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Décisions

CA Angers, 1re ch. A, 5 juillet 1993, n° 1906-92

ANGERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Guery (SARL)

Défendeur :

Matfer (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Panatard

Conseillers :

MM. Chesneau, Jutteau

Avoués :

SCP Gontier-Langlois, SCP Chatteleyn, George

Avocats :

Mes Sultan, Legrand

T. com. Angers, du 20 mai 1992

20 mai 1992

Par jugement du Tribunal de Commerce d'Angers en date du 20 mai 1992 la Sté Mafter a été déclarée bien fondée dans sa demande dirigée contre la Sté Guery pour faits de concurrence déloyale : lancement en janvier 1987 de poches pour patisserie et douilles similaires à celles mises au point par la SA Matfer et lancées sur le marché en février 1986.

Le Tribunal a fait défense à la Sté Guery de renouveler ses agissements de concurrence déloyale, et ce sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée passé un délai de 15 jours après la signification du jugement ; a condamné la Sté Guery à payer à la Sté Matfer 60 000 F à titre de dommages intérêts et 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; a autorisé la publicité du jugement dans trois journaux ou périodiques au choix de la Sté Matfer, in extenso ou par extrait, et aux frais de la Sté Guery, chaque insertion ne pouvant dépasser 4 000 F TTC.

La Sté Guery fait appel.

Elle expose que s'il existe une certaine similitude entre ses poches à pâtisserie et celles de la Sté Matfer, il n'est pas possible qu'il en soit autrement puisque les deux sociétés commercialisent le même genre de produits et s'adressent à la même clientèle de professionnels ; qu'elles ont profité l'une et l'autre de l'évolution des techniques ; que bon nombre de sociétés en Europe ont adopté de nouvelles matières dont le tissu en polyamide ; que la poche à pâtisserie est un produit standard ; que bien avant 1987 elle vendait des poches de la même forme, comportant également une languette, se fournissant auprès d'une entreprise allemande ; que toutes les poches sont conçues de la même manière ; que d'ailleurs la Sté Matfer n'a aucun droit exclusif sur cette production et que les logos des deux sociétés apposés sur les poches sont très différents.

Pour ce qui est des douilles elle allègue que l'utilisation de polycarbonate ne répond qu'à la modernisation du produit et que la similitude des douilles est issue d'une nécessité fonctionnelle commandée par la nature même de l'objet ; que la numérotation des douilles n'est pas non plus une invention de Matfer qui n'a sur celle-ci aucune exclusivité ; qu'elle est adoptée par les sociétés européennes et qu'elle même l'utilise depuis fort longtemps ; que la présentation des douilles dans des boites de 24 n'est pas nouvelle non plus et qu'elle le fait aussi bien pour ses douilles en fer blanc.

Elle allègue aussi que les professionnels de la restauration auxquels s'adressent les deux sociétés sont à même de les différencier et que la dénomination Imper Super, utilisant des termes génériques, n'a aucune relation avec celle de Matfer Imper utilisée par la Sté Matfer.

Et aussi qu'il ne peut lui être reproché de faute ; que matfer ne prouve pas l'antériorité, qu'elle n'a pas de droit privatif, et qu'elle même s'est contentée d'acquérir les matériels à la Sté Perjes qui a déposé le modèle de la poche en polyamide auprès de l'INPI ; qu'elle n'a pas eu à faire les frais, non plus que l'économie d'étude de modèles qu'elle ne fabriquait pas.

Elle reproche à la Sté Matfer de fausser les règles de la concurrence en lui interdisant de vendre ses produits, en écartant un concurrent gênant.

Elle demande à être déchargée de toute condamnation et réclame 100 000 F de dommages intérêts au besoin de restitution du fait de l'ordonnance d'exécution provisoire partielle rendue par le conseiller de la mise en état. Elle demande encore 50 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La Sté Matfer réplique qu'en réalité les produits sont strictement identiques ; qu'elle n'a jamais allégué de droits privatifs mais que la concurrence déloyale et parasitaire est caractérisée par cinq points relevées par le Tribunal, dont l'accumulation montre qu'il ne s'agit pas du fait du hasard. Elle conteste plus précisément dans le détail les allégations de la Sté Guéry.

Elle conclut à la confirmation du jugement mais demande qu'il soit dit que l'astreinte prononcée sera définitive à compter de la signification de l'arrêt. Elle demande aussi que la somme de 60 000 F soit considérée comme une simple indemnité provisionnelle et qu'une expertise comptable soit ordonnée pour permettre de statuer définitivement sur le préjudice et pour vérifier si la Sté Guery s'est bien inclinée devant l'exécution provisoire attachée à la mesure d'instruction, aux fins de liquidation de l'astreinte.

Elle demande que le coût de chacune des publications soit porté de 4 000 F à 15 000 F.

Elle réclame 50 000 F de dommages intérêts pour appel abusif et 25 000 F complémentaires par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur ce LA COUR :

Si les poches et les douilles ont forcément de nombreux points communs étant donné les besoins auxquels elles doivent répondre il existe ici une similitude absolue entre les produits litigieux commercialisés par les deux sociétés concurrentes, étant noté qu'il n'est pas contesté que la Sté Matfer a commercialisé les siens à partir de février 1986 et la Sté Guery un an plus tard.

Pour les poches à douilles la Sté Matfer démontre qu'elle a procédé à des études en 1984 qui ont abouti à la mise au point d'un tissu complexe de polyamide enduit de polyuréthanne permettant une étanchéité parfaite, un nouveau type de confection par soudure et l'application d'une bande continue à l'intérieur comme à l'extérieur de la poche se prolongeant par la languette de préhension ; ces poches comportaient en bas un tracé de découpe unique du fait que le diamètre de l'embouchure supérieure de ses douilles a été uniformisé, alors que les poches antérieures devaient être découpées à des endroits variables selon la douille.

La Sté Guery s'est mise à vendre des poches strictement pareilles dans ces détails de fabrication, même si son logo apposé sur ses poches est différent de celui de Matfer.

Précédemment et ainsi qu'il résulte de ses propres productions, elle commercialisait des poches en coton ou en nylon comportant une couture, une attache ajoutée, et sans indication de découpe.

Les catalogues d'autres maisons qu'elle produit sont postérieurs à 1987 et les photographies qui y figurent laissent penser que soit la matériau soit les détails de fabrication ne sont pas les mêmes. Seule la poche de la Sté Mallard et Ferrier (depuis 1988) est la même, pour la simple raison qu'elle achète cette poche chez Matfer.

La Sté Guery allègue que, ne fabriquant pas les poches elle les a achetées à la Sté Perjes qui a déposé le modèle auprès de l'INPI.

Il se trouve que Perjes, dirigeant de ladite société est un ancien salarié d'une société du groupe Matfer et a précisément étudié le modèle de poche pour le compte de Matfer.

Certes la société Guery pouvait l'avoir ignoré, encore qu'elle ne le prétende pas. Mais il se trouve qu'en première instance elle a déclaré qu'elle avait interrogé l'INPI et s'était fait communiquer un certificat de dépôt du 10 juillet 1985 (d'un sieur Dumiel) et que le certificat concernait une poche en tissu polyamide revêtu de polyuréthanne. Or la Sté Matfer a démontré dès la première instance que la Sté Guery ne s'était pas adressée à l'INPI, que les documents qu'elle produisait (en particulier sa pièce 1) lui avaient été remis par la Sté Perjes et qu'ils n'étaient d'ailleurs pas conformes au dossier effectivement déposé à l'INPI dans lequel le nom de Perjes, indiqué à l'origine, avait été biffé et remplacé par Dumiel et qui ne comportait pas la note manuscrite (pièce 2) prétendument versée par l'auteur du dépôt. La Sté Guery n'a jamais répondu à cette mise au point faite par la Sté Matfer.

En même temps qu'elle mettait en circulation des poches identiques à celle de la Sté Matfer, la Sté Guery les dénommait Imper Super, alors que la Sté Matfer dénommait les siennes Imper Matfer. Le Tribunal a observé à juste titre, en réponse aux conclusions de Guery qui cherchait à justifier séparément l'emploi de chaque terme, que c'est la réunion des deux ayant la même consonnance que ceux utilisés par Matfer qui créait la confusion.

Pour ce qui est des douilles la Sté Matfer reproche à la Sté Guery d'avoir copié sa production quant au matériau, le polycarbonate, quant à la codification et quant à la présentation.

La Sté Guery a répondu que ce type de douille en polycarbonate était fabriqué et commercialisé en France, eu Europe et dans le monde entier depuis de longues années. Il n'est toutefois justifié d'aucune autre fabrication de douilles dans ce matériau.

La Sté Guery a, elle, mis cette douille sur le marché en 1987, un an après la Sté Matfer, avec les mêmes dimensions et avec le même bourrelet s'adaptant aux poches Matfer, ce qui a fait dire à la Sté Matfer qu'il s'agit d'un surmoulage.

Elle a également mis sur le marché, pour ces douilles là, et uniquement celles-là, un conditionnement exactement semblable à celui de la Sté Matfer, consistant dans un carton avec dessus translucide où sont rangées 24 douilles dont 12 unies, 10 cannelées, une douille bûche, une douille feuille (alors que toutes sortes d'autres arrangements auraient été possibles, et existent pour les douilles en fer blanc). Ce conditionnement ne se retrouve pas dans les catalogues d'autres maisons.

En ce qui concerne la codification, la Sté Guery s'est bornée à dire que de tout temps les douilles étaient désignées par des lettres différentes suivant leur utilisation et qu'il existait une codification officielle pour les douilles unies.

En fait depuis 1948, la Sté Matfer utilise une codification originale pour les douilles unies avec des chiffres de 1 à 16. Les documents produits, y compris par la Sté Guery, concernant d'autres sociétés, prouvent que celles-ci utilisent une autre gamme (allant jusqu'au n° 24 pour Lauterjung) et selon d'autres critères. La Sté Guery imite Matfer sur ce point, ce qui ne remonte pas à 1987 mais bien avant puisque c'est déjà le cas dans son catalogue de 1984 donc pour les douilles en fer blanc. Pour les douilles cannelées la démonstration de Matfer est beaucoup moins claire, certaines sociétés utilisant aussi le code composé d'une lettre pour la nature de la composition à appliquer suivie d'un chiffre pour le nombre de dents.

Il reste que quatre des cinq similitudes invoquées par Matfer et retenues par le Tribunal sont dûment établies que depuis 1987 les poches Imper Matfer et les douilles polycarbonate ont été copiées. Une ressemblance qui pourrait passer pour fortuite s'il ne s'agissait que d'un point particulier ne peut apparaître comme telle vu cet ensemble de circonstances. De plus, si la Sté Guery a essayé de donner une explication sur la provenance des poches, pour faire valoir sa bonne foi, elle n'en a donné aucune sur la provenance des douilles en polycarbonate alors qu'il existe des présomptions graves de surmoulage. La Sté Matfer qui prouve avoir aussi consacré des recherches à l'étude de fabrication d'une douille en polycarbonate, toujours avec son ex-préposé Perjes, ne saurait voir son concurrent s'approprier sans bourse délier le résultat de ses efforts.

La faute, en l'espèce intentionnelle, de la Sté Guery, est suffisamment démontrée, et le risque de confusion également. Le fait même que la Sté Guery ait copié ces produits mis en vente par la Sté Matfer prouve qu'elle y avait intérêt pour augmenter ses ventes.

Le principe d'un préjudice est démontré.

La demande d'expertise est justifiée car la Sté Matfer n'est pas en mesure de prouver son préjudice faute d'avoir accès à la comptabilité de son adversaire. Elle établit en attendant la diminution de son chiffre d'affaires.

Il n'y a pas lieu de modifier le jugement sur le coût des insertions ni sur le caractère provisoire de l'astreinte.

L'appel n'est pas assorti de circonstances permettant de le fait considérer comme abusif.

Il y a lieu de faire application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile dans les conditions qui figurent au dispositif.

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement sauf en ce qui concerne le montant des dommages intérêts qui sera considéré comme une indemnité provisionnelle, Dit n'y avoir lieu à dommages intérêts pour appel abusif, Rejette la demande reconventionnelle de la Sté Guery, Avant dire droit sur le montant du préjudice, Ordonne une expertise et la confie à M. Malgogne, 3 rue Fernand Forest BP 814 49008 Angers Cedex 01, Dit que l'expert aura pour mission de rechercher les éléments du préjudice subi par la Sté Matfer du fait des ventes par la Sté Guery portant sur le modèle de poche à pâtisserie litigieux dénommé par la Sté Matfer " Imper Matfer " et par la Sté Guery " Imper Super " ; et du fait des ventes de douilles en polycarbonate, et en particulier des ventes en boites de 24 ; Dit qu'il recherchera si des ventes ont eu lieu après l'ordonnance d'exécution provisoire du 22 décembre 1992, Dit que l'expert s'entourera de tous renseignements utiles et qu'il répondra aux observations des parties sur l'objet de sa mission, Dit que l'expert déposera son rapport au greffe de la Cour dans les 6 mois à partir de l'avis de consignation, Subordonne l'expertise à la consignation pour la Sté Matfer d'une somme de 8 000 F comme avance sur la rémunération de l'expert avant le 14 septembre 1993 auprès du régisseur d'avances de cette Cour, Condamne la Sté Guery aux dépens d'appel exposés à ce jour et au paiement d'une indemnité de 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. Autorise la SCP Gontier-Langlois, avoués, à recouvrer directement contre la partie condamnée les frais dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.