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Décisions

Cass. com., 23 février 1993, n° 89-19.371

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Berry Distribution Centre Leclerc (SA)

Défendeur :

Parfums Givenchy (SA), Parfums Christian Dior (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Curti

Avocats :

SCP Tiffreau, Thouin-Palat, Mes Barbey, Capron.

T. com. Châteauroux, du 21 oct. 1987

21 octobre 1987

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la société Berry distribution Centre Leclerc (société Berry distribution) a commercialisé en 1985 dans son magasin situé au Blanc des produits de parfumerie fabriqués par la société des Parfums Givenchy (société Givenchy) et la société des Parfums Christian Dior (société Dior) ; que ces deux dernières entreprises invoquant l'existence de réseaux de distribution sélective créés par elles pour diffuser leurs produits ont demandé la condamnation de la société Berry distribution en paiement de dommages-intérêts pour faits de concurrence déloyale et de publicité mensongère ;

Sur le premier moyen de la société Berry distribution Centre Leclerc, pris en ses cinq branches : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que les contrats de distribution sélective conclus par les sociétés Givenchy et Dior étaient licites, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les fabricants avaient la charge de la preuve de la réalisation des conditions qu'implique la licéité du réseau de distribution sélective; que cette preuve doit être appréciée au regard de l'ensemble du réseau national et européen, dès lors qu'il est reproché au distributeur non agréé d'avoir revendu en France des produits importés d'un autre Etat membre; qu'en se limitant à un examen de quelques "contrats applicables en France", la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil; alors, d'autre part, qu'en omettant de répondre aux conclusions du distributeur non agréé faisant valoir qu'il convenait que "le juge, à qui les parfumeurs réclament la protection de leurs droits, exige en premier lieu la production de leurs contrats passés avec tous les distributeurs agréés tant en France que dans les pays de la Communauté européenne (...) un réseau de distribution sélective ne pouvant être protégé que s'il est total, sans faille et continu dans le temps (...) les juges ne pouvant se satisfaire de la production de quelques contrats locaux, ce d'autant plus que les parfumeurs ne revendiquent pas la protection d'un système de distribution local, mais d'un système général couvrant l'intégralité du marché, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; alors, également, qu'en omettant de répondre aux conclusions du distributeur non agréé faisant valoir la nullité des contrats pour indétermination d'un prix arbitrairement fixé par le fabricant, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; alors, par ailleurs, qu'en se bornant à déclarer que l'usage de prix conseillés ou indicatifs n'est pas illicite sans rechercher si les contrats ne comportaient pas une clause de résolution pour inexécution s'appliquant indistinctement à l'ensemble des obligations souscrites par le distributeur agréé et, notamment, à celle de respecter des prix conseillés ou indicatifs, ce qui impliquait alors une restitution de la véritable qualification de prix "imposés" conduisant à déclarer l'illicéité du réseau de distribution sélective, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 12 du nouveau Code de procédure civile et 1382 du Code civil; alors enfin, qu'au surplus, en omettant de procéder à la recherche susvisée après avoir relevé que les contrats (...) révèlent à cet égard un contrôle très poussé du fabricant sur les conditions de vente, les prix pratiqués et l'indication de prix conseillés, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 12 du du nouveau Code de procédure civile et 1382 du Code civil;

Mais attendu que la cour d'appel, après avoir rappelé à bon droit que c'était aux sociétés Givenchy et Dior d'apporter la preuve de la licéité de leur réseau de distribution sélective, a procédé, en se référant à la jurisprudence communautaire ainsi qu'aux règles de droit interne applicables en l'espèce à l'examen des différents éléments de preuve qui lui étaient soumis; qu'après avoir relevé le contenu des obligations réciproques des parties, telles qu'elles résultaient des contrats de distribution sélective conclus entre les sociétés et les commerçants faisant partie de leur réseau, l'arrêt constate que l'usage de prix conseillés ou indicatifs ne fait pas obstacle à ce que les prix restent libres, que les membres du réseau sont choisis en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif et qu'il résulte des éléments communiqués que le marché européen de la parfumerie de luxe est soumis à une vive concurrence excluant l'existence d'ententes entre les producteurs et distributeurs; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, répondant aux conclusions prétendument délaissées et, sans avoir à procéder à d'autres recherches, a pu décider que le réseau était licite; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;

Sur le second moyen de la société Berry distribution Centre Leclerc, pris en ses cinq branches : - Attendu qu'il est repproché à l'arrêt d'avoir condamné la société Berry Distribution pour avoir commis des actes de concurrence déloyale et alors, selon le pourvoi, d'une part, que la cassation qui sera prononcée sur la base du premier moyen dirigé contre le chef de dispositif ayant constaté la licéité des réseaux entraînera nécessairement par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif ayant retenu l'existence d'actes de publicité mensongère, qui en est indivisible; ce par application de l'article 625 du du nouveau Code de procédure civile; alors, d'autre part, qu'en retenant l'existence d'actes de publicité mensongère après avoir constaté qu'il s'agissait de produit authentiques revêtus des étiquettes apposées par le fabricant et que le distributeur non agréé n'avait pas modifiées, et alors que la publicité fausse de nature à induire en erreur ne peut résulter du seul fait d'une importation parallèle auprès d'un grossiste du marché européen, en vue d'une commercialisation sur le marché français dans des conditions étrangères à tout réseau de distribution sélective, la cour d'appel a violé l'article 44-1 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 dite "loi Royer" et l'article 1382 du Code civil; alors, de troisième part, qu'en retenant l'existence d'actes de publicité mensongère au motif qu'il appartenait aux distributeurs non agréés de faire disparaître la mention litigieuse, ce qui aurait cependant caractérisé un agissement délictueux de nature à engager la responsabilité de son auteur, la cour d'appel a violé l'article 44-1 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 dite "loi Royer" et l'article 1382 du Code civil, alors, de quatrième part, qu'en retenant l'existence d'actes de publicité mensongère au motif que la société Berry Distribution ne pouvait pas avoir acquis les produits litigieux auprès d'un distributeur non agréé par les fabricants en cause après avoir constaté que ces derniers n'établissent pas non plus que la société Berry Distribution s'est approvisionnée (...) auprès d'un distributeur agréé qui aurait violé son obligation de ne pas vendre, la cour d'appel s'est contredite et a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; et alors enfin, qu'en omettant de répondre aux conclusions du distributeur non agréé faisant valoir que les fabricants distribuent les mêmes produits dans les mêmes emballages dans des "free shops, chez des discounters (...) et des grossistes sur le plan européen (...) qui pour la plupart ne sont pas agréés, de sorte que la mention n'aurait d'effet de droit que selon le bon vouloir des parfumeurs auteurs de celle-ci", la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;

Mais attendu qu'après avoir constaté que sur les produits commercialisés par les sociétés Givenchy et Dior, figurait la mention que ceux-ci ne pouvaient être vendus que par des distributeurs agréés, l'arrêt en a justement déduit que la société Berry Distribution s'était rendue coupable d'agissements anti-concurrentiels, une telle mention étant de nature à faire croire à la clientèle que la société avait la qualité de distributeur agréé;qu'abstraction faite de tout autre motif, erroné mais surabondant, la cour d'appel qui ne s'est pas contredite et n'avait pas à répondre à des conclusions que sa decisions rendait inopérantes, a légalement justifié sa decision;que le moyen n'est fondé en aucune des ses branches;

Mais sur le troisième moyen du pourvoi de la société Dior, pris en son unique branche et sur le moyen unique du pourvoi incident de la société Givenchy, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que l'arrêt a encore décidé, pour rejeter le grief dit de la marque d'appel, que bien que le magasin ait eu seulement en stock les parfums que l'huissier avait achetés, la société Berry distribution avait la possibilité de s'approvisionner auprès d'une société qui lui avait procuré dans le passé des parfums Dior ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que la société Berry distribution n'avait en stock que ce que l'huissier chargé du constat avait acheté et sans s'assurer que cette entreprise pouvait immédiatement se réapprovisionner de façon licite en parfums Dior et Givenchy, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs: et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen et le second moyen, pris en ses deux branches de la société Dior et sur le pourvoi incident de la société Givenchy pris en ses première et troisième branches de son moyen unique : casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juillet 1989, entre les parties, par la Cour d'appel de Bourges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Limoges.