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Décisions

Ministre de l’Économie, 18 mars 1993, n° ECOC9210049A

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Arrêté

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Ministre de l’Économie n° ECOC9210049A

18 mars 1993

Le ministre de l'Economie et des Finances et le ministre d'Etat, ministre de l'Education nationale et de la Culture,

Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, et notamment ses articles 38 et 42 ; Vu le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 fixant les conditions d'application de l'ordonnance précitée, notamment son article 30 ; Vu la lettre de saisine du Conseil de la concurrence du 16 juin 1992 ; Vu l'avis du Conseil de la concurrence du 12 janvier 1993 ; Vu la lettre d'engagement de la société Gaumont en date du 16 mars 1993 ;

Considérant qu'aucune disposition de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ni aucune disposition législative ou réglementaire n'ont exclu le secteur du cinéma du champ d'application de l'ordonnance qui s'applique à toutes les activités de production, de distribution et de services ; que les règles propres applicables au cinéma, qui ne comportent pas de dispositions spécifiques touchant à la concentration économique, ne font pas obstacle à l'exercice du contrôle et des pouvoirs définis au titre V de l'ordonnance susvisée ;

Considérant que les actes conclus le 22 janvier 1992 entre les sociétés Gaumont, Pathé Cinéma et leurs filiales et portant sur la cession réciproque de salles de cinéma emportent transfert de propriété d'une partie des biens, droits et obligations des deux groupes d'entreprises ; que cette opération constitue une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que la lettre de saisine du 16 juin 1992, bien qu'elle vise en objet "l'acquisition par Gaumont des salles parisiennes de Pathé", décrit la totalité du contenu de l'accord et soumet cette opération à l'avis du Conseil de la concurrence ; qu'en outre, le caractère global de l'opération de cessions réciproques ressort du compte rendu de la séance du conseil d'administration de la société Pathé Cinéma du 14 janvier 1992 et que la majorité des actes par lesquels Gaumont a acquis les salles parisiennes de Pathé Cinéma sont des échanges qui concernent réciproquement des salles de cinéma de province ; qu'enfin, à supposer que ce ne soit que sur une partie substantielle du marché national que serait atteint le seuil de contrôlabilité fixé au second alinéa de l'article 38 de l'ordonnance susvisée, cette circonstance n'aurait d'incidence que sur le déclenchement du contrôle de l'opération mais non sur son étendue, et ce d'autant que les échanges d'éléments d'actifs qui font l'objet des conventions examinées sont indissociables ; qu'il appartenait donc au Conseil de la concurrence, dès lors que les conditions de l'article 38 de l'ordonnance étaient remplies, d'apprécier, par application de l'article 41 du même texte, l'ensemble des effets de l'opération sur la concurrence ;

Considérant que le chiffre d'affaires réalisé en 1991 par la société Gaumont et les entreprises qui lui sont économiquement liées est inférieur à deux milliards de francs ; qu'ainsi la condition fixée à l'alinéa 2 de l'article 38 de l'ordonnance susvisée relative au montant du chiffre d'affaires des entreprises concernées n'est pas remplie ; qu'il importe donc de rechercher si le seuil en valeur relative fixé par ce même texte est atteint ;

Considérant que le chiffre d'affaires qui doit être pris en compte pour déterminer si ce seuil en valeur relative est atteint est celui qui a été réalisé ensemble sur un même marché par les entreprises qui sont parties aux actes ou qui leur sont économiquement liées et non celui qui pourrait être réalisé après l'opération ; que la position nouvelle des entreprises après l'opération ne peut en effet être prise en compte que pour apprécier l'effet potentiel de cette opération sur la concurrence ;

Considérant que les entreprises associées à Gaumont et Pathé Cinéma dans le cadre des groupements de programmation constituent des "entreprises qui leur sont économiquement liées" au sens de l'article 38 de l'ordonnance précitée ; qu'en l'espèce c'est l'importance de l'ensemble du groupement soumis à l'agrément délivré par le directeur général du Centre national de la cinématographie qui est déterminante pour l'appréciation de la capacité de ce groupement à imposer des contraintes à ses fournisseurs ou à entraver le développement de ses concurrents ; qu'en outre, les exploitants des salles programmées donnent aux groupements un mandat leur confiant le choix et la fourniture de leurs programmes, aux termes duquel ils leur abandonnent la négociation et la signature des bons de commande des films qui leur sont destinés ; que ces mandats s'inscrivent dans le cadre des agréments donnés par le directeur général du Centre national de la cinématographie aux groupements et ententes de programmation ; que dans ces conditions et d'ailleurs en fait les relations établies, au sein des groupements de programmation révèlent bien l'existence de "liens économiques" au sens du texte précité ;

Considérant dès lors qu'il convient de rechercher la part de marché que détiennent ensemble les groupements de programmation Gaumont et Pathé sur le marché national concerné ou sur une partie substantielle de celui-ci ;

Considérant que le marché concerné est celui de l'exploitation des films en salles et ne saurait être étendu à l'ensemble du secteur audiovisuel de l'exploitation des films; qu'en particulier, la substituabilité des prestations de services offertes par les salles de cinéma à la vente de vidéocassettes ou à la diffusion de films à la télévision ne saurait se déduire du seul fait d'une baisse de la fréquentation des salles de cinéma concomitante de la multiplication des chaînes de télévision et du développement des vidéocassettes; que l'exploitation des salles de cinéma ne constitue pas simplement un mode de commercialisation d'un produit, mais est une prestation de services de nature plus large, qui ne peut être comparée à la vente de vidéocassettes ; qu'elle représente en outre un spectacle intrinsèque différent de la télévision, qui ne se limite pas à la seule diffusion des films; qu'au surplus aucun film exploité dans les salles de spectacle ne peut faire l'objet d'une diffusion simultanée sous forme de vidéocassettes avant l'expiration d'un délai d'un an, ni sur une chaîne de télévision avant l'expiration d'un délai compris entre un an et trois ans ;

Considérant par ailleurs que la ville de Paris constitue en elle-même une partie substantielle du marché national ; que, notamment, les salles de première exclusivité des "quartiers directeurs" de Paris (Champs-Elysées, Montparnasse, Quartier latin, Grands Boulevards) jouent un rôle déterminant dans le succès commercial d'un film que la différence entre l'indice de fréquentation de Paris (12,68) et celui de la banlieue (1,56), alors que l'indice national est de 2,07, est suffisamment importante pour démontrer que, si les habitants de la banlieue fréquentent largement les salles de Paris, l'inverse n'est pas vrai ; qu'à elles seules les salles de Paris réalisent 23,24 p. 100 des entrées et 25,30 p. 100 des recettes nationales ;

Considérant qu'en 1991, soit avant l'échange d'actifs examiné, le groupement Gaumont et le groupement Pathé ont réalisé respectivement 16,1 p. 100 et 16,7 p. 100 du total des recettes nationales des salles de cinéma ; que ces groupements ont encaissé respectivement 20,34 p. 106 et 23,61 p. 100 des recettes des salles parisiennes, dont 15,56 p. 100 et 12,36 p. 100 dans celles exploitées en propre par Gaumont et Pathé ; qu'ainsi, avant l'échange d'actifs, les entreprises parties aux actes occupaient, en tout état de cause, plus de 25 p. 100 d'une partie substantielle du marché national de l'exploitation des films dans les salles de cinéma.

Considérant que les salles parisiennes cédées par la société Pathé Cinéma ou ses filiales à la société Gaumont représentent 9 p. 100 des recettes parisiennes ; qu'en partie, à la suite de cette opération, le groupement Gaumont dispose désormais à Paris, d'une part, de recettes de l'ordre de 31,5 p. 100 et le groupement Pathé de moins de 8 p. 100; qu'il en résulte que les groupements Gaumont et UGC sont à présent les deux opérateurs les plus importants de ce marché puisque UGC occupe de son côté une part de 36 p. 100 et qu'en dehors d'eux, exception faite du groupement Pathé, seule la société MK 2, avec 5,7 p. 100, ne dispose pas d'une position négligeable ; qu'en outre, le groupements Gaumont et UGC sont en situation nettement dominante sur la ville de Paris qui constitue bien un marché en soi ;

Considérant que cette situation comporte d'autant plus de risques d'atteintes au jeu de la concurrence sur les marchés de la production et de la distribution des films que la société Gaumont, comme d'ailleurs la société UGC, a d'importantes activités en tant que producteur et en tant que distributeur et qu'elle peut avoir intérêt à favoriser la programmation dans les salles de son circuit des films qu'elle distribue, puisqu'elle perçoit alors à la fois la part de recettes de l'exploitant et celle du distributeur; qu'en outre, l'accord récemment conclu par la société Gaumont pour s'assurer la distribution des films Walt Disney renforce ces risques en restreignant l'offre potentielle d'écrans pour les autres films ;

Considérant qu'en ce qui concerne l'exploitation des salles de cinéma à Paris, cette modification structurelle qui ne laisse plus subsister que deux groupements gérés par des groupes intégrés verticalement est de nature à limiter l'approvisionnement des salles indépendantes non programmées et des petits circuits en permettant à ces deux groupes de se réserver la programmation des films dont ils assurent la production et la distribution et d'exiger des autres distributeurs le bénéfice de l'exclusivité au détriment des autres salles; que de telles pratiques sont loin d'être hypothétiques puisqu'elles ont déjà été relevées par le Conseil de la concurrence dans sa décision du 29 octobre 1991 relative à la situation de la concurrence sur le marché de l'exploitation des films dans les salles de cinéma ;

Considérant que si l'opération en cause peut notamment être de nature à favoriser la modernisation des salles concernées, les avantages économiques attendus de l'opération de concentration, pour importants qu'ils puissent être, n'apparaissent pas suffisants pour compenser intégralement les risques d'atteinte, précédemment analysés, au libre jeu de la concurrence sur le marché de la distribution des films à Paris; qu'il convient en conséquence, sans préjudice des engagements souscrits par les parties envers le Centre national de la cinématographie, d'adopter des mesures propres à rétablir les conditions d'une concurrence suffisante ;

Considérant que, pour rétablir une concurrence suffisante, il convient d'imposer à la société Gaumont une réduction du parc de salles de son groupement parisien, correspondant à un volume de recettes déterminé; qu'il n'apparaît toutefois pas indispensable d'isoler les micro-marchés de Montparnasse et des Champs-Elysées comme zone géographique où devraient intervenir ces rétrocessions qu'en particulier, le fait que les salles cédées doivent correspondre à un volume d'affaires déterminé suffit à s'assurer que les salles retenues constituent des entités économiques viables,

Arrêtent : Art. 1er. - Il est enjoint à la société Gaumont de réduire, dans un délai maximum d'un an, le parc de salles du groupement Gaumont, à Paris, cette réduction correspondant au moins à 2,5 p. 100 du marché parisien exprimé en recettes.

Les salles qui, en application du premier alinéa du présent article, quitteront le groupement Gaumont seront déterminées en liaison avec le Centre national de la cinématographie et ne pourront renforcer, directement ou indirectement, le groupement UGC.

Art. 2. - La société Gaumont informera avant l'expiration du délai susvisé les services compétents des mesures prises en vue de se conformer à l'injonction prévue au présent arrêté.

Art. 3. - Le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et le directeur général du Centre national de la cinématographie sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent arrêté, qui sera publié au Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.