CA Paris, 1re ch. A, 6 janvier 1993, n° 92-3297
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
RSCG & associés (SA), Société Nouvelle de Presse et de Communication (SARL), Association des Centres Distributeurs Edouard Leclerc, Levallois- Distribution (SA)
Défendeur :
Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France, Union Nationale des pharmacies de France, Pharmacie du Roule (SNC), Pharmacie Matignon Drugstore Publicis (SNC), Delpuech, Syndicat national des Pharmacies d'Officine "Engagement Pharmaciens", Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Premier président :
Mme Ezratty
Présidents de chambre :
Mme Hannoun, M. Canivet, M. Guérin
Avocat général :
Mme Benas
Conseiller :
M. Boval
Avoués :
Me Huyghe, SCP Lagourgue, SCP Bommart & Forster, SCP Regnier, SCP Fanet, SCP Menar-Scelle, SCP Garrabos-Alizard, SCP Narrat & Peytavi
Avocats :
Mes Vaillant, Levy, Amadio, Cavalie, Mahiu, Vatier, Fallourd, Bembaron.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, les sociétés Levallois Distribution, et RSCG et Associés, ainsi que par la Société Nouvelle de Presse et de Communication (SNPC), éditrice du journal Libération, d'un jugement rendu à leur encontre le 8 janvier 1992, par le Tribunal de Grande Instance de Paris, dans un litige les opposant au Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens, à la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France, à l'Union Nationale des Pharmaciens de France, aux SNC Pharmacie du Roule et Pharmacie Matignon Drugstore Publicis ainsi qu'à Madame Delpuech, et enfin au Syndicat Nationale des Pharmaciens d'Officine " Engagement Pharmaciens ".
Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :
Les faits
Le 18 mars 1991, l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc a fait paraître dans les quotidiens Libération et le Figaro une double page de publicité conçue par la société RSCG et associés.
Cette publicité comporte :
- en page de gauche une question : " Quelle est la différence entre une pharmacie traditionnelle et Leclerc.. ?
- et en page de droite, une réponde : " Le prix du shampooing ".
Elle est illustrée par deux dessins exécutés par Wolinski.
En page de gauche, l'un de ces dessins met en scène un pharmacien à l'aspect courroucé déclarant : " Dix ans d'études, çà se paie bande de malades " avec une affichette suspendue au dessus du comptoir " Shampooing Hegor Keratine 39 F ", et, au dessous, la mention : " le prix le plus élevé relevé dans notre zone de chalandise, le 8 mars 1991 ". Au bas de cette page, enfin sont mentionnés les noms et adresses de trois pharmacies exploitées à Paris, avec pour chacune d'elle le prix du shampooing, variant de 35,30 F à 39 F.
Sur la page de droite, l'autre dessin représente un vendeur souriant qui s'apprête à déposer dans le caddy d'une cliente satisfaite, un flacon du même shampooing, avec en arrière plan une cartouche faisant ressortir sur un fond noir la mention : " Shampooing Hegor Kératine, 22,50 F " et en dessous l'indication : " Prix relevé au Centre Edouard Leclerc Levallois 98 à 102 rue Jean Jaurès à Levallois Perret ".
Au bas de cette seconde page, entourant le sigle et le nom E. Leclerc présentés dans un graphisme qui les mettent particulièrement en évidence, figure le texte suivant :
" En mai 1991, la publicité comparative sera certainement autorisée en France. Elle peut être le meilleur comme le pire, selon son usage. Comparer les prix, ça fait baisser les prix. A condition de comparer ce qui peut être comparé. Le pharmacien traditionnel s'abrite derrière une déontologie qui lui interdit de vendre moins cher et d'en faire la publicité. Aussi propose-t-il ses produits parapharmaceutiques plus chers que Leclerc. Faut-il demain en faire la première victime de la pub comparative et a-t-il seulement les moyens de répliquer?. Il est temps de légiférer. Oui à la concurrence ! Non au dénigrement ! ".
" La publicité comparative, ça vaut le coup d'y réfléchir. ! "
La procédure de première instance
S'estimant victimes de dénigrement, plusieurs organisations représentatives de la profession de pharmacien, et les exploitants des trois officines mentionnées dans la publicité ont saisi le tribunal de Grande Instance de Paris, réclamant des dommages intérêts, des indemnités pour leurs frais irrépétibles et, pour certains d'entre eux, des mesures de publication.
Quatre instances distinctes ont été introduites, opposant respectivement :
1/ Le Conseil National de l'Ordre des pharmaciens à l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, et aux sociétés RSCG est associés, Le Figaro et SNPC,
2/ L'Union Nationale des Pharmaciens de France, les SNC Pharmacie du Roule et Pharmacie Matignon Drugstore Publicis, et Mme Delpuech à l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, et aux sociétés RSCG et associés, le Figaro et SNPC,
3/ la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France à l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, et au Groupement d'achats Edouard E. Leclerc (Galec),
4/ le Syndicat National des Pharmaciens d'Officine " Engagement Pharmaciens " à l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc.
Il convient d'ajouter que les parties qui avaient fait assigner la société Le Figaro se sont par la suite désistées de leurs demandes à l'encontre de celle-ci, et que la société RSCG et associés est intervenue volontairement dans les instances auxquelles elle n'avait pas été attraite.
La SNPC s'est bornée à conclure à l'irrecevabilité au motif que les faits poursuivis auraient constitué une diffamation prescrite par application de l'article 65 de la Loi du 29 juillet 1881. Les autres défendeurs, contestant la qualité des syndicats ou de certains d'entre eux pour agir, concomitamment avec l'ordre des pharmaciens, pour la défense des intérêts collectifs de la profession, ont en outre conclu au débouté en soutenant que la publicité incriminée, s'inscrivant dans la polémique ayant précédé le vote de la loi sur la publicité comparative, était destinée non pas à dénigrer les pharmaciens mais à alerter l'opinion sur les dangers d'une publicité comparative mal maîtrisée, et qu'il s'agissait par ailleurs d'une publicité comparative licite, comparant les prix pratiqués pour les mêmes produits par la grande distribution et les officines pharmaceutiques.
Le jugement déféré
Par son jugement du 8 janvier 1992, le tribunal, ordonnant la jonction des procédures ci-dessus mentionnées, a constaté l'extinction des instances introduites à l'encontre de la société Le Figaro, et mis hors de cause le Galec. Il a rejeté toutes les exceptions d'irrecevabilité, et retenu que la publicité incriminée, ayant un caractère déloyal et outrancier, constituait un dénigrement de la profession de pharmacien et des trois pharmaciens nommément citées. Il a, en ordonnant la publication d'un encart aux frais des défendeurs dans le journal Libération, condamné :
- l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, la société RSCG et associés et la SNPC au paiement in solidum de la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts et de 8 000 F à titre d'indemnité pour ses frais irrépétibles au Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens,
- l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, les sociétés Levallois Distribution et RSCG et associés au paiement in solidum des sommes de 1 F à titre de dommages intérêts et de 8 000 F par application de l'article 700 du NCPC à la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France,
- l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, les sociétés RSCG et associés et SNPC au paiement in solidum à titre de dommages intérêts des sommes de 100 000 F à l'Union National des Pharmaciens de France, et de 50 000 F, respectivement à la SNC Pharmacie du Roule, à Mme Delpuech et à la SNC Pharmacie Matignon Drugstore Publicis, ainsi que d'indemnités de 8 000 F pour leurs frais irrépétibles à chacun de ces demandeurs.
- l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, et la société RSCG et associés au paiement in solidum de la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts et de celle de 8 000 F pour ses frais non taxables de procédure au Syndicat National des Pharmaciens d'Officine " Engagement Pharmaciens ".
L'appel
L'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, RSCG et associés, la SNCP et Levallois Distribution, appelants principaux, poursuivent tous la réformation intégrale du jugement.
L'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc sollicite que les trois syndicats professionnels auxquels elle se trouve opposée soient déclarés irrecevables faute d'intérêt pour agir, et qu'il soit dit qu'aucune faute ne peut être retenue à sa charge du fait de la publication des publicités litigieuses. Elle demande que chacun de ses adversaires soit condamné à lui verser une indemnité de 25 000 F pour ses frais irrépétibles.
Levallois Distribution prie la Cour de déclarer irrecevable en son action la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France, et de dire en tout cas que la publicité litigieuse n'était pas illicite. Elle demande que la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France soit condamnée à lui payer 10 000 F à titre d'indemnité pour ses frais non taxables.
RSCG et associés réclame que la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France et le Syndicat National des Pharmaciens d'Officine " Engagement Pharmaciens " soient déclarés irrecevables en leurs actions faute d'intérêt pour agir, et que soit constatée la licéité de la publicité litigieuse. Elle sollicite en conséquence le rejet de toutes les demandes formées à son encontre et demande que chacun de ses adversaires soit condamné à lui payer la somme de 20 000 F pour ses frais hors dépens.
La SNCP prie la Cour de constater qu'il existe une identité entre les fautes alléguées par ses adversaires et les fautes constitutives des délits de diffamation pou d'injures publiques, et qu'aucun acte interruptif de la prescription de trois mois prévue à l'article 65 de la Loi du 29 juillet 1881 n'étant intervenu, il y a lieu de déclarer cette prescription acquise à son profit, en conséquence de dire les intimés irrecevables en leur action et de les condamner chacun à lui payer la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
L'Union Nationale des Pharmaciens de France, les SNC Pharmacie du Roule et Pharmacie Matignon et Mme Françoise Delpuech, concluent à la confirmation du jugement en son principe, mais à sa réformation sur le montant des dommages intérêts que l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, RSCG et associés et la SNPC ont été condamnés in solidum à leur payer. Réitérant leurs demandes initiales, ils réclament les sommes de 500 000 F pour l'Union et de 300 000 F pour chaque exploitant d'officine. Ils sollicitent qu'il soit fait mention de l'arrêt à intervenir dans l'encart défini au dispositif du jugement et que sa publication soit ordonnée non seulement dans Libération mais également dans un autre journal de leur choix. Ils demandent enfin que leurs adversaires soient condamnés in solidum à verser à chacun d'eux une indemnité de 20 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France conclut à la confirmation du jugement du chef de la mesure de publication et en ce qu'il a condamné l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, la société RSCG et associés et la société Levallois Distribution à lui payer 1 F à titre de dommages intérêts. Elle forme appel incident sur le montant des frais irrépétibles et sollicite que ses adversaires soient condamnés à lui payer à ce titre une indemnité de 50 000 F.
Le Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens et le Syndicat National des Pharmacaiens d'Officine " Engagement Pharmaciens " concluent à la confirmation et réclament que leurs adversaires respectifs soient condamnés à lui payer les sommes de 50 000 F et 20 000 F à titre d'indemnités pour leurs frais hors dépens.
Sur quoi, LA COUR :
Sur la recevabilité
Considérant qu'à l'exception de la SNPC, les appelants contestent tous la recevabilité de l'action ou des demandes des syndicats professionnels de pharmaciens d'officine, ou de certains d'entre eux, en faisant valoir qu'aucun de ceux-ci ne peut représenter un intérêt collectif qui ne serait pas déjà pleinement et totalement représenté par le Conseil National de l'Ordre des pharmaciens, ni justifier d'un préjudice collectif distinct de celui dont le Conseil National de l'Ordre réclame réparation ;
Mais considérant que cette argumentation, réfutée par les syndicats respectivement concernés, a été à juste titre écartée par le Tribunal ;
Considérant en effet, que l'article L. 538 du Code de la Santé Publique qui dispose que le Conseil de l'Ordre " peut " exercer devant toutes les juridictions tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant préjudice à l'intérêt collectif de la profession pharmaceutique, ne confère audit Conseil qu'une simple faculté dont il n'est nullement précisé qu'elle aurait un caractère exclusif, et ferait obstacle à l'application de l'article L. 411-11 du Code du Travail qui habilite les syndicats professionnels semblables à ceux qui sont partie à la présente instance à ester en justice relativement aux mêmes faits ;
Considérant que dès lors que le Conseil de l'Ordre n'a pas un droit exclusif à représenter l'intérêt collectif de la profession, rien ne permet de retenir que les indemnités qu'il réclame ou obtient à ce titre épuiseraient nécessairement le préjudice collectif de celle-ci, si bien que les syndicats professionnels seraient sans intérêt pour former des demandes aux mêmes fins ;
Considérant que le jugement entrepris mérite en conséquence confirmation en ce qu'il a repoussé les exceptions d'irrecevabilité tirées du défaut de qualité ou d'intérêt opposées aux syndicats parties à l'instance ;
Considérant que la SNPC soulève pour sa part un autre moyen d'irrecevabilité en faisant valoir que les actions introduites à son encontre, fondées sur des fautes susceptibles selon elle d'être constitutives des délits de diffamation ou d'injures publiques, seraient prescrites par application des dispositions de l'article 65 de la Loi du 29 juillet 1881 ;
Mais considérant que le tribunal a justement estimé qu'en l'absence d'imputation de faits précis, la publication incriminée ne pouvait être qualifiée de diffamatoire ; que la SNPC, qui invoque pour la première fois devant la Cour la qualification d'injures, ne peut pas non plus de toute manière, être suivie de ce chef ; qu'il importe en effet de relever que le principe de la liberté d'opinion dont la société excipe à cet égard est clairement étranger aux enjeux du présent litige qui a trait, en réalité, à l'appréciation d'éventuels abus de la liberté de concurrence ; qu'il n'apparaît pas, que dans ce contexte, les écrits et dessins querellés, sans doute péjoratifs, puissent être assimilés à des invectives, ou auraient eu, dans l'esprit de ceux qui les ont conçus et publiés, un caractère outrageant ou méprisant ; que la qualification d'injures ne saurait donc davantage être retenue que celle de diffamation ; que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a repoussé l'exception d'irrecevabilité tirée par la SNPC de l'application de la loi sur la presse ;
Sur le fond
Considérant que reprenant sur le fond l'argumentation qu'ils avaient déjà soutenue en première instance, les appelants, autres que la SNPC, prétendent que la publicité incriminée n'aurait pas eu de caractère dénigrant, et qu'il se serait agi en tout état de cause d'une publicité comparative licite au regard des règles prétoriennes applicables en cette matière à l'époque des faits ;
Considérant que, sur le premier point, critiquant le jugement en ce qu'il a retenu que la publicité litigieuse était constitutive de dénigrement, ces appelants font plus particulièrement grief au Tribunal :
- d'avoir méconnu la portée réelle pourtant claire et sans ambiguïté de leur message, qui était exprimée dans le commentaire final indiquant : " Il est temps de légiférer ! Oui à la concurrence ! Non au dénigrement ! ",
- d'avoir, pour ce faire, dissocié de manière arbitraire cet argumentaire final du reste de l'annonce, qui était seulement destiné à faire prendre conscience au public des dangers de la publicité comparative, en présentant un exemple concret au trait volontairement forcé et au contenu délibérément polémique,
- d'avoir considéré que les dessins et les mentions qu'ils comportent avaient un caractère déloyal et outrancier, constitutif d'un dénigrement direct de la profession de pharmacien, alors que l'humour, l'exagérant et l'outrance sont parfaitement admis en matière de publicité, dans la mesure où comme en l'espèce, le consommateur n'est pas induit en erreur ou le trompé,
- d'avoir ignoré que le caractère provocateur de leur annonce, recherché pour susciter un utile débat public, a pleinement atteint cet objectif puisqu'il a été immédiatement suivi d'articles de presse et d'émissions de télévision, sur le thème de la publicité comparative, qui ont conduit le parlement à réglementer cette pratique de manière beaucoup plus stricte que ne l'avait prévu initialement le gouvernement :
Mais considérant que cette argumentation ne résiste pas à l'examen ; que la sincérité des intentions alléguées par les promoteurs de la campagne litigieuse, contestés par les intimés, est sujette à question, dès lors que l'on constate que les exemples concrets visant à illustrer les dangers de la publicité comparative, bien loin d'être neutres, ou à plus forte raison contraires aux intérêts commerciaux immédiats de l'association des centres Leclerc, mettaient avantageusement en valeur la marque de ces centres, ainsi que leur prix et prestations, au détriment de concurrents ; que si la recherche avouée de provocation a effectivement suscité un retentissant débat public, il est constant qu'avant d'enrichir la réflexion des parlementaires, celui-ci a donné l'occasion aux dirigeants du réseau commercial initiateur de la campagne, et de l'agence de publicité, de multiplier les interventions à la télévision et dans la presse écrite, servant ainsi leur notoriété, et les faisant bénéficier d'un effet d'amplification gratuite considérable de leurs investissements publicitaires ; qu'enfin, les considérations développées par les intéressés sur la licéité des publicités hyperboliques ou outrancières dès lors qu'elles n'induisent pas le consommateur en erreur, sont dénuées de pertinence dans le présent litige, puisqu'il ne leur est pas reproché une publicité mensongère, mais dénigrante et discrédictoire ;
Considérant que de ce point de vue, et de toute façon, l'analyse des intentions des appelants n'est pas déterminante puisque le dénigrement est sanctionné en tant que quasi-délit civil sans que soit requise la recherche d'un élément intentionnel, et que, par ailleurs, ainsi que le mentionne exactement la décision déférée, les intentions alléguées par ses auteurs ne sauraient être considérées comme un fait justificatif du dénigrement commis en l'espèce;
Considérant que le tribunal a parfaitement relevé les traits de la publicité litigieuse qui lui confèrent un caractère dénigrant ; qu'à partir de l'affirmation selon laquelle la différence entre " les pharmacies traditionnelles " et " Leclerc " serait " le prix du shampooing ", la mise en évidence des prix plus élevés pratiqués dans les pharmacies désignées, accompagnée de dessins qui présentent sous un jour très défavorable le pharmacien, dans une attitude agressive et courroucée, traitant ses clients de " bandes de malades ", et expliquant ses prix plus élevés par la durée de ses études alors que l'affichette apposée dans l'officine comporte une grossière double faute d'orthographe, puisque le mot shampooing est écrit " champoing ", a clairement pour résultat de porter atteinte à l'image et aux intérêts collectifs de la profession de pharmacien, de même qu'aux intérêts des pharmaciens personnellement mis en cause, et nommément désignés sans leur accord ; que le parallèle établi avec le centre Leclerc, figuré par l'image d'un vendeur avenant qui dépose dans le caddy d'une cliente visiblement très satisfaite un shampooing vendu beaucoup moins cher, renforce l'effet du dénigrement par la mise en valeur simultanée de son initiateur ; que cette publicité manifestement contraire aux usages loyaux du commerce constitue, ainsi que l'a justement décidé le Tribunal, un dénigrement caractérisé ;
Considérant qu'il s'ensuit que le moyen tiré d'une prétendue licéité de la publicité litigieuse est dénué de pertinence ;
Considérant que le jugement mérite, dans ces conditions, pleine confirmation en ce qu'il a retenu la responsabilité des appelants et condamné ceux-ci à réparer les préjudices subis par leurs adversaires respectifs ; qu'eu égard aux caractères des fautes commises et à la nature des atteintes ci-dessus mentionnées portées aux intérêts des intimés, les mesures réparatrices ordonnées par les premiers juges apparaissent appropriées ; que les intimés qui ont interjeté appel incident du chef des mesures réparatrices ne font pas la démonstration de l'insuffisance des dommages-intérêts qui leur ont été alloués et seront donc déboutés de leurs appels, la mesure de publication prescrite par les premiers juges apparaissant également devoir être suffisante dès lors qu'il sera précisé que l'encart figurant au dispositif du jugement devra faire mention du présent arrêt ;
Considérant qu'il serait inéquitable que les intimées supportent certains frais irrépétibles qu'ils ont dû exposer pour faire valoir leurs droits en appel ; qu'il y a lieu de leur allouer de ce chef les indemnités supplémentaires fixées au dispositif ci-après ;
Par ces motifs : Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Y ajoutant : Dit que l'encart dont la publication a été ordonnée par le jugement entrepris devra faire mention du présent arrêt ; Condamne à titre d'indemnités supplémentaires par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :
- l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, la société RSCG et associés et la SNPC au paiement in solidum de la somme de 12 000 F au Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens,
- l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, les sociétés Levallois Distribution et RSCG et la SNPC au paiement in solidum des sommes de 12 000 F à la fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France,
- l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, la société RSCG et associés et la SNPC au paiement in solidum des sommes de 3 000 F respectivement à l'Union Nationale des Pharmaciens de France, à la SNC Pharmacie du Roule, à Mme Delpuech et à la SNC Pharmacie Matignon Drugstore Publicis,
- l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, et la société RSCG et associés au paiement in solidum de la somme de 12 000 F au Syndicat National des Pharmaciens d'Officine " Engagement Pharmaciens " ;
Condamne in solidum l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, les sociétés Levallois Distribution, RSCG et associés et SNPC aux dépens d'appel ; Admet les SCP Menard Scelle Millet, Narrat Peytavi, Garrabos Alizard, et Fanet, titulaires d'officines d'avoués, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.