CA Paris, 14e ch. A, 20 décembre 1989, n° 89-20907
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Hôtel Résidence Villa Saint Honoré (SARL)
Défendeur :
Résidence Saint Honoré (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Remuzon
Conseillers :
Mmes Edin, Collomp
Avoués :
SCP Gaultier Kistner, SCP Barrier Monin
Avocats :
Mes Adam, Jeannin.
LA COUR : - La SARL Hôtel Résidence Villa Saint Honoré a interjeté appel à jour fixe d'une ordonnance de référé rendue le 17 octobre 1989 par le délégataire du Président du Tribunal de Grande Instance de Paris qui a :
- ordonné aux Sociétés Hôtel Résidence Villa Saint Honoré et Hôtel Golden Tulip Saint Honoré de supprimer ou faire supprimer dans les trente jours de la signification de l'ordonnance et sous astreinte définitive de 15.000 francs par jour de retard et par infraction constatée en l'enseigne " Hôtel Résidence Villa Saint Honoré " de la façade de leur immeuble, 218 rue du Faubourg Saint Honoré ainsi que de tous documents commerciaux, publicités ou autres comportant la mention de cette enseigne,
La Société Les Nouvelles Résidences de France a déposé à l'Institut National de Propriété Industrielle INPI la marque " Hôtel Résidence Villa Saint Honoré " le 21 mars 1988 dans les classes 35, 36, 37 et 42 et notamment pour pratiquer des services d'hôtellerie et utilise cette marque dénominatrice comme enseigne de l'Hôtel qu'elle exploite 218 rue du Faubourg Saint Honoré à Paris.
Faisant valoir qu'elle exploitait elle-même au 219 du Faubourg Saint Honoré et donc à toute proximité, un établissement de même nature à l'enseigne " Résidence Saint Honoré " la Société Résidence Saint Honoré a saisi le Juge des référés du Tribunal de Grande instance de Paris pour qu'il interdise sous astreinte aux Sociétés Hôtel Résidence Villa Saint Honoré et Hôtel Golden Tulip Saint Honoré d'utiliser la dénomination Hôtel Résidence Villa Saint Honoré.
C'est dans ces conditions que fut rendue l'ordonnance déférée.
La SARL Hôtel Résidence Villa Saint Honoré fait valoir :
I°) que l'élément essentiel de la marque litigieuse est " Villa Saint Honoré " alors que l'élément essentiel de l'enseigne de la Société défenderesse est " Résidence Saint Honoré ",
2°) que la dénomination " Hôtel Résidence Saint Honoré " est banale pour un hôtel, non susceptible de ce fait, même, d'être protégée,
3°) qu'à supposer même qu'il n'en soit pas ainsi, les termes banaux et génériques dont elle est constituée ne peuvent faire l'objet d'une appropriation ni d'un usage exclusif non plus que la désignation du lieu géographique où s'exerce l'activité qu'elle désigne,
4°) qu'il n'existe en l'espèce aucun risque de confusion possible entre les deux établissements, ceux-ci n'étant pas " du même genre ", ne pratiquant pas les mêmes prix et n'offrant pas les mêmes services et l'Hôtel Résidence Villa Saint Honoré se différenciant par son appartenance à la Chaîne Hôtelière Internationale " Golden Tulip " dont l'enseigne figure sur l'auvent de l'Hôtel en caractères cinq fois plus gros que la marque Hôtel Résidence Villa Saint Honoré.
Elle en déduit que les prétentions de la SARL Hôtel Résidence Saint Honoré se heurtent à une contestation sérieuse et demande d'infirmer l'ordonnance déférée, de dire que le Juge des référés était " incompétent " pour statuer et de l'autoriser à conserver l'usage de sa marque.
A titre subsidiaire, elle sollicite à être autorisée à conserver cette même marque modifiée en ces termes " Hôtel et résidence Villa Saint Honoré ".
La SARL Hôtel Résidence Saint Honoré réplique que l'enseigne qu'elle utilise depuis plusieurs années est composée de termes donc chacun est important en raison des indications qu'il comporte quant à la nature de l'activité pratiquée et à sa situation géographique et dont l'ensemble forme un tout original et protégeable.
Elle ajoute qu'à son sens l'introduction du mot Villa dépourvue en soi de toute portée n'est pas de nature à éviter dans l'esprit des clients et des partenaires de l'entreprise une confusion inévitable et voulue et qu'à cet égard il importe peu que les deux établissements soient de catégories administratives différentes dès lors qu'ils sont l'un et l'autre d'excellente qualité et que les différences de tarifs ne sont constatées par le client qu'en fin de séjour.
Elle conclut à la confirmation de l'ordonnance déférée et sollicite l'octroi d'une somme de 15.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Sur ce,
LA COUR :
Considérant que si, contrairement à ce que prétend l'appelante l'existence d'une contestation sérieuse ne fait pas obstacle à la mise en œuvre des pouvoirs que le Juge des référés tient de l'article 809 du Nouveau code de Procédure Civile, il appartient par contre à ce dernier de vérifier que le trouble invoqué a bien un caractère manifestement illicite ;
Considérant que cette illicéité dépend en l'espèce du point de savoir si la marque revendiquée par la Société Les Nouvelles Résidences de France était bien disponible au moment de son dépôt et si son usage est de nature à créer la confusion dans l'esprit des partenaires commerciaux des deux établissements concernés ;
Considérant qu'il est constant que le droit de l'enseigne naît du premier usageet qu'il rend indisponible comme marque, le signe utilisé de sorte que les tiers ne peuvent ni l'utiliser ni effectuer un dépôt à ce titre;
Qu'il est non moins constant que la SARL Hôtel Résidence Saint Honoré ait utilisé publiquement et de manière continue son enseigne " Hôtel Résidence Saint Honoré " avant le dépôt de la marque litigieuse ;
Considérant toutefois que pour être valable sur le plan juridique et susceptible de production,l'enseigne doit comme la marque être suffisamment distinctive et donc non générique ni nécessaire.
Considérant que la dénomination dont la SARL Hôtel Résidence Saint Honoré revendique la propriété est constituée d'une part des termes d'Hôtel et Résidence, dont l'originalité n'apparaît pas évidente pour l'activité considérée, d'autre part du nom de la rue où est située le fonds, insusceptible en principe comme toutes les désignations géographiques d'appropriation exclusive ;
Considérant certes quel'association de termes génériques ou banaux peut constituer une dénomination distinctive susceptible à ce titre d'être l'objet d'un droit privatif ;
Mais considérant que le Juge des référés dont les pouvoirs sont limités n'est pas habilité à statuer sur cette question dont l'appréciation relève exclusivement du Juge du fond ;
Considérant par ailleurs que la marque déposée par la Société Les Nouvelles Résidences De France n'est pas complètement identique à celle de son concurrent et voisin dont elle diffère par l'introduction du mot " Villa ";
Que la dénomination " Hôtel Résidence Villa Saint Honoré " est de surcroît associée au sigle " Golden Tulip " qui figure de manière principale et en gros caractères sur l'auvent de l'établissement;
Considérant qu'en l'état de ces constatations, le risque de confusion pour la clientèle et les fournisseurs n'est ni certain ni évident;
Considérant qu'il découle de ce qui précède que l'illicéité du trouble invoqué par la SARL Hôtel Résidence Saint Honoré n'apparaît pas quant à présent manifeste ;
Qu'il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance déférée et de dire n'y avoir lieu à référé sur la demande de la SARL Hôtel Résidence Villa Saint Honoré tendant à faire interdire sous astreinte à la Société Hôtel Résidence Villa Saint Honoré l'usage de sa marque ;
Considérant que la SARL Hôtel Résidence Saint Honoré qui sera condamnée aux dépens ne peut prétendre au bénéfice de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile ;
Par ces motifs : Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée, Statuant à nouveau et y ajoutant : Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de la SARL Hôtel Résidence Saint Honoré tendant à faire interdire sous astreinte à la société Hôtel Résidence Villa Saint Honoré l'usage de la marque, déposée le 21 mars 1988. Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile en faveur de la SARL Hôtel Résidence Saint Honoré. Condamne la SARL Hôtel Résidence Saint Honoré aux dépens de première instance et d'appel. Accorde à la SCP Gaultier Kistner, Avoué, le droit prévu à l'article 699 du Code susvisé.