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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 30 novembre 1989, n° 87-011476

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Barbara (SA)

Défendeur :

Bourgain, Bednawski (ès qual.), Coderch (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnefont

Conseillers :

MM. Gouge, Poullain

Avoués :

Me Meurisse, SCP Bommart-Forster

Avocats :

Mes Mollet-Vieville, Greffe

TGI Paris, 3e ch., 2e sect., du 30 avr. …

30 avril 1987

Dans des circonstances relatées par les premiers juges, Mme Bourgain avait attrait la société Barbara devant le Tribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir la déchéance partielle des droits de la société Barbara sur la marque Barbara. Barbara avait répliqué par une demande reconventionnelle basée sur la contrefaçon de marque, l'usurpation de dénomination sociale et de nom commercial et la faute. Par son jugement du 30 avril 1987 qui a exposé les moyens et les prétentions des parties, la 3ème chambre, 2e section de ce Tribunal a dit Mme Bourgain responsable ; elle a prononcé la déchéance des droits de Barbara sur la marque Barbara déposée le 2 mars 1978 dans les classes 11, 14, 16, 18, 20, 27, 34 et 42 avec effet au 8 novembre 1984 ; elle a retenu la contrefaçon résultant du dépôt et de l'utilisation par Mme Bourgain des signes Barbara Of Cannes, Barbara et Chez Barbara et elle a fait défense à Mme Bourgain, sous astreinte, d'utiliser le signe Barbara pour désigner des vêtements et des tissus et l'a contrainte, sous astreinte, à renoncer à ses droits pour les vêtements et tissus. Elle l'a condamnée à payer à Barbara une indemnité de 20 000 F, les parties étant déboutées de leurs autres prétentions et conservant les dépens.

Barbara a relevé appel par déclaration du 30 juin 1987 et saisi la Cour le 10 juillet 1987.

Mme Bourgain étant en redressement judiciaire, elle a conclu avec le représentant de ses créanciers et le commissaire à l'exécution du plan de redressement au débouté de l'appel, à la confirmation sur le principe de la déchéance et par voie d'appel incident au prononcé de la déchéance dans la classe 24, à la réformation des autres dispositions et à la condamnation de Barbara à lui payer une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et les dépens.

Barbara a conclu à l'infirmation, à l'irrecevabilité et au mal fondé de la demande en déchéance, à l'existence d'actes de contrefaçon de marque, d'usurpation de dénomination sociale et de nom commercial et de fautes, à la radiation " des marques Barbara Of Cannes ", au prononcé d'interdictions d'usage, sous astreinte, de confiscation des supports aux fins de destruction, à la publication de l'arrêt, au paiement d'une indemnité de 100 000 F, d'une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et des dépens de première instance et d'appel, toutes les condamnations portant sur tous faits jusqu'au prononcé de l'arrêt. Il a été répondu à ces conclusions.

1 - Sur la recevabilité de la demande en déchéance :

Considérant que pour contester cette recevabilité Barbara soutient qu'en raison de ses droits antérieurs sur sa dénomination et son nom commercial, le simple dépôt de la marque Barbara Of Cannes ne justifie pas cette recevabilité ; que d'autre part l'exploitation de cette marque est réduite et limitée dans son domaine et qu'on ne sait pas si elle se poursuit ; que Mme Bourgain n'aurait donc pas d'intérêt à agir ; que Mme Bourgain répond qu'elle a intérêt à agir dans toutes les classes visées dans ses dépôts et qu'elle poursuit son activité avec un plan d'apurement du passif ;

Considérant, ceci étant exposé, qu'en raison du conflit portant sur les marques Mme Bourgain a intérêt à agir d'autant que le nom commercial est soumis au principe de spécialité et qu'elle peut toujours espérer que Barbara abandonne toute activité alors qu'elle-même bénéficie d'un plan de redressement.

2 - Sur le bien fondé de la demande en déchéance :

Considérant que Barbara relève que la déchéance n'est pas demandée dans les classes 22, 23, 25 et 26 ; qu'elle exploite en classe 24 puisqu'elle vend des vêtements, sous-vêtements et du linge de nuit ce qui l'amène à sélectionner des tissus et qu'une déchéance en classe 24 risquerait de provoquer une confusion ; que les produits des classes 14, 16, 18, 20 et 27 sont similaires aux produits qu'elle commercialise ; que la confusion serait d'autant plus à craindre que la marque serait notoirement connue ; qu'une déchéance en classe 11, 34 et 42 aurait pour conséquence une confusion préjudiciable ; que Mme Bourgain répond que Barbara ne justifie pas d'une exploitation dans les classes 11, 14, 16, 18, 20, 24, 27, 34 et 42 et que les risques de confusion allégués seraient invraisemblables ; qu'il n'y aurait pas de risque de confusion pour les tissus, en particulier les tissus d'ameublement ; que la marque ne serait pas notoire ;

Considérant, ceci étant exposé, qu'avec pertinence les premiers juges ont relevé que si l'exploitation en classe 25 était incontestable et non contestée pour des sous-vêtements féminins, Barbara, qui a la charge de la preuve, n'a pas démontré, et ne démontre pas devant la Cour avoir, antérieurement à l'assignation en déchéance, exploité la marque pour des tissus, classe 24 et que de plus le signe Barbara n'était utilisé sur les factures que comme dénomination sociale " Barbara SA au capital de ... " ou comme nom commercial " Barbara-Paris " pour désigner l'entreprise et non pas pour désigner le produit lui-même ;

Considérant que devant la Cour comme devant le tribunal aucun acte d'exploitation n'est allégué ou prouvé dans les classes 11, 14, 16, 18, 20, 27, 34 et 42 ;

Considérant que Barbara, ainsi que l'ont justement énoncé les premiers juges, ne démontre pas qu'en dépit de la renommée de cette marque les installations d'appareils d'éclairage, de chauffage, les métaux précieux, pierres précieuses, le papier, le carton, les imprimés, le cuir, et les articles en cuir n'entrant pas dans la classe des vêtements, le tabac, les services divers puissent être confondus avec des sous-vêtements alors que les besoins auxquels ils correspondent et les circuits de distribution sont distincts ; que des sous-vêtements en cuir ou en papier ne se rattacheraient qu'à la classe 25 ; qu'en revanche les premiers juges, prenant en compte à la fois la réputation de la marque Barbara et la tendance des entreprises à diversifier leurs productions ont à juste titre relevé un risque de confusion pour la classe 24 ; qu'il n'y a pas lieu de distinguer entre les tissus destinés à fabriquer des vêtements et les tissus d'ameublement alors qu'il n'est nullement prouvé par Mme Bourgain, qui soutient qu'il s'agirait de produits très différents, que cette distinction soit d'application générale ; que le jugement sera donc confirmé sur la demande en déchéance ;

3 - Sur la contrefaçon de marque :

Considérant que Barbara allègue qu'elle dispose de droits sur la marque Barbara remontant à 1939 et que le prétendu pseudonyme de Mme Bourgain n'autorisait pas cette dernière à utiliser le signe Barbara dans une activité autre que le théâtre et couverte par le dépôt de la marque Barbara ; que les adjonctions au signe Barbara seraient inopérantes ;

Que Mme Bourgain répond que, postérieurement à la déchéance il n'y a pas contrefaçon ;

Considérant qu'à bon droit le Tribunal a retenu (l'antériorité des droits de marque étant incontestable) pour la période avant l'assignation en déchéance, la contrefaçon résultant des dépôts de la marque Barbara Of Cannes en 1982 et en 1983, l'adjonction du génitif Of Cannes étant inopérante ; que d'une manière tout aussi pertinente le Tribunal a retenu aussi la contrefaçon résultant des dépôts en classe 24, la marque Barbara n'étant pas déchue pour les produits de cette classe et la contrefaçon résultant des ventes de tissus sous les marques ; qu'il convient d'y ajouter selon les mêmes distinctions tenant à la déchéance prononcée, l'utilisation des noms commerciaux et enseignes Barbara, Barbara Of Cannes, Chez Barbara ;

4 - Sur l'atteinte à la dénomination sociale :

Considérant que Barbara fait valoir qu'elle est identifiée sous sa dénomination antérieurement à Mme Bourgain et qu'il y a eu faute de cette dernière à adopter Barbara Of Cannes comme enseigne, donnant ainsi à penser qu'il s'agissait d'une extension d'activité ; que Mme Bourgain semble, selon ses écritures d'appel, invoquer un usage antérieur de son pseudonyme, Barbara ;

Considérant, ceci étant exposé, que Barbara allègue, sans être démentie par Mme Bourgain, que ce pseudonyme n'était guère original dans le monde du spectacle pour avoir été utilisé antérieurement par une chanteuse connue ; qu'en outre et surtout Mme Bourgain qui a la charge de prouver qu'elle était en possession de ce signe distinctif qu'elle a choisi comme enseigne pour exercer le commerce se borne à produire trois attestations, rédigées pour les besoins de la cause, selon lesquelles elle aurait, dès les années 1960 été appelée Barbara ; que de telles pièces sont insuffisantes à prouver un usage antérieur du signe ; que les seules pièces incontestables : article de la Revue Moderne (avril 1974), diplôme du Cercle international d'Art Contemporain (24 janvier 1974), lettres du même Cercle du 3 novembre 1973 et du 14 avril 1974, sont toutes postérieures au 1er janvier 1973, date à laquelle, selon la demande d'inscription déposée au registre du commerce le 29 décembre 1972, la société des Etablissements M. Bena, titulaire de droits de marque remontant à 1939, s'est identifiée à sa marque renommée pour devenir Barbara SA ; que cette dénomination sociale est protégée contre toutes usurpations indépendamment de la nature de l'exploitation seconde en date ;

Considérant qu'en adoptant le signe Chez Barbara comme enseigne de son commerce à compter du 1er mai 1974 selon l'extrait K Bis mis aux débats, puis de ses autres magasins contigus, sans vérifier que d'autres pouvaient prétendre à des droits antérieurs sur ce signe Mme Bourgain a commis une faute, la clientèle attachée à la marque connue Barbara, exploitée désormais par une société portant le même nom de Barbara étant fondée à croire, à tort, que les fonds de commerce Chez Barbara constituaient une extension d'activité " dans un département commercialement porteur " ; que ce comportement suiveur est préjudiciable à Barbara, observation étant faite que, dans ses écritures, celle-ci ne tire par argument de l'image négative découlant du redressement judiciaire de Mme Bourgain ;

5 - Sur l'atteinte au nom commercial :

Considérant qu'à tort Barbara soutient qu'il y aurait atteinte à son nom commercial alors qu'ainsi que l'ont à juste titre énoncé les premiers juges la fabrication et la vente de sous-vêtements féminins se distinguent de la décoration, vente de linge de maison, vaisselle, ameublement, tissus et que Barbara, à la différence de Mme Bourgain, ne commercialise pas directement ses produits mais fait appel à des revendeurs et qu'aucun document nouveau devant la Cour ne vient démontrer que le nom commercial Barbara serait notoire ;

6 - Sur la concurrence parasitaire ou déloyale :

Considérant que Barbara ne caractérise pas d'actes en dehors de la contrefaçon de marque et de l'atteinte à la dénomination sociale ; que ce grief se confond avec l'atteinte à la dénomination sociale ;

7 - Sur le préjudice :

Considérant que le préjudice tient, ainsi que les premiers juges l'ont relevé avec pertinence, au dépôt des marques par Mme Bourgain, dans des classes non exploitées par Barbara ; que leur évaluation sera toutefois relevée ; qu'il convient d'y ajouter le préjudice résultant de l'atteinte à la dénomination sociale ; que ces créances indemnitaires étant nées avant le redressement judiciaire, l'évaluation ne peut être assortie d'une condamnation ; qu'en revanche afin d'éviter la réitération des agissements il convient de prononcer des interdictions sous astreinte et de contraindre Mme Bourgain à renoncer partiellement à ses marques comme l'ont fait les premiers juges en modifiant le point de départ ;

Considérant qu'eu égard aux circonstances de la cause la publication de l'arrêt n'est pas nécessaire ;

Considérant que la demande de Mme Bourgain, partiellement admise n'est pas abusive ; que chacune des parties succombant, elles conserveront leurs dépens d'appel ; qu'il n'est pas inéquitable que les frais non taxables qu'elles ont exposés demeurent à leur charge ;

Par ces motifs : Confirme le jugement tant pour la recevabilité et la déchéance que pour l'interdiction et l'injonction sous astreinte, l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et les dépens ; Réformant pour le surplus et ajoutant au jugement ; Dit que jusqu'à la date de déchéance l'utilisation des noms commerciaux et/ou enseignes Barbara, Barbara Of cannes, Chez Barbara pour vendre les produits et services visés dans le dépôt de Barbara SA est une contrefaçon et qu'à compter du 8 novembre 1984 cette même utilisation pour la vente de tissus ou vêtements demeure une contrefaçon ; Dit que Mme Bourgain a porté atteinte, par l'enseigne qu'elle a adoptée, à la dénomination sociale de Barbara SA ; Dit qu'outre l'interdiction prononcée par les premiers juges il est fait défense à Mme Bourgain, sous la même astreinte, d'utiliser sous une forme quelconque le signe Barbara à titre d'enseigne ; Dit que le point de départ des interdictions et de l'injonction sous astreinte est fixé à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la signification de l'arrêt ; Evalue à 60 000 F le montant de l'indemnité due par Mme Bourgain à Barbara SA ; Dit que chacune des parties conservera ses frais non taxables et ses dépens d'appel ; Déboute les parties de leurs autres demandes.