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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 29 mars 1993, n° 1758-92

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Guerlain (SA)

Défendeur :

Crearom (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gelle

Conseillers :

MM. Raffejeaud, Mericq

Avoué :

SCP Six-Guillaume

Avocat :

Me Lamoureux.

TGI Charleville-Mezières, du 5 juin 1992

5 juin 1992

La Cour d'appel est saisie d'un litige en matière de contrefaçon de marque et concurrence déloyale qui oppose la SA Guerlain à la SA Crearom.

FAITS ET PROCEDURE

Dans le cadre d'une saisie-contrefaçon diligentée le 23 janvier 1990 (à l'initiative de la SA Parfums Christian Dior) dans les locaux du magasin de parfumerie Marina Diffusion exploité à Charleville-Mezières, il a été démontré, par la saisie de divers documents, que ledit magasin Marina Diffusion commercialisait des produits de parfumerie en utilisant des procédés de vente les associant à des produits de marque connues du grand public.

Notamment, les pièces saisies faisaient mention de produits de la gamme " Lynne de R . " fabriqués et distribués par la SA Crearom, qui étaient associés par un tableau de concordance avec des grandes marques, dont le parfum de toilette Shamsi associé au parfum Shalimar - celui-ci fabriqué par la SA Guerlain.

La SA Guerlain bénéficiaire d'une marque régulièrement déposée à l'INPI pour ledit parfum Shalimar (dépôt du 22 septembre 1983 sous le n° 1254131, en renouvellement d'un dépôt antérieur), s'est jointe à une action collective en contrefaçon et concurrence déloyale engagée devant le Tribunal de grande instance de Charleville Mezières, ladite action formée à l'encontre d'une part des responsables du magasin Marina Diffusion, d'autre part des sociétés fabricantes des produits de contrefaçon - dont la SA Crearom ; celle-ci contestait pour sa part les faits qui lui étaient reprochés.

Aux termes d'un jugement rendu le 5 juin 1992, le Tribunal de grande instance de Charleville-Mezières, bien que faisant droit pour l'essentiel au principe des demandes formées devant lui, a mis hors de cause la SA Crearom.

La SA Guerlain a relevé appel de ce jugement le 20 juillet 1992.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Aux termes de conclusions déposées le 3 novembre 1992 (signifiées le 9 novembre 1992) et tendant à l'infirmation partielle, la SA Guerlain soutient que la SA Crearom, à l'origine des tableaux de concordance saisis au magasin Marina Diffusion, est elle-même responsable des actes de contrefaçon et concurrence déloyale tels que définis par le jugement dont appel ; elle sollicite en conséquence, à l'encontre de la SA Crearom, l'octroi de dommages-intérêts représentant le chiffre global de 300 000 F, outre prononcé d'une interdiction d'usage de la marque Shalimar, publication dans divers journaux et allocation d'une indemnité de 20 000 F HT en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Bien que régulièrement assignée le 9 novembre 1992 (par acte délivré en personne morale, avec dénonciation officielle des conclusions d'appel), la SA Crearom n'a pas constitué avoué.

L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 6 janvier 1993.

DISCUSSION

Dans ses conclusions de première instance, la SA Crearom niait essentiellement être l'auteur du tableau de concordance relatif à sa gamme de produits " Lynne de R. ", dans lequel apparaît le parfum de toilette Shamsi associé au parfum Shalimar de la SA Guerlain.

Pourtant, elle est la seule, tant par sa compétence professionnelle que par sa connaissance détaillée d'une part du marché des marques prestigieuses, d'autre part de l'ensemble des produits de sa gamme, à avoir pu établir le tableau litigieux - ou donner les indications détaillées propres à son établissement.

Les responsables du magasin Marina Diffusion n'avaient pas eux-mêmes la compétence suffisante pour établir de telles concordances, étant rappelé que leurs méthodes de vente utilisaient, en sus de la concordance aujourd'hui incriminée (Shamsi/Shalimar), de nombreuses autres concordances entre des parfums vendus à des prix modestes (dont ceux de la SA Crearom) et des parfums réputés (dont celui de la SA Guerlain) et que ce procédé, mis en œuvre à grande échelle, impliquait une connaissance globale du marché, qu'ils ne pouvaient avoir.

Ce tableau a d'ailleurs été rédigé sur un papier comportant les références de " Romant ", s'agissant du nom des dirigeants de la SA Crearom.

En outre, à l'huissier saisissant, les commerçants de Marina Diffusion ont déclaré qu'ils tenaient toutes les indications de concordance - y compris donc, même si cela n'a pas été clairement dit, celles relevant de la SA Crearom - de leurs fournisseurs.

Il se déduit suffisamment de l'ensemble des éléments de fait ci-dessus analysées que la SA Crearom a pris une part active dans l'élaboration du tableau de concordance relatif aux produits de sa gamme, et ainsi participé aux agissements reprochés aux responsables du magasin Marina Diffusion - et retenus contre eux par les premiers juges.

Ces agissements constituent tout d'abord une contrefaçon, en ce qu'ils reposent sur une utilisation non autorisée et à des fins commerciales d'une marque (Shalimar) protégée : les droits privatifs de la SA Guerlain sont directement affectés.

Par ailleurs, cette association systématique de produits de prix modestes avec des parfums réputés a permis à la SA Crearom de bénéficier de manière parasitaire du pouvoir attractif des marques prestigieuses et de réputation mondiale, dont la marque Shalimar; celle-ci a subi de son côté une évidente dépréciation du fait de ce système comparatif, peu flatteur pour elle.

Il y a lieu en conséquence de faire droit au principe de la demande formée par la SA Guerlain contre la SA Crearom, et d'infirmer sur ce point le jugement dont appel.

Cela posé, les pages du livre de caisse du magasin Marina Diffusion saisies le 23 janvier 1990 démontrent que ce magasin a effectivement acquis et revendu des parfums Shamsi, mais en quantité limitée : le préjudice réel éprouvé par la SA Guerlain sur le site de Charleville-Mezières n'a pu dès lors qu'être limité.

Sur ce point, le chiffre des dommages-intérêts accordé par les premiers juges à chacune des sociétés plaignantes (soit 20 000 F) n'a été contesté par aucune des parties concernées ; il constitue une référence sérieuse pour fixer, dans le cadre du présent appel, l'indemnisation globale due à la SA Guerlain pour les actes de contefaçon et de concurrence parasitaire dont elle a été victime de la part de la SA Crearom.

Par ailleurs, l'interdiction d'usage et la publication dans deux journaux (au choix de l'appelante) constituent des mesures propres à faire cesser le trouble éprouvé par la SA Guerlain.

Enfin, les éléments de la cause justifient que lui soit octroyée une indemnité de 5.000 F. en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile (indemnité non susceptible de TVA).

Par ces motifs, LA COUR, Dit recevable et fondé l'appel formé par la SA Guerlain ; Infirme mais seulement quant à ce qu'il a décidé sur l'action dirigée par la SA Guerlain à l'encontre de la SA Crearom, le jugement rendu le 5 juin 1992 par le tribunal de grande instance de Charleville-Mezières ; Et statuant à nouveau dans la mesure utile : Dit que la SA Crearom s'est rendue coupable au préjudice de la SA Guerlain d'actes de contrefaçon de la marque Shalimar et d'actes de concurrence parasitaire ; Condamne en conséquence la SA Crearom à payer à la SA Guerlain des dommages-intérêts représentant le chiffre global de 20 000 F (vingt mille francs) ; Interdit à la SA Crearom de faire usage, directement ou indirectement, sous quelque forme que ce soit, de marques appartenant à la SA Guerlain, et spécialement de la marque Shalimar, à peine de dommages-intérêts de 5.000 F par infraction constatée après la signification du présent arrêt ; Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt dans deux journaux aux choix de la SA Guerlain et aux frais de la SA Crearom le coût de chaque insertion ne pouvant excéder la somme de 10 000 F HT ; Rejette le surplus de la demande ; Condamne la SA Crearom à payer à la SA Guerlain une indemnité de 5 000 F (cinq mille francs) en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; La condamne aux dépens du premier degré et de l'instance d'appel, avec pour ces derniers faculté de recouvrement direct conformément à l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile au profit de la SCP Six-Guillaume, avoués.