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Décisions

CA Angers, 1re ch. A, 5 septembre 1989, n° 48-88

ANGERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Roche aux Moines (SCA)

Défendeur :

de Laroche (SCI), Laroche, Guisle-Rufa

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Panatard

Conseillers :

MM. Buisson, Dubois

Avoués :

Me Chatteleyn, SCP Gontier

Avocat :

Me Richou.

TGI Angers, du 2 nov. 1987

2 novembre 1987

Prononcé par l'un des magistrats ayant participé au délibéré, à l'audience publique du cinq septembre mil neuf cent quatre vingt neuf date indiquée par le président à l'issue des débats.

Par jugement du 2 novembre 1987, le Tribunal de grande instance d'Angers a, au terme d'un exposé des faits et d'une discussion auxquels il est renvoyé :

- reçu la SCA de la Roche aux Moines en ses demandes et la SCI de Laroche en son intervention ;

- déclaré la SCA de la Roche aux Moines bien fondée en sa demande relative à la dénomination sociale de la SCI de Laroche ;

- en conséquence dit que la SCI de Laroche devra adjoindre à sa dénomination sociale un signe distinctif pour éviter toute confusion avec la SCA de la Roche aux Moines, et ordonné l'exécution provisoire de ce chef ;

- débouté la SCA de la Roche aux Moines de ses autres demandes ;

- reçu la SCI de Laroche représentée par sa gérante, Mme Laroche, en sa demande reconventionnelle et l'a déclarée bien fondée en sa prétention relative à la radiation de la marque " Château de la Roche aux Moines " le 12 décembre 1983 ;

- ordonné en conséquence la radiation de la marque ainsi que la publication du dispositif du jugement dans trois journaux dont deux locaux, le tout aux frais de la SCA de la Roche aux Moines et dans la limite de 5 000 F pour chaque insertion de presse ;

- fait interdiction à la SCA de la Roche aux Moines d'utiliser pour toute nouvelle fabrication ou vente de tout produit la marque " Château de la Roche aux Moines " et ce, sous astreinte de 200 F par infraction constatée ;

- débouté la SCI de Laroche du surplus des demandes ;

- déclaré en tant que de besoin le jugement commun à M. Laroche ès-qualités d'associé de la SCI de Laroche ;

- partagé les dépens par moitié.

Les deux sociétés et les époux Laroche font appel.

La SCA, première appelante, a conclu le 2 novembre 1988.

Elle expose que par acte de maître Laforest, notaire à Angers, du 7 novembre 1962, elle a acheté aux consorts de Craecker, déjà domiciliés au Château de la Roche aux Moines, un ensemble immobilier à Savennières, lieudit La Roche aux Moines, comprenant le vignoble connu sous l'appellation " Coulée de Serrant ", diverses parcelles de terre, en nature de vigne, ressortant de l'appellation d'origine contrôlée " Savennières Roche aux Moines ", enfin les ruines de l'ancien château et la maison de maître plus récemment édifiée, outre diverses autres constructions.

Que par acte rectificatif en date du 30 mai 1963 les contractants faisaient préciser que l'ensemble de la propriété ainsi vendue formait le domaine du " Château de la Roche aux Moines " ; que c'est d'ailleurs sous ce dernier nom que les consorts de Craecker commercialisaient leur vin d'AOC Savennières et que la SCA a continué cette activité. Que dans les années 1980 les époux Laroche ont pris le contrôle de la SCI de la Cour, propriété voisine, comprenant également une maison de maître et un vignoble produisant un vin AOC Savennières Roche aux moines. Que les époux Laroche ont alors entretenu la confusion entre les propriétés et les productions alors que la notoriété de la SCA est mondiale. Que la SCI de la Cour a modifié sa dénomination en SCI de Laroche ; que l'adresse de Savennières - parfois lieudit la Cour (ou maison ou propriété de) - est devenue le Logis ou le Domaine de la Roche aux Moines ; qu'ont été déposées les marques " Château de la Roche aux Moines " et " Domaine aux Moines " tandis que la SCA elle-même exploitait et avait déposé les marques " Château de la Roche aux Moines ", " Domaine des Moines ", " Château de la Roche " ; qu'enfin diverses querelles sont survenues à cause de la disparition des panneaux routiers indiquant sa propriété, avec apparition de la nouvelle dénomination de la propriété Laroche, aux fins d'interdire à la clientèle de parvenir au Château de la Roche aux Moines situé plus bas.

Sur la concurrence déloyale, elle fait valoir que la mesure adoptée par les premiers juges quant à la dénomination sociale est insuffisante à faire cesser le trouble ; qu'il est indispensable d'interdire à la SCI d'user de la particule " de ", qui ne s'explique que par un souci de confusion.

Elle demande aussi, au besoin après transport sur les lieux, qu'il soit constaté que la SCI ne peut prétendre avoir siège ou même adresse ni au Domaine ni au Logis de la Roche aux Moines, s'agissant là d'une dénomination purement fantaisiste uniquement destinée à accroître la confusion car le seul château de la Roche aux Moines est celui se trouvant sur la propriété de la SCA, et que si à côté du château il y a ce qui était la propriété des moines, cette propriété a été morcelée entre divers propriétaires ; que le vocable de Domaine n'a plus été utilisé depuis ce morcellement et que la construction de la SCI a été appelée au moins depuis la révolution " Maison ou Logis de la Cour ".

Elle demande que la SCI se voit interdire d'user des expressions Domaine et Logis de la Roche aux Moines, que ce soit sur ses bouteilles, documents commerciaux, publicités ou panneaux indicateurs.

Sur les marques, elle demande la radiation des marques Château aux Moines et Domaine aux Moines en alléguant qu'elles sont uniquement destinées à copier les siennes ; que c'est de manière frauduleuse que la SCI pour obtenir le dépôt de la marque Château aux Moines a fait une déclaration certifiant que sa propriété était qualifiée de château.

Elle allègue que c'est à tort que les premiers juges ont refusé de radier les marques adverses comme il leur était demandé alors que ces marques sont postérieures à ses propres marques " Domaine des Moines " et " Château de la Roche " dont la validité n'était pas contestée, et cela indépendamment du problème de sa marque " Château de la Roche aux Moines ".

Enfin elle conteste la décision de radier cette marque " Château de la Roche aux Moines " en soutenant d'abord qu'il ne peut y avoir de confusion avec une appellation d'origine contrôlée " Roche aux Moines " qui n'existe pas, l'appellation d'origine étant " Savennières " et qu'au surplus le principe posé qu'une marque ne peut comprendre le nom géographique faisant l'objet de l'appellation contrôlée est erroné.

Elle sollicite des astreintes pour les condamnations, une expertise pour déterminer son préjudice, une provision de 500 000 F à ce titre et 25 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

La SCI de Laroche et les époux Laroche répliquent que, si dans les temps les plus anciens les deux propriétés ont été toutes deux dénommées " Roche aux Moines ", l'antériorité doit être reconnue à celle qui appartient à la SCI ; que l'acte de propriété de la SCA ne mentionne pas le Château de la Roche aux Moines et que le deuxième acte invoqué du 30 mai 1963 n'a aucune valeur et n'a pu être publié à la conservation des hypothèques ; qu'il est significatif d'une volonté d'accaparement ; que la propriété Laroche est celle des moines depuis plus de 600 ans alors que la propriété Joly était la Roche aux Ducs depuis au moins 1370 pour s'appeler ensuite Roche de Serrant ; que la propriété de la SCI s'appelle propriété de la Cour et en même temps propriété de la Roche aux Moines, avec une parcelle B 1141 portant la dénomination " La Roche aux Moines ; Château " (acte de 1928).

La SCI conclut à la confirmation du jugement sur la radiation de la marque Château de la Roche aux Moines.

Sur la demande " en modification de la raison sociale SCI de Laroche et en interdiction d'utilisation de certains termes " la SCI approuve les premiers juges d'avoir rejeté les demandes tendant à l'interdiction d'user des mots " mis en bouteille au Domaine de la Roche aux Moines ou Domaine ou Château aux Moines " au motif qu'on ne savait pas si cette demande était corrélative à la demande de la " radiation de la marque " ou était une demande distincte. La SCI ajoute sur ce chapitre " qu'aucune demande nouvelle ne serait recevable pour la première fois en cause d'appel ".

Elle fait valoir qu'elle n'a pas à débaptiser son bâtiment entouré de parcelles toutes dénommées " La Roche aux Moines " d'autant plus qu'elle n'a même pas usé de la dénomination parcellaire " Château " ; que personne ne peut s'arroger le nom de la Roche au Moines, ce que la SCA fait à tort ; que la règle " nemo auditur " s'oppose à ce que la SCA lui interdise d'user de la dénomination de Laroche ; que rien ne l'obligeait à conserver le nom de SCI de la Cour ; qu'elle est en droit de prendre le nom de ceux qui la composent et de garder la préposition " de " qui n'a jamais été une particule et qui était déjà utilisée par ses prédécesseurs ; elle demande donc à être déchargée de toutes condamnations sur ce point.

Elle réclame 50 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive, 50 000 F pour appel abusif et à dessein de nuire, 15 000 F et 25 000 F pour frais irrépétibles.

Ces conclusions de 22 pages ne font pas la moindre allusion aux conclusions d'appel adverses signifiées quatre mois plus tôt.

Jean-François Laroche conclut en outre séparément le même jour pour être mis hors de cause et réclamer pour son compte personnel 5 000 F pour frais irrépétibles.

Puis les parties ont longuement répliqué.

Après la clôture -pourtant déjà retardée à la demande des parties- la SCI a demandé la révocation pour pouvoir verser des pièces, notamment des étiquettes sous lesquelles les productions de la SCI de la Cour (aujourd'hui SCI de Laroche) étaient vendues en bouteilles et une lettre de Mme Joly (SCA de la Roche Aux Moines) du 4 juin 1984.

La SCA a conclu aussi à la révocation de l'ordonnance de clôture et s'est expliquée sur les documents produits, affirmant en particulier au sujet des étiquettes que la dénomination Domaine avait été refusée par l'INAO et le Service de la Répression des Fraudes, que ces étiquettes n'ont jamais été utilisées et qu'il n'est même pas justifié que le prédécesseur de la SCI de Laroche ait jamais commercialisé son vin en bouteilles, et pour cause puisqu'il l'a toujours vendu en vrac ; répétant que, ni la SCI, ni ses auteurs ne peuvent utiliser le terme Château, faute d'un usage préalable.

La SCI et les époux Laroche ont tenu à répliquer en dernier. On trouve dans leurs conclusions l'affirmation que " la SCA a refusé de conclure sur son appel ; que les concluants ont signifié et déposé leurs conclusions le 5 mars 1989 ; que la SCA a attendu le 10 avril 1989 pour donner ses premières écritures d'appel ...puisqu'elle attendait des écritures des concluants qu'elles lui apportassent matière à polémiquer ".

Ces énonciations sont inexactes puisque la SCA, première appelante, a bien conclu en premier à la date de l'injonction qui lui en avait été faite, que ces conclusions dûment notifiées, ont été rappelées ultérieurement par elle, et que l'échange de conclusions a été contrôlé contradictoirement aux conférences de mise en état.

Discussion

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture

La SCI et les époux Laroche alléguant qu'ils n'ont pu retrouver certaines pièces qu'après recherche et les parties s'accordant pour vouloir en discuter, il y a lieu de faire droit aux demandes conjointes de révocation.

Sur la mise en cause personnelle de M. Laroche

Sur ce point la motivation du tribunal, page 6 du jugement, mérite approbation.

Il paraît d'ailleurs quelque peu contradictoire pour M. Laroche de conclure à sa mise hors de cause et de se joindre aux conclusions prises le même jour par la SCI de façon à participer à la discussion sur le fond de l'affaire. Sur la demande tendant à voir modifier la dénomination sociale de la SCI de Laroche.

Ainsi que l'a constaté le tribunal, la récente dénomination sociale de la SCI de Laroche, qui a pris la suite de la SCI de la Cour, prête à confusion avec celle de la SCA de la Roche aux Moines, qui existe depuis maintenant 27 ans.

Cette confusion a été poussée à un tel point qu'il est arrivé que le nom Laroche soit écrit La Roche comme par exemple sur les pages jaunes de l'annuaire du téléphone 1987.

C'est à juste titre que le tribunal a estimé qu'il y avait là un abus qu'il convenait de faire cesser en enjoignant à la SCI de Laroche d'adjoindre à sa dénomination un signe distinctif tel qu'un prénom.

Les objections de la SCI consistent à invoquer l'irrégularité du nom de la SCA de la Roche aux Moines, par l'appropriation abusive du terme " Roche aux Moines ", ce qui constituerait une infraction.

Il semble que la SCI fasse ici allusion à des règles concernant le droit des marques qui n'ont rien à voir ici. En principe le nom des personnes morales est libre et leur usage est soumis à la règle de l'antériorité. Au surplus la SCA a bien acquis en 1962, entre autres biens, une propriété dite la " Roche aux Moines " de sorte qu'on ne voit pas où serait l'irrégularité ou l'abus, qui, s'ils existaient, auraient dû apparaître au notaire Jean-François Laroche lorsque, en 1982, il a mis à jour les statuts de cette SCA. C'était donc bien à la SCI d'éviter toute confusion lors de son changement de nom qui ne lui est pas reproché dans son principe même mais dans ses modalités.

Il y a lieu de faire droit à la demande complémentaire de la SCA qui sollicite, outre l'adjonction du signe distinctif exigé par les premiers juges, la suppression de la préposition " de " qui peut avoir une utilité grammaticale devant un nom commun (SCI de la Cour) mais qui devant le nom propre Laroche ne peut s'expliquer que par une volonté d'imiter plus complètement le nom de la société concurrente.

Sur les marques

La SCA a fait enregistrer les marques :

- Château de la Roche aux Moines le 12 décembre 1943

- Domaine des Moines le 11 décembre 1984

- Château de la Roche le 13 juin 1984

La SCI a fait enregistrer les marques :

- Château aux Moines le 26 septembre 1984

- Domaine aux Moines le 5 mars 1985

La SCA avait dans ses conclusions de première instance demandé la radiation de " la " marque de l'adversaire.

Le tribunal, tout en regrettant l'imprécision des demandes, a estimé qu'il fallait comprendre que la marque en question était celle de " Château aux Moines " et a jugé, statuant sur la demande reconventionnelle, que la SCA ne pouvait pas agir en contrefaçon étant donné que sa propre marque n'était pas valable comme prêtant à confusion avec l'appellation d'origine " Savennières Roche aux Moines " à laquelle avaient droit d'autres producteurs.

Il convient d'examiner successivement les divers problèmes de procédure et de fond dont la Cour est saisie par les conclusions d'appel.

Problème de procédure (concernant la marque Domaine aux Moines)

La SCA reproche au tribunal de ne pas avoir radié " les " marques de son adversaire et demande expressément la radiation des deux marques susvisées, ce qui constitue une demande nouvelle puisqu'il n'était question que d'une marque. Si les consorts Laroche, à qui ces premières conclusions paraissent avoir en grande partie échappé ainsi qu'il est dit à l'exposé des faits, ne se prononcent pas sur ces demandes précises, ils déclarent page 16 de leurs premières conclusions, sur un autre point de la discussion mais en termes généraux, qu'aucune demande nouvelle ne serait recevable pour la première fois en cause d'appel ; les parties n'étant pas tenues dans leurs conclusions aux mêmes obligations de rigueur que les juridictions, notamment quant à la distinction entre motifs et dispositifs, cette contestation est à considérer comme suffisante pour déclarer irrecevable la demande nouvelle concernant la marque " Domaine aux Moines ".

Marque " Château de la Roche aux Moines "

Cette marque n'a certes pas en l'état de caractère déceptif puisque cette société, comme d'ailleurs la SCA, produit bien du vin d'appellation contrôlée " Savennières La Roche aux Moines ", et qu'au surplus l'enregistrement n'a été accepté qu'après adjonction à la suite du mot " vins " de la mention " AOC provenant de l'exploitation exactement dénommée Château de la Roche aux Moines ".

Mais il est constant que d'autres producteurs que la SCA ont droit à l'appellation d'origine Savennières La Roche aux Moines et qu'il est contraire à l'esprit des textes, notamment sur les appellations d'origine, lesquelles sont inaliénables, incessibles et imprescriptibles, qu'un seul puisse s'approprier ce qui constitue une richesse commune. Si La Roche aux Moines n'est qu'un cru de l'AOC Savennières, il résulte des termes du décret du 8 décembre 1952 que les termes Savennières La Roche aux Moines forment un ensemble et la raison de l'interdiction est la même. Le jugement sera donc confirmé sur la radiation de cette marque.

Marque Château aux moines

Le tribunal n'a pas examiné au fond la demande de radiation de cette marque présentée par la SCA au motif que celle-ci n'avait pas une marque valable lui permettant d'agir en contrefaçon.

Cependant la demande de la SCA était aussi fondée, et l'est encore plus explicitement en appel, sur la notion de nullité résultant d'un dépôt frauduleux, au moins irrégulier.

Il s'agit là de principes généraux dont toute personne ayant un intérêt peut demander l'application, même si sa propre marque n'est pas valable, exactement comme la SCI a pu demander et obtenir la radiation de la marque " Château de la Roche aux Moines " sans qu'il lui ait été demandé de prouver au préalable qu'elle possédait une marque régulière.

Il résulte de lettres du 23 juillet 1985 et du 8 décembre 1985 du Service de la Répression des Fraudes (dont l'une adressée au maire de Savennières) que l'Institut National de la Propriété Industrielle a demandé au déposant de la marque une déclaration selon laquelle il certifiait que sa propriété était exactement qualifiée de Château, et que c'est sur cette déclaration que la marque a été enregistrée.

Ces lettres, dont copie est produite par les deux parties, ne sont pas contestées. Or il est constant que la propriété de la SCI n'a jamais été qualifiée de " Château " dans ses titres, que ni elle-même, ni ses prédécesseurs n'ont utilisé ce mot dans leur adresse ou leurs papiers commerciaux et que d'ailleurs elle déclare ne pas avoir utilisé non plus la marque en litige (alors qu'il y a maintenant près de cinq ans qu'elle est inscrite).

Par contre, la SCA démontre par de très nombreux documents commerciaux ou autres que le terme de " Château " de la Roche aux Moines est utilisé depuis plusieurs dizaines d'années comme lieu de domicile par elle et ses ayants cause et figurait en particulier déjà sur les étiquettes de vin de son prédécesseur. Les consorts Laroche le savaient d'ailleurs très bien puisque la SCA produit une lettre de maître Laroche du 11 mai 1978 adressée aux époux Joly, alors ses clients, à cette adresse du Château de la Roche aux Moines.

Il apparaît donc que l'inscription de la marque dont il s'agit était irrégulière, basée sur un renseignement faux et destinée à faire pièce à l'utilisation du mot château par l'adversaire, de sorte que cette marque doit être radiée.

Il y a lieu de noter ici que le droit des consorts Joly et de leurs prédécesseurs de se domicilier au " Château " ne se justifie pas par leur maison actuelle qui, comme celle de leurs voisins (mais en plus récent), est une grande maison de maître, les deux immeubles n'ayant pu être appelés l'un et l'autre château par les habitants, ou sur des cartes postales, que de façon pompeuse et excessive ; mais parce que c'est sur la propriété Laroche que se trouve partie des ruines du seul château ayant réellement existé dans ce lieu, lequel détruit sous Henri IV, a porté plusieurs noms successifs dont celui de la Roche aux Moines ; la propriété Joly comporte d'ailleurs non pas seulement comme d'autres propriétés voisines des parcelles Roche aux Moines mais des parcelles nommées " Vieux " Château et clos du Château. Et les consorts de Craecker, auteurs des Joly, étaient bien domiciliés au Château de la Roche aux Moines de même que leurs propres auteurs Jourdan au moins depuis 1930, tandis que M. Benz Bischel, auteur des Laroche, n'a pu se dire domicilié à cette même adresse que parce qu'il était alors locataire de Jourdan lorsqu'il a signé l'acte portant vente à Faure de la propriété de la Cour. Les consorts Laroche ne peuvent donc contester aux consorts Joly l'utilisation du mot Château comme nom ou adresse de leur propriété malgré l'inefficacité de l'acte rectificateur du 30 mai 1963.

Les radiations de marques qui viennent d'être prononcées seront assorties de l'interdiction de les utiliser pour l'avenir. En revanche, il ne paraît pas opportun d'ordonner pour l'une ou l'autre des mesures de publicité.

Sur les demandes tendant à faire constater que la SCI de Laroche ne peut prétendre avoir siège ou même adresse ni au Domaine, ni au logis de la Roche aux Moines et doit recevoir interdiction d'user des expressions Domaine et Logis de la Roche aux Moines.

En première instance, il était demandé la suppression dans l'adresse des termes " Domaine " ou " Château " avant l'adresse la Roche aux Moines et la suppression de toutes publicités, étiquettes, bouchons, des mots " Domaine de la Roche aux Moines, Château aux Moines ou Domaine aux Moines ".

Le tribunal a déclaré en ce qui concerne l'adresse qu'il n'était pas démontré que les époux Laroche utilisaient la terminologie " Château de la Roche aux Moines et que le mot " Domaine " paraissait avoir été utilisé de longue date et sans difficulté par les précédents occupants ; en ce qui concerne les indications de mise en bouteille qu'on ne savait pas s'il s'agissait d'une demande corrélative à la radiation de marque ou d'une demande distincte.

Les demandes présentées en appel constituent une explicitation des demandes précédentes et ne peuvent être considérées comme demandes nouvelles.

La suppression de " Domaine aux Moines " est demandée comme conséquence de la radiation de la marque, sur laquelle la Cour ne peut pas statuer comme il a été dit plus haut.

Il n'y a jamais eu d'utilisation officielle de la dénomination " Château " par la SCI, ce que la SCA paraît reconnaître par l'évolution de sa demande, et la suppression de la marque " Château aux Moines " est suffisante.

Les parties à ce procès -et d'autres personnes- habitent au lieu-dit La Roche aux Moines.

Par ailleurs, les deux parties, comme probablement d'autres habitants de ce lieu-dit, ont des propriétés comportant dans leur nom les termes de " La Roche au Moines " avec des parcelles de ce nom. C'est ce qui résulte de l'acte de 1962 (vente de Craecker à la SCA) et de l'acte de 1928 (vente par Benz Bischel à Faure, auteur des Lamotte) qui mentionne la " propriété de la Cour appelée aussi propriété de la Roche au Moines " ; étant précisé que selon lettre produite par la SCA, de Schiffer, gendre de la Craecker, ce dernier s'énervait déjà de voir Mademoiselle Faure désigner sa propriété " La Roche aux Moines ".

La maison actuellement Laroche (reconstruite au 18ème siècle) portait le nom " Maison de la Roche aux Moines " pendant la Révolution.

Certes dans les statuts de la SCI de Laroche il a été mentionné uniquement la propriété de la Cour et, par ailleurs, l'arrêté du 14 mars 1986 porte inscription à l'inventaire des monuments historiques de certaines parties du " Logis de la Cour " à la Roche aux Moines à Savennières. Cet arrêté n'ayant nullement suivi les Laroche qui avaient tenté d'obtenir l'inscription sous le nom de Logis de la Roche aux Moines.

Il n'en est pas moins vrai que même du temps de Madame de Bieville, prédécesseur des Lamotte comme gérant de la SCI, le terme de Domaine de la Roche aux Moines était utilisé, ainsi qu'elle l'a déclaré, et que cela résulte de la production d'étiquettes, sur lesquelles la société de la Cour déclarait mettre son vin en bouteilles au Domaine de la Roche aux Moines. Les termes " Logis " et " Domaine " contre lesquels s'insurge la SCA ne paraissent pas en eux-mêmes de nature à lui causer préjudice puisqu'elle ne les a pas utilisés pour son compte, outre qu'il n'a rien de trompeur à qualifier de Domaine une propriété où se trouve une maison seigneuriale, elle-même classée comme Logis, et où sont produits des vins d'appellation contrôlée.

La confusion qui existe entre les deux propriétés résulte en grande partie du libellé des titres et de circonstances antérieures à l'arrivée des Lamotte ; ainsi que du fait que l'une et l'autre des parties n'ont pas voulu renoncer à user du nom du lieu-dit, devenu nom d'appellation contrôlée. Des pourparlers destinés à mettre fin à cette situation, avec la participation de voisins, du maire, parfois d'autres services administratifs, ont échoué jusqu'à présent, notamment lors de la réunion du 7 juin 1984 au cours de laquelle M. Joly s'était certes prononcé contre l'utilisation du terme Roche aux Moines dans la désignation d'une exploitation et avait été suivi par la majorité des autres participants ; mais M. Laroche (gérant de fait de la SCI) avait soutenu l'avis contraire, de sorte qu'on ne peut reprocher au premier d'être retenu sur ce qu'il avait dit et proposé.

La SCA fait état dans ses dernières conclusions d'une réunion " définitive " à la préfecture de juin 1988, sur laquelle elle ne produit aucun élément objectif, et au cours de laquelle il aurait été confirmé que la dénomination Domaine avait été refusée par l'INAO et le Service de la Répression des Fraudes. Cette déclaration ne peut être accueillie qu'avec réserve puisque Laroche produit une lettre du 27 mars 1985 du Service de la Répression des Fraudes lui donnant son accord pour l'emploi de l'indication " Domaine aux Moines " sur les étiquettes.

Il n'existe donc pas d'argument juridique déterminant pour prononcer les interdictions demandées ;

Sur les demandes d'indemnités

Il est constant que les consorts Laroche se sont livrés à des agissements " parasitaires " destinés à détourner la clientèle de la SCA, ainsi d'ailleurs qu'on l'a déjà vu.

La SCA produit parmi ses nombreuses pièces des attestations et publications prouvant que les Laroche, profitant en particulier du fait qu'il est obligatoire en venant de Savennieres de passer par leur propriété pour accéder à celle de la SCA, font croire ou laissent croire qu'ils s'identifient au "Château de la Roche aux Moines" et qu'ils sont les seuls producteurs de vin del'appellation Roche aux moines, certains clients ne s'étant aperçus de l'erreur que parce qu'ils voulaient acheter le cru " Coulée de Serrant " dont la SCA est l'unique producteur.

Cette attitude des consorts Laroche justifie à elle seule qu'ils supportent l'intégralité des frais de l'instance.

L'existence d'un préjudice matériel en rapport direct avec ces agissements n'est pas exclue mais n'est pas prouvée non plus, compte tenu notamment des vigoureuses contre-attaques auxquelles se sont livrés les consorts Joly, qui n'ont pas été sans occasionner elle-même des frais notamment de rectificatifs, mais qui permettent de dire que les revues spécialisées et les clients habituels sont parfaitement au courant de la distinction.

Il existe d'ailleurs d'autres causes de confusion, non imputables à des fautes des Laroches.

La demande d'expertise tendant notamment à déterminer les bénéfices et chiffres d'affaires de la SCI de Laroche ne peut mener à rien car la SCI produit des vins notamment d'appellation " Savennières " La Roche aux Moines " dont la qualité n'est pas en cause et la SCA ne peut pas prouver que tout ou même partie du bénéfice et du chiffre d'affaires est imputable à des agissements parasitaires. Le préjudice matériel et moral (troubles, nécessité d'exposer des frais, de faire des démarches, pertes de temps, recherches etc...) sera indemnisé par une somme de 50 000 F. Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de la SCA tous ses frais irrépétibles et il lui sera alloué à ce titre une somme de 15 000 F.

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture et prononce nouvelle clôture à la date des débats ; Confirme le jugement quant à la recevabilité de la demande de la SCA De La Roche aux Moines contre Monsieur Laroche, à qui l'arrêt sera donc commun ; Le confirme en tant qu'il a dit que la SCI de Laroche devrait adjoindre à sa dénomination sociale un signe distinctif pour éviter toutes confusions avec la SCA de La Roche aux Moines mais dit en outre que la SCI devra supprimer de sa dénomination sociale la préposition " de " ; Confirme le jugement en tant qu'il a prononcé la radiation de la marque " Château de la Roche au Moines " enregistrée au nom de la SCA de la Roche aux Moines le 12 décembre 1983 ; Réformant et ajoutant, Ordonne aussi la radiation de la marque "Château aux Moines " enregistrée au nom de la SCI de Laroche le 26 septembre 1984 ; Fait interdiction à chacune de ces sociétés d'utiliser la marque radiée sous astreinte de deux cents francs (200 F) par infraction constatée ; Déclare irrecevable comme formée pour la première fois en cause d'appel la demande de radiation de la marque " Domaine aux Moines " ; Condamne la SCI de Laroche à verser à la SCA de la Roche aux Moines la somme de cinquante mille francs (50 000 F) à titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; La condamne en tous les dépens de l'instance ; Rejette toutes les autres demandes ; Autorise Maître Chatteleyn, avoué, à recouvrer ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.