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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 23 septembre 1993, n° 11011-90

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sogicc (SARL)

Défendeur :

Sermab (Sté), Massot

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Monteils

Conseillers :

MM. Doze, Monin-Hersant

Avoués :

SCP Merle, Carena-Doron, SCP Gas

Avocats :

SCP Deprez Guignot, Me Peninon-Jault.

T. com. Pontoise, du 18 sept. 1990

18 septembre 1990

Par arrêt du 28 janvier 1992, auquel il convient de se reporter pour l'exposé des faits et des moyens des parties, la Cour de céans a retenu une faute de Massot et de la société Sermab tenant à la désorganisation de la société Sogicc, par migration collective de personnel, et a condamné à titre provisionnel ceux-ci in solidum en paiement de 40.000 Frs.

Elle a désigné expert pour fournir les éléments permettant de caractériser une concurrence déloyale éventuelle.

Après dépôt du rapport de Monsieur Cornuot, Sermab et Massot ont conclu ainsi qu'il suit :

L'expert n'a relevé aucune trace de prospection ou démarchage et il n'existe aucune autre circonstance susceptible de caractériser la concurrence déloyale en matière de logos, de situation du siège social. Les clients de Sogicc ont été informés par Raoul, gérant de la Sogicc, par lettre circulaire, du départ de Massot, ce qui a levé toute équivoque.

Subsidiairement, rien ne permet de réintégrer dans les calculs la société Ercalu, écartée par l'expert. Le bénéfice supplémentaire de 434.911 Frs qu'aurait réalisé la Sogicc si elle avait bénéficié de cinq clients antérieurs, repris par elle-même, ne résiste pas à l'analyse.

Bel n'a pas été détourné, le chiffre d'affaires avec la Sogicc ayant cria régulièrement de 1988 à 1991.

Le chiffre d'affaires que la Sermab a réalisé avec Camus en 1990 a été minime et en 1991, la Sogicc a obtenu avec ce client un chiffre de 1.424.928 Frs.

Feralunox n'avait rien d'un client fidélisé par la Sogicc, était apparu en 1989. Il est revenu à celle-ci en 1991, après un passage en 1990 chez la Sermab.

Paquet et PL Maître n'ont jamais été pour la Socicc que des clients occasionnels, avec lesquels en 1990, celle-ci a réalisé un chiffre d'affaires plus important que celui de la Sermab.

En toute hypothèse, les comparaisons de chiffre d'affaires réalisé avec les clients communs sont édifiantes.

En 1990 la Sermab a réalisé 72% du chiffre d'affaires des deux sociétés avec ceux-ci.

En fait c'est le chiffre d'affaires de 1989 qui a été anormalement élevé.

Les prétendus devis sous-estimés de Massot en 1989 sont démentis par les faits.

La perte enregistrée par la Sogicc en 1990 tient à une provision pour clients douteux de 317.415 Frs et à un poste location de matériel de 223.600 Frs, quasiment disparu ensuite.

Il ne saurait y avoir capitalisation des intérêts pour des dommages et intérêts qui ne pourraient avoir pour point de départ que l'arrêt. Ils concluent à déboutement et octroi de 30.000 Frs de dommages et intérêts.

La Sogicc conclut ainsi :

Il y a eu démarchage systématique de sa clientèle par la Sermab et Massot, dont celui-ci a évidemment fait disparaître les traces.

Les cinq clients incontestablement détournés représentent 42% du chiffre d'affaires de Sermab durant son premier exercice, et de plus en début d'exercice.

Il y a eu d'autres démarchages infructueux. Il y a là une faute.

Le client Ercalu doit d'autre part être réintégré dans les calculs. il a prétendu seulement en 1992 avoir volontairement abandonné la Sogicc, par une attestation établie pour les besoins de la cause.

Pour le client Bel, la Sermab a obtenu 68.260 F H.T. de travaux grâce à la reprise pour son compte de partie de ceux-ci qui avaient été négociés par Massot pour Sogicc.

Le client Camus a disparu en 1990 pour passer chez Sermab et reparaître en 1991.

Feralunox a connu le même phénomène.

Ercalu disparu en 1990 pour elle-même, est apparu chez Sermab en 1990 et n'a disparu que parce que celle-ci a voulu parer à l'assignation en concurrence déloyale.

Paquet et PL Maitre ne sont pas des clients occasionnels.

Le fait que Raoul dirige la société Isolalu ne peut justifier une allégation de détournement de commandes au profit de celle-ci.

Il est clair qu'avec les clients communs, Sogicc a réalisé le même chiffre d'affaires en 1989 et 1991, 3.775 KF et 3.489 KF, la chute à 2.351 KF en 1990 ne pouvait s'expliquer que par les détournements.

La conclusion de l'expert qu'il faut retenir est que la Sogicc, a été privée d'un bénéfice de 434.911 Frs en 1990 avec 65.000 Frs en plus pour Ercalu.

En ajoutant à cela débauchage massif et appropriation du manuel de qualité, la demande de 600.000 Frs est justifiée.

Les allégations de Sermab sur les charges excessives dans le bilan 1990 sont dépourvues de tout soutien.

Il est manifeste qu'un démarchage abusif a produit des effets pernicieux, nombre des clients détournés étant de surcroît revenus l'année suivante.

Il y a ainsi manifestement lien de cause à effet entre démarchage abusif et manque à gagner pour elle, à un moment difficile pour elle, résultant en partie de l'attitude de Massot.

Elle conclut à octroi de 600.000 Frs en sus des 40.000 Ers déjà alloués, et à majoration de 600.000 Frs de la somme à verser sur l'article 700 du NCPC

Par conclusions responsives, la Sermab et Massot exposent ceci :

Il ne faut pas perdre de vue que la Sogicc et Isolalu sont des créations communes de Raoul et de Massot, ce qui explique le partage de pouvoir qui avait été entendu et qui n'a échoué que du fait de l'exigence par Raoul d'une soulte successive. Les relations s'étant alors tendues, il a été contraint de partir. Il n'avait pas intérêt à désorganiser la Sogicc où il possède des parts.

Il n'existe aucune preuve de démarchage systématique.

Les clients communs, informés du départ de Massot par la Sogicc elle-même, n'ont eut aucune peine à le retrouver dans l'annuaire, certains disposant même de son numéro personnel.

Un récent courrier de Bel démontre vis-à-vis d'elle l'absence de concurrence déloyale.

Feralunox a été apporté à Sogicc par voie de sous-traitance par Ercalu.

Rien n'interdit à deux sociétés intimement liées, comme Sogicc et Isolalu, d'échanger des commandes.

Le chiffre d'affaires réalisé en 1991 par Sogicc tient essentiellement au chiffre d'affaires Camus, sept fois plus élevé qu'en 1989.

Massot, en quittant la Sogicc, lui a laissé un carnet de commandes pour plus de six mois, et celle-ci n'aurait pas traiter les commandes passées à la Sermab par les clients communs.

Il est contradictoire pour la Sogicc de prétendre avoir pâti du débauchage massif de son personnel par Massot.

La Sogicc répond ceci :

Massot a rompu l'afectio societatis existant entre les associés, ce qui aggrave ses fautes.

Il n'est pas sérieux de prétendre que les clients sont allés spontanément chez Sermab.

Si Bel a passé commande à la Sermab quelques jours après sa formation, c'est à cause du démarchage systématique de Massot.

Aucune preuve n'est apportée du transfert de clients à Isolalu.

Il n'est pas possible de soutenir qu'elle n'aurait pu faire face aux commandes prises par la Sermab, alors justement qu'elle a eu une déficience d'activité.

Il n'y a pas de contradiction entre un détournement de clientèle et un débauchage massif de salariés.

Discussion

Considérant que le seul point en litige qui n'ait été traité dans l'arrêt avant dire droit est celui de la concurrence pratiquée par la Sermab auprès de la clientèle que revendique la Sogicc ;

Considérant que l'expertise a apporté à ce sujet des données objectives d'une grande clarté ; que l'expert a constaté l'apparition, comme clients de la Sermab, lors de son premier exercice, de sept firmes qui avaient figuré l'année précédente dans les comptes de la Sogicc ; que l'expert a éliminé de ses calculs deux de ces firmes : la société Leblanc, parce que la Sogicc a déclaré avoir de son propre mouvement renoncé à travailler pour elle, en raison de difficultés de paiement, la société Ercalu parce que celle-ci a écrit à Massot le 6 Mai 1992 pour exposer que ses relations avec la Sogicc étaient fondées sur les relations amicales existant entre Massot et son propre préposé Charlier, et qu'elle n'envisageait pas de confier des travaux à cette sociéte en l'absence de Massot ; que la Sogicc soutient qu'il s'agit d'un document établi pour les besoins de la cause, ce qui ressortirait de sa date tardive ; qu'il ne saurait cependant être reproché à Massot d'avoir cherché à fournir à l'expert des preuves de sa bonne foi, ce qui est indiqué dans la lettre est vraisemblable et doit donc être tenu pour exact en l'absence de preuve contraire ;

Considérant que la société société Bel doit être maintenue dans les évaluations ; que juste avant la présente audience, la Sermab a obtenu de cette société une lettre du 14 juin 1993 relatant qu'après qu'aient été rejetées pour l'intégralité d'un marché les propositions de plusieurs entreprises, dont la Sogicc, elle a réalisé elle-même le travail en cause, en sous-traitant à la Sermab quelques détails ; que cet exposé n'est pas de nature à permettre de retenir à priori que ce contrat échappe à une éventuelle concurrence déloyale ;

Considérant qu'étant éliminé un décalage entre les exercices comptables, qui est négligeable, il résulte de l'expertise qu'avec les "clients communs" la Sogicc a réalisé en 1989 un chiffre d'affaires de 3.412 KF, en 1990 de 1.986 KF, en 1991 de 3.489 KF ; qu'avec ces mêmes clients, la Sermab a réalisé un chiffre d'affaires en 1990 de 923 KF, et ceci essentiellement pendant les huit premiers mois de son activité, chiffre tombé presque à rien durant son second exercice ;

Considérant qu'en contemplation de l'activité totale des deux sociétés, ces chiffres sont proportionnellement importants ; qu'en effet les chiffres d'affaires totaux de la Sogicc, sur ces trois années envisagées, sont de 5.854 KF, 5.021 KF, 6.034 KF ; que la Sermab a réalisé pour sa part en 1990 2.214 KF en 1991, 1.828 KF de chiffres d'affaires ;

Considérant qu'il s'évince de ces comparaisons, que Massot a nécessairement demarché des clients de la Sogicc, auprès desquels il avait déjà été introduit en travaillant pour celle-ci ;qu'il n'est pas concevable que les cinq entreprises intéressées se soient adressées spontanément à lui ; qu'en tant que débutante sur le marché, la Sermab a bénéficié aussi d'une activité initiale essentielle à son lancement, qui lui a procuré un chiffre d'affaires proche de la moitié du total ; qu'elle a pu se passer l'année suivante de cette clientèle, ayant acquis une véritable autonomie ;

Considérant que cet état de fait est insuffisant pour caractériser la concurrence déloyale ;qu'il est nécessaire que s'y ajoutent des manœuvres de nature à fausser le jeu de cette concurrence ;qu'il a déjà été relevé dans le précédent arrêt qu'il ne pouvait être retenu, faute de preuves, la soustraction de documents appartenant à la Sogicc, dont Massot n'avait nul besoin ; qu'en pratique, ses fonctions de directions dans cette société, le petit nombre des clients appartenant à celle-ci faisaient que sans avoir recours à une quelconque forme de détournement ou de vol il possédait à titre personnel une connaissance suffisante de la clientèle, qui lui permettait, sans faute, de proposer ses services ;

Considérant que sa déloyauté eut pu notamment résulter de la fourniture de devis légèrement inférieur, en connaissance de cause, à ceux de la Sogicc ; que cette preuve manque totalement ; que les circonstances dans lesquelles il a traité avec quatre entreprises intéressées, le cas Bel était mieux connu, et ne pouvant être retenu contre lui, sont ignorées ; qu'il n'est pas établi qu'il ait arraché à la Sogicc les contrats qu'il a obtenus, en abusant de sa situation d'ancien préposé ;

Considérant qu'il ne fait pas de doute qu'il ait causé un préjudice à cette société ; qu'il existe une évidente relation de cause à effet entre son apparition sur le marché et la baisse d'activité que celle-ci a passagèrement connu qu'il est manifeste d'autre part que les circonstances dans lesquelles il s'est séparé de Raoul ne l'incitaient pas à ménager la Sogicc ; que toutefois le préjudice en cause ne peut être rattaché à une faute justifiant indemnisation ;

Considérant qu'il ne demeure en conséquence à la charge de Massot et de la Sermab que la faute qualifiée dans l'arrêt antérieur de légère, consistant en une relative désorganisation de la Sogicc, dont celle-ci a pu surmonter les conséquences et pour laquelle indemnisation provisionnelle a déjà été accordée ; que la Cour est en mesure de compléter ce qui n'était sur ce chapitre qu'une provision et d'allouer de ce chef, le seul retenu, 60.000 Frs de dommages et intérêts ce qui entraîne allocation d'un complément de 20.000 Frs ; que la succombance des deux parties dans leurs prétentions exclut allocation d'indemnité de l'article 700 du NCPC ; que les entiers dépens seront supportés pour les trois quarts par la Sogicc et pour un quart par la Sermab et Massot in solidum.

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Vidant son arrêt avant dire droit du 28 janvier 1992, Condamne la société Sermab et Massot in solidum à verser complément de dommages et intérêts de 20.000 Frs (vingt mille francs) à la société Sogicc, Déboute les parties de leurs autres prétentions, Dit que les entiers dépens seront pour les trois quarts à la charge de la société Sogicc, pour un quart à celle de la société Sermab et Massot in solidum et autorise les avoués de la cause à recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC