Conseil Conc., 9 novembre 1993, n° 93-A-16
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Avis
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Adopté sur le rapport de M. Jean-René Bourhis par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents, Mme Hagelsteen, MM. Blaise, Bon, Callu, Gicquel, Marleix, Pichon, Rocca, Robin, Sargos, Thiolon, Urbain, membres.
Le conseil de la concurrence (formation plénière),
Vu la lettre enregistrée le 23 juillet 1993 sous le numéro A. 116, par laquelle le ministre de l'économie a saisi le conseil de la concurrence d'une demande d'avis relative à l'acquisition de la société Discol SA par la société Prodirest, filiale de Promodès ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment son titre V, et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu la lettre en date du 10 septembre 1993 notifiant le rapport au ministre des entreprises et du développement économique, chargé des petites et moyennes entreprises et du commerce et de l'artisanat, en application de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et la société Promodès ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Promodès SA entendus, les sociétés Discol SA et Pinault-Printemps ayant été régulièrement convoquées ; Adopte l'avis fondé sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
Le 22 février 1993, la société Prodirest SNC a acquis auprès du groupe Pinault-Printemps 132 817 des 132 843 actions constituant le capital de la société Discol SA C'est sur la nature et les incidences de cette opération sur le plan de la concurrence que le conseil est appelé à formuler un avis.
A. - Les entreprises parties à l'opération
La société Prodirest est une filiale à 99,99 p. 100 de la société Genedis, elle-même filiale à 99,99 p. 100 de la holding Actis, qui est détenue à 99,99 p. 100 par Promodès SA, société mère du groupe. En 1992, le chiffre d'affaires consolidé réalisé par le groupe Promodès s'est élevé à 84,2 milliards de francs, dont 49,6 milliards de francs sur le plan national. Le chiffre d'affaires total du groupe réalisé sous enseigne Promodès s'est élevé à 82,8 milliards de francs sur le plan national dont :
- hypermarchés 36 p. 100 ;
- supermarchés 34 p. 100 ;
- commerce de proximité 20 p. 100 ;
- ventes en gros 10 p. 100.
Les ventes en gros se répartissent de la manière suivante :
Libre-service de gros (magasins de "payer-prendre" portant l'enseigne "Promocash") 42 p. 100 ;
Négoce de gros traditionnel 42 p. 100 ;
Commerces spécialisés dans la restauration hors foyer, qui regroupe la restauration dite "commerciale" (chaînes de restaurants, restaurants indépendants) et "collective" (restaurants d'entreprises et de collectivités) 16 p. 100.
La société Prodirest est l'entreprise du groupe Promodès spécialisée dans l'approvisionnement du secteur de la restauration hors foyer. Elle a réalisé un chiffre d'affaires hors taxes de 899 776 330 F sur le plan national au cours de l'exercice 1992 et un bénéfice net de 1 266 438 F. Cette entreprise, qui possède des entrepôts répartis sur l'ensemble du territoire national, réalise 80 p. 100 de son chiffre d'affaires en épicerie "sèche", n'a qu'une activité réduite dans le secteur des produits frais surgelés et n'est pas présente dans le secteur du négoce des boissons. Outre les entrepôts possédés en propre par Prodirest, certains entrepôts sont exploités sous enseigne Prodirest par des sociétés affiliées. Le chiffre d'affaires total réalisé sous enseigne Prodirest s'est élevé à 1,412 milliard de francs en 1992. Parmi les principaux clients de Prodirest figurent des entreprises spécialisées dans la restauration collective et commerciale.
La société Discol SA, qui était une filiale du groupe Pinault-Printemps depuis 1984, est une entreprise spécialisée dans la fourniture de produits alimentaires au secteur de la restauration hors foyer.
Cette entreprise, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 1,639 milliard de francs au cours de l'exercice 1992, réalise environ 62,5 p. 100 de ses ventes dans le secteur de l'épicerie "sèche", 32,5 p. 100 en produits frais et surgelés et 5 p. 100 en produits non alimentaires. Ce chiffre d'affaires comprend les chiffres d'affaires réalisés par les filiales Carsalade, Apco, Discol CBA et Hazebrouck. En revanche, il ne comprend pas ceux des sociétés affiliées au cours de l'exercice concerné, qui sont les suivants :
- Bach : 43 175000F ;
- Borgel : 275 988 000 F ;
- Damide : 73 955 000 F ;
- Ewoco : 532 836 000 F ;
- Innocenti : 135 548 000 F (entreprise affiliée à Prodirest au cours de l'année 1992)
- Leroy : 57 248 000 F.
Les sociétés affiliées étaient liées à Discol SA, jusqu'au jour de l'opération, par un contrat qui s'apparentait à un contrat de franchise, en raison des obligations réciproques imposées aux parties. Ainsi était prévue l'utilisation, par les affiliés, d'un "guide d'achat" et la mise en œuvre d'une coopération commerciale se concrétisant notamment par la diffusion auprès de la clientèle d'un bulletin mensuel intitulé Partenaire de la restauration. Ces prestations contribuaient à la mise à disposition des sociétés affiliées d'un véritable savoir-faire dans le domaine considéré. De même, les entreprises affiliées avaient le droit d'utiliser l'enseigne Prodirest et bénéficiaient d'une exclusivité géographique ainsi que des conditions d'achat obtenues par Prodirest auprès de ses fournisseurs, en contrepartie du versement d'une redevance proportionnelle au chiffre d'affaires réalisé.
L'article VI du contrat d'affiliation (Cessibilité du contrat-cessation d'exploitation) stipulait que "la cession directe ou indirecte, du présent contrat par la société Discol SA entraînera sa résiliation aux torts et griefs de Discol SA sauf agrément par l'affilié du nouvel ayant droit. L'affilié disposera d'un délai de quarante-cinq jours pour manifester son refus d'agrément. En cas de refus d'agrément, le contrat sera réputé résilié le jour où l'opération de transfert sera réalisée. Dans un tel cas, la résiliation entraînera l'exigibilité immédiate d'une indemnité de résiliation calculée selon les modalités prévues à l'article VII ci-après ; ce dernier article prévoyant le versement par Discol SA à l'affilié, d'une indemnité égale à un an de redevances, en cas de résiliation du contrat au profit de l'affilié, et ce pour "compenser le préjudice résultant de la perte d'enseigne".
Par lettre en date du 5 avril 1993 la société Borgel a notifié à Discol SA son refus d'agrément de la société Prodirest SNC et demandé qu'il soit fait application des dispositions des articles VI et VII du contrat d'affiliation. Une procédure identique a été mise en œuvre par les sociétés Damide et Ewoco le 6 avril 1993 ces entreprises ayant également notifié leur refus d'agrément de Prodirest SNC.
A la suite de la résiliation de leur contrat ces entreprises ont décidé de rejoindre la société Federal appartenant au groupe Metro, pour constituer la société Aldis SA principal concurrent du groupe Promodès dans le secteur de la restauration hors foyer sur le plan national.
B. - Le secteur de l'approvisionnement de la restauration hors foyer
Selon les données disponibles, l'approvisionnement du secteur de la restauration hors foyer, dont la demande globale peut être estimée à environ 82 milliards de francs, hors boissons, est réalisé par l'intermédiaire de différents circuits, dans les proportions suivantes :
- Circuits "longs" : 83,3 p. 100 comprenant :
- 25,2 p. 100 de distributeurs spécialisés en collectivités ;
- 51,7 p. 100 de grossistes traditionnels ;
- 6,4 p. l00 de magasins de gros en libres-services.
- Circuits "courts" : 12,7 p. 100 comprenant :
- 10,1 p. 100 de producteurs ;
- 2,6 p. 100 de prestataires sur plates-formes.
- Circuits de détail : 4 p. 100.
Des enquêtes démontrent que le premier critère lors de la sélection des fournisseurs est celui de la qualité du service les acheteurs attachant en effet une grande importance à un approvisionnement régulier ponctuel et de qualité.
En raison de cette préoccupation, à laquelle s'ajoutent d'autres considération liées notamment aux modalités de paiement les acheteurs considèrent que pour ce qui concerne l'approvisionnement de la restauration hors foyer les ventes effectuées par les magasins de "payer-prendre" et les détaillants ne sont pas substituables à celles effectuées par le négoce spécialisé et les grossistes traditionnels.
Par type de produits la demande est la suivante (en comparaison figurent entre parenthèses la répartition de la consommation des ménages) ;
- Epicerie 21 p. 100 (22,5 p. 100) ;
- Viandes et volailles : 19 p. 100 (20 p. 100) ;
- Surgelés et crèmes glacées : 15 p. 100 (4,5 p. 100) ;
- Produits laitiers : 11 p. l00 (17,5 p. 100) ;
- Poissons : l0 p. 100 (5 p. 100) ;
- Pain-pâtisserie : 10 p. 100 (7,5 p. 100) ;
- Fruits et légumes : 8 p. 100 (14 p. 100) ;
- Charcuterie : 6 p. 100 (9 p. l00).
La distribution de boissons est, à l'exception des vins "fins" souvent commercialisés directement par les producteurs généralement assurée par des entrepositaires-grossistes spécialisés dans ce secteur d'activité qui occupe donc essentiellement pour des raisons de logistique une place à part dans l'approvisionnement en produits alimentaires de la restauration hors foyer.
Avant la réalisation de l'opération de concentration, les groupes Promodès et Pinault-Printemps représentaient globalement 5,5 p. 100 des ventes à destination de la restauration collective hors foyer (3,5 milliards rapportés à un chiffre de 63.2 milliards de francs).
Par groupes de produits, la part cumulée des sociétés Discol SA et Prodirest SNC représentait environ en 1992 12 p. 100 en épicerie et 3,6 p. 100 en produits surgelés.
Selon les informations recueillies auprès des intéressés, le poids estimé des principaux opérateurs dans le secteur spécialisé de la fourniture de produits alimentaires à la restauration hors foyer, hors boissons serait le suivant après l'opération soumise à l'avis du conseil ;
- Groupe Promodès environ 2,3 milliards de francs ;
- Groupe Metro, après constitution d'une nouvelle entité en cours de réalisation avec certains des anciens affiliés de Discol SA environ 2,7 milliards de francs ;
- Francap environ 2,2 milliards de francs.
II. - SUR LA BASE DES CONSTATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL
Considérant qu'aux termes de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 "La concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer directement ou indirectement sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante".
Considérant que, en prenant le contrôle de la société Discol SA, la société Prodirest SNC a réalisé une opération de concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance précitée ;
Considérant qu'il résulte de l'article 38 de la même ordonnance que peut être soumis par le ministre chargé de l'économie à l'avis du conseil de la concurrence tout projet de concentration ou toute concentration de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante; que ces dispositions ne s'appliquent que "lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 p. 100 des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de sept milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins deux milliards de francs";
Considérant qu'il ressort des éléments analysés dans la partie I du présent avis que la part des groupes Promodès et Pinault-Printemps, avant l'opération de concentration soumise à l'avis du conseil de la concurrence, ne représentait que 5,5 p. 100 des ventes, achats ou autres transactions réalisés sur le marché de l'approvisionnement en produits alimentaires hors boissons du secteur de la restauration hors foyer ou sur une partie substantielle de ce marché ; que par suite le seuil exprimé en parts de marché fixé par l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est pas atteint ;
Considérant que si le chiffre d'affaires réalisé par les mêmes groupes est supérieur à 7 milliards de francs, le chiffre d'affaires réalisé par la société Prodirest sur le plan national au cours de l'exercice 1992 s'est élevé à 899 776 330 F et le chiffre d'affaires total réalisé sous enseigne Prodirest s'est élevé à 1,412 milliard de francs au cours du même exercice; qu'il s'ensuit que la condition de chiffres d'affaires relative aux entreprises parties à la concentration prévue par l'article 38 de l'ordonnance précitée n'est pas remplie,
Est d'avis : Que l'opération de concentration soumise à l'avis du conseil de la concurrence ne remplit pas les conditions fixées par l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.