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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 18 février 1993, n° 91-9230

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

JL (SA)

Défendeur :

Pat et Line (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poullain

Conseillers :

M. Ancel, Mme Régniez

Avoués :

Mes Bernabe, Baufume

Avocats :

Mes Petrossian, Lalanne.

T. com. Paris, 17e ch., du 6 févr. 1991

6 février 1991

La société Pat et Line Sarl fabrique et commercialise des vêtements de prêt à porter. Invoquant des droits de propriété artistique sur un ensemble constitué par une jupe et un haut façon blouson " se caractérisant par une carrure épaulée avec deux plis d'aisance agrémentés de nombreux plis esthétiques, par des manches gigot resserrées sous les coudes et fermées par une patte munie d'un bouton, par une ceinture de couleur contrastée et à pans relativement larges monté sur la manche gauche ", ensemble crée selon elle en 1986, elle a fait pratiquer saisie contrefaçon les 1er et 3 juillet 1987 à l'encontre d'une société concurrente, la société J et L SA qui commercialise depuis juin 1987 des modèles qu'elle estime contrefaisants.

Les modèles commercialisés par J et L sous la référence Sophie, objet des saisies, et le modèle que Pat et Line lui oppose référencé 2002 ont été placés sous scellés.

En suite de ces opérations, Pat et Line a saisi le juge des référés afin d'obtenir la nomination d'un expert; par ordonnance du 22 septembre 1987, Monsieur Coppola a été désigné en qualité d'expert.

Puis, après dépôt des rapports, Pat et Line a assigné devant le tribunal de commerce de Paris, par acte du 1er février 1989, la société J et L sur le fondement des lois du 11 mars 1957 et du 12 mars 1952, aux fins de la voir condamnée à payer 150.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, 15.000 francs au titre des frais non taxables; elle sollicitait en outre le prononcé de mesures d'interdiction et 1'exécution provisoire.

Par jugement du 6 février 1991 du tribunal de commerce de Paris, la société JL a été déclarée coupable d'avoir créé et commercialisé un modèle d'ensemble de vêtements féminins contrefaisant un modèle créé, fabriqué et commercialisé par la société Pat et Line; elle a également été déclarée coupable de concurrence déloyale et condamnée à payer à la société Pat et Line la somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts et celle de 15.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC; l'exécution provisoire a été ordonnée à charge pour la société Pat et Line de fournir une caution égale à la somme de 100.000 francs;

La société JL a fait appel de cette décision; elle en demande l'infirmation en soutenant que l'antériorité du modèle litigieux invoqué par Pat et Line n'est pas établie; elle sollicite la condamnation de Pat et Line au paiement de la somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral subi et subsidiairement, sollicite une contre expertise avec mission de rechercher "l'antériorité du modèle litigieux"; elle demande enfin paiement de la somme de 250.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC.

En réplique, Pat et Line demande la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu 1'existence des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et en ce qu' il a ordonné une mesure d'interdiction et, formant appel incident, élève le montant de sa demande de dommages-intérêts à la somme de 150.000 francs; elle sollicite paiement d'une somme complémentaire de 20.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC.

Sur quoi, la Cour, qui pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, se réfère au jugement critiqué et aux écritures d'appel ;

Considérant que la société J et L ne conteste pas l'originalité du modèle qui lui est opposé, bien qu'il résulte d'un document versé par elle aux débats qu'il serait très proche d'un modèle créé par Cardin; qu'elle ne conteste pas davantage que le modèle Pat et Line et ses modèles placés sous scellés sont identiques; qu'elle soutient néanmoins que Pat et Line qui affirme avoir créé le modèle en février 1986 et l'avoir commercialisé courant 1986, ne prouve pas l'antériorité de ses droits par rapport à ceux dont elle dispose sur le modèle Sophie créé en juin 1987;

Considérant que pour justifier de l'antériorité de ses droits, Pat et Line se fonde sur les déclarations d'une de ses stylistes salariées, Cécile Benainous qui a affirmé devant l'expert désigné par le juge des référés avoir créé le modèle référencé 2002 en janvier/février 1986 et cédé ses droits à son employeur, déclaration confirmée par une attestation dactylographiée, puis une seconde fois avoir créé le modèle placé sous scellé n°1 en février 1986, modèle référencé 2026 et non pas 2002 ; que, selon Pat et Line, les divergences sur les références n'ont aucune importance puisque Cécile Benainous affirme néanmoins avoir créé ce modèle bien avant celui de J et L.

Considérant, toutefois, que les variations dans les déclarations ne rendent pas crédibles le témoignage de cette salariée, ce d'autant plus que par une autre attestation manuscrite en date du 15 septembre 1988, c'est à dire se plaçant entre ses deux auditions par l'expert, la styliste dont d'ailleurs les dates exactes de travail chez Pat et Line ne sont pas portées à la connaissance de la Cour, a déclaré qu'elle avait signé la première attestation sans que le gérant de Pat et Line lui ait laissé le temps d'en relire le contenu;

Considérant de plus que ce témoignage n'est corroboré par aucun document dont résulterait la divulgation du modèle Pat et Line référencé 2026 avant la commercialisation du modèle litigieux de J et L; que Pat et Line qu~ a produit des factures prouvant la commercialisation d'un modèle référencé 2002 au cours de l'année 1986 ne donne aucune précision sur les raisons des différences de références invoquées par Cécile Benainous ni sur les modèles correspondant à ces deux références;

Considérant qu'en outre l'expertise n'a pas permis de vérifier si le modèle 2002 correspondait au modèle invoqué dans la procédure et opposé à J et L; qu'en effet, les sociétés françaises, seules recherchées par l'expert, qui' avaient commandé de tels modèles ont soit disparu, soit changé de personnel de telle sorte qu'il n'a pas été possible de vérifier si le modèle commercialisé en 1986 par Pat et Line était celui invoqué lors de la saisie;

Considérant, en conséquence, que la société Pat et Line qui se prétend titulaire de droits sur un modèle antérieurement à la création du modèle Sophie par J et L sans prouver la date de sa création, ne démontre pas la réalité de ses droits; que la décision des premiers juges sera donc infirmée en toutes ses dispositions; qu'en effet,les actes de concurrence déloyale allégués se fondent sur la diffusion de modèles argués de contrefaçon dans un même quartier et à des prix inférieurs, demande qui n a plus de fondement dès lors que la contrefaçon n'est pas établie;

Considérant qu'il ne saurait être fait droit à la demande en dommages-intérêts formée par J et L pour réparer le préjudice moral causé par cette procédure; qu'en effet, Pat et Line a pu se tromper de bonne foi sur la portée de ses droits, sans chercher a nuire à la réputation de la société J et L;

Considérant que l'équité commande d'allouer à J et L la somme de 12.000 francs au titre des frais non taxables de première instance et d'appel; qu'en outre, la société Pat et Line supportera les dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs : Infirme la décision du 6 février 1991 en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Déboute la société Pat et Line de l'ensemble de ses demandes et la société J et L de sa demande de dommages-intérêts, Condamne la société Pat et Line à payer à la société J et L la somme de 12.000 francs au titre des frais non taxables, Condamne la société Pat et Line aux entiers dépens de première instance et d'appel, Admet pour ces derniers la SCP d'avoués Bernabe Ricard au bénéfice de l'article 699 du NCPC.