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Décisions

CA Nîmes, 1re et 2e ch. réunies, 10 août 1993, n° 93-1858

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fiduciaire Juridique et Fiscale de France (Sté)

Défendeur :

Conseil de l'Ordre des Avocats au Barreau de Nîmes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bezombes

Conseillers :

Mmes Guichard, Vieux, MM. Deltel, Favre

Avocats :

Mes Poujade, Teissier.

Cons. Ordre des av. Nîmes, du 8 avr. 199…

8 avril 1993

Faits et procédure :

Avocat inscrit au Barreau de Nîmes, Jean-Christophe Capion a conclu un contrat d'avocat salarié daté du 24 décembre 1992 avec la SA Fidal, Sté d'Avocats inscrite au Barreau des Hauts de Seine.

Conformément aux dispositions de l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée, cette convention a été soumise au Conseil de l'Ordre des Avocats au Barreau de Nîmes lequel a, dans sa délibération du 8 avril 1993, décidé de mettre en demeure les avocats parties au contrat de travail de mettre ce dernier en harmonie avec les obligations légales pour ce qui concerne la clause d'" indépendance professionnelle " et l'article relatif au " respect de la clientèle ".

Estimant le contrat conforme aux dispositions réglementaires, la Sté Fidal a saisi la Cour d'appel de Nîmes d'un recours tendant à ce que soit annulée la délibération du 8 avril 1993 et qu'il soit jugé qu'il n'y a pas lieu à modification des termes dudit contrat.

Moyens et prétentions des parties :

Dans son mémoire en date du 28 avril 1993 la Sté FIDAL soutient qu'en l'absence de précisions suffisantes dans les textes, seule aurait dû être retenue la compétence exclusive en la matière du Conseil de l'Ordre du Barreau des Hauts de Seine.

Elle admet le bien-fondé des observations adverses sur la clause relative à l' " indépendance professionnelle " en ce qu'elle doit être complétée par les réserves inhérentes aux désignations au titre de l'aide juridictionnelle, de la Commission d'office et de la permanence pénale.

Elle critique en revanche la position de l'Ordre saisi pour ce qui concerne le libellé de l'article relatif au " respect de la clientèle ".

A cet égard, elle fait valoir que le contrat doit être reconnu conforme lorsqu'il précise que les parties conviennent qu'après la fin du contrat serait déloyal de la part du salarié d' " accomplir directement, indirectement ou par personne interposée pendant un délai de trois ans à compter de la cessation du contrat de travail quelle qu'en soit la cause, sauf accord écrit de Fidal, aucun acte professionnel au profit d'un client avec lequel il a été mis en relation ".

Elle prétend sur ce point :

- que la clause de non rétablissement prévue à l'article 7 de la loi susvisée ne se confond pas avec la clause de non-concurrence.

- que la clause de respect de la clientèle est de nature différente de la clause de non établissement.

- que la législation antérieure fixant le statut des conseils juridiques et des avocats en collaboration prévoyait l'exclusion de pratiques constitutives de concurrence déloyale.

- qu'une convention collective du 17 décembre 1976, régissant les rapports des conseils juridiques dans le cadre des contrats de travail, stipulait en son article A-1-31 l'obligation pour le conseil juridique salarié de respecter la clientèle de l'employeur à la fin du contrat.

- que la jurisprudence a toujours validé la clause de non-concurrence dans les contrats de travail.

- que l'intégration de la nature de salarié dans la nouvelle profession d'avocat impose le respect de la clientèle de l'employeur.

- que la faculté de créer des sociétés d'avocats comporte la notion de protection du groupement contre les agissements d'un de ses membres.

- que la clause de respect de la clientèle ne porte pas atteinte aux pouvoirs de contrôle des Conseils de l'Ordre chargés de veiller au respect de l'honneur, de la probité et de la délicatesse des avocats.

Le Conseil de l'Ordre des Avocats au Barreau de Nîmes réplique que Jean-Christophe Capion étant inscrit audit barreau, c'est sous la juridiction de celui-ci qu'il se trouve placé, qu'aussi bien la Sté Fidal a saisi elle-même le Barreau local, puis la Cour d'appel de Nîmes et qu'elle est mal venue à décliner désormais une telle compétence au profit de celle du Conseil de l'Ordre des Avocats du Barreau des Hauts de Seine.

Sur le fond, il estime justifiée sa délibération du 8 avril 1993 en ce qu'elle impose que des réserves soient apportées au contrat au chapitre de l'indépendance professionnelle pour ce qui a trait aux missions confiées au titre de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que l'article 139 du décret du 27 novembre 1991 lui prescrit de veiller à ce que le contrat salarié ne porte pas atteinte à l'indépendance de l'avocat, notamment en limitant la liberté d'établissement ultérieure et qu'en l'espèce sa décision était fondée, compte tenu de la spécificité de la profession d'avocat échappant au droit commun et notamment aux principes ayant pu concerner avant la fusion les cabinets de conseils juridiques, la seule limite pour l'ancien avocat salarié étant l'acte de concurrence déloyale.

Le Ministère Public a déclaré faire siennes les conclusions du Conseil de l'Ordre.

Motifs de la décision :

Attendu sur la compétence que selon les dispositions de l'article 139 du décret du 27 novembre 1991 le Conseil de l'Ordre est destinataire d'un exemplaire du contrat salarié et peut dans le mois mettre en demeure les avocats de modifier la convention aux fins de mise en conformité avec les règles professionnelles, son contrôle s'exerçant en particulier sur l'absence de clause limitant la liberté d'établissement ultérieure ou les obligations professionnelles en matière d'aide juridictionnelle et de commission d'office ;

Or attendu que si ce texte ne précise pas quel est le Conseil de l'Ordre territorialement compétent, aucun élément ne permet d'exclure la compétence du Barreau dont relève l'avocat salarié ;

Attendu bien au contraire que cet organisme est le plus apte à effectuer les contrôles qui s'imposent pour préserver les prérogatives de celui de ses membres qui s'engage au service d'un autre avocat, quand bien même ce dernier appartiendrait comme en l'espèce à un Barreau extérieur ;

Attendu au demeurant que la SA Fidal a saisi le Conseil de l'Ordre des Avocats de Nîmes admettant ainsi nécessairement sa compétence qu'elle a déclinée dans ses écritures devant la Cour, étant au demeurant observé qu'au cours des débats elle s'en est sur ce point remis à justice ;

Attendu qu'elle a pris le même partie quant aux modifications du contrat relatives à " l'indépendance professionnelle à l'occasion de l'exercice des désignations de l'avocat salarié au titre de l'aide juridictionnelle, des commissions d'office ou des permanences pénales, le litige portant essentiellement sur la rédaction de la clause intitulée " respect de la clientèle " ;

Attendu à cet égard que l'article 7 de la loi de 1971 modifiée, qui prévoit que le contrat de travail ne doit pas comporter de stipulation limitant la liberté d'établissement ultérieure du salarié, doit être rapproché de l'article 1er de la même loi prise en sa rédaction actuelle qui, unifiant les professions d'avocat et de conseil juridique, consacre le caractère libéral et indépendant de l'exercice de la nouvelle profession telle qu'issue de la réforme de 1990;

Et attendu que si la SA Fidal soutient que la clause de respect de la clientèle est de nature différente de la clause de non établissement, il reste que suivre sa thèse reviendrait à limiter la liberté d'établissement du salarié à l'expiration du contrat en lui rendant difficile de s'installer dans le même secteur géographique;

Attendu par ailleurs que l'avocat salarié n'a pas de ce fait de clientèle qui lui soit personnelle et que lui imposer l'accord de son précédent employeur, pour assister un ancien client de celui-ci, serait contraire aux principes qui régissent la profession d'avocat;

Attendu par suite qu'il n'importe que la jurisprudence ait pu valider la clause de non-concurrence dans des contrats salariés étrangers à la profession d'avocat dont la spécificité doit être maintenue, même si elle est exercée dans le cadre d'un lien de subordination ;

Attendu en outre que l'argumentation fondée sur le respect de la loyauté du salarié qui n'est pas autorisé à détourner la clientèle de l'employeur, est inopérante dans la mesure où tout manquement aux règles de la profession et tout acte de concurrence déloyale rendent l'avocat indélicat passible de sanctions disciplinaires ou civiles;

Attendu que dans le cadre de son établissement à l'issue de la cessation des relations contractuelles, l'ancien avocat salarié ne saurait en effet dépasser les limites que lui imposent ses obligations au regard des principes généraux de la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle, tout acte de démarchage ou de sollicitation étant de surcroît interdit à l'avocat par la loi ;

Attendu qu'ainsi c'est avec raison que le Conseil de l'Ordre considère que l'avocat, fut-il ancien salarié établi à son compte, doit répondre à la légitime demande de la clientèle quelle qu'elle soit et que celle-ci ne peut être contrainte à retourner chez l'ancien employeur, toutes les dispositions antérieures propres aux conseils juridiques, à les supposer moins libérales à l'égard des salariés, ne pouvant désormais se concilier avec les principes de la nouvelle profession d'avocat soumise à des règles autonomes;

Attendu que les stipulations contractuelles dont il s'agit ne pouvaient donc être maintenues dès lors qu'elles méconnaissaient la nécessaire liberté et l'absolue indépendance des membres des barreaux dans l'exercice de leur profession, sous le contrôle du Conseil de l'Ordre investi de larges pouvoirs en matière de déontologie et par ce fait apte, en réprimant toute concurrence déloyale, à assurer le respect des droits de l'ancien employeur ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant en Chambre du Conseil, contradictoirement et en dernier ressort ; Rejette le recours de la SA Fidal ; Laisse les dépens à sa charge.