Livv
Décisions

CA Versailles, 13e ch., 2 mars 1989, n° 3400-88

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Matrix Science Corporation (Sté)

Défendeur :

Compagnie Deutsch (Sté), Tribunal de commerce de Versailles

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Doze

Conseillers :

Mmes Brunat, Monteils

Avoués :

SCP Fievet-Rochette, Me Lambert

Avocats :

Mes Vatier, Guillaume.

T. Com. Versailles, du 9 mars 1988

9 mars 1988

LA COUR : - Par jugement du 9 mars 1988 le Tribunal de Commerce de Versailles, statuant après expertise judiciaire, a condamné la société Matrix Science Corporation France du chef de concurrence déloyale, à payer à la société Compagnie Deutsch la somme de 1.700.000 F avec exécution provisoire et celle de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Matrix, appelante, conclut ainsi :

Les premiers juges ont adopté un chiffre de préjudice supérieur de plus de 10 % aux propositions de l'expert.

La concurrence même loyale, en la matière de connecteurs électriques dont s'agit, peut être tenue pour quasi négligeable.

Deutsch fabrique et vend en France, spécialement. Elle ne peut vendre, contrairement à ce que dit l'expert, aux USA parce qu'elle ne bénéficie pas des qualifications et homologations américaines.

Elle-même filiale commerciale d'une société des USA ne peut en rien concurrencer Deutsch sur le marché des matériels militaires français. Elle ne fait pas partie des sociétés admises à vendre aux armées françaises, à la différence de Deutsch.

Le litige est limité par la volonté même de Deutsch à quatre catégories de connecteurs.

Faute de s'en être tenu à ces quatre catégories, et pour avoir utilisé à tort une méthode globale de calcul du préjudice, l'expert ne peut être suivi.

L'expert a lui-même écarté du litige une catégorie de connecteurs, AFD de Deutsch et MBI d'elle-même.

Pour la catégorie DBA7 de Deutsch, concurrente de MQ3 d'elle-même, elle-même n'en a vendu que pour 2.000 F, ce qui est négligeable.

Il n'y a eu dès lors concurrence que de la part d'autres firmes.

Pour la catégorie DBA3 de Deutsch, en concurrence avec MT3 d'elle-même, elle-même n'a commencé sa commercialisation qu'en mai 1984 et en ne vendant qu'à concurrence de 129.679 F ; l'expert ne peut donc lui imputer les pertes de janvier à juillet 1984 de Deutsch, qui ont été suivies à partir d'août 1984 d'un redressement. Elle-même en tout n'a vendu ou pris en commande que pour 336.023 F de ces produits. Si Deutsch a été victime d'une concurrence elle vient d'ailleurs.

Pour la catégorie n° 992 de Deutsch, en concurrence avec n° 994 d'elle-même, elle ne peut être impliquée dans la disparition des points forts d'entrée en commande de Deutsch en janvier, mars et avril 1984, puisqu'elle n'existait pas en France à cette époque.

Elle n'a vendu ou entré en commande pour la période considérée que pour 322.161 Francs de produits, et seulement pour 59.007 F en mai juin et juillet 1984, époque de dépression des commandes chez Deutsch ; lorsque Deutsch s'est ensuite redressée, elle-même en a fait autant.

Contrairement à ce qui a été retenu par l'expert et le Tribunal elle a communiqué ses états informatiques.

Elle conclut à une limitation très stricte du préjudice qu'elle a causé.

Deutsch répond ceci :

La concurrence est universelle en matière de connecteurs, parce que les normes américaines ont été adoptées par tout le monde.

Elle-même et Matrix produisent des matériels de qualité équivalente. Si Matrix a ouvert une filiale en France, c'est pour empiéter sur le marché. Si elle a recruté Charon, son propre directeur commercial dans le poste de directeur en France, flanqué de deux anciens salariés d'elle-même, au mépris d'une clause de non-concurrence, c'est dans un but évident. Elle n'a pas réagi à l'avertissement qui lui a été donné à ce sujet le 27 mars 1984, ce silence équivalent à un aveu.

Elle a débauché encore son salarié Furio.

Elle a été victime, non seulement de pertes d'entrées en commande, mais d'une désorganisation liée au débauchage de personnel.

L'expert a pertinemment relevé la concordance entre son fléchissement et la progression de Matrix.

La perte de marge retenue par l'expert doit être réévaluée à ce jour. D'autre part l'expert a à tort écarté toute indemnisation pour une partie des connecteurs en considérant qu'il s'agissait de matériel banal. La concurrence a été la cause effective.

Par voie d'appel incident elle demande majoration à 2 millions de francs de dommages-intérêts et octroi de 100.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Discussion

Considérant que les faits de la cause ont été entièrement exposés dans le jugement déféré, auquel il convient de se reporter à ce sujet ; que dès son installation en France, la filiale de Matrix ici en cause a débauché, pour en faire son directeur commercial, Charon ; que celui-ci a quitté Deutsch, le 27 janvier 1984 et est rentré le 1er février suivant par sa secrétaire Brigitte Giroudon, partie elle le 30 mai, pour entrer chez Matrix le 4 juin, en même temps que l'ingénieur technico-commercial Thierry Simon ; que le directeur technique Furio, a abandonné Deutsch le 13 mars 1986 pour entrer le 14 avril chez Matrix ;

Considérant qu'ainsi Matrix a de propos délibéré, décidé de faire au plan commercial l'économie des aléas d'une installation sur un territoire nouveau, avec une clientèle à créer au moins pour la grande partie, qu'elle a choisi de se nourrir d'entrée de jeu de la substance de Deutsch, concurrente anciennement implantée, au mépris des règles élémentaires de la probité commerciale et notamment d'une clause de non rétablissement valable un an qui liait Charon ;que le départ dans le début de 1984 de trois préposés de Deutsch attachés à la partie commerciale était de plus de nature à désorganiser les services de cette société;

Considérant qu'un comportement aussi ouvertement contraire à une pratique loyale témoigne encore d'un mépris médité des suites judiciaires inévitables ; que le calcul qui a été fait par Matrix est nécessairement que les sanctions qu'elle allait encourir, au pire à moyen terme, ne seraient pas à la hauteur des avantages qu'elle allait tirer de son initiative coupable, et qu'en toute hypothèse, le niveau de développement qu'elle aurait atteint à ce moment lui permettrait de supporter aisément les réparations éventuellement à sa charge ;

Considérant qu'une politique aussi condamnable justifie, au profit de celui qui en a été la victime, qui se trouve de plus avoir été publiquement traité comme quantité négligeable, une réparation aussi exacte que possible ;

Considérant que l'expert a souligné que dans ce domaine des connecteurs, les produits des deux sociétés étaient globalement concurrentiels, et de fonctionnement équivalents ; que lesdites sociétés étaient, vis à vis de la clientèle, à un niveau de compétence et de qualité technique identique ; qu'elles se trouvent dans des conditions quasi idéales de concurrence, sauf dans certains domaines spécifiques, respectivement en France et aux USA ;

Considérant que ce sont bien ces circonstances qui ont déterminé Matrix à débaucher un dirigeant dont le savoir et le savoir faire allaient être immédiatement exploitables ; que la même remarque s'applique au personnel repris ;

Considérant que s'il est vrai que Deutsch a accès en France à un marché de défense nationale qu'échappe à Matrix et si en contrepartie certains secteurs du marché des Etats-Unis ne sont pas accessibles à Deutsch, il n'en demeure pas moins que pour le surplus, la concurrence est ouverte ; qu'elle l'était à l'évidence en France, où Matrix a commencé dès son démarrage à prendre quelques commandes et en Europe au Moyen-Orient et en Extrême-Orient, régions auxquelles s'intéressait cette société ;

Considérant que l'expert a relevé que le Travail de prospection du marché effectué par Matrix France pouvait engendrer des contrats passés avec d'autres filiales du groupe, notamment celles de Grande-Bretagne ou des Etats-Unis, donc totalement indécelables au plan comptable ;

Considérant que cet état de chose interdit, comme tente de le faire Matrix, de confiner les débats aux quatre modèles de connecteurs sur lesquels Deutsch a fait effectuer par l'expert une analyse fine ; que l'expert Vaudy a pris soin de préciser que cette étude particulière ne devait pas occulter un problème qui est absolument général ;

Considérant d'autre part que les fautes commises par Matrix n'ont été envisagées que dans leurs effets immédiats, c'est à dire sur le laps de temps correspondant à l'interdiction de rétablissement du personnel détourné ;qu'en fait, l'activité de ce personnel, pendant la dite période, a eu de manière nécessaire des conséquences nocives à plus long terme sur le marché de Deutsch;

Considérant que l'exercice de Matrix clos le 30 juin 1985 a donné un chiffre d'affaires net de 12.097.110 F, ce qui est considérable pour une société débutante, et témoigne d'un remarquable et rapide contact avec la clientèle ; que la présence de Charon et de Simon notamment est à l'évidence pour beaucoup dans ce résultat ; que le fait, révélé dans un tableau de chiffre d'affaires mensuels déclarés au titre de la TVA, que les ventes sur le marché national aient été très inférieures aux exportations ne dément pas les effets de la concurrence, n'étant pas soutenu que Deutsch ait une clientèle exclusivement nationale ;

Considérant que c'est Matrix elle-même qui n'a pas permis de cerner avec plus de précision les conséquences de son action ; que l'expert souhaitait avoir l'indication, pour l'année février 1984 février 1985, des produits livrés, des dates de livraison et des montants facturés, ce qui eut apporté un éclairage essentiel sur la concurrence en cause ; que, se fondant sur l'article 17 du Code de Commerce, Matrix a refusé ; qu'il lui était loisible d'opposer ce refus, mais qu'elle a ainsi engendré une situation qui contraint à raisonner sur des résultats globaux ;

Considérant en conséquence que la circonstance de la cause interdit de s'en tenir aux chiffres dans lesquels Matrix prétend enfermés l'évaluation du préjudice, par prise en compte exclusive de son chiffre d'affaires soumis à la TVA en France pendant l'année considérée ;

Considérant que la Cour possède [les] éléments suffisants pour confirmer le jugement déféré et condamner Matrix aux dépens d'appel ; qu'il est équitable d'allouer à la société Deutsch [un] complément de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Déboute la société Matrix Science Corporation France de son appel et la société Deutsch de son appel incident, Confirme le jugement déféré, Condamne en outre la société Matrix Science Corporation à verser à la société Deutsch [une] indemnité de cinquante mille francs (50.000 F), Condamne la société Matrix Science Corporation aux dépens d'appel et autorise Maître Lambert, Avoués, à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.