataire de plusieurs lettres d'embauche, fondateur du groupe IMB et rédacteur du projet Chief a attiré plusieurs des salariés de SEIF en leur offrant une rémunération plus importante.
Que la comparaison des bulletins de salaires révèle que les augmentations pour Messieurs Calvet, Guenot, Rampon et Rello vont de 19 à 39 %.
Que Mme Nicole Ringuet s'est vue confier un poste plus élevé avec une rémunération supérieure de 25 %.
Que les sociétés intimées ne sauraient corriger les salaires versés par SEIF en y incorporant des primes et des avantages sociaux ou la participation aux résultats de l'entreprise dès lors que les avantages similaires sont offerts également par Chief et n'ont pas été pris en compte dans le calcul de l'augmentation des rémunérations ci-dessus cité.
Considérant que la lecture du projet " Chief " démontre clairement que les fondateurs du groupe LMB ont suscité la démission simultanée d'une part importante du personnel d'encadrement de la direction des ventes BR à savoir le directeur et son adjoint, trois chargés de clientèles nationales sur cinq, trois chefs des ventes régionales sur sept.
Qu'en effet dès mars 1991, date de la rédaction du projet, il était envisagé de nommer à certains postes divers salariés de SEIF lesquels sont identifiables par leurs initiales (p.24) et il était prévu également " l'intégration massive de personnes jouant aujourd'hui un rôle de tout premier plan tant commercial que technique, chez certains opérateurs de marché " (p.14).
Considérant que, même si ces prévisions n'ont pas été intégralement suivies dès lors que plusieurs personnes mentionnées par leurs initiales ont rejoint une autre société à savoir Ibérica El Frio ou Ibérica Del Frio International il convient d'observer que les sociétés sont intimement liées au groupe LMB et que la première a signé un contrat de distribution exclusive avec Chief pour du matériel de réfrigération commerciale.
Considérant par ailleurs que même si de 1988 à 1990 plusieurs réorganisations sont intervenues au sein de Bonnet Réfrigération et de SEIF, les sociétés du groupe IMB ne rapportent pas la preuve de leurs allégations selon lesquelles au cours de l'année 1989 six cadres de la division commerciale de Bonnet Réfrigération seraient partis en raison de leur inquiétude face à la politique d'épuration de la nouvelle direction.
Considérant au demeurant qu'à supposer qu'on ait assisté à un certain " turn over " au sein de SEIF, il est constant que les anciens salariés de l'appelante engagés par Chief et LMB Distribution avaient pour cinq d'entre eux plus de six ans d'ancienneté et connaissaient dont parfaitement la société.
Qu'il n'est pas contesté qu'ils occupent chez Chief ou LMB distribution des fonctions identiques voire similaires à ce qu'ils avaient chez SEIF.
Considérant certes qu'il n'est pas interdit à des salariés d'une société de se porter acquéreur d'actions d'une société concurrente de leur employeur ou de préparer la création d'une société concurrente alors même que leur contrat de travail est encore en vigueur dès lors qu'ils n'exercent pendant cette période aucune activité concurrente de celle de leur employeur.
Mais considérant que le débauchage de salariés dès lors qu'il s'accompagne de manœuvres est, même indépendamment de toute désorganisation, une faute constitutive de concurrence déloyale.
Qu'en l'espèce, la faute des sociétés Chief le LMB Distribution est suffisamment établie par la simultanéité du départ concerté et prémédité d'une partie des membres de la direction des ventes France Bonnet Réfrigération et leur embauche dans le même temps par des sociétés concurrentes à des conditions de rémunération nettement plus avantageuses.
Qu'au surplus, en suscitant ces départs groupés des deux cadres directeurs des ventes France Bonnet Réfrigération et d'une partie des chefs de ventes régionales et des chargés de clientèles nationales, Chief et LMB Distribution ont cherché à déstabiliser et à paralyser les services commerciaux d'un concurrent direct.
Que même si SEIF est une société importante comptant un effectif de 800 personnes environ, elle ne pouvait en l'espace de quelques semaines trouver pour ces postes d'encadrement du personnel qui soit immédiatement pleinement opérationnel.
Qu'il importe peu que ces personnes aient effectué leur préavis avant de se mettre au service des sociétés Chief et LMB Distribution.
Considérant en revanche, qu'aucune faute ne peut être imputée du chef de débauchage à LMB Participations laquelle n'a embauché aucun des salariés de SEIF.
C - Détournement de clientèle
Considérant que SEIF soutient que le groupe LMB et, plus particulièrement, la société Chief ont démarché plusieurs de ses clients notamment le Centre Leclerc de Pontchateau, l'hypermarché Rally d'Albertville, le Géant Casino d'Hyères et le Carrefour de Villabé avec lesquels il a conclu ses premières affaires.
Considérant que les sociétés intimées répliquent que compte tenu du mode de passation des marchés par appel d'offres, la notion de démarchage systématique de la clientèle n'a aucun sens.
Que si certains des clients se sont tournés vers la concurrence c'est parce que Bonnet Réfrigération s'était trouvée dans l'impossibilité de fournir dans les délais, les machines qui lui avaient été commandées.
Qu'elle ajoute que Rallye, Casino et Carrefour continuent de passer des commandes à SEIF.
Considérant ceci exposé qu'une entreprise ne bénéficie d'aucun droit privatif sur sa clientèle et qu'une entreprise oeuvrant dans le même domaine d'activité est en droit de démarcher la clientèle des concurrents dès lors qu'elle respecte les usages du commerce et n'utilise pas des procédés déloyaux.
Or, considérant qu'en l'espèce les pièces produites par SEIF pour nombreuses qu'elles soient, ne démontrent pas que Chief ou une autre société du groupe LMB ait usé de manœuvres pour capter des clients de SEIF ou ait cherché à créer une confusion dans l'esprit de clientèle.
Considérant tout d'abord qu'il convient de relever que le marché de la réfrigération commerciale les utilisateurs qui sont essentiellement les grandes enseignes de la distribution, procèdent par voie d'appel d'offres ainsi qu'en attestent Casino, Leclerc et un ingénieur conseil s'étant occupé d'un centre Auchan.
Que, s'agissant plus particulièrement du Centre Leclerc de Pontchâteau, il établit, par une lettre de Monsieur Chailleux pour la société Leclerc que plusieurs sociétés ou marques dont Bonnet Réfrigération, FSB et Chief on été consultées.
Que, si FSB et Koxka (Chief) ont eu les mêmes chances, la deuxième a été choisie après que Monsieur Chailleux soit allé visiter l'usine de la société Ibérica Del Frio (avec laquelle Chief a conclu un contrat de concession exclusive pour la vente des articles de marque Koxka).
Que le procès-verbal de constat dressé le 7 février 1992 et les pièces qui y sont annexées ne viennent que confirmer les termes de cette attestation.
Qu'il apparaît que Chief et Bonnet Réfrigération (SEIF) ont toutes deux été contactées courant septembre 1991.
Que chez SEIF, l'affaire a été traitée par Monsieur Rampon chez Chief par Monsieur Calvet.
Que, s'il est exact que Monsieur Calvet soit un ancien salarié de SEIF, il n'a pu transférer ce marché à son nouvel employeur dès lors que les premiers contacts sont intervenus après son départ de SEIF.
Qu'il résulte au demeurant d'une télécopie émanant de Monsieur Bigotte, responsable commercial de la marque FSB, que ce marché a été perdu en raison des prix plus avantageux offerts par Chief.
Considérant qu'en ce qui concerne les trois autres dossiers, aucune démarche contraire aux usages loyaux du commerce ne peut être imputée à Chief.
Que s'agissant de l'Hypermarché d'Albertville, il résulte d'une lettre du Service Matériel et consommables en date du 5 septembre 1991 que Rallye a annulé partie de la commande des linéaires surgelés qu'elle avait passée le 31 juillet 1991 à Bonnet Réfrigération pour la confier à Chief parce que celle là ne tenait pas les délais de livraison.
Que SEIF est donc entièrement responsable de la perte de cette commande.
Considérant que pour le Géant Casino d'Hyères, une lettre de Casino en date du 15 mai 1990 expose que pour les matériels frigorifiques des appels d'offres sont lancés auprès de plusieurs marques ce qui explique que pour celui d'Hyères tant Chief que SEIF aient fait des propositions.
Qu'il n'est nullement établi par SEIF que Chief ait usé de manœuvres pour se faire attribuer ce marché, étant observé que l'appelante a réussi à obtenir partie de celui-ci (facture de 101 340 F mise aux débats).
Que le non aboutissement pour le surplus de la proposition commerciale résulte du jeu normal de la concurrence.
Considérant enfin que le grief formulé par SEIF en ce qui concerne le Carrefour de Villabe ne s'explique pas dès lors qu'un article de presse paru dans le numéro du 6 avril 1992 de la revue " Point de Vente " (dont la teneur n'est pas contestée) indique que ce marché a été attribué à Costan qui est une filiale du groupe Elfi auquel appartient SEIF.
Considérant en conséquence qu'il n'est pas démontré que Chief ait détourné partie de la clientèle de SEIF.
D - Parasitisme
Considérant que SEIF soutient enfin que le Groupe LMB a fait preuve de parasitisme économique en se constituant presque uniquement par et avec d'anciens salariés ou des salariés démissionnaires de SEIF, en se fondant pour définir sa stratégie sur des informations confidentielles appartenant à SEIF, en tentant de capter le réseau de revendeurs de SEIF et de détourner LMC International, client de SEIF, en utilisant les salariés de SEIF dans le but de bénéficier de leur expérience acquise au sein de la société, ce qui lui a permis de se développer sans coût ni aléas et d'être immédiatement opérationnelle.
Considérant que même si six des sept salariés embauchés par des sociétés du groupe LMB n'étaient liés par aucune clause de non-concurrence et pouvaient donc utiliser leur expérience professionnelle dès lors qu'aucun secret de fabrique ou savoir-faire n'était violé, il n'en demeure pas moins que Messieurs Bournot et Moreau actionnaires et pour le second également salarié de LMB Distribution étaient astreints à une obligation de loyauté et de non-concurrence durant leur contrat de travail.
Considérant que SEIF entendant se prévaloir tant des informations apportées au Groupe LMB par d'anciens salariés dont Messieurs Bournot et Moreau que de celles contenues dans le projet Chief pour démontrer que ce groupe s'est livré à des actes de parasitisme économique, il convient de surseoir à statuer de ce chef, dès lors que la Cour a sursis à statuer, pour les motifs ci-dessus exposés, sur les griefs d'utilisation du projet Chief et de la complicité du Groupe LMB de la violation par Messieurs Moreau et Bournot de leur obligation de non-concurrence durant leur contrat de travail.
IV - Sur le préjudice de SEIF
Considérant que les sociétés intimées soutiennent que SEIF est irrecevable en sa demande en paiement de dommages et intérêts au motif que celle-ci n'avait pas été formée lors de l'assignation en référé sur le fondement de laquelle le Tribunal de Commerce de Créteil a autorisé une assignation à jour fixe.
Mais considérant que SEIF ayant formé le 30 juin 1992 à l'audience du juge rapporteur du Tribunal de Commerce de Créteil une demande en paiement de la somme de 25 046 711 F à titre de dommages et intérêts, celle présentée devant la Cour est parfaitement recevable.
Qu'au surplus en vertu des dispositions de l'article 566 du nouveau Code de Procédure Civile les parties peuvent en appel ajouter aux demandes soumises au premier juge toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.
Qu'en l'espèce, la demande en paiement de dommages et intérêts supérieurs à ceux sollicités en première instance se présente comme la conséquence de la demande pour faits de concurrence déloyale.
Considérant que SEIF ventile son préjudice en plusieurs postes.
Que la Cour ayant sursis à statuer sur certains des griefs invoqués à l'appui de la demande en concurrence déloyale et parasitaire, ne peut que surseoir à statuer sur les chefs de préjudice devant faire l'objet d'une évaluation globale (préjudice économique, trouble commercial) ou sur ceux qui résulteraient de l'utilisation du plan stratégique ou de la mise en œuvre du plan de restructuration.
Considérant en revanche que SEIF réclame de la somme de 1 218 000 F au titre du préjudice résultant du coût de remplacement des salariés débauchés.
Que la Cour ayant retenu que le grief de débauchage était fondé, il convient de statuer sur le préjudice subi par SEIF de ce chef.
Considérant que la responsabilité du poste de directeur des Ventes France (marque Bonnet Réfrigération ) ayant été confiée à Monsieur Richter, lequel exerçait déjà depuis le 4 février 1991 des fonctions importantes chez SEIF à savoir directeur du marketing et du département international, celle-ci ne peut valablement soutenir que sa formation a représenté un coût d'environ 175 000 F.
Considérant en revanche que SEIF justifie de ce qu'elle a dû s'adresser à des cabinets de recrutement pour remplacer les chargés de clientèles nationales et les chefs de ventes régionales débauchés par Chief et LMB Distribution, à savoir Messieurs Calvet, Gueno, Rampon, que Messieurs Legrand, Roques et Thibault n'étant pas salariés d'une des sociétés intimées mais d'une société tierce Ibérica Del Frio dont Monsieur Rampon est le gérant, SEIF ne peut valablement réclamer aux sociétés intimées une quelconque somme au titre des frais engagés pour leur remplacement.
Qu'eu égard aux frais générés par ces embauches et la formation de ces cadres, la Cour possède les éléments d'appréciation suffisants pour évaluer le préjudice de SEIF à la somme de 250 000 F.
V - Sur la demande reconventionnelle
Considérant que Chief sollicite paiement de la somme de 7 millions de francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Que chacune des sociétés intimées réclame par ailleurs un francs en réparation de leur préjudice moral.
Considérant que la demande principale n'ayant pas été intégralement examinée, la Cour n'est pas à même en l'état de déterminer si la procédure engagée par SEIF était ou non abusive.
Qu'il sera donc sursis à statuer sur la demande reconventionnelle.
Considérant qu'en l'état de la procédure, il y a lieu de réserver les dépens et les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris, Dit la société SEIF recevable en sa demande en concurrence déloyale et en paiement de dommages et intérêts telle que formulée devant la Cour, Dit les sociétés LMB Distribution, Chief et LMB Participations recevables en leurs demandes de sursis à statuer, Surseoit à statuer 1) sur le grief de complicité des sociétés LMB Distribution, LMB Participations et Chief de la violation par Messieurs Moreau et Bournot de leur obligation de loyauté et de non-concurrence jusqu'à ce qu'une décision définitive soit intervenue dans les instances prud'homales opposant SEIF à Messieurs Bournot et Moreau, 2) sur le grief d'utilisation du plan stratégique SEIF jusqu'à l'issue de la procédure pénale initiée par SEIF dans le cadre de la plainte déposée le 21 novembre 1991 auprès du Tribunal de grande Instance de Versailles, 3) sur le grief de parasitisme économique jusqu'à l'issue des procédures susvisées, Dit que les sociétés LMB Distribution, LMB Participations et Chief n'ont commis envers SEIF aucun acte de dénigrement et aucun détournement de clientèle, Dit que les sociétés LMB Distribution et Chief ont commis des actes de concurrence déloyale envers SEIF en débauchant plusieurs de ses salariés, Les condamne en conséquence in solidum à payer à SEIF la somme de deux cent cinquante mille francs (250 000 F) à titre de dommages et intérêts, Déboute SEIF de sa demande de ce chef à l'encontre de LMB Participations, Surseoit à statuer sur le surplus des demandes indemnitaires formulées par SEIF, sur la demande de publication, ainsi que sur la demande reconventionnelle, Dit que l'affaire sera retirée du rôle de la Cour et rétablie sur présentation des deux décisions susvisées, Réserve les dépens et les demandes formées du chef de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.