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Décisions

CA Bourges, 1re ch., 11 septembre 1989, n° 121-88

BOURGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Chaffin (Époux), Labbe

Défendeur :

Soupiron (Époux), Crochet, Villentrois-Viandes (SARL), Bro-Rodde (ès qual.), Souchon (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Solinhac

Conseillers :

MM. Velly, Bonniot

Avoués :

Mes Rahon, Tracol, Bart

Avocats :

Mes Lière, Grietten

T. com. Châteauroux, du 2 déc. 1987

2 décembre 1987

Résumé des faits et de la procédure :

Par acte notarié du 14 janvier 1986, passé devant Me Langlois, notaire à Vic-Sur-Nahon, (Indre), M. et Mme Didier Chaffin ont vendu, à M. et Mme Philippe Soupiron, un fonds de commerce de détail de boucherie-charcuterie, qu'ils exploitaient à Villentrois, (Indre), pour le prix de 90 000 F ;

Par cet acte, les premiers s'interdisaient de faire valoir directement ou indirectement un fonds de commerce similaire, dans un rayon de 20 kms à compter du 14 janvier 1986, à peine de dommages-intérêts envers l'acquéreur ;

Or, par bail commercial du 14 février 1987, M. et Mme Chaffin accordaient à la SARL " Les Désosseurs Réunis " un droit au bail commercial pour l'exploitation d'un local situé route de Lucay le Male à Villentrois, destiné à l'activité de transformation sans abattage, courtage de viandes en gros ;

Puis le 10 avril 1987, se constitue la société Villentrois-Viandes, dont l'objet social est le commerce de viandes en gros sans abattage, demi-gros et détails, salaisons, traiteurs, plats cuisinés, charcuterie, volailles, triperie et gibiers qui exerce son activité dans les locaux donnés à bail par M. et Mme Chaffin aux " Désosseurs Réunis " ;

Parallèlement, M. Chaffin est recruté par la société Villentrois Viandes ;

Considérant que la clause de non-concurrence, contenue dans l'acte de vente du 14 janvier 1986, n'avait pas été respectée, M. et Mme Soupiron ont formé une action contre leurs vendeurs devant le Tribunal de commerce de Châteauroux, le 22 mai 1987, pour obtenir la fermeture de ce nouveau fonds créé et la condamnation des Chaffin à leur payer 250 000 F de dommages-intérêts ;

Par jugement du 2 décembre 1987, cette juridiction a :

- ordonné la cessation immédiate de l'activité de viande de boucherie et charcuterie aux particuliers de la société Villentrois-Viandes dans un rayon de 20 kms autour de Villentrois et pendant la durée prévue par l'acte du 14 janvier 1986 ;

- dit que cette cessation était assortie d'une astreinte de 2 000 F par jour à compter du jugement ;

- condamné M. et Mme Chaffin solidairement avec la société Villentrois-Viandes à verser à M. et Mme Soupiron une somme de 50 000 F de dommages-intérêts, et une autre de 5 000 F, au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Les époux Chaffin ont interjeté appel le 7 janvier 1988 ;

Moyens et prétentions des parties :

Les appelants sollicitent :

- la réformation du jugement contesté ;

- l'irrecevabilité de l'action des époux Soupiron et, subsidiairement ;

- la constatation que la cession à la société Villentrois ne leur a pas été notifiée ;

- que cette cession leur est inopposable, ainsi que toutes ses conséquences ;

- leur mise hors de cause ;

- et la condamnation des " Désosseurs Réunis " et de Villentrois-Viandes à 25 000 F de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de la procédure abusive et injustifiée dont ils sont l'objet ;

Enfin, ils tendent à l'allocation à leur profit d'une somme de 10 000 F par les Chaffin, au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Ils soulignent qu'ils ont ignoré les tractations entre la SARL Les Désosseurs Réunis et Villentrois-Viandes, qu'ils n'ont pas été informés du changement d'affectation ni des statuts de Villentrois et, qu'ainsi, ils ont été trompés par les dirigeants de ces deux sociétés, qui s'avéraient être les mêmes personnes ;

Ils estiment qu'ils n'ont de lien de droit qu'avec les " Désosseurs Réunis " et que, de ce fait, la demande en concurrence déloyale des Soupiron s'avère irrecevable ;

Subsidiairement, ils affirment n'avoir pas contrevenu à la clause dénoncée, et entendent faire intervenir, par le biais de l'assignation forcée, Les Désosseurs Réunis et Villentrois-Viandes pour qu'ils garantissent éventuellement les conséquences de sommes qui pourraient être mises à leur charge ;

De leur côté, M. et Mme Soupiron tendent au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement critiqué et à la condamnation in solidum des époux Chaffin et de la société Villentrois-Viandes à leur verser, à titre de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence, la somme de 50 000 F, outre les intérêts de droit à compter du 2 décembre 1987, et une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Ils font valoir que par bail du 1er mars 1987, M. et Mme Chaffin ont bien loué leurs locaux à Villentrois-Viandes et qu'ils étaient donc informés des relations et cessions entre les deux sociétés ;

Ils exposent ainsi que Villentrois-Viandes vendaient de la viande à des particuliers, ce qui caractérise la violation de la clause de non-concurrence, d'autant plus que M. Chaffin, salarié de cette société, ne pouvait ignorer qu'elle avait installé une activité identique, pour partie, à celle des époux Soupiron ;

Ils mettent aussi en valeur que leur chiffre d'affaires a aussitôt baissé à la suite de l'installation de Villentrois-Viandes ;

En réplique, M. et Mme Chaffin exposent que si M. Chaffin a travaillé en qualité d'ouvrier boucher à Villentrois-Viandes, il a eu, en toute bonne foi, qu'il s'agissait des Désosseurs Réunis puisqu'il n'y avait eu aucun changement de personnel et que la société étant gérée par les mêmes dirigeants ;

Ils sollicitent la jonction de l'appel en garantie de Me Souchon, liquidateur des Désosseurs Réunis à la présente procédure ;

Le 20 octobre 1988, M. et Mme Soupiron ont assigné devant cette cour Me Bro-Rodde, liquidateur de la société Villentrois Viandes ;

Le 22 novembre 1988, M. et Mme Chaffin ont effectivement appelé en garantie Me Souchon mandataire liquidateur à la liquidation des biens des " Désosseurs Réunis " pour qu'en vertu de l'article 12 du bail du 14 février 1987 les " Désosseurs Réunis, pris en la personne de Me Souchon, soit déclaré garant solidaire de son cessionnaire la société Villentrois-Viandes et seule responsable avec Villentrois-Viandes des actes de concurrence déloyale qui auraient pu être commis ;

Enfin, le 12 janvier 1989, M. et Mme Chaffin ont assigné en intervention Me Bro-Rodde, liquidateur de Villentrois-Viandes, pour qu'il intervienne aux débats.

Ni Me Souchon, ni Me Bro-Rodde, ni la société Villentrois-Viandes n'ont conclu, les deux premiers n'ayant pas constitué avoué ;

Motifs de l'arrêt :

1° Sur l'action de M. et Mme Soupiron contre M. et Mme Chaffin et la société Villentrois-Viandes :

L'acte notarié du 14 janvier 1986 portant vente du fonds de commerce entre M. et Mme Chaffin et M. et Mme Soupiron comporte la clause suivante :

" M. et Mme Chaffin s'interdisent expressément la faculté de créer ou faire valoir directement ou indirectement aucun fonds de commerce similaire en tout ou en partie au fonds vendu, comme aussi d'être associé ou intéressé, même à simple titre de commanditaire dans un commerce de cette nature dans un rayon de 20 kms à vol d'oiseau du siège du fonds vendu et pendant 10 années à compter de ce jour, à peine de tous dommages-intérêts envers l'acquéreur, comme aussi sans préjudice du droit qu'ils auraient de faire cesser cette contravention " ;

En l'espèce, l'acte de constitution de la société Villentrois-Viandes, reçu par Me Deleau notaire à Meusnes (Loir-et-Cher), le 10 avril 1987, comporte l'objet social : " commerce et viandes en gros sans abattage, demi-gros et détails, salaisons, traiteurs, plats cuisinés, charcuterie, volailles, triperie et gibiers ", et son siège social, à Villentrois, route de Lucay-Le-Male.

Cet objet social concernant le commerce de viandes au détail était formellement prohibée par l'acte de vente du 14 janvier 1986 ;

M. Chaffin ne peut jouer à l'innocence en affirmant n'avoir pas été au courant de cet objet social, alors qu'il réplique à l'huissier, venu l'interpeller, le 7 mai 1987, qu'il a conclu un bail avec Villentrois-Viandes ", le 1er mars 1987, en l'étude de Me Deleau, et qu'il est salarié de cette société depuis le 7 avril 1987 ; il précise même que l'objet du fonds était le " conditionnement de viandes avec faculté de vendre aux particuliers de la viande à partir de 5 kgs ". Son épouse répond à l'officier ministériel dans les mêmes termes, ce qui signifie aussi qu'elle connaît parfaitement l'activité de Villentrois-Viandes ;

Comme la société ne comprenait que quatre ouvriers, dont M. Chaffin, il était aisé à celui-ci de mesurer qu'en commercialisant de la viande aux particuliers, et même à moins de 5 kgs, comme les attestations fournies l'indiquent, il violait les termes du contrat de vente par cette participation à une concurrence déloyale. De manière supplémentaire, il a fourni une feuille de paie où l'employeur est bien noté comme étant Villentrois-Viandes ;

Mme Nicole Glancer, gérante, à la fois de la société Les Désosseurs Réunis, et de Villentrois-Viandes, connaissait l'interdiction de commercialiser de la viande aux particuliers, puisque dans le bail du 14 février 1987 entre les époux Chaffin et " Les Désosseurs Réunis " il était expressément stipulé que les locaux étaient " exclusivement destinés à exploitation des activités commerciales suivantes : transformation sans abattage, courtage et entremise de viandes en gros " ;

Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont ordonné la cessation immédiate de l'activité de viandes de boucherie et charcuterie aux particuliers par la société Villentrois-Viandes conformément à l'acte du 14 janvier 1986, et ce, assorti d'une astreinte qui sera plus raisonnablement ramenée à 1 000 F par jour ;

La garantie d'éviction constitue pour le vendeur une double obligation ; il doit, en premier lieu, s'abstenir de porter personnellement atteinte au droit transmis à son acquéreur et, en second lieu, assurer la protection de cet acquéreur contre les risques d'éviction, résultant de l'action des tiers à l'encontre de l'acheteur. Ainsi, tant M. et Mme Chaffin, que la société Villentrois-Viandes doivent supporter les conséquences de leurs fautes;

Pour demander 50 000 F de dommages-intérêts, M. et Mme Soupiron produisent :

- quatre attestations de personnes qui ont acquis de la viande au détail, pour un total de 1 400 F environ, en avril 1987 ;

- une attestation de leur comptable du 19 mai 1987 indiquant les différents chiffres d'affaires de leur boucherie des mois précédents :

- janvier 87 : 72 306 F

- février 87 : 68 860 F

- mars 87 : 55 800 F

- avril 87 : 74 397 F

Or, " Villentrois Viandes " a commandé ses activités courant avril 1987 ;

- trois bilans comptables pour les années 1986, 1987 et 1988. Mais ceux-ci reproduisent une série de chiffres sans aucun commentaire de la part de la société d'experts-comptables qui les a établis. M. et Mme Soupiron n'ont pas cru devoir, non plus, les faire expliciter par un homme de l'art et ont négligé de solliciter une expertise technique pour pouvoir déterminer l'influence exacte de " Villentrois " sur leur propre activité commerciale. La Cour s'interdit de commenter des chiffres livrés à l'état brut, dont les différences peuvent s'expliquer par plusieurs facteurs ;

En résumé, les dommages-intérêts doivent tenir compte, à la fois, de la violation du contrat de vente qui a débouché sur un exercice de concurrence déloyale dont la portée n'est pas prouvée comme très étendue ;

Aussi est-ce une somme de 15 000 F de dommages-intérêts qui sera équitablement allouée solidairement par M. et Mme Chaffin et la société Villentrois-Viandes à M. et Mme Soupiron. Le jugement critiqué sera donc réformé, sur ce point, mais confirmé sur la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, à laquelle une autre de 3 000 F viendra s'ajouter pour les frais non compris dans les dépens en procédure d'appel. Comme la société Villentrois-Viandes est en liquidation de biens, elle ne peut être condamnée à verser une somme, M. et Mme Chaffin devant produire à cette liquidation ;

2° Sur l'intervention forcée de la société Les Désosseurs Réunis :

Dans le bail du 14 février 1987 entre les époux Chaffin et Les Désosseurs Réunis, il était stipulé que le preneur était garant solidaire de son cessionnaire pour l'exécution des conditions du bail, qui précisait bien que les locaux étaient uniquement destinés à la transformation et au courtage de la viande en gros ;

En conséquence, il est logique d'étendre la solidarité à cette société responsable de n'avoir pas veillé à l'application du bail, qui étant elle aussi, en liquidation, ne pourra être condamnée à régler une somme, M. et Mme Soupiron devant également produire au passif de la liquidation ;

M. et Mme Chaffin devront donc être déboutés de toutes leurs demandes, mal fondées ;

Par ces motifs : Reçoit, en la forme, l'appel de M. et Mme Didier Chaffin ; Au fond, le dit partiellement mal fondé ; Confirme le jugement déféré sur la cessation immédiate de l'activité de viandes de boucherie et charcuterie aux particuliers de la société Villentrois-Viandes dans un rayon de 20 kms autour de Villentrois et pendant la durée prévue à l'acte du 14 janvier 1986 et sur la somme de 5 000 F de dommages-intérêts ; La réforme pour le surplus, et statuant à nouveau, Fixe à 1 000 F par jour l'astreinte pour le respect de l'interdiction, et à 3 000 F la somme supplémentaire au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Fixe à 15 000 F l'allocation de dommages-intérêts que recevront M. et Mme Soupiron ; Déclare solidairement responsables de cette concurrence déloyale, M. et Mme Chaffin, la société Villentrois-Viandes et la société Les Désosseurs Réunis ; Déboute M. et Mme Chaffin de toutes leurs autres demandes ; Dit que ces deux sociétés étant en liquidation, M. et Mme Soupiron devront produire à leur liquidation respective ; Déclare le présent arrêt commun à Mes Bro-Rodde et Souchon, leurs liquidateurs respectifs ; Dit que les dépens seront supportés par M. et Mme Chaffin et accorde à Me Tracol, avoué, le bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.