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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 1 avril 1993, n° 16882-91

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Education et Culture (SA)

Défendeur :

Média Presse Diffusion (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gerrini

Conseillers :

MM. Bonnefont, Ancel

Avoués :

SCP Varin-Petit, SCP Goirand

Avocats :

Mes Vandenbogaerde, Lévy.

T. com. Bobigny, du 2 mai 1991

2 mai 1991

Faits et procédure de première instance :

Par exploit du 28 mars 1990, la société Education et Culture assignait la société Média Presse Diffusion en paiement de 1 120 000 F de dommages-intérêts pour débauchage de personnel par infraction aux dispositions de l'article L. 122-15 du Code du travail et concurrence déloyale, le tribunal étant prié d'ordonner à la défenderesse, sous astreinte de 10 000 F par jour et par infraction constatée, la cessation des actes illicites. La somme de 5 000 F était sollicitée au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

L'acte introductif d'instance énonçait que Mme Thomas, responsable de 9 départements à Education et Culture qui diffuse des ouvrages littéraires, encyclopédiques et autres, avait démissionné en octobre 1989 et avait été embauchée le 1er novembre 1989 par Média Presse Diffusion alors qu'elle n'avait pas été dispensée d'effectuer son préavis, que d'autres salariées se trouvant sous les ordres de Mme Thomas avaient également quitté Education et Culture au profit de Média Presse Diffusion alors qu'ils étaient toujours contractuellement tenus envers la demanderesse ;

Par jugement du 10 juillet 1990, le Tribunal de commerce de Chartres accueillait la déclinatoire de compétence opposé par Média Presse Diffusion et désignait le Tribunal de commerce de Bobigny pour connaître du litige ;

La défenderesse concluait au débouté en réclamant 10 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Le jugement critiqué :

Par son jugement du 2 mai 1991, le Tribunal de commerce de Bobigny a débouté Education et Culture et l'a condamnée à payer 5 000 F à Média Presse Diffusion par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'appel :

Appelante du jugement par déclaration du 20 juin 1991, Education et Culture conclut qu'il plaise à la Cour l'infirmer, constater que Média Presse Diffusion s'est rendue coupable de débauchage de personnel et de concurrence déloyale et la condamner au paiement de 1 567 740 F de dommages-intérêts avec intérêts de droit à compter de l'arrêt ou subsidiairement une indemnité provisionnelle d'un million de francs avant expertise. Elle sollicite 10 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Intimée, Média Presse Diffusion conclut à la confirmation de la décision attaquée en ce qu'elle a débouté Education et Culture de ses demandes et incidemment appelante réclame 100 000 F du NCPC donnés à ce contrat pour parvenir à la reconnaissance des qualités ;

Sur ce, La Cour,

Qui se réfère au jugement et aux écritures d'appel,

Considérant que pour débouter Education et Culture, la décision déférée relève en substance que la demanderesse diffuse des encyclopédies et la défenderesse des ouvrages spécialement destinés à enrayer les échecs scolaires ; que les deux sociétés en cause ne se concurrencent donc pas ; que la clause de non-concurrence invoquée par Education et Culture ne visant que la commercialisation de livres susceptibles de concurrencer ceux ayant fait l'objet de la représentation confiée par elle, il importe peu que Média Presse Diffusion en ait connaissance dès lors qu'il n'y a pas concurrence entre les parties ;

Considérant que dans sa critique du jugement, l'appelante expose que constituée en 1987, à l'initiative de son ancien directeur commercial Pasteur, Média Presse Diffusion n'a commencé ses activités qu'en septembre 1989 avec 5 représentantes dont 3 démissionnaires d'Education et Culture (Mmes Lecomte, Philippe, Poissonnet) et une quatrième (Melle Girardin) qui au lieu de prendre le 4 septembre 1989 l'emploi promis par Education et Culture après entretien avec Mme Thomas, s'est retrouvée au service de Média Presse Diffusion dès le 1er septembre 1989 ; que les 3 démissionnaires susnommées ont obtenu d'être dispensées du préavis en usant de prétextes destinés à cacher qu'elles étaient embauchées par Média Presse Diffusion ; que sur 13 autres représentants engagés par Média Presse Diffusion en octobre 1989, on note 4 transfuges d'Education et Culture don 3 placées sous les ordres de Mme Thomas ; que la quasi totalité du chiffre d'affaires réalisé en 1989, par Média Presse Diffusion, est le fait du personnel venant de Education et Culture et qui a perçu plus de 80 % de la masse salariale versée par Média Presse Diffusion ; que les débauchages s'étant poursuivies en 1990, Education et Culture a subi une perte moyenne mensuelle de chiffre d'affaires de 373 274 F qui est en corrélation avec le chiffre d'affaires réalisé par Média Presse Diffusion ; que le réseau de la région dont Mme Thomas avait la responsabilité n'a pu encore être reconstitué ;

Considérant que si, comme le rappelle le jugement tout salarié est libre de quitter un employeur pour un autre et de mettre au service de ce dernier le savoir-faire et l'expérience précédemment acquis, il s'impose néanmoins de souligner que le passage d'un emploi à l'autre doit s'accomplir dans le respect des usages loyaux du commerce et qu'en particulier les offres faites aux salariés d'autrui deviennent répréhensibles quand, même sans intention de nuire, elles sont conduites de telle manière à provoquer la désorganisation des activités d'un opérateur économique;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble des éléments d'appréciation fournis par l'appelante qu'elle a subi sur une période relativement courte une hémorragie importante de personnel affectant tout spécialement la région dirigée par Mme Thomas, étant au surplus souligné que les salariés concernés sont tous allés embaucher chez Média Presse Diffusion qui manifestement leur avait assuré un emploi avant qu'ils ne démissionnent ; qu'il y a donc eu en l'espèce un débauchage systématique tendant, avec le concours de Mme Thomas, à faciliter les débats de Média Presse Diffusion par la constitution d'une force de vente immédiatement opérationnelle grâce au transfert d'un bloc de salariés d'Education et Culture qui apporteraient une expérience gage de leur efficacité ; que le débauchage ainsi opéré a revêtu des proportions génératrices de désorganisation tout au moins dans l'une des régions et ce d'autant plus que l'urgence des besoins de Média Presse Diffusion a conduit des transfuges d'Education et Culture à s'exonérer du préavis et de surcroît, à commettre, alors qu'ils étaient encore au service d'Education et Culture, des actes préjudiciables à leur employeur (détournement de Melle Girardin, nouvellement embauchée, vers Média Presse Diffusion) ; que de surcroît, les salariés passant d'Education et Culture à Média Presse Diffusion étaient tenus de respecter la clause de non-concurrence qu'ils avaient signée ;

Considérant que Média Presse Diffusion, qui ne prétend d'ailleurs pas avoir ignoré ladite clause, ne saurait échapper à sa responsabilité au motif qu'elle a pris la précaution de faire signer aux salariés embauchés une lettre portant l'affirmation qu'ils étaient libres de tout engagement, étant à cet égard noté que Mme Thomas connaissait parfaitement la situation des personnes qui, comme elle, venaient d'Education et Culture; que pas davantage ne peut-on retenir l'argument de l'intimée selon lequel le grief de concurrence déloyale devrait être écarté puisque les sociétés en cause n'étaient pas en concurrence ; que sur ce dernier point, il convient de rappeler que Mme Thomas a par arrêt du 15 avril 1991 de la Cour d'appel de Paris (21ème Chambre Section A) été condamnée à payer à son ancien employeur non seulement une indemnité pour rupture abusive du contrat de travail mais en outre des dommages-intérêts pour inobservation de la clause de non-concurrence ; que si la décision précitée n'a pas l'autorité de la chose jugée dans la présente instance, il faut en tout cas rejeter l'interprétation proposée par Média Presse Diffusion pour nier toute concurrence entre elle et Education et Culture, celle-ci faisant à juste titre observer que les deux sociétés vendent des livres par prospectus à domicile et que des ouvrages écrits pour enrayer l'échec scolaire peuvent s'adresser à la même clientèle que celle qui achète des encyclopédies, les produits étant certes différents mais néanmoins complémentaires, et parfois même similaires (" Echec aux langues - Anglais " d'une part, " Anglais Didactron " d'autre part ;

Qu'il y a lieu d'ajouter que la capacité d'achat de la clientèle prospectée n'étant pas illimitée, il va de soi que les ventes réussies par des transfuges d'Education et Culture dans le secteur où ils opéraient précédemment étaient bien propres à diminuer l'impact des visites faites par leurs successeurs ;

Considérant qu'il échet de conclure à des faits constitutifs de débauchage commis par Média Presse Diffusion dans des conditions qui engagent sa responsabilité conformément aux dispositions de l'article L.122-15 du Code du travail et de concurrence déloyale ;

Considérant que l'appelante fournit des indications sérieuses sur la perte de chiffre d'affaires soufferte par elle ; que toutefois le préjudice réellement subi ne peut être équitablement ramené à la marge brute dont elle a été privée ; qu'eu égard à l'ensemble des éléments d'appréciation, soumis à la Cour, Education et Culture trouvera une réparation adéquate dans l'allocation de l'indemnité fixée au dispositif ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge d'Education et Culture les frais non taxables exposés dans l'instance ; que Média Presse Diffusion sera condamnée au paiement du montant justifié indiqué ci-dessous ;

Par ces motifs : Sur l'appel bien fondé de la société Education et Culture, Infirmant le jugement en toutes ses dispositions, Condamne la société Média Presse Diffusion à payer à Education et Culture 400 000 F de dommages-intérêts et 10 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Dit que Média Presse Diffusion supportera les dépens de première instance et d'appel ; Admet la SCP Varin-Petit, avoués, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.