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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 31 mars 1993, n° 32-93

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Super du Bocage (EURL), Berthelot (ès qual.), Bidan (ès qual.)

Défendeur :

CMER (SNC), Franchise Comptoirs Modernes (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

(faisant fonctions) : M. Roy

Conseillers :

M. Froment, Mme Lefèvre

Avoués :

Mes Leroyer-Barbarat, d'Aboville

Avocats :

SCP Oliv-Cabot-Delacourt, Me Chevalier.

T. com. Rennes, prés., du 23 déc. 1992

23 décembre 1992

Vu l'ordonnance du 23 décembre 1992, intervenue entre :

- la société Comptoirs Modernes Economiques de Rennes (SNC CMER), venant aux droits de la SA Société Economique de Rennes, cédant d'un fonds de commerce d'alimentation à Thorigné Fouillard, bailleur du local à usage commercial où est exploité le fonds et qui a été lié au concessionnaire par un contrat d'approvisionnement non exclusif,

- la société Franchise Comptoirs Modernes (SA FCM), franchiseur ayant accordé au cessionnaire de ce fonds l'exploitation de l'enseigne et de la charte Comod pour la commune de Thorigné Fouillard,

- la société Super du Bocage, EURL cessionnaire de ce fonds, preneur du bail commercial, liée par le contrat de franchise et faisant l'objet d'une procédure de redressement judiciaire,

- Me Bidan, administrateur judiciaire de cette EURL,

- Me Berthelot, représentant des créanciers,

Ordonnance par laquelle le juge des référés du Tribunal de commerce de Rennes, statuant sur les prétentions du bailleur et du franchiseur tendant, au titre d'un trouble manifestement illicite, siégeant dans l'inobservation d'une clause de non- concurrence au cas de résiliation de la franchise, à la condamnation du franchisé à retirer, sous astreinte, l'enseigne Timy et les signes distinctifs de cette enseigne sur le magasin par lui exploité précédemment sous l'enseigne Comod en exécution du contrat de franchise :

- a retenu sa compétence, discutée au profit de celle du juge commissaire de la procédure collective,

- a fait droit aux prétentions des demandeurs, sauf diminution du montant de l'astreinte de 5 000 F,

- a condamné l'EURL Super du Bocage et les organes de la procédure collective, ès qualités, au paiement d'une somme de 5 000 F pour frais non taxables.

Vu l'appel de cette ordonnance le 28 décembre 1992 et l'autorisation d'assigner à jour fixe, donnée le 6 janvier 1993 pour l'audience du 17 février 1993, à la suite d'une requête du 31 décembre 1992,

Vu la mise au rôle du 20 janvier 1993,

Vu les écritures d'appel par lesquelles l'EURL Super du Bocage, aux côtés de l'administrateur judiciaire et du représentant des créanciers, demande l'infirmation de l'ordonnance et une indemnité pour frais non taxables, pour les motifs suivants :

- le juge commissaire a seul compétence pour statuer sur les prétentions adverses, en application des articles 14 et 25 de la loi du 25 janvier 1985,

- la validité du contrat de franchise fait l'objet d'une instance en cours au fond, sa nullité pour vice de consentement étant prétendue, de sorte qu'il y aurait contestation sérieuse,

- la clause de non-concurrence figurant au contrat de franchise, sur la base de laquelle il est soutenu que l'exploitation d'une enseigne Timy cause un trouble manifestement illicite, serait une clause abusive qui doit être réputée nulle ou non écrite,

- la mesure sollicitée est inopportune, le dépôt de l'enseigne Timy entraînant nécessairement la liquidation judiciaire de l'entreprise.

Vu les écritures d'appel par lesquelles la SNC CMER et la SA Franchise Comptoirs Modernes :

- indiquent que le contrat d'approvisionnement a été résilié le 17 septembre 1991 et que cette résiliation a été reconnue valide par arrêt du 29 avril 1992,

- indiquent que l'administrateur judiciaire aurait opté pour la continuation du contrat de franchise,

- soutiennent que le juge des référés a pouvoir pour prononcer sur des mesures de remise en état afin de faire cesser un trouble manifestement illicite, nonobstant l'existence d'un contestation sérieuse, et que le juge commissaire de la procédure collective n'a pas compétence pour statuer sur l'exécution des contrats en cours continués, lesquels ne relèvent pas du droit des procédures collectives,

- soutiennent qu'il a été mis fin à la franchise par l'EURL, le 5 septembre 1992, sans respect des dispositions contractuelles,

- soutiennent qu'en application de l'article 35 de ce contrat le franchisé ne peut exploiter, pendant le contrat et après son expiration pendant une durée de 2 ans, une enseigne concurrente, que cette clause est valide dès lors qu'elle ne porte pas atteinte à la liberté du commerce et à la liberté du travail, pour être limitée dans l'espace et le temps, et que sa violation cause un trouble manifestement illicite,

- demandent la confirmation de l'ordonnance déférée et une indemnité pour frais non taxables.

Ouï les explications des conseils des parties à l'audience du 17 février 1993,

Considérant que l'EURL a fait l'objet d'une procédure collective le 19 mai 1992 ;

Considérant qu'il n'entre pas dans les attributions du juge commissaire d'une procédure collective de statuer sur la validité de la clause de non-concurrence figurant dans un contrat ou des conséquences de sa violation ; qu'il s'ensuit que la juridiction de droit commun de ce contrat est ratione materiae compétente au fond pour statuer sur cette validité et ses conséquences, d'où il suit que le juge des référés de cette juridiction peut connaître d'une demande tendant à ordonner, en raison d'un trouble manifestement illicite résultant de la violation de la clause, les mesures propres à faire cesser ce trouble ;

Considérant que, si seules les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, l'allégation par le franchiseur de la nullité du contrat de franchise pour vice du consentement et la saisine par lui de la juridiction du fond, le 24 octobre 1991, en vue de la " résolution " dudit contrat " pour " erreur sur la substance même des engagements " ne constituent pas des circonstances de nature à priver, de ce point de vue, le trouble, causé par la violation de la clause de non-concurrence stipulée au cas de résiliation de ce contrat, du caractère manifestement illicite permettant au juge des référés d'ordonner les mesures propres à faire cesser ledit trouble, dès lors que, s'agissant d'une obligation de ne pas faire, ces allégations ne sont pas étayées de pièces rendant manifeste le vice du consentement de la partie qui s'est obligée lorsqu'elle a souscrit, quatre années avant sa contestation, le contrat stipulant notamment cette obligation ;

Considérant, par contre, qu'on ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public, notamment l'ordre public social et économique ; que lorsque l'obligation contractuelle de ne pas faire touche à une liberté publique et n'est licite que sous des conditions de droit déterminées, le trouble, résultant de la violation de cette obligation, ne peut être manifestement illicite que si la licéité de l'obligation apparaît elle-même indiscutable ;

Considérant qu'il ressort des contrats versés à la procédure que le franchiseur n'est pas le fournisseur de produits destinés à la clientèle du fonds exploité par le franchisé et que ses prestations se bornent à permettre, dans le fonds que le franchisé a acquis de la SNC CMER, société dont le franchiseur est une filiale, l'exploitation de la clientèle attachée à l'enseigne Comod et à dispenser des services seulement liés à cette enseigne ;

Considérant la clause par laquelle au cas de résiliation du contrat, pour quelque cause que ce soit, le franchisé ne pourra utiliser directement ou indirectement, personnellement ou par personne interposée, en société ou autrement, durant une période égale à la moitié du nombre d'années restant à courir jusqu'à l'échéance normale du contrat, cette période ne pouvant être inférieure à deux ans, une enseigne de renommée nationale ou régionale, déposée ou non, et à ne pas offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à ces enseignes (marques propres), ceci dans un rayon de 5 km ayant pour centre le magasin Comod faisant l' "objet de la franchise ;

Considérant que cette clause, comme toute clause de non-concurrence, affecte le principe constitutionnel de liberté du commerce et de l'industrie et la libre concurrence qui en est le corollaire ; que la validité des clauses restreignant la concurrence est subordonnée à la triple condition qu'elles soient limitées dans l'espace, limitées dans le temps et en rapport avec l'objet du contrat dont elles ne peuvent être que l'accessoire protégeant les intérêts légitimes de celui qui en bénéficie;

qu'en l'espèce, si la clause de non-concurrence est effectivement limitée dans le temps et dans l'espace, force est de constater que le franchiseur, qui n'est pas un fournisseur, n'est pas, au cas de résiliation de la franchise, spécialement affecté par la concurrence du fonds de commerce, préexistant à la franchise, qui exploite, après résiliation, une enseigne distincte et n'exploite ainsi aucunement la clientèle attachée à l'enseigne de ce franchiseur, de sorte que la clause litigieuse procure un avantage anormal, en ce que cet avantage n'est pas lié à la protection de la clientèle attachée à l'enseigne et aux services du franchiseur ;

qu'elle n'apparaît pas ainsi être, avec l'évidence requise devant la juridiction de référé, une clause destinée à protéger les intérêts légitimes du franchiseur en rapport avec l'objet du contrat résilié, peu important à cet égard que la SNC CMER, qui s'était engagée par un contrat d'approvisionnement envers l'EURL, fasse partie du même groupe que le franchiseur, puisque ce fournisseur lui-même n'a pas interdit, à l'expiration de son contrat, la vente au détail des produits des diverses marques par lui fournis dans le fonds qu'il a cédé à l'EURL et qu'au demeurant, une telle clause serait, en raison notamment des multiples marques des produits qu'il fournit, manifestement contraire à la liberté du commerce et de l'industrie ;

qu'ainsi la licéité de la clause de non-concurrence susvisée n'étant pas manifeste, à tort l' ordonnance déférée a retenu que le trouble occasionné par l' exploitation par l'EURL d'une enseigne Timy, à la suite de la résiliation du contrat d'approvisionnement avec la SNC CMER et des péripéties qui s'en sont suivies, justifiait les mesures sollicitées ;

que si un certain nombre d'agencement et documents fournis par le franchiseur n'ont pas été restitués, comme il ressort d'un constat d'huissier du 25 novembre 1992, ce fait, qui n'est pas susceptible de créer une confusion dans l'esprit du public, n'autorise pas la dépose d'une enseigne et des signes distinctifs révélant au public que le magasin ne bénéficie plus de produits commercialisés par " Comod ", ce qui d'ailleurs était le cas depuis déjà plusieurs mois ;

qu'il y a lieu, en effet, d'observer que cette EURL n'étant plus approvisionnée en produits par la SNC CMER, à la suite de la résiliation du contrat d'approvisionnement, le franchiseur a, de ce fait, indiqué à l'administrateur judiciaire, dans une lettre du 5 août 1992, que si ses actions commerciales au profit du franchisé étaient " suspendues " c'était non seulement en raison du non-paiement des redevances de franchises mais également en raison de la résiliation du contrat d'approvisionnement, ce qui révèle que le contrat de franchise ne pouvait, quelle que soit sa validité, normalement se poursuivre sans approvisionnement en produits par la SNC CMER ;

qu'enfin, si l'administrateur judiciaire n'a pas, dans une lettre du 5 septembre 1992, indépendamment de l'action en justice en cours, respecté les formes d'une résiliation de la franchise, telle que prévue par l'article 31 b du contrat, force est de constater qu'à cette date, le contrat était déjà " suspendu " par le franchiseur de sorte que le fait que l'EURL ait déposé le 25 novembre 1992 l'enseigne Comod pour la remplacer par une enseigne Timy ne constitue pas, au détriment du franchiseur, qui, hormis l'enseigne, ne fournissait plus ses prestations, un trouble manifestement illicite ;

Considérant que l'équité commande que soit accordée à l'EURL Super du Bocage une indemnité de 5 000 F pour les frais non taxables qu'elle a exposés dans la procédure.

Par ces motifs, Infirme l'ordonnance déférée, Déboute la CNC Comptoirs Modernes Economiques de Rennes et la SA Franchise Comptoirs Modernes de leurs prétentions en référé, Condamne la SNC Comptoirs Modernes Economiques de Rennes à payer à l'EURL Super du Bocage la somme de 5 000 F pour les frais de procédure non taxables que cette dernière a exposés, Condamne la SNC Comptoirs Modernes Economiques de Rennes et la SA Franchise Comptoirs Modernes aux dépens d'appel avec, pour l'avoué adverse, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.