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Décisions

CA Poitiers, ch. civ. sect. 1, 19 mai 1993, n° 1043-91

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

L'Onglerie (SARL)

Défendeur :

Henry

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Parenty

Président :

M. Saint Arroman

Conseillers :

Mme Albert, M. Barthelemy, Melle Lafon

Avoués :

Mes Landry-Tapon, Musereau-Drouineau Rosaz

Avocats :

Mes De Cabissole, Poinsot

T. com. Bordeaux, du 25 juin 1987

25 juin 1987

Le 14 mai 1985, la société L'Onglerie et Mme Henry ont signé un contrat dit de franchise en vertu duquel la société a mis au service de M. Fleury un certain savoir faire dans le domaine de la prothèse ongulaire et l'a autorisée à faire usage de son nom et de son enseigne dans l'exploitation d'un fonds de commerce qu'elle a ouvert à Montpellier 16 rue de la Monnaie tandis que la seconde s'était engagée à s'approvisionner auprès d'elle.

Le contrat prévoyait dans son article 8.b. 1 qu'en cas de résiliation anticipée du contrat par le fait de la franchisée, il lui serait fait interdiction absolue pendant toute la durée restant à courir et dans le secteur géographique stipulé dans le contrat, de s'affilier, d'adhérer ou de participer directement ou indirectement à une organisation comparable à celle de l'Onglerie et de représenter ou se de lier à tout groupement, organisme ou association ou société concurrent du franchiseur.

Il prévoyait aussi dans son article 10 que : " pendant tout le temps du contrat et 3 ans après sa cessation, la franchisée s'engageait expressément à ne pas exploiter dans le domaine d'activité de fabrication et pose d'ongles en acrylique, d'autres fonds de commerce que celui faisant l'objet de celui-ci et de ne pas participer directement ou indirectement à l'exploitation dans le même domaine d'autres fonds que celui faisant l'objet du contrat.

Une dissension est née entre les parties dès le mois de juillet 1986, Mme Henry reprochant à la société de lui fournir des résines de mauvaise qualité et de ne pas lui apporter le concours qu'elle attendait d'elle dans le domaine de la formation et la société lui reprochant de son côté de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs.

Courant décembre 1986 et janvier 1987, furent ainsi réciproquement lancées des assignations, successivement en référé et au fond, tendant :

- d'une part, à la requête de Mme Henry, à ce que soit prononcée la nullité du contrat,

- d'autre part, à la requête de la société, à ce que soit prononcée sa résiliation, devant le Tribunal de Commerce de Bordeaux.

Par jugement du 15 juillet 1987, le Tribunal a débouté Mme Henry de sa demande, constaté la résiliation du contrat aux torts de Mme Henry et prononcé à l'encontre de celle-ci diverses condamnations découlant de la résiliation.

Il a cependant rejeté la demande de la société L'Onglerie tendant à ce qu'il soit fait interdiction à Mme Henry d'exercer son activité 16 rue de la Monnaie à Montpellier.

Sur appel principal formé par la société L'Onglerie et appel incident formé par Mme Henry, la Cour de Bordeaux par arrêt du 23 mars 1989 a débouté Mme Henry et confirmé le jugement en ses dispositions favorables à la société L'Onglerie et y ajoutant, réformé celui-ci en ce qu'il avait débouté la société de sa demande tendant à l'interdiction à prononcer à l'encontre de Mme Henry d'exercer son activité ; il a prononcé contre celle-ci l'interdiction absolue et immédiate d'exercer dans tout le secteur de la C.U.B. de Montpellier et notamment 16 rue de la Monnaie, toute activité de même nature que celle du franchiseur jusqu'au 15 mai 1991.

Sur pourvoi de Mme Henry, par arrêt du 22 janvier 1991, la Cour de Cassation a cassé et annulé cette décision en ce qu'elle a prononcé cette interdiction.

La Cour suprême a considéré qu'en retenant que la clause de non-concurrence insérée au contrat interdisait à la franchisée l'exploitation de son fonds après résiliation du contrat alors que cette clause précisait que la franchisée ne pouvait pendant et après la concession, exploiter d'autre fonds de commerce que celui faisant l'objet du contrat, la Cour de Bordeaux en avait dénaturé les termes clairs et précis.

Devant la Cour de Céans, désignée comme Cour de renvoi, la société L'Onglerie expose que la Cour de Cassation, induite en erreur par Mme Henry, a cassé l'arrêt de la Cour de Bordeaux en se fondant sur les dispositions de l'article 10 du contrat mais que l'article 8.b.1 qui fait référence à la résiliation anticipée du contrat de franchise et à ses conséquences, article seul applicable en l'espèce, a été exactement appliqué par la Cour de Bordeaux.

Elle présente le contrat de franchise comme étant par nature un contrat à durée déterminée et explique qu'il est normal que les droits du franchiseur soient protégés à l'expiration de la durée normale du contrat par une clause de non-concurrence dont la validité ne peut être contestée.

Mais elle estime que la situation est différente en cas de rupture anticipée du contrat par le fait de la franchisée.

Dans un cas semblable, prévu par l'article 8.b.1 du contrat, c'est une interdiction absolue de participer à une organisation comparable à celle du franchiseur qui est édictée à l'encontre du franchisé et cela pendant toute la durée du contrat restant à courir.

Elle demande à la Cour de Céans de prononcer la même interdiction que celle prononcée par la Cour de Bordeaux.

En réponse, Mme Henry se livre à une analyse des dispositions des mêmes articles du contrat et relève :

- que l'article 8, applicable en cas de résiliation anticipée, fait interdiction à la franchisée pendant la durée restant à courir, et dans le secteur géographique considéré, d'adhérer à une autre franchise.

- que l'article 10 comporte des obligations différentes dans leur durée (3 ans après la fin du contrat) et dans leur objet, l'obligation de non exploitation ne visant que les fonds autres que celui précédemment exploité. Elle fait observer sur ce point qu'une clause qui inclurait dans cette interdiction ce dernier fonds, serait contraire à la liberté du commerce et donc nulle.

Elle demande à la Cour de confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Bordeaux, et de lui allouer une indemnité de 30.000 francs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Dans des conclusions responsives la société L'Onglerie affirme que le contrat édicte une obligation générale de non-concurrence dont l'article 8.b.1 est une application et expose que Mme Henry a créé un réseau national concurrent du sein et exploite par l'interposition d'une société dont les membres sont de ses proches une activité similaire à la sienne.

Elle demande à la Cour en application de l'article 8.b.1 du contrat de lui faire défense d'exercer cette activité similaire sous astreinte de 6.000 F par jour de retard et ce jusqu'au 15 mai 1991.

Elle demande en outre une indemnité de 300.000 F en réparation de son préjudice commercial et financier.

Mme Henry réplique en insistant sur la distinction qui doit être faite entre les prescriptions de l'article 10 et celle de l'article 8.b.1

Elle soutient que l'activité qu'elle exerce n'est pas similaire à celle qu'exerce L'Onglerie et qu'en tout cas aucune disposition du contrat ne permet de lui interdire l'exploitation propre au fonds.

Motifs :

Il convient tout d'abord de constater qu'il est définitivement jugé par l'arrêt de la Cour de Bordeaux, le 23 mars 1989 que le contrat de franchise qui liait la Société L'Onglerie à Mme Henry s'est trouvé résilié à la date du 22 décembre 1986, et ce aux torts de Mme Henry, sur le fondement des dispositions de la clause de ce contrat figurant à l'article 8.

Ce contrat, conclu pour une durée de 6 ans, le 14 mai 1985, arrivait donc à expiration normale le 14 mai 1991, ainsi que précisé à l'article 7.

De toute évidence ce sont les stipulations de l'article 8, intitulé " résiliation anticipée qui doivent prioritairement recevoir application pour régir les droits et obligations des parties postérieurement à cette résiliation, et non celles contenues dans l'article 10, intitulé " obligation de confidentialité et de non-concurrence ", qui imposent à la franchise certaines obligations " pendant tout le temps du contrat, et 3 ans après la cessation ", et qui paraissent concerner les droits et obligations des parties dans le cas où le contrat a pris fin à son terme normal.

Il apparaît que c'est à bon droit que se fondant sur les dispositions du paragraphe 8b-1er de ce contrat la Société L'Onglerie a demandé au premier juge de prononcer contre Mme Henry l'interdiction pendant la durée restant à courir, et dans la section géographique stipulés dans le contrat, de s'affilier, d'adhérer, de participer directement ou indirectement à une organisation comparable à celle de L'Onglerie et aussi de représenter ou de se lier à tout groupement, organisme, association ou société concurrent du franchiseur, et cette interdiction devait être prononcée.

En revanche l'application de cette clause de l'article 8 ne permettait pas à la Société L'Onglerie de demander qu'il soit fait interdiction à Mme Henry d'exploiter son fonds sis 16 rue de la Monnaie à Montpellier pour y exercer une activité non visée par cette clause.

Au surplus, à supposer même qu'il ait pu être admis que les dispositions de l'article 10 relatives à la période de trois ans postérieure à la cessation du contrat s'appliquaient au cas de cessation par résiliation anticipée comme au cas de cessation par arrivée du terme, il ne pouvait être fait davantage interdiction à Mme Henry d'exploiter son fonds pendant les trois ans suivant le 16 mai 1991, mais seulement celle de s'y livrer à une activité concurrente de celle de la Société L'Onglerie en adhérant à une organisation concurrente.

Le Tribunal de Commerce de Bordeaux après avoir fait une analyse de la situation identique à celle qui vient d'être exposée, a cependant débouté la Société L'Onglerie de sa demande en considérant que la preuve n'était pas rapportée que Mme Henry exerçait dans son fonds du 16 rue de la Monnaie une activité dans les conditions frappées d'interdiction par les articles 8 et 10.

Il doit être confirmé en ce qu'il a implicitement débouté la Société L'Onglerie de sa demande tendant à ce qu'il soit fait interdiction à Mme Henry d'exploiter son fonds même si elle n'y exerçait pas une activité prohibée par le contrat.

Pour ce qui concerne les autres demandes présentées par la Société L'Onglerie devant la Cour de céans, savoir l'interdiction à prononcer contre Mme Henry d'exercer dans son fonds une activité de la même nature que la sienne sous astreinte de 6.000 F par jour de retard à compter du 4 juillet 1990 et jusqu'au 15 mai 1991, date de la fin de l'obligation de non-concurrence et la condamnation de Mme Henry à lui verser la somme de 300.000 F à titre de dommages-intérêts pour préjudice commercial et financier, il convient de constater que la Sté L'Onglerie rapporte la preuve :

- d'une part, notamment par un constat d'huissier, de ce que Mme Henry a continué après la résiliation du contrat à exercer dans son fonds une activité de prothèse ongulaire à l'enseigne : " L'Institut des Mains ", et de ce qu'elle a créé un second fonds ayant la même activité et la même enseigne à Nîmes, fonds dont l'existence a été constatée par un huissier le 14 septembre 1987 ; - - d'autre part, de ce qu'elle a fait enregistrer le 19 octobre 1987, à l'Institut National de la propriété industrielle la marque Creanail, et a constitué un groupe national de même nom, destiné à réunir les exploitants d'officines de prothèses ongulaires, - Selon les documents versés aux débats Mme Henry a fait une publicité importante pour obtenir des adhésions à son organisation, et des instituts à l'enseigne " Ongl-Creanail " ont été crées à Auch, Toulouse. Cette organisation a été présentée au Salon de la Franchise des 23 et 26 mars 1990, et selon Mme Henry aurait alors compté déjà 25 concessionnaires.

Selon un document versé aux débats, le contrat proposé par Mme Henry sous la dénomination " contrat de concession exclusive ", était en réalité un contrat de franchise.

En ce qui concerne l'exercice par Mme Henry d'une activité de prothèse ongulaire à Montpellier et de Nîmes, il ne peut être considéré qu'il ait été prohibé par le contrat dès lors qu'il a eu lieu sous une enseigne autre que L'Onglerie.

En ce qui concerne la création par Mme Henry d'une franchise concurrente de celle de L'Onglerie, dont les points de départ ont été les instituts exploités directement ou indirectement par Mme Henry à Montpellier et à Nîmes, il n'apparaît pas qu'elle puisse être considérée comme contraire aux dispositions de l'article 8 du contrat dans la mesure où la commune intention des parties a été d'empêcher la franchisée de se lier à une organisation concurrente déjà existante et disposant ainsi d'un potentiel commercial et d'une notoriété de nature à nuire immédiatement aux intérêts de la franchise L'Onglerie s'il était fait état par l'exploitante de l'officine à son attachement à celle-ci, et non d'interdire à Mme Henry de créer une organisation nouvelle.

Il existe en tout cas un doute sur la portée du contrat sur ce point, et ce doute doit profiter à Mme Henry en vertu des dispositions de l'art. 1162 du Code Civil.

La Société L'Onglerie doit donc être déboutée de ses deux demandes la première étant au surplus, devenue sans objet.

Il n'apparaît pas que l'équité justifie l'allocation d'une indemnité à Mme Henry sur le fondement des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Dispositif :

LA COUR, Reçoit la Société L'Onglerie en la Saisine de la Cour de céans après Cassation, Confirme le jugement du Tribunal de Commerce de Bordeaux en ce qu'il a débouté la Sté L'Onglerie de sa demande tendant à ce qu'il soit fait interdiction à Mme Henry d'exploiter son fonds sis 16 rue de la Monnaie à Montpellier, Y ajoutant, Dit que Mme Henry n'a pas méconnu les dispositions des articles 8 et 10 du contrat qui la liait à la Société L'Onglerie en poursuivant dans ce fonds une activité de prothèse ongulaire à l'enseigne l'Institut des Mains ", ni en créant postérieurement à la rupture de ses relations avec la Société L'Ongulaire une organisation dite de franchise dénommée Creanail, Déboute la Société L'Onglerie de toutes ses demandes, La Condamne aux entiers dépens de la procédure postérieure au jugement du Tribunal de Commerce de Bordeaux, Dit n'y avoir lieu en faveur de Mme Henry à indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du NCPC, Et autorise la SCP Musereau-D.R. à recouvrer directement ceux des dépens dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision.