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Décisions

Ministre de l’Économie, 28 octobre 1999, n° ECOC0000002Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ÉCONOMIE

Défendeur :

Conseil de la société Sogefi

Ministre de l’Économie n° ECOC0000002Y

28 octobre 1999

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 7 septembre 1999, vous avez notifié l'acquisition de Allevard Ressorts Automobiles (ARA), filiale d'Usinor, par AMSU, une filiale du groupe italien REJNA, lui-même contrôlé par le groupe italien Sogefi.

L'acquisition a été réalisée le 13 juillet 1999 à la suite d'un contrat d'exclusivité de négociation signé le 12 avril 1999 pour un prix de 274 millions de francs français. L'opération contient une clause de non-concurrence de la part d'Usinor d'une durée de cinq ans, valable pour le monde entier.

AMSU est une société anonyme de droit français au capital de 34 292 100 F, contrôlée par REJNA, elle-même filiale à 99,7 % de Sogefi. AMSU a réalisé en 1998 un chiffre d'affaires de 294 865 000 F, dont 235 926 000 F en France. Elle emploie 322 personnes en France.

REJNA, société de droit italien, a réalisé en 1998 un chiffre d'affaires mondial consolidé de 1,2 milliard de francs et emploie environ 1 600 personnes.

AMSU et REJNA sont actives dans le secteur des éléments de suspension automobiles, ferroviaires et pour véhicules industriels ainsi que les ressorts divers.

Sogefi est une société de droit italien, qui regroupe les activités d'équipement automobile du groupe de Benedetti (CIR). Sogefi a réalisé en 1998 un chiffre d'affaires de 919,871 millions de lires italiennes (soit environ 3,116 milliards de francs), dont 582 millions de francs réalisés en France.

Allevard Ressorts Automobiles (ARA) est une société par actions simplifiée de droit français, au capital social de 217 284 000 F. ARA a réalisé en 1998 un chiffre d'affaires mondial consolidé d'environ 1 milliard de francs, dont 393,73 millions de francs en France. ARA est active dans les éléments de suspension pour véhicules automobiles.

L'opération emporte transport de propriété de la totalité des actifs d'ARA. Elle constitue donc une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986.

Compte tenu des chiffres d'affaires réalisés en France par les groupes Sogefi et Usinor en 1998, les seuils de chiffres d'affaires prévus à l'article 38 de l'ordonnance susvisée ne sont pas franchis. Il convient donc de définir les marchés pertinents.

On peut distinguer au moins trois marchés concernés par l'opération.

Les composants de suspension pour le matériel ferroviaire, les composants de suspension pour les véhicules industriels et les composants de suspension pour automobiles constituent trois marchés distincts. En effet, les technologies utilisées sont différentes d'un marché à l'autre : on utilise des ressorts à lames pour le matériel ferroviaire, des suspensions pneumatiques pour les véhicules industriels (90 % des remorques de camion) et des ressorts hélicoïdaux pour les automobiles (80 % des véhicules).

AMSU / REJNA est présent sur ces trois marchés. En revanche, ARA n'intervient que sur le marché des éléments de suspension pour automobiles.

Ce dernier marché se compose de trois types de produits. Les ressorts hélicoïdaux et les barres de torsion sont destinés à assurer la stabilité verticale d'un véhicule. Ces deux produits sont substituables. Les barres stabilisatrices assurent la stabilité horizontale du véhicule. Bien que n'étant pas substituables aux deux premiers produits, elles font partie d'une même ensemble destiné à supporter le poids du véhicule et à en assurer la stabilité. A l'exception d'un opérateur, qui représente 4 % du marché des éléments de suspension pour automobiles et 15 % de la production européenne de barres stabilisatrices, toutes les entreprises présentes sur le marché fabriquent l'ensemble de la gamme. Du point de vue de la demande, on peut relever que les appels d'offres portent en majorité sur la fourniture des deux produits, les deux pièces étant alors élaborées selon un cahier des charges commun dans une optique de complémentarité. Du point de vue de l'offre, on peut considérer que ces produits, non substituables mais complémentaires, relèvent du même marché pertinent des éléments de suspension pour automobiles (1).

En tout état de cause, si l'on devait isoler un marché pertinent des éléments de suspension horizontale et un marché des éléments de suspension verticale, l'analyse concurrentielle n'en serait pas modifiée. En conséquence, on retiendra pour les besoins de l'analyse un marché pertinent des éléments de suspension pour véhicules automobiles.

Si l'on exclut du marché pertinent la production des constructeurs automobiles pour leur propre consommation, ARA réalise [...](A) des ventes en France sur ce marché et Sogefi (AMSU/ REJNA) [...](B). Le seuil visé à l'article 38 de l'ordonnance susvisée étant franchi, l'opération est contrôlable.

ARA étant présent sur le seul marché des éléments de suspension pour automobiles, les autres marchés ne sont pas affectés par l'opération.

La structure du marché des éléments de suspension pour automobiles demeure marquée par une prédominance des ressortiers nationaux. ARA et AMSU représentent ainsi près de [...](C) des ventes réalisées en France. Les ressortiers allemands réalisent environ 80 % des ventes à destination des constructeurs automobiles implantés en Allemagne.

Il apparaît cependant que ce marché est en train d'évoluer rapidement et tend à devenir européen, voire, dans une certaine mesure, mondial. Les structures de marché que l'on constate actuellement sont plus l'héritage d'une situation antérieure que le reflet du fonctionnement actuel du marché.

En effet, à partir des années 1992-1993, les constructeurs automobiles ont amorcé une profonde mutation de leur politique d'approvisionnement. Ils ont externalisé la conception et la production des éléments de suspension vers les équipementiers. Les appels d'offres sont désormais de dimension au moins européenne, souvent mondiale. Ainsi, d'avril à août 1999, cinq constructeurs différents ont lancé des appels d'offres sur une base mondiale. Compte tenu de temps de conception et de la durée de vie d'un véhicule, cette évolution devrait être achevée dans trois à quatre ans. De plus, les constructeurs tendent de plus en plus à s'associer pour développer des plates-formes communes. Ce mouvement contribuera également à la disparition des marchés nationaux historiques.

Les coûts de transport sont relativement faibles pour ces produits (environ 5 %). Les droits de douane sont nuls au sein de l'Union européenne, ainsi que pour les produits en provenance des pays de l'Est et de la Turquie. Ils représentent entre 2,7 et 3,5 % pour les importations en provenance de pays tiers.

En outre, la structure de la demande tend également à se modifier, de grands équipementiers commençant à intervenir en amont des constructeurs automobiles. Ces derniers ont, dans certains cas, sous-traité à ces équipementiers la conception et la fabrication de modules pré- assemblés. Le ressortiers devient alors un fournisseur de second rang, qui intervient pour environ 10 % de la valeur d'un train avant de véhicule. Depuis 1998, au moins cinq appels d'offres ont été lancés par ces opérateurs, sur une base mondiale. Bien que cette évolution soit encore trop récente pour en mesurer précisément l'impact. Elle va dans le sens d'une globalisation du marché.

On peut également noter, à titre d'illustration, qu'ARA réalise [...] (D) de son chiffre d'affaires hors de France.

La Commission européenne a eu l'occasion de se prononcer à de nombreuses reprises sur des opérations dans le secteur de l'équipement automobile. Elle relève notamment qu'il n'existe pas de barrières techniques ou douanières au commerce intracommunautaire et que les coûts de transport et la gestion des stocks en flux tendus ne font pas obstacle à une concurrence entre fournisseurs au niveau au moins européen, indépendamment de la localisation de leurs unités de production (2). Elle note également que les constructeurs automobiles tendent de plus en plus à se fournir sur une base mondiale et insiste sur le fait que la proximité de l'équipementier est un facteur qui n'est plus déterminant dans le choix d'un fournisseur (3). Enfin, elle a considéré qu'un marché (en l'espèce la fourniture de composants de tableaux de bord), bien que présentant encore de forts particularismes nationaux, devait cependant être considéré comme étant de dimension européenne, la structure de la demande étant appelée à évoluer dans les prochaines années (4).

Cette analyse est confirmée par les réponses des entreprises : 89 % des entreprises interrogées par la DGCCRF (clientes ou concurrentes des parties) considèrent que la dimension géographique du marché est au moins européenne. La localisation de l'équipementier n'apparaît pas dans les critères de choix d'un fournisseur.

La dimension géographique du marché pertinent est donc au moins communautaire.

Sur le marché européen des éléments de suspension pour véhicules automobiles, les parts de marché des parties sont de [...] (E) pour ARA et de [...) (F) pour AMSU/ REJNA. La part de marché de la nouvelle entité sera donc de [...] (G), à parité avec Hoesch-Krupp. Les autres intervenants sur le marché sont Muhr & Bender (...) (H) et Tempered Springs (...) (I).

Les éléments de suspension sont utilisés exclusivement en première monte : ce ne sont pas des pièces d'usure. Les clients sont donc essentiellement les constructeurs automobiles et, dans une mesure encore marginale, les équipementiers qui fournissent des modules complets aux constructeurs automobiles.

Les appels d'offres se font à " livres ouverts ". Les ressortiers désirant répondre à un appel d'offres doivent transmettre au constructeur automobile une fiche détaillant de manière très précise l'ensemble des coûts induits par le processus de fabrication, étape par étape. Les prix sont renégociés chaque année, en fonction du cours des matières premières ou des offres concurrentes. Les prix peuvent parfois être renégociés en cours d'année, aucune clause contractuelle ne garantissant des prix et des volumes pour les ressortissants.

La plupart des constructeurs automobiles interrogés situent entre huit mois et un an le temps nécessaire pour changer de fournisseur.

Les acheteurs, constructeurs automobiles ou grands équipementiers, eux-mêmes très concentrés, disposent donc sur ce marché d'un important pouvoir de négociation.

L'arrivée de nouveaux entrants est peu portable sur ce marché. Certes, le coût d'outillage est peu élevé (45 à 50 MF pour une ligne de production) ; l'accès aux matières premières (qui représentent près de 50 % du coût des produits) est aisé, et il n'existe pas de normes ou de brevet susceptibles de constituer des barrières à l'entrée. Les dépenses de recherche et développement n'excèdent pas 5 % du chiffre d'affaires, les dépenses de publicité sont nulles et les économies d'échelle ne sont pas prépondérantes. Mais, en dépit de ces éléments, les barrières à l'entrée demeurent importantes : face à la concentration et à la mondialisation des constructeurs automobiles, les ressortiers devront de plus en plus avoir la capacité de répondre à un appel d'offres mondial et de livrer dans le monde entier pour avoir une chance d'être retenu. Il est donc indispensable de disposer d'une taille critique qu'un nouvel entrant pourra difficilement obtenir.

Cependant, le marché ayant tendance à se globaliser, les ressortiers européens auront de plus en plus à faire face à la concurrence de ressortiers américains ou japonais. Si l'on devait retenir un marché mondial, la nouvelle entité serait pratiquement à parité avec les trois premiers acteurs du marché, l'un européen, l'autre américain et le troisième japonais (entre 12 et 14 % du marché détenu par chacune de ces quatre entités). Bien que la concurrence des ressortiers américains et japonais ne soit encore que potentielle, elle devait se faire de plus en plus pressante au fur et à mesure de la globalisation du marché.

Dans un premier temps, en Europe, la nouvelle entité sera principalement confrontée à un concurrent disposant d'une part de marché comparable à la sienne, adossé à un groupe puissant, et à un autre concurrent maîtrisant l'ensemble des technologies de la filière et capable de répondre à un appel d'offres mondial, critère auquel les constructeurs automobiles sont de plus en plus sensibles. Les conditions d'une concurrence effective entre les trois principaux acteurs européens du marché sont donc réunies.

Sur le marché européen, et a fortiori sur le marché mondial, la puissance de marché des acheteurs, et notamment la pratique des appels d'offres à " livres ouverts ", permet d'écarter le risque de coordination des comportements au sein d'un oligopole. En outre, bien que le prix constitue un élément important, ce n'est pas sur ce critère que se fait essentiellement la différenciation entre les fournisseurs. Les innovations technologiques, notamment en termes de réduction du devis de poids, sont un critère privilégié par rapport au coût. La capacité de pouvoir fournir les produits sur une base mondiale est également un élément important d'appréciation, les marchés émergents représentant les principales perspectives de développement des constructeurs, tandis que le marché européen est parvenu à maturité. Les critères techniques et logistiques sont donc aussi importants, sinon plus, que le critère financier. Ce point permet également d'écarter le risque de création d'une position dominante collective.

Certains constructeurs automobiles fabriquent des ressorts ou des barres stabilisatrices pour leur propre consommation (Renault, PSA, Ford). Bien que cette production, qui n'est pas destinée à être mise sur le marché, ne fasse pas partie du marché pertinent retenu, il convient toutefois de la prendre en compte pour l'analyse, Renault devant céder ses capacités de production à ARA.

Renault, qui assurait la production de 70 % de ses besoins en ressorts hélicoïdaux, a choisi d'externaliser cette production en deux temps : création d'une société commune avec ARA, puis cession de la participation de Renault à ARA au cours du premier trimestre 2001. L'accord concernant cette opération a été signé le 31 août 1999. Les capacités de production ainsi cédées à ARA représentaient, en 1998, environ 4 % du marché européen des éléments de suspension pour automobiles.

ARA reprend l'intégralité du personnel employé par Renault dans cette activité et va investir une centaine de millions de francs pour porter la capacité de production de l'ancien site de Renault/Choisy à [...] (J) millions d'unités [...] (K).

ARA doit, dans le cadre de cet accord, développer une nouvelle technologie à froid ayant pour résultat un gain de poids de 40 % sur les ressorts hélicoïdaux. Ce gain de poids permettrait de réduire la consommation des véhicules ou permettrait l'installation d'autres équipements pour le même poids.

Avant l'accord, Renault produisait 2,6 millions de ressorts hélicoïdaux. Renault s'engage à acheter à ARA au moins [...] (K) millions de ressorts en 2002 et [...] (M) millions de ressorts par an entre 2003 et 2006. Cet engagement d'achat est soumis à la condition qu'ARA parvienne à mettre au point ce nouveau type de ressorts.

Les besoins actuels de Renault sont de 7,5 millions d'unités (ressorts hélicoïdaux et barres de torsion). A l'horizon 2003, ces besoins sont estimés à 8,5 millions d'unités. La part garantie par Renault à ARA représente donc 45 à 50 % de ses besoins en éléments de suspension verticale.

Bien que de nature à restreindre la concurrence, en rigidifiant le marché pour une durée de cinq ans, l'accord conclu entre Renault et ARA n'accorde pas à ARA des contreparties anormales compte tenu du risque technique et financier pris par ARA. En outre, un accord de cette nature est nécessaire pour permettre à Renault de se désengager d'une activité qui ne constitue pas le cour de son métier et pour permettre à ARA de développer une technologie novatrice. L'accord en lui-même comporte donc des éléments de progrès économique et apparaît équilibré. En outre, les volumes garantis, bien que significatifs, ne sont pas de nature à modifier sensiblement le jeu de la concurrence sur le marché européen, Renault n'occupant que le sixième rang des constructeurs européens et la moitié de ses besoins en éléments de suspension verticale restant ouverte à la concurrence.

L'accord entre Renault et ARA ne remet donc pas en cause les conclusions de l'analyse concurrentielle sur le marché européen des éléments de suspension pour automobiles.

En conséquence, l'opération de concentration entre Sogefi et ARA n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante sur le marché concerné. Je vous informe qu'il n'est donc pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette opération.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.

Ces informations relèvent du " secret d'affaires ", en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret n° 95-916 du 9 août 1995, avant-dernier alinéa.

(A) 60 à 70 %.

(B) 20 à 30 %.

(C) 80 à 90 %.

(D) 50 à 60 %.

(E) 20 à 30 %.

(F) 10 à 20 %.

(G) 30 à 40 %.

(H) Moins de 10 %.

(I) Moins de 10 %.

(J) Information confidentielle.

(K) Information confidentielle.

(L) Entre 2 et 3 millions.

(M) Entre 3 et 4 millions.

(1) Cf. Cour d'appel de Paris, 17 mai 1994, secteur de l'outillage à main, BOCC du 7 juin 1994, page 200.

(2) Affaire n° IV-M 1196 du 24 juin 1998, Johnson Control/Becker.

(3) Affaire n° IV-M 1462 du 11 mars 1999, TRW/Lucas Varity.

(4) Affaire n° IV-M 363 du 29 novembre 1993, Continental/Kaliko/DG Bank/Benecke.