CA Nîmes, 2e ch., 21 janvier 1993, n° 91-1591
NÎMES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Avignonnaise d'Impression sur Tissus Les Olivades (SARL)
Défendeur :
Hello (SARL), Nimtex (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Martin
Conseillers :
MM. Siband, Filhouse
Avoués :
Mes d'Everlange, Fontaine, SCP Pomies-Richaud-Astraud
Avocats :
SCP Bout-Carot-Balay, SCP Gontard-Llurens-Toulouse, SCP Illouz-Barrau.
Faits et procédure :
Le 13 juillet 1989 Maîtres Arsac et Chavary, huissiers de justice en Avignon, agissant à la requête de la Société Avignonnaise d'Impression sur Tissus ou SAIT Les Olivades, se présentaient dans le magasin de la Société Hello en Avignon et y procédaient, après achat, à la saisie de cinq coupons de tissus désignés par leur requérante comme étant la copie au moins partielle de ses propres tissus, et plus spécialement comme reproduisant son dessin " Bonis 78 " déposé le 8 mars 1985 à l'INPI.
Les huissiers susnommés consignaient les déclarations d'un responsable de la Société Hello selon lesquelles les tissus mis en vente dans son magasin et saisis lui avaient été fournis par la SARL Nimtex de Nîmes, et déposaient le 17 juillet 1989 les cinq coupons au greffe du tribunal de grande instance d'Avignon.
Le 6 novembre 1989 la Société Les Olivades faisait pareillement saisir au siège de la société Nimtex onze coupons de tissus paraissant reproduire son dessin " Bonis ".
Saisi par la société Les Olivades d'une action en contrefaçon contre la Société Hello, le tribunal de commerce jugeait le 8 mars 1991 après examen comparatif des échantillons prétendument contrefaits et contrefaisants que si leur aspect global révélait une parenté dans l'inspiration, les seconds n'étaient pas la copie servile des premiers mais trouvaient leur origine, comme eux, dans les " indiennes " appartenant aujourd'hui au domaine public.
Le tribunal a donc débouté la société Les Olivades de sa demande et a déclaré sans objet l'appel en garantie formé subsidiairement par la société Hello contre la société Nimtex.
La demanderesse a été condamnée à payer 20 000 F de dommages et intérêts à la défenderesse, 50 000 F de dommages et intérêts à l'appelée en garantie et 5 000 F (art. 700 du Nouveau code de procédure civile) à chacune d'elles.
Appel de ce jugement a été relevé le 7 mai 1991 par la société Les Olivades contre les deux autres parties.
L'appelante qui invoque à la fois la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, la loi du 14 mars 1909 et la notion de concurrence déloyale, conclut en ces termes :
- infirmer purement et simplement le jugement entrepris ;
- dire et juger que le dessin litigieux saisi entre les mains de la Société Hello, produit par Nimtex, constitue une contrefaçon du dessin Bonis n° 78 appartenant à la Société Sait ;
- dire et juger que la production de ce dessin dans une gamme de coloris identique à celle de Sait constitue en outre un acte de concurrence déloyale ;
- condamner solidairement la société Hello et la Société Nimtex à réparer le préjudice subi par Sait ;
- les condamner provisionnellement à lui payer 50 000 F de dommages et intérêts ;
- ordonner une expertise à l'effet de rechercher les quantités exactes de tissu produits par Nimtex et de déterminer par tout moyen quel préjudice a été subi par la Société Sait ;
- ordonner la confiscation des stocks de tissu contrefaisant et leur remise à Sait aux fins de destruction, aux frais des sociétés défenderesses ;
- ordonner la publicité de l'arrêt à intervenir dans trois quotidiens ou magazines nationaux ou régionaux au choix de Sait et aux frais de la société défenderesse ;
- condamner solidairement la Société Hello et la Société Nimtex à payer à Sait la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Pour écarter la motivation des premiers juges et faire triompher sa thèse, l'appelante soutient :
- que la création de dessins nouveaux à partir de motifs anciens, entièrement remaniés dans leur forme pour les adapter à la mode contemporaine, dans la mesure où il y a bien œuvre de création, doivent bénéficier naturellement de la protection instaurée par les textes susvisés ;
- que la ressemblance des dessins est manifeste et crée un risque de confusion,
- qu'outre la contrefaçon existe une pratique de concurrence déloyale qui consiste à avoir présenté les tissus imprimés dans la même gamme de coloris que la sienne.
Les intimées concluent à une confirmation de la décision entreprise sauf à la Cour, demandent-elles, d'élever les indemnités mises à la charge de leur adversaire et de faire une nouvelle application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Subsidiairement, la Société Hello entend être garantie par la Société Nimtex.
Ces deux sociétés, après avoir souligné, la première, l'origine déjà ancienne des " indiennes ", la seconde, qu'elle s'était inspirée de modèles communiqués par le Musée de l'impression sur étoffe de Mulhouse, modèles remontant les uns à 1800, les autres à 1920, dénient tout caractère de nouveauté et d'originalité aux dessins de leur adversaire.
Motifs :
Attendu que toute création de caractère ornemental se traduisant par un dessin peut être protégée au choix du créateur, alternativement ou cumulativement, par la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique et par la loi du 14 juillet 1909 sur les dessins et modèles ;
Attendu que la loi du 14 juillet 1909 suppose pour être valablement invoquée, outre un dépôt à l'INPI, condition remplie par l'appelante, la nouveauté de la création ;
Attendu que cette seconde exigence n'aboutit pas à exclure, la protection légale les dessins inspirés d'un élément du domaine public pourvu que la transposition s'accompagne d'une part d'originalité ;
Attendu qu'il ressort des éléments du dossier, notamment d'un arrêt de la Cour d'Appel d'Aix en Provence du 22 février 1985 auquel les parties font référence, que les dessins de la Société Les Olivades s'inspirent de ceux des indiennes, apparues en France à la fin du XVIe siècle et fabriquées dans ce même pays au cours des deux siècles suivants, que leur fabrication par des artisans provençaux a pris fin avec celle des tissus industriels et que seule la famille Demery qui se tarque de la propriété de 40000 planches utilisées autrefois pour l'impression manuelle a perpétué la tradition , que deux sociétés constituées sous les noms de " Souleïado " ou de " Oulivado " par des membres de cette famille ont continué avec succès une fabrication fondée sur cette tradition, puis se sont opposées ;
Attendu que l'arrêt de la Cour d'Appel d'Aix en Provence qui a vidé leur litige n'a certes pas autorité de la chose jugée dans l'actuel procès, mais renferme des constatations qui ont valeur de présomptions et qui méritent d'être rappelées ;
Attendu que l'on peut y lire en effet que les deux sociétés (Souleïado et Oulivado) " produisent des indiennes issues d'une même tradition ", que la comparaison de leurs productions impose " une impression d'étroite et constant parenté : même style, même registre de dessins et de couleurs " et que leur " fidélité au patrimoine commun les conduit à exécuter des variations sur des thèmes qui sont incontestablement dans le domaine public... " ;
Attendu que la Cour d'Appel de Nîmes trouve aujourd'hui dans le dossier de la Société Nimtex des éléments qui confortent l'analyse ci-dessus, à savoir des dessins remontant à 1800 et 1820 et appartenant aux collections du Musée de l'impression sur étoffes de Mulhouse, dessins sur certains desquels apparaissent les caractéristiques du modèle prétendument contrefait (blasons à trois feuilles reproduits en quinconce sur un fond de couleur unie) ;
Attendu que les dessins prétendument contrefaits ne comportent aucune originalité par rapport à ceux de ces collections ;
Attendu qu'on y retrouve en particulier la même recherche de style, le même contraste entre l'emblème de trois branches et son support (une teinte unie) et la répétition de l'emblème en quinconce ;
Attendu que l'absence de nouveauté et d'originalité par rapport aux dessin tombés dans le domaine public exclut l'application de la loi du 14 juillet 1909 ;
Attendu que l'absence d'originalité exclut également celle du 11 mars 1957 ;
Attendu que la concurrence déloyale suppose pour être valablement invoquée un risque de confusion entre la production de chaque concurrent, risque qu'entretient l'un pour détournée la clientèle de l'autre;
Attendu que les couleurs servant de fond aux dessins de l'appelante et des intimées (blanc, bleu, rouge, jaune) sont des couleurs de base, sans originalité, dont l'usage est exclusif d'une recherche de confusion tant leur emploi est répandu;
Attendu que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont débouté la société Les Olivades de ses demandes ;
Attendu qu'ils ont fait en outre une juste appréciation du préjudice des intimées, que l'appelante s'abstient même subsidiairement de discuter, et une juste application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, texte que la Cour n'estime pas en équité devoir faire jouer une seconde fois puisque les intimées n'ont pas été obligées de faire face à des moyens nouveaux ;
Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ; En la forme, reçoit l'appel ; Au fond, confirme la décision entreprise ; Condamne l'appelante aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct, dans les conditions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile, au profit de Maître Fontaine et de la SCP d'avoués Tardieu.