CA Paris, 4e ch. B, 1 juillet 1993, n° 92-25872
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Favec (SARL)
Défendeur :
Cinderella (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerrini
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
Mes Bodin Casalis, Pamart, Avocats : Mes Zaks, Gast.
La société Cinderella a créé et développé depuis 1982, un réseau de franchise de salons de coiffure à l'initiative et sous le nom de Jean-Claude Biguine. Elle a mis en place, dans un but de standardisation du réseau, des règles d'aménagement extérieur et intérieur de salons, utilisant des codes couleurs à savoir : noir, blanc et saumon, une organisation spécifique, ainsi qu'un ameublement identique dans l'ensemble des salons. Selon elle, il existe un " look " Jean-Claude Biguine qui fait partie intégrante de son savoir-faire, la standardisation d'un réseau étant un élément d'identification de la marque et un signe de cohérence et d'unité (sic).
M. et Mme Eric Cahu, collaborateurs au sein du groupe JC Biguine depuis 1984, ont été employés au sein de divers salons de coiffure " Jean-Claude Biguine ".
Ils ont démissionné le 29 janvier 1992 afin de créer leur propre salon de coiffure, sis 244 rue de Charenton Paris XIIe.
Ayant appris, par l'un de ses franchisés, que la société Favec, dont M. Cahu est le gérant, exploitait ce salon de coiffure sous l'enseigne " Abel F ", 244 rue de Charenton, selon les caractéristiques des salons JC Biguine, Cinderella a fait procéder à un constat d'huissier le 15 juillet 1992, puis a assigné Favec en concurrence déloyale et parasitaire.
Le jugement a rejeté la demande en concurrence déloyale mais " dans le but de prévenir toute confusion éventuelle et par précaution " a enjoint Favec de modifier la couleur des murs de son salon de coiffure ainsi que la couleur des peignoirs destinés à la clientèle du salon, et ce sous astreinte ;
Le jugement a également condamné Favec au paiement d'une somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC et a ordonné l'exécution provisoire.
La société Favec a relevé appel de cette décision. Elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a estimé qu'il n'y avait pas d'acte de concurrence déloyale et à son infirmation en ce qu'il a prononcé une mesure d'injonction sous astreinte.
Elle estime par ailleurs que le préjudice de Cinderella est inexistant. Elle demande reconventionnellement une somme de 100 000 francs de dommages-intérêts outre une somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Cinderella conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé une mesure d'injonction sous astreinte et à son infirmation pour le surplus.
Elle demande la paiement d'une somme de 500 000 F en réparation du préjudice subi, et la somme de 50 000 F pour résistance abusive, la publication de l'arrêt dans deux revues à son choix et une somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Elle invoque la protection de " l'idée commerciale " qui provient de l'image de marque qu'elle a réussi à imposer grâce à une décoration, un " look " spécifique qui viennent s'ajouter à la qualité des coiffures exécutées et qui font son originalité, idée commerciale qui a permis au groupe JC Biguine de se développer et d'acquérir la notoriété qu'il a aujourd'hui, et qui est utilisée parasitairement par Favec.
Sur ce, LA COUR, qui se réfère au jugement et aux écritures des parties,
Sur l'obligation de non concurrence :
Considérant que les époux Cahu, qui gèrent ensemble la société Favec, ont été employés par une société Diane, coiffeur exerçant sous l'enseigne JC Biguine, laquelle société Diane, avait pour porteur de parts prépondérant, la société Cinderella, qu'employés par la société Diane en qualité pour M. Cahu de gérant technique, au salaire brut de 10 000 F mensuel, et pour son épouse de coloriste, les consorts Cahu s'étaient interdits en application d'un accord du 23 avril 1991, de faire concurrence pendant 2 ans, à la société Diane, dans un rayon de 3 000 mètres à vol d'oiseau, à partir du salon de cette société où est situé son siège social, au 97, rue Lecourbe Paris 15ème .
Que la distance séparant le salon de la rue Lecourbe et le salon de la rue de Charenton étant supérieure à 3 000 mètres, l'intimée est mal fondée à soutenir la violation de cette clause de non concurrence.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
Considérant que l'intimée déduit du constat d'huissier qu'elle a fait pratiquer le 15 juillet 1992 par Maître Lackar, dans le salon " Abel F ", que les même codes couleurs ont été utilisés, à savoir blanc, noir et saumon, que les coiffeurs et clients sont exclusivement vêtus de noir, que la façade, l'agencement des bacs, des meubles, ainsi que la disposition de l'entrée constituent une reproduction servile de l'agencement des salons Jean Claude Biguine, qu'elle incrimine également la formule commerciale apparaissant sur la vitrine, qui reprend, selon elle, tant ce qui concerne le prix d'appel 150 francs, que la typographie, la couleur, la taille des lettres et les prix annoncés, qu'elle incrimine enfin la reproduction de l'organisation intérieure du salon, identique selon elle, en ce qui concerne des détails tels que la caisse, le meuble de rangement au dessus des bacs, la tapis d'entrée et le vase de fleurs,
Sur la présentation extérieure
Considérant que l'appelante verse aux débats un dossier photographique comparant les façades JC Biguine et Abel F.,
Que, d'une part, la façade Abel F. est peinte en bois de couleur noire et comporte de larges baies et portes vitrées, que cette présentation est banale,
Que, d'autre part, les façades des salons JC Biguine ne sont pas semblables les unes par rapport aux autres,
Qu'en effet, sur la Place de la République le salon JC Biguine est noir avec un store noir, alors que sur la place d'Odéon le contour de la baie vitrée est en marbre beige avec un store, et que rue Lecourbe, il est en crêpe blanc, qu'en vain, l'intimée invoque une évolution de son savoir faire pour donner une image performante et moderne de son réseau, qu'en effet Cinderella ne peut à la fois invoquer la permanence et l'évolution de son style architectural pour prétendre qu'un concurrent a copié son style sans préciser quelle période de ce style il a imité, et en quoi cette imitation reprends les éléments de cette unité décorative invoquée,
Qu'à bon droit, les premiers juges ont estimé que la façade du salon de Favec n'apparaissait pas être une copie manifeste de celle des salons Biguine compte tenu de la diversité de présentation de ces derniers et de la description de la façade type Biguine, laquelle comporte l'enseigne " JC Biguine ", alors que les salons de Favec comportent en très grosse lettres l'enseigne Abel. F. ;
Sur l'organisation et la présentation intérieures
Considérant que le procès-verbal établi par Maître Lachkar le 15 juillet 1992, décrit sommairement les équipements et la décoration intérieurs du salon Abel.F.,
Considérant que Cinderella reproche tout d'abord à Favec d'avoir marqué en caractères importants sur sa façade " shampooing coupe et brush 150 F " alors que les salons JC Biguine comportent exactement la même inscription, que cependant la forme et la dimension des lettres de cette inscription publicitaire sont différentes ; qu'au surplus l'appelante indique, sans être démentie, que des grandes marques telles que Jacques Dessange et Jean-Louis David pratiquent la même pratique de prix, que JC Biguine ne peut revendiquer la monopole d'une coupe à 150 F,
Considérant qu'il n'y a pas non plus imitation des produits distribués, que JC Biguine distribue sous sa propre marque tandis que Favec utilise des produits L'Oréal ;
Considérant qu'il apparaît au vu du dossier photographique constitué par l'appelante, des différences concernant la forme des fauteuils de couleur noire, la caisse et les éléments d'équipement que d'ailleurs l'appelante invoque à juste titre, même si elle n'était pas franchisée de Cinderella, mais associée, l'article 19 du contrat de franchise qui autorise le franchisé sortant du réseau à conserver le matériel, le mobilier et les équipements ne portant pas l'un quelconque des signes distinctifs d'un salon de coiffure JC Biguine Basic ;
Considérant qu'il n'en reste pas moins, comme l'ont relevé les premiers juges que la disposition du matériel, les couleurs de la décoration et les tenues vestimentaires présentent une certaine identité,
Considérant cependant que les différences ci-dessus relevées tant dans la présentation extérieure que dans l'organisation intérieure des salons, modifient l'impression d'ensemble et ne permettent pas au client d'Abel. F, de se croire dans un salon JC Biguine, dès lors au surplus que l'omniprésence dans les salons franchisés de Cinderella du nom JC Biguine interdit toute confusion possible, que les quelques attestations produites par l'intimée, émanant au surplus essentiellement des franchisés, sont insusceptibles à elles seules de faire la preuve d'une confusion,
Considérant toutefois que parmi les éléments d'identité des salons en cause, deux ressortent comme particulièrement proches, que tout d'abord la Sté Favec loue ses peignoirs auprès du même fournisseur que Cinderella en choisissant en outre le même modèle que celle-ci , comme cela est attesté par les pièces versées au dossier, qu'ensuite Favec a choisi de peindre les murs de son salon dans la même couleur saumon; que ces deux éléments repris à l'identique, même s'ils ne peuvent entraîner de confusion chez le client, témoignent des agissements parasitaires de la Sté Favec, qui s'est épargnée des frais de conception et s'est appropriée les fruits de l'effort économique de Cinderella, en reproduisant grâce à l'expérience acquise au contact de Cinderella une partie significative du savoir-faire de cette dernière, que ce comportement parasitaire est fautif et engendre nécessairement, au détriment du concurrent un préjudice, si minime soit-il en l'espèce, du fait de la faible notoriété de la Sté Abel. F. ;
Sur les mesures réparatrices
Considérant que la Cour a les éléments pour fixer le préjudice de Cinderella à la somme de 20 000 F ; que sera en revanche confirmée la mesure d'injonction concernant la modification de la couleur des murs du salon et des peignoirs de la clientèle, dont il est à noter que l'intimée ne réclame pas l'extension à d'autres éléments, étant précisé que les astreintes ne courront que dans un délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt ; que certes le jugement était assorti de l'exécution provisoire, que cependant Favec a publié se méprendre sur l'étendue de ses droits dès lors que les premiers juges ne pouvaient sans se contredire rejeter la demande de Cinderella en concurrence déloyale faute de confusion entre les salons et ordonner lesdites injonctions pour prévenir un risque de confusion, que pour les mêmes raisons, la demande en paiement pour résistance abusive sera écartée ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du présent arrêt,
Considérant qu'en équité, il sera alloué à Cinderella pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel la somme de 12 000 F,
Par ces motifs : Confirme le jugement en ce qu'il a prononcé des mesures d'injonction sous astreinte à l'encontre de la Sté Favec, Y ajoutant Dit que l'astreinte courra dans un délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt, Réformant le jugement pour le surplus, Dit que la Sté Favec s'est rendu coupable d'actes de concurrence déloyale par parasitisme, Condamne en conséquence, la Sté Favec à payer à la Sté Cinderella la somme de 20.000 F à titre de dommages-intérêts ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la Sté Favec à payer à la Sté Cinderella la somme de 12.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, première instance et appel confondus, La condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du NCPC par Maître Bodin Casalis, Avoué.