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Décisions

CA Orléans, ch. soc., 11 février 1993, n° 1218-92

ORLÉANS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lemoussu

Défendeur :

Framatome Tour Fiat Cédex (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

(faisant fonction) : M. Zanghellini

Conseillers :

Mme Auber, M. Ben Soussan

Avocats :

Mes Joudan Barry, Aguera.

Cons. prud'h. Montargis, du 21 mai 1992

21 mai 1992

Par un arrêt en date du 1er octobre 1992 notre Cour saisie d'un contredit formé par Christian Lemoussu à l'encontre d'un jugement du Conseil des Prud'hommes de Montargis du 21 mai 1992 qui s'était déclaré incompétent pour connaître du litige l'opposant à la SA Framatome, a dit que le Conseil des Prud'hommes de Montargis était bien compétent et a fixé l'affaire à l'audience du 2 novembre 1992 pour le dépôt des conclusions sur le fond du demandeur Christian Lemoussu, et celle du 2 décembre 1992 pour le dépôt de celle de Framatome et à l'audience du 14 janvier 1993 pour plaidoiries ;

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Christian Lemoussu, dans de longues conclusions auxquelles il y a lieu de se reporter pour plus amples précisions rappelle qu'il a travaillé pour la SA Framatome du 1er septembre 1977 au 31 mars 1991, qu'il exerçait en dernier lieu les fonctions d'ingénieur position III A à Gien en qualité de délégué régional des sites nucléaires ; qu'il a donné sa démission le 8 décembre 1990 et a exécuté son préavis jusqu'au 31 mars 1991, que son contrat de travail contenant en son article 10 une clause de non-concurrence il a perçu d'avril à juin 1981 des indemnités compensatrices relatives à la clause de non-concurrence malgré quelques erreurs de calcul mais qu'ensuite Framatome refusa de remplir cette obligation en arguant d'une violation de la clause de non-concurrence ;

Christian Lemoussu admet qu'il a été nommé président directeur général d'une SA " Arco Atlantique " mais soutient :

- à titre principal la nullité de la clause de non-concurrence car appliquée comme l'entend Framatome elle le réduirait au chômage ;

Par ailleurs selon lui, Framatome ne démontre pas en quoi la SA Arco serait une entreprise concurrente, et également quels actes de concurrence auraient été commis ;

- à titre secondaire il se prévaut de ce que Framatome a réglé de manière incomplète les indemnités d'avril, mai et juin 1991 pour demander à la Cour de juger que " Framatome s'est elle-même placé hors du champs d'application de la clause de non-concurrence et qu'elle ne saurait se prévaloir des autres dispositions de la clause ;

Christian Lemoussu demande que Framatome soit condamné à lui verser :

- 354 450 F au titre de la perte de rémunération de Président d'Arco ;

- 2 732 112,50 F au titre de la reconversion impossible correspondant à ses compétences et qualifications ou subsidiairement une mesure d'expertise sur ce point ;

- qu'une mesure d'expertise soit prononcée aux fins de déterminer l'incidence pécuniaire de sa mise au chômage anticipée sur le calcul de ses droits à la retraite ;

- que Framatome soit également condamnée à lui verser :

* 200 000 F en réparation de son préjudice moral ;

* 83 620 F TTC au titre des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

et enfin que l'arrêt à intervenir soit publié aux frais de Framatome dans les deux journaux suivants " L'usine Nouvelle " et le " Figaro " (pages économiques du lundi) ;

LA SA Framatome fait valoir :

La clause de non-concurrence :

Qu'en droit elle est déclarée valide par la jurisprudence dans la mesure où elle ne porte pas atteinte à la liberté du travail en raison de son étendue dans le temps et dans l'espace, compte tenu de la nature de l'activité du salarié, qu'en l'espèce Christian Lemoussu en raison de sa position hiérarchique et de ses responsabilités avait accepté cette clause conforme aux dispositions de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la Métallurgie du 13 mars 1972 et parfaitement établi au regard de la jurisprudence ; elle fait observer qu'en raison de ses diplômes, de son cursus professionnel diversifié au secteur de la géophysique et du pétrole il lui était possible de retrouver un emploi dans ses secteurs ;

Que par ailleurs elle a rempli ses obligations jusqu'à ce qu'elle découvre la nouvelle activité concurrente de son ancien salarié ;

La violation de la clause de non-concurrence :

Framatome qui rappelle quelles étaient les fonctions de Christian Lemoussu en qualité de délégué régional insiste sur sa qualité de chargé des relations commerciales avec EDF plus particulièrement, or différentes pièces produites, un article de presse et une lettre d'EDF à Arco établissent qu'à l'évidence Christian Lemoussu a violé la clause de non-concurrence ;

L'intimée conclut donc au débouté de l'appelant de l'ensemble de ses demandes ;

Sur quoi, LA COUR,

- Sur la validité de la clause de non-concurrence :

Attendu que le contrat de travail signé par les parties le 19 août 1977 contenait en son article 10 une clause de non-concurrence ainsi libellée " en cas de cessation du présent contrat pour une cause quelconque, le contractant s'interdit à dater de cette cessation d'entrer au service d'une entreprise concurrente ou de s'intéresser directement ou indirectement à tout fabrication et à tout commerce pouvant concerner les produits fabriqués par la société Framatome ;

Attendu que l'alinéa suivant précisait que la durée de cette interdiction de concurrence était d'un an renouvelable une fois ;

Attendu que pour apprécier la validité de cette clause il y a lieu de déterminer si au regard des critères posés par la jurisprudence elle ne porte pas atteinte à la liberté du travail en raison de son étendue dans le temps et dans l'espace compte tenu de la nature de l'activité du salarié (Cass., 8 mai 1976 et 4 mars 1970) et si elle a bien été édictée pour protéger les intérêts légitimes de l'employeur (Cass. soc. 25 sept. 1991) ;

Attendu que Framatome opère dans un secteur particulièrement sensible, l'industrie nucléaire qui impose un strict respect des règles de sécurité et confidentialité; que Christian Lemoussu étant un cadre de haut niveau, responsable pour la région des relations commerciales en ce qui concerne la maintenance, Framatome était bien fondée à insérer dans son contrat de travail une clause de non-concurrence limitée dans le temps et qui n'était pas de nature à lui interdire de retrouver un emploi dans la mesure où Christian Lemoussu en raison de ses études (école spéciale de mécanique et d'électricité, cours de mathématiques spéciales à l'Ecole polytechnique de l'Université de Lausanne, Ecole Supérieure du Pétrole) et son expérience professionnelle diversifiée (compagnie générale de géophysique de 1966 à 1976) dispose d'une gamme étendue de choix, qu'il ne saurait donc sérieusement prétendre que le respect de cette clause lui interdisait de retrouver un emploi;

Qu'il s'ensuit de l'ensemble de ces observations que la clause contractuelle contestée est bien valide ;

Sur la violation de la clause de non-concurrence :

Attendu que Framatome démontre par la production de divers documents de présentation de la société, qu'outre la construction de centrales nucléaires principale activité connue du grand public, elle exerce également dans le secteur de la mécanique, de l'informatique, de la connectique et de la maintenance, nucléaire ou industrielle ;

Attendu que l'extrait du registre du commerce et des sociétés de Nantes concernant la SA Arco révèle que l'activité de cette société est " la tuyauterie, la chaudronnerie mécanique d'ensembles industriels et des équipements associés " (conception études réalisation maintenance et contrôle) qu'à l'évidence cette activité recoupe plusieurs des services proposés par Framatome à sa clientèle;

Qu'enfin il est constant qu'EDF est l'un des principaux clients de Framatome ; que Christian Lemoussu qui était chargé des relations commerciales pour la région de la Loire n'était pas sans l'ignorer ;

Attendu qu'il ressort plus particulièrement de deux pièces produites par Framatome (nos 21 et 26) qu'Arco était entrée en relation d'affaires avec EDF puisqu'elle recevait même des convocations et procès-verbaux de réunion du comité spécial d'hygiène et de sécurité du centre de production nucléaire de Dampierre en Burly ;

Que par ailleurs, Christian Lemoussu présentait à la presse locale, la SA Arco comme étant spécialisée dans la prestation en matière de maintenance industrielle nucléaire et n'hésitait pas également à faire état de son expérience professionnelle de 13 années au sein de Framatome; qu'il est ainsi démontré qu'en dirigeant une société exerçant la maintenance industrielle et en entrant en relation d'affaires avec EDF, principal client de Framatome, Christian Lemoussu a violé la clause de non-concurrence, insérée à l'article 10 de son contrat de travail;

Qu'en conséquence il n'est pas fondé à solliciter la réparation des préjudices qu'il prétend subir du fait de Framatome ;

Que par contre Framatome lui ayant notifié le renouvellement de la clause de non-concurrence pour une durée supplémentaire d'un an du 1er avril 1992 au 31 mars 1993 et Christian Lemoussu ayant rempli cette obligation il est bien fondé à obtenir à titre d'indemnité compensatrice pour cette année la somme de 132 252,72 F ;

Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :

Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'il a pu exposer pour la défense de ses intérêts ;

Par ces motifs : la cour, statuant publiquement, contradictoirement, ensuite de son arrêt du 1er octobre 1992 et faisant application des dispositions de l'article 89 du Nouveau Code de Procédure Civile ; déclare valide la clause de non-concurrence insérée au contrat de travail de Christian Lemoussu ; dit que Christian Lemoussu a violé cette clause en travaillant au service de la SA Arco du 2 avril 1991 au 18 novembre 1991 et le déboute de sa demande en versement de l'indemnité compensatrice pour la période du 1er avril 1991 au 30 mars 1992 ; condamne la SA Framatome à lui verser les indemnités compensatrices de la clause de non-concurrence échus depuis le renouvellement de la clause soit la période du 1er avril 1992 au 31 mars 1993 : 11 021,06 F x 12 = 132 252,72 F nets ; dit que cette somme produira intérêts au taux légal à dater de chacune des échéances la composant ; déboute les parties de toutes autres demandes ; fais masse des dépens et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties ; et le présent arrêt a été signé par M. Zanghellini faisant fonctions de Président et Mme Tissier, Greffier.