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Décisions

CA Amiens, 3e ch. civ., 6 octobre 1989, n° 1386-89

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Depa (SARL), Repa (SARL), Dime (SARL)

Défendeur :

SNRA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cachelot

Conseillers :

Mmes Percheron, Chivet

Avoués :

SCP Million, Me Lemal

Avocats :

Mes Delarue, Bouly.

T. com. Amiens, du 10 mars 1989

10 mars 1989

LA COUR, composée comme ci-dessus, en a délibéré conformément à loi et a renvoyé l'affaire à l'audience publique du vingt huit septembre mil neuf cent quatre vingt neuf, pour prononcer arrêt.

A l'audience publique du vingt neuf septembre mil neuf cent quatre vingt neuf, la Cour composée des mêmes magistrats a décidé de prolonger son délibéré et a renvoyé l'affaire à l'audience publique du six octobre mil neuf cent quatre vingt neuf, pour prononcer arrêt. A l'audience publique du six octobre mil neuf cent quatre vingt neuf, la Cour a rendu l'arrêt suivant :

Par ordonnance du 4 mai 1988, le Juge Commissaire du Tribunal de commerce de Roubaix a autorisé la cession du fonds de commerce en liquidation judiciaire, de Monsieur Moreau, ayant pour objet l'achat, la vente et la rénovation de pièces détachées de véhicules automobiles à Monsieur Descamps.

Celui-ci, gérant des sociétés à Responsabilité Limitée Distribution Industrielle Moulage Elastomère (Sté Dime) et Distribution Exploitation Pièces Auto (Sté Depa) a constitué à cet effet la société à Responsabilité Limitée Repa dont il est devenu le gérant. Au début de l'année 1988 a été créée la société Nouvelle de Rénovation Automobile (SNRA), société Anonyme dont l'objet social est similaire à celui des sociétés Depas et Repa et qui s'est également portée candidate mais sans succès à la reprise du fonds de commerce de Monsieur Moreau.

Le capital social de la SNRA, divisé en 9 000 actions de 100 F a été réparti entre plusieurs salariés des sociétés Repa et Depa, Messieurs Jacques et Raymond Lemaire (450 actions chacun) respectivement chauffeur-voyageur à la société Repa, et vendeur-livreur à la société Depa, Monsieur Quillent (1 350 actions) vendeur à la société Depa, Monsieur Bec et Monsieur Chable (450 actions chacun), chefs d'atelier à la société Depa et qu'ainsi, sur 9 associés, 5 appartenaient soit à la société Depa soit à la société Repa.

En février 1988, les sociétés Depa, Dime et Repa ont reçu, en l'espace de quinze jours, les démissions de huit salariés dont certains occupaient des postes de responsabilité au sein de ces sociétés, démissions provoquées par les offres d'embauche de la SNRA. En mai 1988, de nouveaux salariés des sociétés Depa et Repa démissionnaient, portant ainsi à 17 les membres du personnel ayant quitté ces sociétés afin d'être embauchés par la société SNRA.

Le 31 mai 1988, Monsieur Jacques Lemaire dont le contrat contenait une clause de non-concurrence d'une durée de 6 mois, donnait sa démission du poste qu'il occupait au sein des Ets Moreau en cours de cession à la société Repa.

Invoquant une baisse substantielle de leur chiffre d'affaires due selon elles aux agissements répréhensibles de la SNRA, les sociétés Dime, Depa et Repa ont assigné celle-ci en référé afin de faire cesser ces actes de concurrence déloyale.

Par ordonnance du 30 novembre 1988 confirmée en toutes ses dispositions par arrêt rendu le 16 février 1989 par la Cour de céans, le président du Tribunal de commerce d'Amiens statuant en référé a interdit à la SNRA de visiter les clients des sociétés Depa et Repa sous astreinte provisoire de 5 000 F par infraction constatée.

Parallèlement, par actes d'huissiers de justice des 22 décembre 1988 et 4 janvier 1989, les sociétés Dime, Depa et Repa ont assigné au fond la SNRA devant le Tribunal de commerce d'Amiens en concurrence déloyale afin de faire interdire pendant cinq ans à cette société de visiter et de démarcher leur clientèle et pour obtenir une expertise pour chiffrer son préjudice ainsi qu'une provision et la publication de la décision à intervenir.

Par jugement du 10 mars 1989, le Tribunal a accueilli l'action en responsabilité pour concurrence déloyale intentée par les sociétés Dime de cette action.

Le Tribunal a interdit à la SNRA pour une durée de trois [ans] à compter de sa signification de visiter et démarcher les clients des sociétés Depa et Repa sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée avec exécution provisoire et a ordonné une expertise pour déterminer l'étendue du préjudice subi par ces sociétés mais a rejeté leur demande de provision, leur accordant toutefois les sommes de 3 000 F à titre de dommages et intérêts et de 2 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Le jugement fait l'objet de deux appels, le premier (n° 1386/89) interjeté le 24 avril 1989 par les sociétés Depa, Dime et Repa qui ont obtenu le 10 mai 1989 du Premier Président de cette Cour l'autorisation d'assigner à jour fixe, le second, n° 1824 de la SNRA en date du16 mai 1989. Pour une bonne administration de la justice, il convient de joindre ces deux procédures et de statuer par un seul arrêt. La SNRA expose à l'appui de son appel qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale. Elle soutient qu'elle ne s'est livrée à aucun débauchage et qu'aucun de ses membres n'a pris contact directement avec les salariés des sociétés Depa, Repa et Dime ; qu'au contraire, ce sont les salariés de ces sociétés qui se sont mis en rapport avec elle pour y être embauchés en raison de très mauvaises conditions de travail qui y régnaient ainsi que des mauvaises relations entretenues avec Monsieur Descamps. La SNRA indique que les anciens salariés des sociétés Depa, Dime et Repa qu'elle a embauchés ne sont pas des techniciens hautement qualifiés mais des employés sans connaissance particulière et n'ayant pas acquis au sein de leur précédente entreprise un secret de fabrication ou un tour de main.

Elle précise que le nombre de personnes venant de ces sociétés s'est élevé à douze sur un effectif total de trente et une personnes ; que sur les douze salariés en cause, dix seulement étaient démissionnaires puisque MM. Raymond Lemaire et Quillent ont été licenciés par la société Depa ; que sur les dix démissionnaires, quatre provenaient de l'Entreprise Moreau et ont donné leur démission dans le contexte d'incertitude qui existait alors quant à l'avenir de cette société en règlement judiciaire ; que le " groupe Descamps " qui revendique que cent deux salariés ne peut avoir été désorganisé par le départ de moins de 10 % de son effectif.

La SNRA conteste les allégations de ses adversaires selon lesquelles ses trois chauffeurs-livreurs auraient exploité leur réseau de clientèle précisant que c'est Monsieur Gérard Lemaire qui n'avait avec elle aucun lien commercial qui était chargé des activités de contact avec les clients. Si elle reconnaît que Monsieur Jacques Lemaire était lié par une clause de non-concurrence avec son ancien employeur les Entreprise Moreau, la SNRA fait valoir que cette clause qui n'était valable que pour un territoire limité est maintenant expirée et qu'une action en nullité est actuellement engagée devant le Conseil des Prud'hommes d'Amiens.

La SNRA conclut qu'elle n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale et que son développement commercial est seulement dû à don dynamisme et à la qualité de ses produits ; que si elle est entrée en relation avec un certain nombre de clients des sociétés Dime, Depa et Repa, c'est la raison du nombre peu élevé des revendeurs grossistes dans ce secteur professionnel. Elle prétend que les actions intentées par ses adversaires sont dues à la volonté de Monsieur Descamps de s'assurer le monopole de ce secteur économique et d'exclure toute concurrence.

Elle indique qu'afin de respecter les décisions de justice antérieures, elle ne visite plus les clients dont la liste a été annexée à l'ordonnance de référé rendue le 30 novembre 1988 par le Président du Tribunal de commerce d'Amiens et ajoute qu'elle a passé un contrat de commercialisation avec la société Saint-Denis Distribution qui a embauché MM. Jacques et Raymond Lemaire et Monsieur Quillent, lesquels ne font ainsi plus partie de son personnel.

La SNRA prie en conséquence la Cour de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté la société Dime de ses demandes mais de l'infirmer en ce qu'il a fait droit à celles des sociétés Depa et Repa. Elle demande que ces sociétés soient déboutées de la totalité de leurs prétentions et que chacune d'entre elles soient condamnées à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts pour préjudice causé à son activité économique ainsi que la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Subsidiairement, la SNRA sollicite des mesures d'instruction permettant d'entendre toutes personnes intéressées afin de rechercher dans quelles conditions elles ont pris contact avec elle et dans quelles circonstances certaines d'entre elles ont été embauchées et de rechercher s'il y a eu de sa part des actes de démarchage systématique avec dénigrement de la clientèle.

Les sociétés Dime, Depa et Repa, reprochant pour leur part au jugement déféré de ne pas avoir assurer l'efficacité de l'interdiction faite à la SNRA de poursuivre ses actes de concurrence déloyale, de ne pas leur avoir accordé de provision, d'avoir omis d'annexer la liste de ses clients telle qu'établie suivant constat d'huissier et d'avoir fixé une astreinte provisoire insuffisante pour dissuader la SNRA de poursuivre son activité illicite, demande à la Cour d'infirmer cette décision dans les limites de l'appel interjeté lequel ne vise pas l'expertise ordonnée par les premiers juges et, statuant à nouveau de dire que la SNRA a mis en œuvre des procédés de concurrence déloyale reposant principalement sur :

- l'imitation visant à créer la confusion entre les sociétés SNRA, Depa, Dime et Repa et la confusion entre les marchandises et services produits et distribués,

- la désorganisation visant à priver par un débauchage massif mais sélectif les entreprises requérantes de leur potentiel industriel et commercial et s'attachant également à démarcher systématiquement leur clientèle à l'exclusion de tout autre client potentiel,

- la confusion visant par une similitude des catalogues et des tarifs à désorienter la clientèle,

- le dénigrement visant enfin à déconsidérer les entreprises appelantes par la diffusion d'informations malveillantes ou erronées.

Ces sociétés prient en conséquence la Cour de dire que pendant une durée de cinq années à compter de la décision à intervenir, la SNRA aura interdiction et ce, sous astreinte définitive d'une somme de 30 000 F par infraction constatée, de visiter et de démarcher leurs clients dont la liste nominative est annexée à leur assignation, ainsi que de réaliser avec elle tout acte de vente ou de commerce s'inscrivant directement ou indirectement dans l'objet social des sociétés concernées par le présent litige.

Elles demandent que soit ordonnée la publication de la décision à intervenir dans trois publications de leur choix et dans la limite de 10 000 F, par publication aux frais exclusifs de la SNRA, et sollicitent la condamnation de la SNRA à leur payer à chacune une provision de 150 000 F à valoir sur leur préjudice, la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts indépendamment du préjudice industriel qui sera fixé par expertise ainsi que 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce,

Attendu d'une part qu'il échet de constater que l'appel de la SNRA ne porte pas sur la disposition du jugement l'ayant déboutée de sa demande de sursis à statuer jusqu'à la décision du Conseil des Prud'hommes d'Amiens ;

Attendu d'autre part, qu'il y a lieu de confirmer le jugement pour les motifs énoncés par le Tribunal en ce qu'il a débouté la société Dime de ses demandes formées à l'encontre de la SNRA ;

Sur les actions en concurrence déloyale intentées par les sociétés Depa et Repa contre la SNRA.

Attendu que le Tribunal a exactement retenu, par des motifs pertinents que la Cour adopte que tant par le débauchage à la fois massif et sélectif du personnel des sociétés DEPA et REPA que par le démarchage systématique de leur clientèle, à l'exclusion quasi-total de tout autre client potentiel, la SNRA a commis des actes de concurrence déloyale qui ont désorganisé celle-ci détournant leur clientèle et entraînant une baisse de leur chiffre d'affaires ;

Attendu qu'il existe en outre, ainsi que l'a relevé le Tribunal de Commerce un certain nombre de faits tels que ceux visant à créer la confusion entre les marchandises et services produits et distribués par chacune des sociétés en cause, la similitude du catalogue et des tarifs de la société Depa et de la SNRA, la diffusion par la SNRA d'informations tendant à dénigrer les sociétés Depa et Repa;

Attendu que ces faits qui, pris isolément et sortis de leur contexte ne suffiraient pas à caractériser l'existence d'une concurrence déloyale, constituent néanmoins un ensemble d'éléments venant corroborer s'il en était besoin le comportement commercialement déloyal de la SNRA ;

Attendu qu'il y a lieu dès lors de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré fondée l'action en concurrence déloyale intentée par les sociétés Depa et Repa contre la SNRA et de débouter en conséquence cette dernière de ses demandes de dommages et intérêts et tendant à voir ordonner des mesures d'instruction ;

Attendu que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a interdit à la SNRA de visiter et de démarcher pendant une durée de trois ans à compter de la signification du jugement les clients des sociétés Depa et Repa dont la liste est annexée au présent arrêt ; que cette interdiction qui vise également toute personne que la SNRA pourrait se substituer à ces fins sera sanctionnée par une astreinte provisoire de 5 000 F par infraction constatée ;

Attendu qu'il convient en outre d'ordonner la publication par extraits de l'arrêt dans deux publications au choix des sociétés Depa et Repa, dans la limite de 8 000 F par publication aux frais exclusifs de la SNRA ;

Sur les demandes d'expertise de provision et de dommages et intérêts.

Attendu que l'étendue du préjudice économique subi par les sociétés Depa et Repa du fait des actes de concurrence déloyale commis par la SNRA ne pouvant être déterminé en l'état, la mesure d'expertise ordonnée par le Tribunal sera confirmée ;

Attendu en revanche que le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté les sociétés Depa et Repa de leur demande de provision ; qu'une somme de 50 000 F sera accordée de ce chef à chacune de ces sociétés.

Attendu qu'il n'y a pas lieu en l'état d'accorder aux sociétés Depa et Repa d'autres dommages et intérêts ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société SNRA à payer aux sociétés Depa et Repa les sommes de 3 000 F pour dommages et intérêts du préjudice industriel ;

Attendu qu'il paraît inéquitable de laisser à la charge des sociétés Depa et Repa partie des frais exposés par elle et non comprise dans les dépens ; qu'une somme de 3 000 F sera accordée à chacune de ces sociétés sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile en plus de celles accordées de ce chef par le premier juge ;

Par ces motifs : Vu leur connexité, joint les procédures inscrites sous les numéros 1386/89 au répertoire général du Greffe de la Cour ; Reçoit les appels jugés réguliers ;Confirme le jugement : - en ce qu'il a débouté la société Dime de ses demandes formées à l'encontre de la SNRA, - en ce qu'il a ordonné une expertise pour déterminer le préjudice subi par ces sociétés du fait de la concurrence déloyale de la SNRA, - sur les condamnations fondées sur l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; Infirmant le jugement pour le surplus ou y ajoutant - interdit à la SNRA pendant une durée de trois ans à compter de la signification du jugement de visiter et de démarcher directement ou indirectement par personne interposée, les clients les sociétés Depa et Repa dont la liste est annexée ci-après, sous astreinte provisoire de 5 000 F par infraction constatée, - ordonne la publication par extraits du présent arrêt dans deux publications au choix des sociétés Depa et Repa dans la limite de 8 000 F par publication aux frais exclusifs de la SNRA ;

Condamne la SNRA à payer à chacune des sociétés Depa et Repa la somme de 50 000 F à titre de provision sur la réparation de leur préjudice économique ; Déboute les sociétés Depa et Repa de leurs autres demandes de dommages et intérêts ; Condamne la SNRA aux dépens de première instance et d'appel ; Dit que la SCP Million J. et JC., Avoué à la Cour, pourra se prévaloir des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la SNRA à payer à chacune des sociétés Depa et Repa la somme de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

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