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Décisions

CA Riom, 3e ch. civ. et com., 5 février 1992, n° 377-91

RIOM

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société d'Ameublement Montluçonnaise

Défendeur :

Conforama (SA), Dif Meubles (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Alzuyeta

Conseillers :

MM. Simon, Despierres

Avoués :

Mes Tixier, Sagorin-Gutton

Avocats :

Mes Casanova, Dauphin.

TGI Montluçon, du 14 déc. 1990

14 décembre 1990

Attendu que le 5 septembre 1985 la société Conforama a déposé à l'institut national de la propriété industrielle la marque suivante : Confo le pays où la vie est moins chère " ;

Attendu que courant juin et juillet 1990 la société Montluçonnaise d'Ameublement a fait paraître dans le journal 03 des publicités mentionnant " le magasin de Montluçon où la vie est encore moins chère " ainsi que " le magasin de Montluçon où la vie est toujours moins chère " et indiquant en bas de page " Meuble ménager " but " ; " Choisissez But " ;

Attendu qu'arguant de la reproduction de marque et de faits de concurrence déloyale la société Conforama et la société des Meubles Dif ont, par acte du 7 août 1990, assigné la société Montluçonnaise d'Ameublement en cessation des atteintes portées à leurs droits et en réparation de leur préjudice ;

Attendu que par jugement du 14 décembre 1990 le tribunal de grande instance a fait droit à ces quêtes, interdit à la société Montluçonnaise d'Ameublement d'utiliser ses slogans publicitaires, ordonné la destruction des documents publicitaires et commerciaux, condamné la société défenderesse à divers dommages intérêts, ordonné la publication de la décision, et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Attendu que dans des conclusions déposées le 16 mai 1991 la société Montluçonnaise d'Ameublement appelante , sollicite l'infirmation du jugement qui l'a condamnée aux trois motifs que :

1° - il n'y aurait pas eu imitation de marque, mais lancement d'une campagne publicitaire limitée dans l'espace, dans le temps, et dans " des feuillets commerciaux et publicitaires que personne ne lit " (sic) ;

2° - le slogan " Confo " le pays où la vie est la moins chère " serait d'une banalité telle qu'il ne mériterait aucune protection dans la phrase elle-même, le mot Confo (ou Conforama) étant seul constitutif de la marque protégée ;

3° - l'absence de faute de sa part et, surtout l'absence du moindre préjudice établi, excluraient la notion même de concurrence déloyale ;

Attendu que l'appelante estime en outre que l'obligation où elle se trouve de se défendre lui cause un préjudice ; qu'elle qualifie l'action de Conforama de " hâtive et abusive " ; qu'elle demande 50 000 F de dommages-intérêts de ce chef ;

Attendu que l'appelante souhaite enfin 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC ;

Attendu que dans des conclusions déposées le 20 septembre 1991, les sociétés Conforama et Dif estiment que les motifs du Tribunal seraient pertinents, que " Confo le pays où la vie est moins chère " serait une " marque qui jouit d'une très grande notoriété " , que la loi du 31 décembre 1964 étend aux slogans la protection des marques, que celui-ci serait d'une totale originalité, que l'appelante l'aurait contrefait en se présentant au public comme " le magasin de Montluçon où la vie est encore (toujours) moins chère " , qu'en effet, selon elles, l'élément distinctif et essentiel du slogan contrefaisant est l'expression " où la vie est moins chère " ;

Attendu, sur la concurrence déloyale, que les intimées pensent que les agissements de la société Montluçonnaise d'Ameublement s'analysent comme une faute ; qu'elles écrivent que " le dénigrement d'un concurrent direct, consistant en l'adjonction des adverbes encore et toujours, afin de laisser croire au public que les prix pratiqués par elle sont inférieurs aux prix intimées par " Conforama " , serait une faute ; que les intimées ne s'expliquent pas sur le préjudice qu'elles auraient subi ;

Attendu que Conforama et Dif demandent à la Cour de confirmer le jugement dans son principe, mais de le modifier en augmentant les dommages-intérêts alloués à Conforama ; qu'elles souhaitent la publication de l'arrêt dans cinq journaux ; qu'elles voudraient chacune 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Sur quoi, LA COUR :

Attendu que suivre la thèse des sociétés Conforama et Dif reviendrait à admettre qu'un quidam (individu ou société) puisse se décerner à lui-même le titre protégé en justice de commerçant le meilleur marché de France ; que cela serait contraire à la liberté du commerce, à l'égalité des citoyens devant la loi, et - en l'absence de toute enquête économique - à la vérité démontrée, seule admissible devant une juridiction ;

Attendu qu'il est en vain de ratiociner sur le mot " pays " dans le slogan incriminé ; que le peuple français qui était, selon Voltaire, le peuple le plus intelligent de la terre, n'en est tout de même pas deux siècles plus tard à s'imaginer qu'en pénétrant dans un magasin Conforama, il va visiter le Guatemala, le Zimbabwe, ou la Mongolie Extérieure ; qu'il sait très bien qu'il entre chez un commerçant, et qu'on va lui faire miroiter mille et un appâts, contre son argent ;

Attendu que ce mercantilisme a trouvé son poète dans le tribunal de Montluçon, qui voit dans un magasin Conforama un Eden perdu, formidable et ensoleillé ; que, certes, Verlaine a déjà fait sangloter d'extase des jets d'eau (" Clair de Lune " ) ; mais que la Cour opine qu'acheter une armoire de salle de bains, même à crédit, ne relève pas de la poésie, mais de l'argent ;

Attendu, d'ailleurs, que les intimées situent le débat sur le terrain du droit de la marque, loi du 31 décembre 1964 ; qu'il suffit donc à la Cour de rechercher si les deux éléments constitutifs d'une marque, au sens de ce texte, sont réunis ; que l'article 1er de la loi les définit :

- d'une part, il faut qu'il s'agisse de noms, dénominations, mots, formes, caractéristiques, étiquettes, emblèmes, reliefs, chiffres, devises ;

- d'autre part, il faut que les précédents critères " servent à distinguer les produits, objets, ou services d'une entreprise " ;

Attendu, en l'espèce, que le premier élément existe, mais point le second ;

Attendu qu'en effet, qu'on est en présence d'un slogan, ou d'une devise ;

Mais attendu que ses termes généraux et abstraits ne servent à " distinguer " ni un produit, ni un objet, ni un service ;

Attendu en conséquence, que faute de marque il n'y a point contrefaçon ;

Attendu que la Cour observe que tolérer que les mots " la vie moins chère " puissent le cas échéant protéger tout ce qui vient indistinctement des sociétés Conforama et Dif, sans " distinction " de produit, objet ou service, reviendrait à consacrer en droit la situation étonnante dénoncée dans le premier de ses motifs ci-dessus ; que, sous couvert de droit de la marque, cela reviendrait à officialiser qu'il existe en France un négoce où tout est moins cher ;

Attendu, par ailleurs, qu'il n'y a pas non plus concurrence déloyale; que pas le moindre préjudice n'est démontré, ni même avancé ; que, surtout, la société Montluçonnaise d'Ameublement n'a commis aucune faute; qu'elle n'a fait que jouir de la faculté de tout commerçant de se dire " encore moins cher " que les autres, à condition, comme c'est le cas ici, de ne dénigrer distinctement ni une personne ni un produit;

Attendu que, cependant, l'action de Conforama et de Dif n'a aucun caractère abusif et vexatoire ; qu'il n'y a donc pas lieu à dommages intérêts en faveur de l'appelante ;

Attendu, enfin, que 5 000 F seront équitables sur la base de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs: La Cour statuant publiquement et contradictoirement. Infirme le jugement. Déboute les sociétés Conforama et Dif de leur action ; les condamne à payer à la société Montluçonnaise d'Ameublement la somme de 5 000 F (cinq mille francs) en vertu de l'article 700 du NCPC. Déboute la société Montluçonnaise d'Ameublement de sa demande de dommages-intérêts ; Condamne les sociétés Conforama et Dif aux dépens et autorise Maître Tixier avoué à recouvrer directement ceux dont il a pu faire l'avance.