CA Paris, 1re ch. A, 3 mai 1993, n° 92-019738
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pompes Funèbres et Marbrerie Roger Marin (SA), Fédération nationale des Pompes Funèbres
Défendeur :
Dias de Lomba, Leclerc (consorts), Chavinier (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Canivet
Avocat général :
Mme Benas
Conseillers :
MM. Guérin, Bargue
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Varin, Petit, Me Pamart, SCP Valdelièvre-Garnier
Avocats :
Mes Duminy, Cahen, Aldebert, Bernheim.
La Société Pompes Funèbres et Marbrerie Roger Marin et la Fédération Nationale des Pompes Funèbres sont appelantes du jugement rendu le 9 juillet 1992 par le Tribunal de Commerce de Paris dans le litige les opposant à MM. Manuel Dias de Lomba et Michel Leclerc.
Référence étant faite au jugement déféré et aux écritures échangées entre les parties pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il convient de rappeler les éléments suivants.
Par jugement du 22 décembre 1983, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné M. Michel Leclerc pour imitation illicite de marques antérieurement déposées par son frère Edouard pour l'exploitation des Centres Distributeurs Leclerc.
Relevant qu'après avoir interjeté appel de cette décision, M. Michel Leclerc avait déposé en septembre 1984 six nouvelles marques comportant le nom Leclerc, dont la marque " Pompes Funèbres Michel Leclerc ", la 4e chambre de la Cour lui a, par arrêt du 28 mars 1985, interdit de faire usage de son nom patronymique à titre de marque et le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation le 9 novembre 1987.
Le 22 mai 1986, le Tribunal de Commerce de Nanterre a prononcé la liquidation judiciaire de M. Michel Leclerc et désigné Me Chavinier en qualité de liquidateur.
Le 26 novembre 1987, la marque susvisée a été annulée par un jugement qui devait être confirmé le 22 mars 1990, et le pourvoi formé contre ce second arrêt de la 4e chambre a également été rejeté le 30 juin 1992.
Le 19 septembre 1988, la Société Pompes Funèbres de Belleville, ayant pour gérant M. Manuel Dias de Lomba, a engagé Michel Leclerc en qualité de directeur à temps partiel, le contrat de travail précisant que les noms du gérant et du directeur devront figurer sur l'enseigne ainsi que sur le papier à entête de l'entreprise.
Enfin le 20 octobre 1988, l'Association Pompes Funèbres Européennes, représentée par M. Michel Leclerc, a conclu avec M. Dias de Lomba un contrat de franchise portant sur l'utilisation de cette dénomination.
Reprochant à M. Manuel Dias de Lomba d'avoir ouvert 1 avenue de la Porte de Saint-Ouen à Paris (17e) un magasin de pompes funèbres sous l'enseigne " Pompes Funèbres Européennes - Directeur : Michel Leclerc ", la Société Pompes Funèbres et Marbrerie Roger Marin et la Fédération Nationale des Pompes Funèbres l'ont assigné ainsi que M. Michel Leclerc et Me Chavinier ès-qualités en vue de faire constater le caractère trompeur de cette publicité et de faire interdire sous astreinte l'utilisation du nom de Michel Leclerc.
Estimant que la preuve de faits constitutifs de concurrence déloyale n'était pas rapportée et qu'en l'absence de toute intervention de M. Edouard Leclerc, il ne pouvait être fait droit à la demande d'interdiction présentée, le jugement déféré a, après avoir prononcé la mise hors de cause de Me Chavinier, débouté la Société Roger Marin et la Fédération Nationale des Pompes Funèbres de leur action.
Invoquant le caractère illicite de la publicité incriminée au regard des dispositions de l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1976, les appelantes réitèrent devant la Cour leur demandant tendant à faire interdire à M. Dias de Lomba, M. Michel Leclerc et Me Chavinier ès qualités d'utiliser le nom Michel Leclerc sous astreinte définitive de 5 000 F par infraction constatée.
Faisant valoir que les faits reprochés à Michel Leclerc s'insèrent dans le cadre d'une activité salariée et ne concernent pas les opérations de liquidation judiciaire dont il fait l'objet, Me Chavinier conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause.
Contestant l'illicéité de l'usage qui leur est reproché et relevant que seul M. Edouard Leclerc pourrait se prévaloir des arrêts rendus en 1985 et 1990, MM. Dias de Lomba et Michel Leclerc concluent à l'irrecevabilité et au mal fondé de l'action engagée à leur encontre.
Assigné en intervention forcée par les appelantes, M. Edouard Leclerc demande de dire que M. Dias de Lomba ne peut apposer sur sa boutique, ses prospectus et annonces le nom Leclerc en tant que signe distinctif.
Le Ministère Public ayant conclu oralement à l'irrecevabilité de cette intervention en ce qu'elle comportait une demande nouvelle, les parties ont présenté leurs observations sur ce point par des notes en délibéré.
Sur ce, LA COUR
Considérant que les appelantes produisent au soutien de leur action un constat dressé par Me Pollet, huissier de justice, les 8 et 21 novembre 1991, duquel il ressort :
- que la Société Roger Marin exploite des établissements de pompes funèbres 3 boulevard Bessières et 137 bis Boulevard Ney à Paris et que M. Dias a ouvert un établissement concurrent à proximité 1 avenue de la Porte de Saint-Ouen ,
- que cet établissement est signalé par une flèche comportant les mentions " Pompes Funèbres Européennes " et en plus gros caractères " Directeur Michel Leclerc ",
- que les vitrines de cet établissement, surmontées d'un bandeau recouvert de l'enseigne Pompes Funèbres Européennes, font apparaître sur chacune d'entre elles l'inscription en gros caractères " Dir. Michel Leclerc ",
- que sur l'une d'entre elles est apposée une affiche comportant le slogan " Adieu l'Enfer du Monopole" au-dessus de l'effigie et du nom de Michel Leclerc ;
- que ce nom figure également sur les cartes de visite de l'établissement au-dessus de celui de M. Dias, présenté comme propriétaire ;
Considérant que la Société Roger Marin soutient que cette publicité constitue une concurrence déloyale à son préjudice et que la Fédération Nationale des Pompes Funèbres, après s'y être fait autoriser par une délibération de son conseil d'administration du 29 octobre 1991, s'est associée à son action pour défendre les intérêts de ses adhérents en invoquant la confusion que l'usage du nom de Michel Leclerc provoque avec celui du promoteur des centres Leclerc ;
Considérant que les intimés contestent tout d'abord la recevabilité de l'action engagée à leur encontre, en faisant valoir que les appelantes n'ont aucun droit sur le nom patronymique Leclerc, ni sur les marques le comprenant ;
Mais considérant que les appelantes répliquent à juste titre que, si elles ne peuvent agir en contrefaçon de marques dont elles ne sont pas titulaires, elles se trouvent néanmoins recevables à demander qu'il soit mis fin à la concurrence déloyale qui leur est causée par l'utilisation illicite d'une marque notoire susceptible de détourner leur clientèle;
Considérant que les intimés contestent en second lieu le caractère illicite de l'usage du nom de Michel Leclerc dès lors qu'il s'agit de son nom patronymique et que les dispositions de l'article L. 362-9 du code des communes imposent aux entreprises privées de pompes funèbres de " faire mention dans leurs enseignes, annonces, affiches, imprimés, placards ou inscriptions des noms des propriétaires, directeurs généraux, directeurs ou gérants " ;
Mais considérant que les appelantes invoquent pour leur part au soutien de leur action les dispositions de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 qui interdisent " toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent sur un ou plusieurs des éléments ci-après : ... identité, qualités ou aptitudes du fabricant, des revendeurs, des promoteurs ou des prestataires " ;
Or considérant qu'il est constant que le propriétaire et gérant de l'établissement litigieux est M. Manuel Dias de Lomba et qu'il ressort à l'évidence du constat de Me Pollet que le nom de Michel Leclerc n'est utilisé qu'à des fins publicitaires pour attirer la clientèle en raison de la notoriété attachée au marques exploitées par son frère Edouard Leclerc;
Considérant par ailleurs que celui-ci a pu régulièrement être attrait dans la cause pour rappeler l'interdiction faite à Michel Leclerc d'utiliser son nom à des fins commerciales et celle d'exploiter la marque Pompes Funèbres Michel Leclerc, telles qu'elles lui ont été notifiées par les arrêts du 28 mars 1985 et du 22 mars 1990 passés en force de chose jugée du fait du rejet des pourvois formés à leur encontre ;
Considérant que cette intervention ne saurait constituer une demande nouvelle, dès lors qu'elle ne fait que s'associer à la mesure d'interdiction sollicitée par les appelantes depuis l'introduction de l'instance ;
Que les intimés contestant le risque de confusion par elles allégué, Edouard Leclerc justifiait d'un intérêt évident à présenter ses observations sur ce point et doit à ce titre être déclaré recevable en son intervention ;
Considérant enfin que les appelantes versent aux débats un sondage réalisé par l'IFOP (Institut Français d'Opinion Publique) le 3 novembre 1992, duquel il ressort que 56 % des personnes interrogées pensaient que les Pompes Funèbres Leclerc et les Grandes Surfaces Leclerc appartenaient à la même société ;
Considérant que c'est en vain que les intimés font valoir que la marque Pompes Funèbres Leclerc a été remplacée par celle de Pompes Funèbres Européennes, dès lors qu'il ressort du constat ci-dessus analysé que le nom de Michel Leclerc conserve une place prépondérante dans la composition de l'enseigne ;
Considérant qu'il s'ensuit que l'utilisation de ce patronyme dans le seul but de créer une confusion dans l'esprit de la clientèle revêt un caractère déloyal et que les appelantes se trouvent fondées à demander qu'il y soit mis fin ;
Considérant qu'il convient en conséquence d'interdire à M. Manuel Dias de Lomba de continuer à faire apparaître le nom de Michel Leclerc sur la devanture de son magasin situé 1 avenue de la Porte de Saint-Ouen à Paris (17e), sous peine d'une astreinte dont les modalités seront précisées au dispositif ;
Considérant par ailleurs que la mise en cause de Me Chavinier se trouvait justifiée pour lui permettre d'être tenu informé des activités de Michel Leclerc à la suite de sa mise en liquidation judiciaire et que le présent arrêt lui sera déclaré commun ;
Considérant qu'il convient de condamner MM. Dias de Lomba et Michel Leclerc in solidum à payer aux appelantes une somme globale de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC ;
Par ces motifs: Réformant le jugement déféré et statuant à nouveau, Déclare la Société Pompes Funèbres et Marbrerie Roger Marin et la Fédération Nationale des Pompes Funèbres recevables et bien fondées en leur grief de concurrence déloyale ; Déclare M. Edouard Leclerc recevable en son intervention ; Interdit à M. Manuel Dias de Lomba de continuer à faire apparaître le nom de Michel Leclerc sur la vitrine de son magasin situé 1 avenue de la Porte de Saint-Ouen à Paris (17e), sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée un mois après la signification du présent arrêt ; Déclare le présent arrêt commun à Me Chavinier ; Condamne MM. Dias de Lomba et Michel Leclerc in solidum à payer aux appelantes la somme globale de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC ; Les condamne aux entiers dépens de première instance et l'appel, dont la montant pourra être recouvré directement par les avoués des autres parties conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.