CE, sect. du contentieux, 9 avril 1999, n° 201853
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
The Coca-Cola Company (Sté)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Ministre de l'Agriculture et de la Pêche
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Labetoulle
Rapporteur :
M. Pochard
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Monod, Colin, SCP Baraduc, Duhamel.
LE CONSEIL D'ETAT : - Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 novembre 1998 et 23 décembre 1998 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société The Coca-Cola Company, dont le siège est aux Etats-Unis d'Amérique, One Coca-Cola Plaza NW, Atlanta, Georgia (30023), représentée par son président en exercice ; la société The Coca-Cola Company demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 17 septembre 1998 par lequel le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et le ministre de l'Agriculture et de la Pêche lui ont enjoint de renoncer à l'acquisition des actifs du groupe Pernod-Ricard relatifs aux boissons "Orangina" pour ce qui concerne la France ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 ; Vu le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 ; Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 40 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée : "Tout projet de concentration ou toute concentration ne remontant pas à plus de trois mois peut être soumis au ministre chargé de l'économie par une entreprise concernée (...)" ; qu'en outre, selon l'article 42 de la même ordonnance : "Le ministre chargé de l'économie et le ministre dont relève le secteur économique intéressé peuvent, à la suite de l'avis du Conseil de la concurrence, par arrêté motivé et en fixant un délai, enjoindre aux entreprises, soit de ne pas donner suite au projet de concentration ou de rétablir la situation de droit antérieure, soit de modifier ou de compléter l'opération ou de prendre toute mesure propre à assurer ou de rétablir une concurrence suffisante. Ils peuvent également subordonner la réalisation de l'opération à l'observation de prescriptions de nature à apporter au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence (...)" ;
Considérant qu'en application des dispositions précitées le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et le ministre de l'Agriculture et de la Pêche, saisis par la société The Coca-Cola Company d'un projet d'acquisition des actifs du groupe Pernod-Ricard relatifs aux boissons "Orangina" pour ce qui concerne la France, ont par un arrêté du 17 septembre 1998 enjoint à la société susnommée, qui leur avait soumis ce projet de concentration, d'y renoncer ;
Sur la compétence du Conseil d'Etat en premier ressort : - Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret du 30 septembre 1953 susvisé : "Le Conseil d'Etat reste compétent pour connaître en premier et dernier ressort ... 3° des recours dirigés contre les actes administratifs dont le champ d'application s'étend au- delà du ressort d'un seul tribunal administratif" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'injonction prononcée par l'arrêté attaqué visait un projet d'acquisition portant sur des marques commerciales et autres droits de propriété intellectuelle, ainsi que sur des actions notamment détenues par la Compagnie Financière des Produits Orangina, elle-même filiale à 100 % de la société Pernod-Ricard ; que l'arrêté attaqué qui produit des effets directement à l'égard des sociétés susnommées doit être regardé, pour l'application des dispositions précitées de l'article 2-3° du décret du 30 septembre 1953, comme ayant un champ d'application s'étendant au-delà du ressort d'un seul tribunal administratif ; qu'ainsile Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître des conclusions dirigées contre ledit arrêté ;
Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué : - En ce qui concerne la compétence des signataires de l'arrêté attaqué : - Considérant qu'il résulte des dispositions combinées du décret modifié du 23 janvier 1947 autorisant les ministres à déléguer par arrêté leur signature et des arrêtés du 19 juin 1997 du ministre de l'Agriculture et de la Pêche et du 30 juin 1997 du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, portant délégation de signature et régulièrement publiés, qu'à la date de l'arrêté attaqué, Mme Guillou, directeur général de l'alimentation, d'une part et M. Gallot, directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, d'autre part, avaient régulièrement reçu délégation respectivement du ministre de l'Agriculture et de la Pêche et du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie pour signer, dans la limite de leurs attributions, tous actes, arrêtés, décisions, au nom de leur ministre, à l'exclusion des décrets ; que, dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué signé par les deux directeurs généraux susnommés est entaché d'incompétence ;
En ce qui concerne l'existence d'une décision implicite d'acceptation faisant obstacle au prononcé d'une décision explicite : - Considérant qu'aux termes de l'article 40 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée : "(...) Le silence gardé pendant deux mois sur le projet de concentration soumis au ministre compétent vaut décision tacite d'acceptation du projet de concentration ou de la concentration ainsi que des engagements qui y sont joints. Ce délai est porté à six mois si le ministre saisit le Conseil de la concurrence" ; qu'en outre, aux termes de l'article 28 du décret du 29 décembre 1986 susvisé : "La notification au ministre chargé de l'économie d'un projet ou d'une opération de concentration en application de l'article 40 de l'ordonnance est accompagnée d'un dossier (...). Le point de départ du délai de deux mois prévu à l'article 40 de l'ordonnance est fixé au jour de la délivrance des accusés de réception, sous réserve que le dossier soit complet" ; qu'il résulte de ces dispositions d'une part que, lorsque la notification du projet ou de l'opération de concentration ne comporte pas l'ensemble des documents nécessaires pour mettre le ministre chargé de l'économie à même d'en apprécier la portée, il appartient à l'administration de demander à l'entreprise concernée de compléter sa notification et d'autre part que, dans un tel cas, l'accusé de réception du dossier délivré par l'administration et qui constitue le point de départ du délai susindiqué doit être adressé au demandeur dès que le dossier est complet ; que, s'il n'est pas délivré le jour même, l'accusé de réception doit préciser la date de réception de la notification du dossier complet qui constitue alors le point de départ du délai ;
Considérant que si la société The Coca-Cola Company a notifié le 11 février 1998 au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie le projet de concentration en litige, le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a, par lettre en date du 5 mars 1998, demandé à cette société de compléter sa notification en fournissant, notamment, des informations portant sur les liens entre elle-même et la société Coca-Cola Enterprises Inc, sur les marchés des boissons rafraîchissantes sans alcool et des boissons gazeuses sans alcool ainsi que sur le marché de l'embouteillage affecté par l'opération ; que ces informations étaient nécessaires pour identifier les entreprises avec lesquelles la société The Coca-Cola Company se trouve économiquement liée ainsi que pour déterminer les marchés à prendre en compte et pour calculer les parts détenues sur ces marchés par les parties à l'opération de concentration ; que les documents adressés par la société requérante en réponse à la demande de l'administration n'ayant été enregistrés que le 17 mars 1998, l'accusé de réception délivré le 24 mars 1998 et précisant que le dossier était complet le 17 mars 1998 doit être regardé comme ayant fait partir régulièrement à cette dernière date le délai au terme duquel naît une décision implicite d'acceptation ; que le décompte dudit délai devait dès lors être opéré à compter du 18 mars 1998 à zéro heure ; que, dans ces conditions, aucune décision implicite d'acceptation du projet de concentration ne se trouvait acquise le 7 mai 1998, date à laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a décidé de saisir le Conseil de la concurrence ; que le délai de six mois que fixent dans ce cas les dispositions précitées de l'article 40 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'expirait que le 17 septembre 1998 à 24 heures ; qu'il n'est pas contesté que la notification de l'arrêté attaqué a été effectuée le 17 septembre 1998 avant 24 heures ;
Considérant que cette notification a pu être régulièrement effectuée au cabinet parisien de l'avocat de la société The Coca-Cola Company ;
Considérant que, dans ces conditions, aucune décision implicite d'acceptation n'était née à la date à laquelle les ministres signataires ont notifié l'arrêté attaqué ;
En ce qui concerne le caractère contradictoire de la procédure : - Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 44 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée : "La procédure applicable aux décisions du titre V est celle prévue au deuxième alinéa de l'article 21 et aux articles 23 à 25. Toutefois, les intéressés doivent produire leurs observations en réponse à la communication du rapport dans un délai d'un mois (...)" ; qu'en outre, aux termes de l'article 21 de la même ordonnance : "(...) le conseil notifie les griefs aux intéressés ainsi qu'au commissaire du gouvernement, qui peuvent consulter le dossier et présenter leurs observations dans un délai de deux mois. Le rapport est ensuite notifié aux parties, au commissaire du gouvernement et aux ministres intéressés. Il est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur et des observations faites, le cas échéant, par les intéressés. Les parties ont un délai de deux mois pour présenter un mémoire en réponse qui peut être consulté dans les quinze jours qui précèdent la séance par les personnes visées à l'alinéa précédent" ; qu'enfin, aux termes du deuxième alinéa de l'article 18 du décret du 29 décembre 1986 relatif à l'application de l'article 21 de l'ordonnance susvisée : "Les avis éventuels des ministres intéressés sont transmis au Conseil de la concurrence par l'intermédiaire du commissaire du gouvernement" ; qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les ministres peuvent faire connaître au Conseil de la concurrence, par écrit sous forme d'un rapport communiqué antérieurement à la séance publique dans les mêmes conditions que celles prévues pour les parties intéressées, ou oralement lors de la séance publique par l'intermédiaire du commissaire du gouvernement, les observations qu'appelle de leur part notamment en ce qui concerne la concentration économique, le rapport établi par les rapporteurs du conseil sans que, contrairement à ce que soutient la société requérante, la présentation d'un tel rapport écrit implique par elle-même que la décision que les ministres prendront à l'issue de la procédure soit alors arrêtée ; que, par ailleurs, la société requérante ne saurait prétendre que le principe du caractère contradictoire de la procédure administrative aurait été méconnu à cette occasion, dès lors qu'ayant été destinataire de ces observations il lui était loisible malgré les brefs délais applicables devant le Conseil de la concurrence, d'y répondre soit par écrit, soit oralement, comme elle l'a fait, d'ailleurs, lors de la séance au cours de laquelle ses représentants ont été entendus ; que, dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la procédure au terme de laquelle le Conseil de la concurrence a rendu son avis du 29 juillet 1998 sur le projet de concentration litigieux a été entachée d'irrégularité ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes des dispositions de l'article 30 du décret du 29 décembre 1986, pris pour l'application de l'ordonnance du 1er décembre susvisé : "Avant de prendre la décision prévue à l'article 42 de l'ordonnance, le ministre chargé de l'économie envoie le projet de décision accompagné de l'avis du Conseil de la concurrence aux parties intéressées et leur impartit un délai pour présenter leurs observations" ; que si cette disposition ne fixe pas la durée du délai qu'elle prévoit, les parties intéressées doivent être mises en mesure de présenter utilement leurs observations ; que si le délai accordé pour produire ses observations à la société The Coca-Cola Company a été de quatre jours seulement, à la suite de la communication qui lui a été donnée du projet de décision des ministres et de l'avis du Conseil de la concurrence, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de cette communication, la société requérante avait déjà été mise à même, lors des séances de travail tenues avec l'administration, de connaître le sens de l'avis du Conseil de la concurrence, les éléments d'analyse qu'il comportait, la position qu'envisageaient d'adopter les ministres et les raisonnements économiques et juridiques qui les y conduisaient ; que, dans ces conditions, la société The Coca-Cola Company doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant été à même de présenter utilement ses observations ;
Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué : - En ce qui concerne le champ d'application du contrôle prévu en matière de concentration : - Considérant qu'aux termes de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée : "Tout projet de concentration ou toute concentration de nature à porter atteinte à la concurrence notamment par création ou renforcement d'une position dominante peut être soumis, par le ministre chargé de l'économie, à l'avis du Conseil de la concurrence. Ces dispositions ne s'appliquent que lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 % des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de sept milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient un chiffre d'affaires d'au moins deux milliards de francs" ;
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la société The Coca-Cola Company détient près de 40 % des voix au conseil d'administration de la société Coca-Cola Enterprises Inc, et qu'à hauteur de plus de 90 % de son chiffre d'affaires, cette société distribue des produits vendus sous une marque et fabriqués selon des procédés de fabrication dont la société The Coca-Cola Company détient la propriété intellectuelle ; que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le point de savoir si la première de ces sociétés exerce une influence déterminante sur la seconde, il résulte de ce qui précède, que les deux sociétés en cause ainsi que leurs filiales respectives doivent être regardées comme économiquement liées au sens de l'article 38 précité ;
Considérant en deuxième lieu que, pour définir le marché national des produits substituables à prendre en compte pour la détermination des parts de marché détenues par les entreprises parties à l'opération de concentration projetée par la société The Coca-Cola Company, les ministres ont, d'une part, relevé qu'au sein du marché des boissons rafraîchissantes sans alcool, les eaux embouteillées, les boissons non gazeuses et les "colas" n'étaient que très partiellement substituables aux autres boissons en raison de leurs caractéristiques physiques, des habitudes de consommation ainsi que des données relatives aux prix ou de l'image du produit et qu'il convenait dès lors de retenir l'existence d'un marché des boissons gazeuses sans alcool "hors colas"; qu'en procédant ainsi et en se fondant sur l'existence, à l'intérieur du marché ainsi déterminé, de deux circuits de distribution, celui de la distribution "alimentaire" et celui de la distribution "hors foyer", ce dernier circuit devant être distingué du premier en raison des prestations qui l'accompagnent et des contraintes particulières d'espace propres aux distributeurs qui y opèrent, les ministres ont correctement analysé les marchés pertinents à prendre en compte, et procédé à une exacte appréciation des faits de l'espèce ;
Considérant en troisième lieu qu'il résulte des pièces du dossier et qu'il n'est pas contesté qu'en 1996, dernière année pour laquelle des données étaient disponibles, la société The Coca-Cola Company et la Compagnie financière des produits Orangina et ses filiales détenaient ensemble plus de 25 % du marché des boissons gazeuses sans alcool "hors colas", destinées à la consommation "hors foyer", soit une part dudit marché supérieure au seuil fixé par l'article 38 précité pour déterminer les entreprises dont les projets de concentration sont soumis au contrôle des ministres compétents ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré par la société requérante de ce que le projet de concentration qu'elle a soumis elle-même à l'autorité compétente n'entrait pas dans le champ du contrôle de cette autorité doit être écarté ;
En ce qui concerne les effets anticoncurrentiels de l'opération de concentration projetée : - Considérant que les ministres se sont fondés, pour apprécier les effets anticoncurrentiels de l'opération de concentration projetée, sur l'existence, dans le secteur considéré d'un effet de "gamme" ou de "portefeuille" tenant à ce qu'eu égard aux difficultés d'accès à ce secteur il est indispensable au producteur qui entend y accéder ou s'y maintenir, de proposer aux acheteurs un assortiment de boissons gazeuses sans alcool complémentaires, comprenant au moins un "cola", une boisson gazeuse au goût d'orange et une boisson gazeuse claire, l'un de ces produits devant au surplus être distribué sous une marque considérée comme "incontournable" compte tenu de la demande des consommateurs ; que les ministres ont également observé que le groupe Coca-Cola, qui détient 89 % du marché des "colas" "hors foyer" ainsi qu'une marque "incontournable" sur ce marché détiendrait, en outre, si l'opération se trouvait réalisée, 61 % du marché connexe des boissons gazeuses sans alcool "hors colas" "hors foyer", ainsi qu'une autre marque "incontournable" sur ce marché connexe ; qu'ainsi, le groupe Coca-Cola pourrait bénéficier, sur le marché des boissons gazeuses sans alcool "hors colas" "hors foyer", d'un effet de "gamme" ou de "portefeuille" susceptible d'entraîner une situation anticoncurrentielle ; qu'enfin, les ministres ont noté que le groupe Pepsico, lié par un accord de distribution avec Orangina et placé en situation de concurrence directe avec le groupe Coca-Cola, ne disposerait plus d'une offre complète de produits dotés d'une notoriété suffisante susceptible de constituer une alternative à l'offre de Coca-Cola ; qu'en outre, les ministres ont relevé que cette situation sur le marché "hors foyer" ne manquerait pas d'entraîner des effets anticoncurrentiels sur le marché "alimentaire" ;
Considérant que les éléments produits par la société requérante et figurant au dossier conduisent à minorer l'incidence de l'effet de "gamme" ou de "portefeuille" mis en évidence par les ministres dès lors que cet effet peut également résulter de l'assortiment d'autres boissons rafraîchissantes que celles précisées ci-dessus et qu'il n'a aucun caractère systématique ; que, toutefois, la détention par Coca-Cola de deux produits considérés comme "incontournables" constituerait pour les acheteurs du marché "hors colas" "hors foyer", notamment pour ceux qui ont une dimension nationale, un facteur déterminant dans le choix de leur fournisseur et aurait ainsi des effets anticoncurrentiels sur le marché dont il s'agit ;
En ce qui concerne l'existence alléguée d'une compensation des effets anticoncurrentiels par une contribution suffisante au progrès économique et social : - Considérant que la société requérante fait état des perspectives de développement qui seraient ouvertes à la marque Orangina à l'étranger grâce à l'opération projetée, ainsi que des possibilités de développement qu'offrirait au groupe Pernod-Ricard le produit de la cession de ses actifs relatifs aux boissons Orangina ; que, toutefois, l'imprécision des données fournies sur ces deux points ne permet pas d'établir que les effets anticoncurrentiels de l'opération envisagée pourraient être compensés par une contribution suffisante au progrès économique et social, liée aux possibilités de développement que cette opération aurait offertes à la société Orangina et au groupe Pernod-Ricard ;
En ce qui concerne la légalité de l'injonction prononcée : - Considérant, en premier lieu, que si l'entreprise requérante a, comme l'article 40 précité de l'ordonnance susvisée le lui permettait, présenté des propositions d'engagements destinés à compenser les effets anticoncurrentiels relevés par les ministres compétents, dont la principale portait sur l'octroi à un tiers indépendant pour une durée garantie de cinq ans, d'une licence exclusive de vente et de distribution des produits "Orangina" sur une partie du marché "hors foyer", de telles propositions étaient insuffisantes en l'espèce en raison de la durée trop courte de la licence envisagée et de sa portée trop limitée ; que, par suite, en ne retenant pas lesdites propositions, les ministres n'ont pas procédé à une appréciation erronée ;
Considérant, en second lieu, que la société The Coca-Cola Company soutient qu'il incombait aux ministres, dès lors qu'ils écartaient les propositions d'engagements formulées par elle, de définir les mesures adéquates et proportionnées susceptibles d'être imposées aux parties à l'opération de concentration et d'autoriser cette opération en l'assortissant de l'injonction de mettre en œuvre lesdites mesures ; qu'il résulte toutefois des pièces du dossier qu'eu égard à la nature et à l'importance des effets anticoncurrentiels du projet de concentration et à la difficulté corrélative de déterminer des mesures adéquates pour les compenser, la décision prise par les ministres de s'opposer purement et simplement à l'opération projetée ne peut être regardée comme ayant porté une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie ;
En ce qui concerne l'existence d'un détournement de pouvoir : - Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête, que la société The Coca-Cola Company n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué ;
Décide :
Article 1er : La requête de la société The Coca-Cola Company est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société The Coca-Cola Company, au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, au ministre de l'Agriculture et de la Pêche, à la société Pepsi-Cola France SNC et à la société Pernod-Ricard.