CA Reims, ch. civ. sect. 1, 2 octobre 1989, n° 1795-89
REIMS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Vervelle
Défendeur :
Ergand
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Falcone (faisant fonctions)
Conseillers :
Mme Minini, M. Garcin
Avoués :
SCP Six-Guillaume, SCP Chalicarne-Delvincourt
Avocats :
Mes Fossier, Choplin
LA COUR,
Faits, procédure et moyens des parties :
Par acte sous seing privé en date du 4 mars 1988, M. Defrance a cédé à M. Jacques Vervelle, moyennant le prix de 50 000 F, l'exploitation de la concession de recouvrement de créances dénommées par abréviation REX-GFR, sur le secteur géographique Marne, Ardennes et une partie de l'Aisne.
M. Ergand, représentant le cabinet REX est intervenu à l'acte pour accepter la candidature de M. Vervelle.
M. Vervelle exploitait en fait cette concession depuis le 1er octobre 1987.
Aucune convention écrite n'a été signée par M. Vervelle et M. Ergand et le 28 mars 1989, M. Vervelle a unilatéralement rompu les relations contractuelles existant entre les parties.
Reprochant à M. Ergand d'avoir commis des actes de concurrence déloyale en détournant sa clientèle, M. Vervelle a fait assigner M. Ergand en paiement de dommages-intérêts.
Ce dernier a présenté une demande reconventionnelle.
Par jugement du 18 juillet 1989, le Tribunal de commerce de Reims a :
- débouté M. Vervelle de ses demandes,
- reçu M. Ergand en ses demandes reconventionnelles,
- condamné M. Vervelle à payer à M. Ergand la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts, outre celle de 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- condamné M. Vervelle à payer à M. Ergand, sous forme d'astreinte, la somme de 1 000 F par jour d'ouverture de son agence, outre celle de 1 000 F pour tout acte de concurrence déloyale commis dans le secteur concédé,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
M. Vervelle a interjeté appel de ce jugement et a été autorisé à faire assigner son adversaire à jour fixe ;
Il demande à la Cour de :
- dire qu'aucune faute n'a été commise par M. Vervelle dans la rupture des négociations entre lui et M. Ergand ;
- constater que l'échec de ces négociations résulte de l'impossibilité des parties d'entériner un accord définitif ;
- dire que M. Vervelle n'était lié à M. Ergand par aucune convention de non-concurrence ;
- débouter M. Ergand de ses demandes ;
- dire que M. Ergand a commis une faute grave constitutive de concurrence déloyale en détournant abusivement la clientèle de M. Vervelle, en le dénigrant auprès de la clientèle et en tentant de désorganiser son entreprise ;
- condamner M. Ergand à payer à M. Vervelle la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts ;
- condamner M. Ergand à lui payer une indemnité de 15 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
M. Vervelle conteste avoir eu la qualité d'agent commercial, car d'une part, il n'y a pas eu de contrat écrit et d'autre part, M. Vervelle exploitait sa clientèle pour son propre compte, et non pour le compte d'un mandant ;
Il estime qu'il se trouvait dans une phase précontractuelle de négociation, en vue de l'élaboration d'un contrat définitif et qu'il n'a donc pas commis de faute en rompant les relations ;
M. Ergand, exerçant son activité sous la dénomination " Cabinet REX ", conclut ainsi :
- déclarer M. Vervelle recevable mais mal fondé en son appel ;
- l'en débouter ;
- faisant droit par contre à l'appel incident du concluant,
- infirmer dans la mesure utile le jugement entrepris et statuant à nouveau dans cette limite,
- condamner M. Vervelle à verser au concluant la somme de 80 000 F à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil,
- ordonner la restitution de tous les documents commerciaux et de relations avec la clientèle de l'agence dans le territoire concédé en visant l'article 3 de la convention, et plus généralement, sur le fondement des faits de concurrence déloyale en visant l'article 1382 du code civil et ce, sous astreinte de 1 000 F à compter de la signification du jugement par jour d'ouverture constatée de l'agence ou de tout acte de concurrence dans le territoire concédé, ladite somme de 1 000 F étant également accordée pour chaque infraction constatée à l'interdiction ;
- constater le caractère particulièrement abusif des voies de fait utilisées, ainsi que des procédures engagées, et allouer au concluant la somme de 30 000 F de dommages et intérêts forfaitaires ;
- constater que le concluant a été dans l'obligation de soutenir une procédure qui n'est due qu'à l'action abusive de l'appelant et lui allouer à cet égard la somme de 25 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
- confirmer pour le surplus la décision entreprise ;
Il soutient que le contrat le liant à M. Vervelle est un contrat d'agent commercial, puisque M. Vervelle a pris la suite de M. Defrance, lui-même lié par un tel contrat.
Motifs de l'arrêt :
Sur l'existence d'un contrat liant M. Vervelle à M. Ergand :
Attendu qu'il n'est pas contestable que du 1er octobre 1977 au 1er avril 1989, M. Vervelle et M. Ergand ont entretenu des relations contractuelles, puisque pendant cette période M. Vervelle a exploité une clientèle sous l'enseigne Cabinet REX, dans le secteur considéré et a été rémunéré sur la base de 80 % du chiffre d'affaires HT, dégagé par l'agence de Reims ;
Que le fait qu'aucun contrat écrit n'a été signé par les parties et que des discussions ont eu lieu en vue de l'élaboration d'un tel contrat, ne permet pas de dire que les parties se soient trouvées dans une phase précontractuelle de négociations ;
Que tel aurait été le cas, s'ils n'avaient pas commencé à travailler ensemble mais, en l'espèce, les relations contractuelles ont duré 18 mois et de ce fait, l'exécution d'un contrat non écrit liant les parties est incontestable ;
Attendu que M. Vervelle est mal fondé à rechercher la responsabilité délictuelle de M. Ergand ;
Que l'action des parties se situe sur un terrain contractuel ;
Sur la nature du contrat :
Attendu que la définition du contrat passe par la détermination du propriétaire de la clientèle exploitée ;
Attendu qu'il convient de rappeler que M. Vervelle n'a pas acheté à M. Defrance une clientèle, mais " l'exploitation de la concession de recouvrements de créances " sur le secteur géographique Marne, Ardennes et Aisne ;
Que pour ce faire, il a payé un droit d'entrée (lettre du 8 mars 1988 de la société UFIC, conseil de M. Vervelle) ;
Que de plus, même si le contrat liant M. Ergand à M. Defrance n'est pas opposable à M. Vervelle, il est certain que M. Defrance ne pouvait pas céder quelque chose qui ne lui appartenait pas ;
Or attendu que ce contrat vise expressément le décret n° 58-1345 du 23 décembre 1958 qui régit le statut des agents commerciaux, ce qui signifie que M. Defrance avait le statut d'agent commercial, qu'il était donc mandataire de M. Ergand, et, en conséquence, qu'il agissait pour le compte de son mandant et n'était donc pas propriétaire de sa clientèle ;
Que M. Vervelle en était tellement persuadé, qu'il s'est fait inscrire au registre des agents commerciaux, et n'a pas protesté au reçu de la lettre que lui a adressé M. Ergand le 5 novembre 1987, dans laquelle ce dernier qualifie M. Vervelle d'agent commercial ;
Que par ailleurs, M. Vervelle a reconnu, devant l'huissier, qu'il avait cette qualité ;
Attendu que pour s'opposer à cette analyse, M. Vervelle invoque une clause de la convention du 4 mars 1988, qui prévoit que M. Defrance s'engage à renoncer à l'exécution pour son propre compte des contrats et travaux en cours avec ses clients et que M. Vervelle s'engage à prendre cette exécution à son compte ;
Mais attendu que si M. Defrance et M. Vervelle ont exploité une clientèle ils l'ont fait au nom de leur mandant et le terme " pour son propre compte " s'applique aux relations Defrance-Vervelle et non aux relations Defrance-Cabinet REX, et signifie que M. Defrance s'engage à ne plus exploiter la clientèle dans le secteur considéré ;
Attendu que de cet ensemble d'éléments résulte que M. Vervelle était lié à M. Ergand par un contrat de mandat ;
Que cependant M. Ergand ne peut valablement soutenir que M. Vervelle avait le statut d'agent commercial, puisqu'aucun contrat écrit n'a été signé en violation de l'article 1er du décret du 23 décembre 1958 ;
Que dès lors, la convention liant les parties s'analyse comme un mandat d'intérêt commun ;
Attendu qu'il convient d'examiner les demandes respectives des parties, en fonction de l'existence de ce contrat ;
Sur la rupture :
Attendu sur l'action en concurrence déloyale engagée par M. Vervelle, que celui-ci, mandataire de M. Ergand et agissant pour le compte de ce dernier, ne peut reprocher à son mandant d'avoir informé la clientèle du fait que le Cabinet REX n'était plus représenté par M. Vervelle à la suite de la rupture du contrat ;
Que M. Ergand n'a pas détourné la clientèle de M. Vervelle, mais a seulement informé sa propre clientèle du fait qu'elle devait s'adresser directement au Cabinet REX à Lille, puisque son agent local ne le représentait plus ;
Que de plus, la lettre envoyée au client ne contient aucun terme désobligeant pour M. Vervelle et n'est pas constitutive de dénigrement ;
Que dès lors, M. Ergand n'a commis aucun acte de concurrence déloyale et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. Vervelle de ses demandes ;
Attendu sur la demande de M. Ergand, que par application de l'article 2007 du code civil, le mandataire peut toujours renoncer au mandat en notifiant au mandant sa renonciation, mais si celle-ci préjudicie au mandant, il devra en être indemnisé par le mandataire ;
Attendu que M. Vervelle a résilié son contrat sans aucun préavis et a poursuivi et poursuit encore l'exploitation, en son nom personnel, de la clientèle, faisant perdre ainsi à M. Ergand les commissions qu'il percevait sur les affaires traitées ;
Que le préjudice qui en est résulté a été justement apprécié par les premiers juges à une somme de 79 291 F qui tient compte de la moyenne des bénéfices qu'auraient perçus M. Ergand pendant 6 mois ;
Attendu que M. Ergand ne justifie pas d'un préjudice complémentaire et il n'y a pas lieu de faire droit à ses demandes de ce chef ;
Attendu sur l'obligation de non-concurrence, que, dans le cadre d'un mandat d'intérêt commun, même en l'absence de clause de non-concurrence, il pèse sur le mandataire une obligation de loyauté qui lui interdit de faire concurrence à son mandant ;
Attendu qu'en l'espèce,M. Vervelle a conservé tous les documents concernant la clientèle et a poursuivi son activité sur le secteur considéré;
Qu'en agissant ainsi, il a manqué à son obligation de loyauté et il convient de lui faire interdiction d'exercer une activité de recouvrement de créances pendant une durée de 2 ans à compter du jour de la rupture dans le secteur concédé;
Que cette interdiction sera assortie d'une astreinte ;
Qu'il lui appartiendra, également, sous astreinte, de restituer les documents commerciaux de son mandant;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimé les frais irrépétibles qu'il a engagés en cause d'appel et que la Cour fixe à 5 000 F ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a : - débouté M. Vervelle de l'ensemble de ses demandes ; - condamné M. Vervelle à payer à M. Ergand une indemnité de rupture de soixante dix neuf mille deux cent quatre vingt onze francs (79 291 F) ; - condamné M. Vervelle à payer à M. Ergand une indemnité de cinq mille francs (5 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Pour le surplus, infirme dans la mesure utile le jugement entrepris ; Déboute M. Ergand de sa demande de dommages-intérêts complémentaires ; Ordonne la restitution par M. Vervelle à M. Ergand de tous les documents commerciaux et de relations avec la clientèle de l'agence de Reims, sous astreinte provisoire de trois cent francs (300 F) par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt ; Fait défense à M. Vervelle d'exercer pendant deux ans à compter du 1er avril 1989 une activité concurrente de celle de M. Ergand dans le secteur concédé (Marne, Ardennes et Aisne au sud de la RN 29) et ce sous astreinte de cinq cent francs (500 F) par infraction constatée ; Condamne M. Vervelle à payer à M. Ergand une indemnité complémentaire de cinq mille francs (5 000 F) par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Condamne M. Vervelle aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP Chalicorne Delvincourt, avoué, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.