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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 18 avril 1989, n° 89-002616

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Capric Organisation (SARL)

Défendeur :

Resocom (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosnel

Conseillers :

MM. Poullain, Guérin

Avoués :

SCP Duboscq-Pellerin, Me Baufume

Avocats :

Mes Lalanne, Feneon.

TGI Paris, 3e ch., 2e sect., du 24 nov. …

24 novembre 1988

LA COUR : - Statuant sur l'appel formé le 20 janvier 1989 par la Société Capric Organisation contre le jugement rendu le 24 novembre 1988 par le Tribunal de Grande Instance de Paris (3e chambre 2e section) dans le litige l'opposant à la société Resocom, ensemble sur l'appel incident formé par l'intimée.

Faits et procédure :

Immatriculée au Registre du Commerce le 5 décembre 1986, la Société anonyme Resocom a pour objet " toutes prestations de services liées à la maintenance de tous systèmes de communication, l'importation, l'exportation, la distribution, le commerce en général de tout matériel de communication ou de traitement de l'information, de conseil en communication ".

Ayant appris que la société Capric Organisation préparait sous la dénomination Resocom un salon devant se tenir du 16 au 19 février 1988 au Parc des Expositions de la Porte de Versailles à Paris pour présenter divers systèmes de communication et qu'elle avait déposé cette dénomination à titre de marque le 24 avril 1987, la société Resocom, après lui avoir en vain demandé d'y renoncer par lettre recommandée du 12 février 1988, l'a assignée le 6 avril suivant devant le Tribunal de Grande Instance de Paris en demandant :

- de dire que le dépôt de la marque Resocom par la Société Capric Organisation constitue l'usurpation de la dénomination sociale et du nom commercial de la Société anonyme Resocom.

- d'interdire à la Société Capric de faire usage de la dénomination Resocom sous astreinte de 1000 F par infraction constatée,

- de la condamner au paiement de la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts et de celle de 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile,

- d'ordonner enfin la publication du jugement à intervenir,

- le tout avec exécution provisoire.

Relevant que l'action ainsi engagée tendait à la protection d'un nom commercial et non d'une marque, la Société Capric Organisation a conclu à l'incompétence de la juridiction saisie au profit du Tribunal de Commerce de Paris et subsidiairement au débouté en faisant valoir, d'une part, que la Société Resocom ne justifiait pas d'un usage antérieur, prolongé et notoire de son nom commercial lors du dépôt de la marque incriminée et que, d'autre part, les deux sociétés en litige n'ont ni la même activité, ni la même clientèle.

Ayant appris qu'en dépit de la procédure engagée à son encontre, la Société Capric préparait un nouveau Salon Resocom pour l'année 1989, la Société Resocom lui a notifié le 19 septembre 1988 une ordonnance rendue à sa requête le 16 septembre précédent qui lui interdisait de diffuser tout document comportant cette dénomination et a fait saisir les documents publicitaires trouvés en sa possession. Puis, compte tenu de la nouvelle atteinte portée à ses droits, elle a élevé le montant de sa demande de dommages-intérêts à la somme de 500.000 F.

Après qu'une ordonnance de référé du 14 octobre 1988 ait rejeté sa demande de mainlevée de la saisie pratiquée et des interdictions prononcées, la Société Capric Organisation a réitéré cette demande par voie de conclusions devant le juge du fond.

Par jugement du 24 novembre 1988 complété par un jugement rectificatif du 2 février 1989, le Tribunal de Grande Instance de Paris (3e chambre 2e section) a :

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la Société Capric,

- prononcé la nullité de la marque par elle déposée,

- interdit avec exécution provisoire à cette société d'utiliser la dénomination Resocom à quelque titre et de quelque manière que ce soit, sous astreinte définitive de 500 F par infraction constatée passé un délai d'un mois à compter de la signification du jugement,

- condamné la Société Capric Organisation à payer à la Société Resocom la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 8.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile,

- autorisé la société Resocom à faire publier tout ou partie du dispositif du jugement dans trois journaux ou revues de son choix aux frais de la Société Capric dans la limite d'une somme globale de 36.000 F ;

Après avoir interjeté appel le 2 janvier 1989, la Société Capric Organisation a assigné le 2 février suivant la Société Resocom à jour fixe devant la Cour en demandant :

- de réformer le jugement susvisé en toutes ses dispositions,

- de constater l'incompétence du Tribunal de Grande Instance au profit du Tribunal de Commerce de Paris et de renvoyer l'examen de l'affaire devant cette juridiction,

- subsidiairement au fond, de constater la primauté de la marque déposée par la société Capric Organisation sur le nom utilisé par la Société Resocom,

- de dire que le terme Resocom était disponible lors du dépôt de cette marque,

- de constater qu'il n'existe aucune similitude d'exploitation entre les deux sociétés en litige et que la Société Capric n'a commis aucun acte de concurrence déloyale,

- de condamner en conséquence la Société Resocom à lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

Le 6 mars 1989, la Société Resocom a conclu à la confirmation du jugement entrepris, sauf en ce qui concerne les mesures réparatrices au sujet desquelles elle a demandé ;

- de porter à 800.000 F le montant des dommages-intérêts destinés à réparer son préjudice et à 50.000 F l'indemnité sollicitée au titre de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile,

- d'assortir l'interdiction faite à la Société Capric d'utiliser la dénomination Resocom d'une astreinte définitive de 100.000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt,

- d'enjoindre la Société Capric de radier sa marque dans les 15 jours suivant le prononcé de l'arrêt sous astreinte de 2.000 F par jour de retard et de dire que faute par elle de ce faire la Société Resocom pourra procéder à cette radiation à sa place,

- d'autoriser la Société Resocom à faire publier le dispositif de l'arrêt à intervenir dans quatre journaux ou revues de son choix aux frais de la Société Capric à concurrence d'une somme globale de 80.000 F.

Enfin le 7 mars 1989, la Société Capric Organisation a conclu au rejet des diverses demandes formées à son encontre par l'intimée.

Discussion

Sur la compétence :

Considérant que la Société Capric Organisation demande tout d'abord de renvoyer l'examen de l'affaire devant le Tribunal de Commerce de Paris qui serait seul compétent pour connaître du présent litige opposant deux sociétés commerciales ; qu'elle soutient à cet effet que le jugement déféré ne pouvait fonder la compétence du Tribunal de Grande Instance sur les dispositions de la loi du 31 décembre 1964 relative à la protection des marques, puisque la Société Resocom n'est titulaire d'aucune marque déposée et que le nom commercial par elle revendiqué ne pourrait recevoir protection que dans le cadre d'une action en concurrence déloyale ;

Mais considérant que si le Tribunal de Commerce serait effectivement compétent pour statuer sur une action en usurpation de nom commercial en l'absence de marques en litige, il n'en va pas de même en l'espèce, puisque la Société Capric oppose à la dénomination revendiquée ses droits sur une marque dont la Société Resocom demande expressément l'annulation ;

Que dès lors la présente procédure ne pouvait être engagée que devant le Tribunal de Grande Instance, auquel les articles 12, 24 et 26 de la loi du 31 décembre 1964 attribuent compétence exclusive pour statuer sur " toutes les actions mettant en jeu une question de marque " ;

Considérant que dès lors, c'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la Société Capric Organisation et que leur décision mérite confirmation de chef ; qu'il y a lieu d'observer en outre que le maintien de cette exception en appel était d'autant plus mal fondé qu'en application de l'article 79 du nouveau code de Procédure Civile, la Cour se trouvait tenue de statuer sur le fond du litige et que la Société Capric ne pouvait donc demander le renvoi de l'affaire devant le Tribunal de Commerce de Paris ;

Au fond :

Considérant que pour s'opposer à l'action engagée à son encontre par la Société Resocom, la Société Capric Organisation invoque le dépôt par elle effectué le 24 avril 1987 et enregistré à l'Institut national de la Propriété Industrielle sous le n° 1.405.139 en demandant de constater sa primauté par rapport au nom commercial utilisé par l'intimée.

Mais considérant que pour être valable le dépôt d'une marque doit porter sur un signe disponible et que la Société Resocom fait observer à bon droit que lors de son dépôt à titre de marque, le terme Resocom se trouvait indisponible, puisqu'elle l'avait préalablement choisi lors de sa constitution le 13 novembre 1986;

Considérant que la société Capric conteste cette indisponibilité en faisant valoir que l'intimée ne peut justifier d'un usage notoire et prolongé de la dénomination Resocom à titre de nom commercial avant le dépôt par elle revendiqué ;

Mais considérant que si le droit sur un nom commercial s'acquiert par son usage public, une société est fondée à revendiquer la protection de sa dénomination sociale qui l'identifie au regard des tiers dès son immatriculation au registre du commerce ; que dès lors la Société Resocom ayant procédé à cette immatriculation dès le 5 décembre 1986 et ayant aussitôt entrepris son activité sous cette dénomination, peut à juste titre se prévaloir d'un droit privatif antérieur opposable au dépôt effectué par la société Capric le 24 avril suivant, même si à cette date cette dénomination n'avait pu encore faire l'objet d'une exploitation intensive;

Considérant que l'appelante soutient par ailleurs qu'en dépit de l'antériorité qui lui est opposée, la Société Resocom ne saurait la priver du droit de faire usage de la même dénomination dans la mesure où leur activité n'est pas la même ;

Mais considérant que si la Société Capric utilise la marque Resocom pour organiser des salons d'exposition tandis que la Société Resocom a principalement une activité de maintenance,elles s'adressent toutes deux à la même clientèle, puisque les salons en question tendent à la présentation des divers systèmes de communication et que l'objet social de l'intimé porte sur l'exploitation de tels systèmes ; qu'il s'ensuit que la même clientèle se trouve nécessairement sollicitée par l'activité des deux sociétés en litige et que l'utilisation de la même dénomination pour désigner leurs services respectifs ne peut qu'être source de confusions, ainsi que cela ressort des attestations versées aux débats ;

Considérant que la Société Capric Organisation fait valoir enfin qu'elle ne s'est livrée à aucun acte de concurrence déloyale et qu'aucune faute ne peut lui être reprochée puisqu'elle ignorait lors du dépôt de sa marque l'usage antérieur de la dénomination Resocom par l'intimée ;

Mais considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats qu'alors que la Société Resocom n'avait choisi sa dénomination sociale qu'après avoir fait procéder en octobre 1986 par le Cabinet Compu-mark à une recherche approfondie des antériorités qui seraient susceptibles de s'y opposer, la Société Capric Organisation a procédé au dépôt de la marque Resocom sans même attendre la réponse à la demande de recherches d'antériorités qu'elle avait adressée à l'Institut National de la Propriété Industrielle et que si cette réponse datée du 28 avril 1987, soit quatre jours après le dépôt litigieux, ne faisait état d'aucun dépôt antérieur de la même dénomination à titre de marque, la Société Capric était expressément invitée à poursuivre sa recherche auprès de la Division des Sociétés, en attirant son attention sur le fait qu'une dénomination sociale ou un nom commercial pourrait rendre le terme choisi indisponible ;

Considérant que dès lors qu'il ne saurait être reproché à la Société Capric Organisation d'avoir effectué un dépôt frauduleux, ou d'avoir entrepris une activité parasitaire en cherchant à tirer profit de la notoriété d'un nom commercial antérieur, elle ne peut imputer qu'à sa propre négligence le fait de s'être trouvée confrontée aux droits antérieurs de la Société Resocom sur sa dénomination sociale et que, contrairement à ce que soutient l'appelante, les droits découlant de cette dénomination doivent primer ceux qui résultent du dépôt par elle effectué ultérieurement, dès lors que la similitude des activités exercées sous cette même dénomination ne peut qu'entraîner un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle;

Considérant qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la Société Resocom bien fondée en son action ;

Sur les mesures réparatrices :

Considérant qu'après avoir exactement relevé la similitude des services visés au dépôt de la marque Resocom avec ceux que la Société Resocom avait préalablement fait figurer sous son objet social lors de son immatriculation au Registre du Commerce, c'est à juste titre que les premiers juges ont prononcé l'annulation du dépôt effectué par la Société Capric Organisation en raison de l'indisponibilité du terme choisi pour désigner des services similaires ;

Considérant que l'intimée demande de compléter le jugement sur ce point en ordonnant la radiation du dépôt incriminé sous astreinte ;

Mais considérant que l'inscription de la décision d'annulation au registre national des marques, seule prévue par les dispositions légales, s'avère suffisante pour préserver les droits de l'intimée et qu'il serait inopérant de la compléter par une seconde mention de renonciation ;

Considérant par ailleurs qu'en raison du risque de confusion pouvant résulter du fait de l'utilisation de la même dénomination Resocom auprès de la même clientèle, il convient de confirmer également l'interdiction prononcée sans qu'il y ait lieu de majorer l'astreinte dont elle est assortie ;

Considérant en revanche qu'il ressort de l'ordonnance de référé rendue le 13 février 1989 que la Société Capric Organisation n'a accepté de renoncer à l 'utilisation du terme Resocom qu'après l'expiration du deuxième Salon qui s'est tenu entre le 14 et 17 février 1989, alors que le jugement rendu le 24 novembre précédent lui avait interdit l'usage de ce terme avec exécution provisoire ; que dès lors, eu égard aux diverses circonstances de la cause, il convient de porter le montant des dommages-intérêts initialement alloués à la somme de 100.000 F ;

Considérant qu'il y a lieu par ailleurs de substituer à la publication ordonnée celle de l'encart qui sera précisé au dispositif ;

Considérant enfin qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la Société Resocom la totalité des frais injustifiés et qu'il convient de lui allouer une somme complémentaire de 6.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

Considérant en revanche que la Société Capric Organisation succombant en son appel ne pourra qu'être déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi que de sa demande fondée sur l'article précité ;

Par ces motifs, et ceux contraires des premiers juges, Déclare la Société Capric Organisation mal fondée en son appel ; la déboute de toutes ses demandes ; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts et la mesure de publication ; Le réformant de ces chefs et y ajoutant : Condamne la Société Capric Organisation à payer à la Société Resocom la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts ; Autorise la Société Resocom à faire publier dans trois journaux ou revues de son choix aux frais de la Société Capric Organisation à concurrence de la somme de 18 000 F un encart ainsi libellé : " Par arrêt du 18 avril 1989, la Cour d'appel de Paris (4e chambre section A) a confirmé le jugement rendu le 24 novembre 1988 par le Tribunal de Grande Instance de Paris (3e chambre 2e section) en ce qu'il a prononcé l'annulation de la marque Resocom déposée par la Société Capric Organisation le 24 avril 1987 à l'Institut National de la Propriété Industrielle, où elle avait été enregistrée sous le n° 1.405.139, et a interdit à cette société d'utiliser cette dénomination qui avait été antérieurement choisie par la Société Resocom à titre de dénomination sociale et de nom commercial. " Dit que conformément aux dispositions de l'article 24 du décret du 27 juillet 1965, le présent arrêt sera sur réquisition du greffier transcrit au registre national des marques en ce qu'il a confirmé la décision d'annulation de la marque susvisée ; Condamne la Société Capric Organisation à payer à la Société Resocom, sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile, une somme complémentaire de 600 F au titre des frais irrépétibles exposés en appel ; Déboute la société Resocom du surplus de ses demandes ; Condamne la Société Capric Organisation aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par Me Baufume, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de Procédure Civile.