CE, 3e sous-sect., 9 avril 1999, n° 191654
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Interbrew (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Labetoulle
Rapporteur :
M. Pochard
Avocats :
SCP Ryziger, Bouzidi
LE CONSEIL D'ETAT : - Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 novembre 1997 et 26 mars 1998 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Interbrew, dont le siège est 14, avenue Pierre Brossolette à Armentières cedex (59426), représentée par son président-directeur général en exercice; la société Interbrew demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le ministre de l'Agriculture, de l'Alimentation et de la Pêche a rejeté son recours gracieux tendant au retrait de l'arrêté interministériel du 20 août 1996 n'autorisant la société Sogebra à se porter acquéreur des sociétés Brasseries Fischer et Grande Brasserie Alsacienne que moyennant l'obligation pour le groupe Heineken, dont Sogebra est filiale à 99,99 %, de céder un ensemble d'entrepôts à des acheteurs juridiquement indépendants des trois principaux brasseurs Heineken, Danone et Interbrew; Vu les autres pièces du dossier; Vu la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966; Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986; Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983; Vu le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986; Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987; Après avoir entendu en audience publique :- le rapport de M. Pochard, Conseiller d'Etat, - les observations de la SCP Ryziger, Bouzidi, avocat de la société Interbrew, - les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement;
Sur la recevabilité de la requête : - Considérant que l'article 113 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales donne au président du conseil d'administration d'une société anonyme qualité pour agir en justice au nom de celle-ci; que la requête de la société Interbrew, société anonyme représentée à l'instance par son président-directeur général, est dès lors recevable; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie doit être écartée;
Sur la légalité de l'arrêté attaqué : - Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête; - Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 40 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée : "Tout projet de concentration ou toute concentration ne remontant pas à plus de trois mois peut être soumis au ministre chargé de l'économie par une entreprise concernée. La notification peut être assortie d'engagements (...)"; qu'en outre, selon l'article 42 de la même ordonnance : "Le ministre chargé de l'économie et le ministre dont relève le secteur économique intéressé peuvent, à la suite de l'avis du conseil de la concurrence, par arrêté motivé et en fixant un délai, enjoindre aux entreprises, soit de ne pas donner suite au projet de concentration ou de rétablir la situation de droit antérieure, soit de modifier ou de compléter l'opération ou de prendre toute mesure propre à assurer ou de rétablir une concurrence suffisante. Ils peuvent également subordonner la réalisation de l'opération à l'observation de prescriptions de nature à apporter au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence"; qu'enfin,l'article 30 du décret du 29 décembre 1986 susvisé prescrit que : "Avant de prendre la décision prévue à l'article 42 de l'ordonnance, le ministre chargé de l'économie envoie le projet de décision accompagné de l'avis du Conseil de la concurrence aux parties intéressées et leur impartit un délai pour présenter leurs observations" ;
Considérant que, par l'arrêté attaqué en date du 20 août 1996, le ministre de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation et le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur ont, dans le cadre de la compétence qui leur est dévolue en vertu des dispositions précitées, accepté la prise de contrôle par la Société générale de brasserie (Sogebra), filiale à 100 % du Groupe Heineken, de la société Brasserie Fischer et de sa filiale Grande brasserie alsacienne d'Adelshoffen, en assortissant cette acceptation de la condition "que le groupe Heineken cède un nombre significatif d'entrepôts, permettant le retour à la situation qui prévalait avant le rachat du groupe Fischer, en termes de chiffres d'affaires réalisé dans la vente en gros de bière", et en précisant "que cette cession devra se faire au bénéfice d'acheteurs juridiquement et financièrement indépendants des trois principaux brasseurs Heineken, Danone et Interbrew";
Considérant que la décision attaquée ne pouvait légalement intervenir sans qu'au préalable, le projet de décision accompagné de l'avis du Conseil de la concurrence ait été adressé aux sociétés parties à l'opération de concentration, comme ce fut le cas en l'espèce, en application de l'article 30 du décret du 29 décembre 1986, et sans que, compte tenu de ce que cette décision privait la société Interbrew de la possibilité de se porter acquéreur des entrepôts susmentionnés, ladite société ait été mise en mesure, en application du principe général des droits de la défense, de présenter ses observations; qu'il n'est pas contesté que cette dernière formalité n'a pas été respectée ; que dès lors, cet arrêté est intervenu dans des conditions irrégulières; que par suite, et eu égard au caractère indivisible des dispositions dudit arrêté, la société Interbrew est fondée à en demander l'annulation ;
Décide :
Article 1er : L'arrêté du ministre de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation et du ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur en date du 20 août 1996 est annulé.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Interbrew, au ministre de l'Agriculture et de la Pêche, au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, à la Société générale de brasserie (Sogebra) et à la Société Fischer Holding.