Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 28 septembre 1989, n° 87-020472

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Parfums Nina Ricci (SARL), Lanvin Parfums (SA), Parfums Givenchy (SA), Parfums Christian Dior (SA)

Défendeur :

Montgeron Distribution (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnefont

Conseillers :

Mme Beteille, M. Gouge

Avoués :

SCP Paul Boncour Faure, Me Lechany

Avocats :

Mes Lebel, Maraut.

T. com. Corbeil-Essonnes, 3e ch., du 8 s…

8 septembre 1987

Dans des circonstances relatées par les premiers juges les sociétés Parfums Nina Ricci, Lanvin Parfums, Parfums Givenchy et Parfums Christian Dior avaient attrait la société Montgeron Distribution (Centre Leclerc) devant le Tribunal de commerce de Corbeil afin d'obtenir la cessation, sous astreinte, d'agissements qualifiés de concurrence déloyale, la publication de la décision, diverses réparations pécuniaires et une mesure d'instruction. Par son jugement du 8 septembre 1987, qui a suffisamment exposé les moyens et prétentions des parties, la 3e chambre de ce tribunal, après avoir joint les instances, a condamné Leclerc à payer à chacune des demanderesses une indemnité de 1 F, une somme de 2 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens. Il a fait défense, sous astreinte, à Leclerc de réitérer les agissements condamnés. Il a ordonné l'exécution provisoire et débouté les parties civiles de leurs autres demandes. Les quatre demanderesses ont relevé appel par déclaration du 18 novembre 1987 et saisi la cour le 22 décembre 1987. Elles ont conclu à la confirmation de principe du jugement et, par voie d'appel incident, elles ont demandé qu'il soit jugé que Leclerc s'était en outre rendu coupable de publicité mensongère, que l'indemnité soit portée pour chacune d'elles à 100 000 F, que des publications soient ordonnées et que l'intimée soit condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Leclerc a formé appel incident afin de demander que le jugement soit infirmé dans les dispositions qui lui font grief, à ce que les appelantes soient déboutées comme ne démontrant pas la licéité de leurs réseaux et à ce qu'elles soient condamnées à lui payer une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens de première instance et d'appel. Christian Dior a développé l'argumentation qui lui est propre. Leclerc a répondu. Nina Ricci, Givenchy et Lanvin ont répliqué. Christian Dior a de nouveau conclu. Givenchy et Lanvin ont conclu à l'opposabilité aux tiers de leurs réseaux et à l'irrégularité des achats effectués par Leclerc.

Leclerc a répliqué. Christian Dior a conclu,à nouveau suivi par Lanvin.

Sur ce, LA COUR, qui pour un plus ample exposé se réfère au jugement et aux écritures d'appel,

Considérant, que bien que les instances aient été jointes par les premiers juges, il apparaît que des problèmes à résoudre sont propres à chacune des appelantes ; que la cour qui ne saurait statuer par voie de disposition générale doit donc apprécier chaque point en litige en rapport avec chaque partie en cause ;

1- Sur la licéité des contrats de distribution sélective des quatre appelantes :

Considérant qu'avant toute autre discussion, il y a lieu de relever que le rapport de la Commission de la concurrence, initialement invoqué par Leclerc, est sans intérêt en l'espèce, dès lors que Nina Ricci n'avait pas été sanctionnée et qu'il est acquis aux débats que les décisions ministérielles qui en étaient la suite prononçant des sanctions à l'encontre de Dior, Givenchy et Lanvin ont été annulées par arrêts du Conseil d'Etat ;

Considérant que Leclerc soutient qu'il appartient aux intimées de démontrer la licéité de leurs contrats de distribution sélective et de la réalisation des conditions qu'implique la licéité de leurs réseaux ; que cette exigence résulterait de la jurisprudence ; que cette régularité devrait être examinée au regard de l'article 85 du traité de Rome, de l'article 50 et de l'article 37 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ;

Considérant que les quatre appelantes soutiennent au contraire que selon une jurisprudence constante, leurs contrats sont déclarés valables dans leur généralité ; qu'en droit communautaire elles ont obtenu des lettres de classement qu'on ne peut méconnaître ; que concrètement elles ne détiennent chacune qu'une faible fraction du marché européen de la parfumerie ; que les contrats rempliraient les conditions posées par la Cour de cassation ; que Dior dit qu'on ne peut lui demander d'apporter la preuve de la licéité de son réseau au regard de " griefs inconnus " ; qu'elle ajoute que la nature du produit et la stratégie commerciale justifient l'existence de son réseau ; qu'analysant les caractéristiques du marché, elle relève une très vive concurrence dans la distribution sélective en 1985 ; qu'elle fait valoir que si sa renommée est certaine, sa part de marché est très faible ; que la restriction de concurrence ne peut donc affecter de manière sensible le fonctionnement du marché ; que ceci a été reconnu dans une lettre de classement ; que ce qui est admis en droit communautaire doit l'être en droit interne ; qu'elle invoque la " feuille de notation " des critères qu'elle verse aux débats ; que le " stock outil " est admissible ; qu'il n'y a pas d'atteinte à la liberté des prix ;

Considérant, ceci étant exposé, qu'il convient d'examiner successivement chacun des contrats en usage dans les marchés de distribution sélective ;

A) Dior :

Considérant que Dior a produit des études statistiques pour 1985 et 1986 d'où il résulte que la structure de l'offre se répartit en Europe comme en France entre un grand nombre de producteurs de dimensions très inégales ; que dans le classement des quinze premières représentant 71 % de la production la part de marché d'une marque n'est pas sensiblement supérieure à celle de la marque qui la suit immédiatement ; que de 1980 à 1985 le classement des dix premières marques a constamment évolué ; que la part de publicité incorporée dans le prix est de l'ordre de 40 % ; que Dior représente 8,6 % du marché français mais 3,8 % du marché anglais et 0,5 % du marché allemand ; qu'en France trente lancements de parfums pour femme et dix sept lancements de parfums pour homme ont été effectués en 1985 ; que dans ce marché sur lequel règne donc une vive concurrence Dior ne détient aucune part substantielle ; que si une restriction de concurrence existe par nature du fait de la mise en œuvre par Dior d'un réseau de distribution sélective, une telle restriction de concurrence ne peut avoir pour objet ou pour effet d'empêcher, restreindre ou fausser sensiblement le jeu de la concurrence ; que ceci explique que Dior puisse faire état d'une lettre de classement de la Commission des Communautés européennes précisément motivée par la faible part de marché détenue par cette société dans chacun des pays du marché commun ;

Considérant que Dior produit non seulement un contrat type et les conditions générales de vente qui y sont annexées mais encore une " feuille de notation " qui doit être remplie pour toute candidature de distributeur ; qu'on remarque sur cette feuille des critères économiques (nombres d'habitants, de parfumeries, etc...) des critères qualitatifs relatifs au magasin : qualité de l'environnement, achalandage, qualité de la façade, longueur des vitrines extérieures, décoration des vitrines, revêtement de sol, qualité des murs et plafonds, qualité du mobilier, qualité de l'éclairage, aspect général, surface de vente, rangement du magasin et des linéaires, propreté du magasin et des produits, âge de la décoration, autres activités, cabines, des critères relatifs à la compétence professionnelle du demandeur, du personnel, à leur connaissance des produits Dior, aux marques présentées et à la qualité de la présentation, chacune des rubriques étant elle-même subdivisée pour affiner l'appréciation ; qu'un nombre minimum de points doit être recueilli pour être sélectionné ; que les grands magasins ne sont pas exclus (appréciation sur les " linéaires ") ;

Considérant que le distributeur s'oblige à disposer d'un service de conseil et de démonstration suffisant ; que s'il s'engage à détenir à tout moment un " stock outil " (un exemplaire de chacun des deux tiers des références effectivement commercialisées avec une rotation deux fois par an de la valeur de ce stock), cette obligation, avec l'interdiction de vendre un produit périmé ou altéré combinée avec l'échange ou la reprise des produits défectueux par Dior présente un intérêt pour le consommateur qui est ainsi certain d'acquérir des produits dans un état de parfaite fraîcheur, que Dior s'engage à retirer sa marque de tout point de vente qui ne remplirait plus les conditions ; que la revente aux autres distributeurs agréés de la CEE est licite mais contrôlée pour éviter la vente hors du réseau ; qu'aucune clause ne limite la liberté du distributeur de fixer ses prix de vente ni de vendre des produits concurrents dès lors que ces produits ne sont pas susceptibles de déprécier par leur voisinage " l'image de la marque Christian Dior " ; que rien ne vient limiter le nombre des distributeurs ; qu'aucun secteur géographique ne leur est réservé ; que la reconduction annuelle est de droit pour le distributeur remplissant ses obligations ; que les obligations réciproques contractées ont pour effet de fournir au consommateur, dans un cadre de vente convenant à la vente d'un produit de luxe, des conseils, un service de démonstration et de vente compétents, et tous les produits de la gamme, y compris les plus nouveaux, dans un état de fraîcheur et de présentation irréprochable ;

Considérant que l'exigence d'un " stock outil " et de sa rotation ne constitue pas en l'espèce une infraction à l'article 37-1 de l'ordonnance du 30 juin 1945; qu'en effet, il s'agit uniquement d'un volume global d'achats pour une année laissant le distributeur libre d'acquérir chacun des produits de la gamme du fabricant selon le rythme qui lui paraît le plus opportun; que d'autre part Leclerc ne se plaint pas d'un refus de vente ;

Considérant que de tels contrats qui permettent à la concurrence de s'exprimer non seulement sur les prix mais encore sur les éléments liés à l'image même du produit et aux services rendus aux consommateurs et qui favorisent le développement de la parfumerie de luxe sont compatibles avec l'article 85-1 du traité de Rome comme contribuant au progrès économique et réservant aux utilisateurs une part équitable du profit sans imposer des restrictions non indispensables et sans aboutir à une élimination de la concurrence ; qu'ils ne sont pas incompatibles avec les articles 50 et 37 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ; que l'exemption de l'article 51-2 joue à leur profit, observation étant faite que l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est pas applicable en raison de la date des faits ;

B) Givenchy :

Considérant qu'il n'apparaît pas que Givenchy utilise, pour choisir ses distributeurs, la même " feuille de notation " que Dior, il demeure que les conditions générales de vente annexées aux contrats en usage dans ce réseau comme le contrat lui-même se réfèrent aux mêmes critères objectifs de caractère qualitatif que le contrat Dior ; qu'ils ne contiennent pas plus des discriminations ou des limitations quantitatives non justifiées, qu'ils n'interdisent pas la vente de produits concurrents la seule limitation étant l'atteinte à l'image de la marque Givenchy ; que le revendeur ne se voit pas imposer un prix de revente ; que ces contrats permettent au consommateur par la collaboration du distributeur et de la marque d'obtenir dans le meilleur cadre pour un produit de luxe, avec les meilleurs conseils, les produits les plus nouveaux et dans le meilleur état de conservation ; qu'ils n'empêchent pas les importations parallèles en provenance du réseau ; que Givenchy produit une lettre de classement de la Commission des Communautés européennes fondée à la fois sur la mise en conformité des contrats ainsi que sur la faible part de marché détenue par ce parfumeur, ce que confirme l'étude statistique mise aux débats par Dior ; que le moyen basé sur l'article 37-1 de l'ordonnance du 30 juin 1945 n'est pas plus fondé que pour Dior ;

Que la licéité du réseau est donc à bon droit affirmée par Givenchy au regard des textes précités.

C) Lanvin :

Considérant que les conditions générales de vente annexées au contrat en usage dans le réseau de Lanvin dont la faible part dans le marché résulte des productions de Dior et ce contrat lui-même contiennent, en substance, les mêmes stipulations que le contrat de Givenchy et le contrat de Dior ; que sa régularité n'est pas plus contestable ;

D) Nina Ricci :

Considérant que les conditions générales de vente annexées au contrat en usage dans le réseau Nina Ricci et ce contrat lui-même contiennent, en substance, les mêmes stipulations que les contrats Givenchy et Dior ; qu'une lettre de classement ayant la même justification est encore produite ; que les productions de Dior confirment la faible part de marché appartenant à Nina Ricci ; que pour les mêmes motifs que précédemment la licéité doit être admise ;

2- Sur l'efficacité des réseaux de distribution :

Considérant que Leclerc fait valoir que les réseaux de distribution de chacun des quatre parfumeurs sont loin d'être sans faille ; qu'il serait " notoire que les parfumeurs approvisionnent des distributeurs non agréés et qui n'ont que l'apparence de distributeurs agréés, instituant et couvrant ainsi les failles de leur système à leur avantage " ; que ceci serait démontré par un arrêt de la Cour d'appel de Poitiers ; que Dior répond que les arrêts de règlement demeurent prohibés ; qu'il n'y a pas chose jugée ; que son réseau serait parfaitement " étanche " ; qu'elle ne vendrait pas à des " discounters ", poursuivrait tout contrevenant et résilierait immédiatement les contrats ;

Considérant, ceci exposé, qu'il convient d'examiner quelle est l'efficacité des réseaux de chacune des intimées, observation étant faite au préalable que l'arrêt de la Cour d'appel de Poitiers invoqué par Leclerc n'ayant pas été prononcé entre les mêmes parties ne peut avoir l'autorité de la chose jugée dans la présente instance ;

A) Dior :

Considérant qu'il résulte des pièces produites par Dior que celle-ci fournit deux réseaux de distribution distincts :

- celui des boutiques sous douane " duty free shops " dont les exploitants, selon le contrat pour 1985, mis aux débats, s'interdisent de céder à un point de vente autre qu'un revendeur en franchise de la Communauté économique européenne agréé par Dior, ainsi qu'à toute société ou collectivité ; qu'un contrôle des reventes à un autre revendeur est réservé à Dior ; qu'en cas d'infraction Dior se réserve de cesser toute relation commerciale, de racheter le stock et reprendre le matériel publicitaire ;

- celui des pays du marché commun ; qu'il existe une filiale par pays sauf le Danemark, l'Espagne et le Portugal ;

Que les concessionnaires et les filiales, selon leurs contrats, ne peuvent revendre (sauf l'exception CEE) qu'à des distributeurs agréés dont les contrats mis aux débats n'autorisent la vente (sauf l'exception CEE) qu'au public à l'exclusion de tout commerçant ou collectivité et toute infraction est sanctionnée par la résiliation sans préavis du contrat ;

Considérant que Dior fournit une liste, avec références des décisions de justice, des commerçants ayant fait l'objet de poursuites ;

Qu'il s'agit de distributeurs agréés français, de revendeurs non agréés français, luxembourgeois, italiens, belges, allemands et néerlandais ; que ces poursuites s'étagent entre 1983 et 1988 ;

Mais considérant que Dior qui savait dès le premier constat du 22 février 1985, par les réponses de deux préposés de Leclerc aux questions de l'huissier sur l'origine des produits Dior exposés à la vente, que le fournisseur serait la centrale régionale d'achat SCAP sud, rue de l'Industrie (77176) Savigny Le Temple, ce qu'aucune facture au demeurant ne confirmait, n'a rien fait pour vérifier cette allégation et a fortiori pour remonter jusqu'à la source des produits commercialisés en dehors de son réseau de vente ; que dès lors, en dépit de ses productions de contrats et de listes de procédures elle ne démontre pas qu'en l'espèce elle ait réellement cherché à découvrir lequel de ses affiliés avait violé ses obligations contractuelles; que faute par elle de prouver que le défaut " d'étanchéité " de son réseau ne lui est pas imputable, elle n'est pas fondée à reprocher à Leclerc de vendre des produits Dior dont il n'est pas certain qu'ils aient été mis dans le circuit commercial parallèle sans son consentement;

B) Givenchy, Nina Ricci et Lanvin :

Considérant que ces trois sociétés se bornent à produire des contrats contenant la clause classique interdisant la revente à toute autre personne qu'un utilisateur final (sauf l'exception CEE) et à attester, pour les deux premières, par leur chef de service juridique qu'elles sont liées au sein de l'Europe à des importateurs distributeurs exclusifs ne vendant qu'à des distributeurs agréés et non à des " grossistes inconnus ", elles ne prouvent pas plus que Dior que le défaut " d'étanchéité " de leurs réseaux respectifs ne leur est pas imputable et que les produits offerts à la vente par Leclerc le 22 février 1985 pour les deux premières et le 1er juillet 1985 pour toutes les trois n'aient été mis sur le marché parallèle avec leur assentiment ;

Considérant qu'ainsi l'offre à la vente et/ou la vente par Leclerc des produits Dior, Givenchy, Nina Ricci et Lanvin n'était fautive en elle-même dans les circonstances de l'espèce ;

3- Sur les faits distincts allégués par les appelantes :

A) Sur la pratique d'un taux de TVA de 18,60 % au lieu de 33,33 % :

Considérant qu'à juste titre Leclerc répond qu'il s'agit d'une affirmation gratuite de Dior qu'aucune preuve ne vient étayer ; qu'en effet le seul constat effectué avec achat de produits mentionne que l'huissier a réglé par chèque une somme totale de 938,50 F et qu'une facture lui a été remise ; que cette facture dont seul le total est connu n'est pas produite ; que si une TVA a été perçue au taux de 18,60 % c'est par l'huissier sur le coût du procès-verbal de constat (226,67 F sur 1 218,64 F) ;

B) Violation de l'article L. 658-2 du Code de la santé publique :

Considérant qu'aucune des appelantes n'ayant démontré que ces produits cosmétiques étaient fabriqués, conditionnés ou importés par Leclerc elles ne peuvent utilement reprocher à celle-ci de n'avoir pas effectué la déclaration prévue à l'article L. 658-2 du Code de la santé publique ;

C) Dérive des ventes :

Considérant que ce grief n'est pas fondé dès lors qu'il ne résulte pas de l'un ou l'autre des constats que l'huissier ayant demandé à acquérir un des produits de marque il lui aurait été proposé d'acheter des produits d'une autre marque ;

D) Dénigrement par présentation dans un cadre inapproprié :

Considérant que dès lors qu'aucun des quatre parfumeurs ne prouve qu'en l'espèce il a fait le nécessaire pour empêcher l'existence d'un circuit parallèle de vente, faute d'avoir même recherché à déterminer l'origine de la défaillance dont Leclerc a bénéficié directement ou indirectement, ceux-ci ne sont pas fondés à se plaindre de ce que les produits ayant, du fait même de leur carence, échappé au circuit contractuel de distribution, ces produits soient vendus par un commerçant dans un cadre ne correspondant pas aux exigences des contrats de distribution sélective ; que dès lors que Leclerc n'était pas partie aux contrats, elle a pu vendre ou offrir à la vente les produits en cause dans le même cadre et selon les mêmes méthodes que les autres produits qui font l'objet de son commerce sans engager sa responsabilité ;

E) Marque d'appel :

Considérant que, le 22 février 1985, l'huissier a constaté que les produits se trouvaient " dans une vitrine, au droit du comptoir d'accueil " ; que l'huissier a noté le nombre des produits :

- pour Nina Ricci : 3 références soit 8 articles,

- pour Givenchy : 7 références soit 13 articles,

- pour Dior : 4 références soit 9 articles ;

Que les responsables de Leclerc ont indiqué à l'huissier que " cette livraison était d'une quantité réduite et sans stock " ;

Que lors du constat du 1er juillet 1985, l'huissier a trouvé dans la même vitrine, au même emplacement " des parfums et produits Nina Ricci, Givenchy, Dior, Lanvin ... " ; qu'un responsable du magasin lui a fait constater que l'armoire était fermée à clef ; qu'il a précisé successivement que les produits " étaient détenus en vue de la vente " puis que " ces produits n'étant pas vendus au public il ne pouvait (me) les vendre " ; que l'huissier étant revenu le même jour accompagné d'un inspecteur de police, il a constaté la disparition de la vitrine ; qu'une responsable du magasin, après avoir affirmé " qu'elle n'était pas au courant de la présence de tels produits " a finalement déclaré que " les produits étaient hors vente " ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces constatations qui ne font l'objet d'aucune contestation que ces produits de prestige étaient disposés à l'entrée du magasin, bien en évidence, pour attirer la clientèle mais qu'ils étaient en nombre très limité et sans stock de telle sorte que Leclerc n'était manifestement pas en mesure de satisfaire la demande, eu égard à l'importance de sa clientèle lors du premier constat et se refusait même à vendre les produits lors du second ; qu'une telle utilisation des marques d'autrui par un commerçant alors qu'il n'est pas en mesure de satisfaire la demande et a fortiori lorsqu'il se refuse à le faire est fautive alors même qu'il n'y aurait pas concurrence entre les exploitations;

F) Publicité mensongère :

Considérant que les appelantes affirment, sans le prouver, que Leclerc aurait fait paraître des publicités pour les produits qu'elle présentait dans sa vitrine ;

Considérant qu'en réalité le grief porte sur la mention de vente exclusive par distributeur agréé qui aurait été portée sur les produits alors qu'il est acquis aux débats que Leclerc n'avait pas cette qualité ;

Considérant que si les parties n'ont pas cru devoir présenter à la cour les produits mis sous scellés, le premier constat relate que :

- sur la boite " Givenchy 3 " figure la mention " ne peut être vendu que par les dépositaires agréés ",

- sur la boite " Eau de fleurs Nina Ricci " est écrite la mention " vente exclusive dépositaires agréés ",

qu'aucune mention de cette nature n'est indiquée pour Dior ; qu'il n'y avait pas de produit Lanvin ; que lors du second constat l'huissier n'a pas été en mesure de lire d'autre indication que les noms des marques ; que la cour ne saurait se satisfaire des affirmations des parfumeurs selon lesquelles toutes les boites portaient des mentions de cette nature alors qu'il leur était loisible de produire les exemplaires mis sous scellés qui leur avaient été remis par l'huissier ;

Considérant qu'il est allégué que l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 prohibant toute publicité, sous quelque forme que ce soit, portant des indications de nature à induire en erreur, notamment sur les conditions et procédés de vente, le fait par Leclerc d'avoir offert à la vente des produits Givenchy et Nina Ricci portant une mention de vente exclusive par un distributeur agréé de ces marques était de nature à tromper le consommateur sur les rapports contractuels pouvant exister entre Leclerc, Givenchy et Nina Ricci d'autre part; que toutefois les emballages n'étant pas produits par Givenchy et Nina Ricci, qui ont la charge de prouver la faute de Leclerc, il n'est pas possible d'affirmer que le " message " était disposé à un emplacement apparent et rédigé en caractères tels que le consommateur puisse en prendre connaissance, observation étant faite que le seul emballage mis aux débats par Dior (parfum Poison) étranger au constat porte une telle mention en tout petits caractères sur le fond de la boite sur lequel elle repose lorsqu'elle est présentée à la vente ; que le moyen n'est donc pas fondé;

G) Prix anormalement bas :

Considérant que dans la mesure où ce grief pourrait être décelé dans les méandres de l'argumentation des appelantes il n'est nullement prouvé que les prix constatés par l'huissier soient notablement inférieurs aux prix habituellement pratiqués par les réseaux des appelantes, observation étant faite qu'outre que les éléments de comparaison ne sont pas fournis il n'existe pas selon celles-ci de prix imposé ;

4- Sur la réparation :

Considérant que par le seul fait de la pratique des marques d'appel au préjudice de chacune des quatre appelantes Leclerc a occasionné à celles-ci un préjudice certain qui n'est pas symbolique et que la cour a des éléments pour évaluer comme ci-après ;

Que l'appel n'étant que partiellement admis il n'y a pas lieu à publication ; qu'en revanche l'astreinte demeure indispensable pour éviter la réitération des agissements condamnés ; qu'il est équitable d'ajouter une nouvelle somme à celle allouée par les premiers juges au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; qu'en revanche Leclerc qui est condamné conserve ses frais non taxables ;

Par ces motifs : Déclare licites les contrats de distribution sélective produits par les appelantes ; Dit que le simple fait par la société Montgeron Distribution de vendre des produits concernés par ces contrats de distribution sélective ne constitue pas une faute eu égard aux circonstances de la cause ; Dit que la société Montgeron Distribution en exposant et en offrant à la vente, à l'entrée de son magasin, des produits distribués par les sociétés parfums Nina Ricci, Lanvin parfums, parfums Givenchy, parfums Christian Dior, sans avoir aucun stock, et à seule fin d'attirer la clientèle a engagé sa responsabilité ; Lui fait défense, sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt de réitérer de tels agissements ; La condamne à payer à : - la société parfums Nina Ricci une indemnité de 50 000 F, - la société Lanvin parfums une indemnité de 50 000 F, - la société parfums Givenchy une indemnité de 50 000 F, - la société parfums Christian Dior une indemnité de 50 000 F et à chacune d'elles une somme supplémentaire de 5 000 F en sus de celle allouée par les premiers juges ; Réforme le jugement dans ses dispositions contraires au présent arrêt ; Condamne la société Montgeron Distribution aux dépens ; Admet la SCP Paul Boncour Faure, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs autres demandes.