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Décisions

Conseil Conc., 31 janvier 1989, n° 89-A-02

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

Prise de contrôle par la société suisse Nestlé SA des intérêts français du groupe Rowntree Mackintosh

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

M. Laurent, président; MM. Béteille, Pineau, vice-présidents; MM, Azema, Bon, Cabut, Cortesse, Flécheux, Fries, Gaillard, Mme Lorenceau, MM. Martin Laprade, Sargos, Schmidt, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 89-A-02

31 janvier 1989

Le Conseil de la concurrence,

Vu la lettre enregistrée le 22 septembre 1988 sous le numéro C 215 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, d'une demande d'avis relative à la prise de contrôle de la société suisse Nestlé SA dans le capital de la société britannique Rowntree Mackintosh; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son application; Vu les pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et M. Philippe Veron, président du groupement d'intérêt économique Nestlé France entendus; Retient les constatations (I) et adopte l'avis (II) ci-après exposés.

I. - CONSTATATIONS

La société suisse Nestlé SA a acquis au cours du premier semestre de l'année 1988 la société britannique Rowntree Plc.

La société suisse Nestlé SA contrôle de nombreuses filiales localisées en France; elles sont regroupées dans le groupement d'intérêt économique Nestlé-France. Les domaines d'activité de ce groupement concernent les secteurs des produits laitiers de conserve et d'épicerie sèche (sociétés Sopad Nestlé, Gloria SA, Lait Mont-Blanc, Société industrielle de transformation de produits agricoles [SITPA], des produits laitiers frais (sociétés Chambourcy SA, La Roche-aux-Fées SA, Chambourcy Roche-aux-Fées et Cie et Etablissements Rousset SA), des aliments pour animaux familiers (société Gloria SA), des produits de charcuterie-salaisons (Société Herta SA et Société de produits alimentaires de l'Artois [Sopaa], des glaces et produits surgelés sociétés France Glaces Findus et Davigel SA. Cette dernière société, tout comme les sociétés Conserveries françaises et Bouquet d'Or, a été acquise à la suite du rachat récent par Nestlé SA, de l'ensemble des activités industrielles commerciales et financières du groupe italien Buitoni au groupe de Benedetti.

Les chiffres d'affaires (HT) France et exportation des sociétés appartenant au groupe Nestlé, hormis celles concernant les glaces et produits surgelés, sont ci-après reproduits:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

Les intérêts français du groupe Rowntree Plc se composent de trois sociétés et d'un groupe de sociétés Rowntree Mackintosh SA dont le chiffre d'affaires total (HT) s'est élevé en 1981 à 1,291 milliard de francs; Neuville SA, chiffre d'affaires total (HT) en 1987, 11,92 millions de francs; The Original Cookie Company, chiffre d'affaires total (HT) en 1987, 1,95 million de francs; groupe Sego Martial, composé des sociétés Sogeco, Candice, Sunset Ice Cream et Sogeglaces, dont le chiffre d'affaires global (HT) est évalué en 1987 à 60 millions de francs.

Les groupes Nestlé SA (Suisse) et Rowntree Plc (G-B.) interviennent sur le marché français du chocolat par le biais, respectivement, des sociétés Sopad Nestlé et Bouquet d'Or, d'une part, Rowntree Mackintosh SA, d'autre part.

Les différentes entreprises ci-dessus citées offrent à des degrés divers une grande variété de produits chocolatés des tablettes dites pleines (noir ménage, noir avec ou sans qualificatif et, ou adjonctions, lait ménage, etc.), des tablettes fourrées, des petits tablettages, des barres, des confiseries de chocolat (bonbons, rochers, turbinés, etc.), des moulages et autres produits divers. Analytiquement, les panels Nielsen distinguent cinq types de produits chocolatés les tablettes, les barres chocolatées, les rochers, les produits turbinés et les confiseries de chocolat en boîte. Le classement ainsi opéré est justifié par le fait que les produits composant chacune des catégories répondent à des normes de présentation comparables, à des besoins propres et que la substituabilité entre les produits classés dans des rubriques différentes est considérée comme faible. Il reste toutefois qu'au sein même de la rubrique "tablettes de chocolat" les fournisseurs offrent une large palette de produits qui ne sont pas substituables.

La société Sopad Nestlé, dont le chiffre d'affaires (HT) au titre des produits de chocolat s'est élevé en 1987 à 941,5 millions de francs, participe à des degrés divers aux différents segments de marché ci-dessus cités. Largement spécialisée dans la fabrication de tablettes, qui représente 67,58 p. 100 de son chiffre d'affaires chocolat, elle offre également des barres et des confiseries en boîte correspondant à 30,73 p. 100 de la valeur de ses ventes. Le montant de son offre en produits turbinés et rochers est proportionnellement beaucoup plus modeste (1,68 p. 100 du total). Toujours en 1987, pour ces produits, ses exportations se sont montées à 20,6 millions de francs; son offre sur le marché français s'est donc élevée à 920,9 millions de francs. A hauteur de 11,01 p. 100, ce chiffre d'affaires en France a correspondu à des ventes de produits Nestlé fabriqués dans des unités de production localisées à l'étranger; la valeur de revente des importations ainsi réalisées s'est élevée à 101,4 millions de francs. A plus de 90 p. 100 elles ont correspondu à des ventes de barres.

La société Bouquet d'Or est, de son côté, spécialisée dans la production de confiseries de chocolat en boîte. Son chiffre d'affaires (HT) en 1987 s'est, pour cette production, élevé à 183 millions de francs. Ses exportations sont résiduelles et l'entreprise ne procède pas à des importations de produits finis pour les revendre en France.

Pour sa part, la société Rowntree Mackintosh SA intervient simultanément sur les marchés des tablettes, des barres, des rochers, des produits turbinés et des confiseries de chocolat en boîte.

Pour ces produits de chocolat, son chiffre d'affaires (HT) a atteint en 1987 1,184 milliard de francs. A hauteur respectivement de 41,25 p. 100, 26,83 p. 100 et 16,63 p. 100 il a correspondu à des ventes de barres, de confiseries de chocolat en boîte et de tablettes. Pour le solde, les ventes ont été également réparties entre les marchés des rochers et des produits turbinés. La même année, les exportations de produits finis de chocolat de cette société se sont élevées à 200,35 millions de francs. Pour plus de 90 p. 100, elles ont été orientées vers l'Allemagne fédérale, l'Italie, la Grande-Bretagne, la Belgique et les Pays-Bas. A hauteur respectivement de 61,71 et de 32,40 p. 100 il s'est agi d'exportations de barres et de confiseries de chocolat en boîte. Par ailleurs, toujours en 1987, pour un montant de 353,59 millions de francs, les ventes en France de cette entreprise ont correspondu à des produits Rowntree fabriqués essentiellement en République fédérale allemande, aux Pays-Bas et, à un moindre degré, en Grande-Bretagne. Ces importations concernent les segments de marché barres, produits turbinés et confiseries de chocolat en boîte. Pour l'essentiel, les produits faisant ainsi l'objet d'échanges entre les différentes filiales européennes du groupe Rowntree sont vendus sous des noms de marque appartenant à Rowntree Plc (Grande-Bretagne) et donc désormais détenus par Nestlé SA (Suisse).

Globalement, la consommation apparente française pour les produits de chocolat ci-dessus cités est évaluée en 1987 à 9,963 milliards de francs; le chiffre d'affaires (HT) des entreprises de la branche se monte alors à 9,454 milliards de francs (hors traitement et commercialisation des fèves de cacao et autres produits semi-finis à base de cacao); les flux d'importation et d'exportation s'élèvent respectivement à 1,714 et 1,205 milliard de francs. Après concentration, Nestlé-France assure 25,9 p. 100 de l'offre globale des produits de chocolat. Mais ni les enquêtes de branche, ni les éléments tirés des enquêtes annuelles d'entreprise, ni les données recueillies par l'Union des chocolatiers et confiseurs de France ne permettent d'évaluer les montants de consommation apparente propres à chacun des segments de marché précédemment cités. Seules les données Nielsen, qui couvrent 80 p. 100 environ du marché français, donnent une estimation de la demande nationale pour chacun de ces segments et permettent d'évaluer les parts de marché revenant à chacune des sociétés Sopad Nestlé, Bouquet d'Or et Rowntree Mackintosh SA.

Ainsi, sur le marché des tablettes, les parts de marché de Sopad Nestlé et de Rowntree Mackintosh SA sont, en 1987, respectivement évaluées à 17,3 p. 100 et 3,7 p. 100 (total 21 p. 100).

Sur le marché des rochers, la part de Sopad Nestlé est résiduelle (inférieure à 1 p. 100 tandis que Rowntree Mackintosh SA satisfait 18 p. 100 de la demande française.

Sur le marché des barres, les parts de marché détenues par Sopad Nestlé et Rowntree Mackintosh SA s'élèvent, dans l'ordre, à 7,6 et 23,9 p. 100 (total 31,5 p. 100). Pour une large part, les taux ainsi atteints résultent des opérations d'importation réalisées par les deux sociétés. En 1987, 69 p. 100 de l'offre Sopad Nestlé sur le marché français correspondent à une production étrangère. La même année, la production importée par Rowntree Mackintosh SA cor- respond à 57,8 p. 100 de son offre totale.

L'une et l'autre des sociétés se sont donc largement approvisionnées auprès d'autres entreprises appartenant respectivement aux groupes Nestlé et Rowntree.

La société Sopad Nestlé contribue encore à hauteur de 4,5 p. 100 à la demande de produits turbinés et la part de marché détenue par Rowntree Mackintosh SA atteint 34 p. 100 (total 38,5 p. 100). L'offre de la société Sopad Nestlé est exclusivement produite en France. Dans sa totalité, l'offre de Rowntree Mackintosh SA correspond à des importations.

Enfin, sur le marché des confiseries de chocolat en boîte, les parts de marché de Sopad Nestlé, Bouquet d'Or et Rowntree Mackintosh SA sont respectivement évaluées à 7,2 p. 100, 5 p. 100 et 17,1 p. 100 (total 29,3 p. 100). 20,1 p. 100 de l'offre proposée par Rowntree Mackintosh SA proviennent des unités de production Rowntree localisées à l'étranger. Les sociétés Sopad Nestlé et Bouquet d'Or ne procèdent à ce titre à aucune opération d'importation.

Plus généralement, l'offre de produits de chocolat est, en France, assurée par des entreprises de dimension moyenne et par d'autres entreprises qui détiennent d'importantes parts de marché. Ainsi le groupe belgo-suisse Suchard-Côte d'Or détient 24,7 p. 100 du marché des tablettes et 34,7 p. 100 du marché des rochers. La société Mars (Etats-Unis) contribue à l'approvisionnement du marché des barres à hauteur de 45,3 p. 100 et domine le marché des produits turbinés en satisfaisant 61,5 p. 100 de la demande. Ce n'est que sur le marché des confiseries de chocolat en boîte que l'ensemble Sopad Nestlé-Bouquet d'Or-Rowntree Mackintosh SA est, avec 29,3 p. 100 du marché, le premier fournisseur; ses principaux rivaux Lindt, Poulain et Suchard-Côte d'Or ne contrôlent globalement que 23,4 p. 100 du marché.

Il y a lieu de noter que les principales firmes sont localisées dans différents pays consommateurs, les flux d'échanges de produits finis observables entre ces firmes sont souvent importants et les produits sont très fréquemment proposés à la clientèle sous des mêmes marques propriété des sociétés mères.

Au cours des trois dernières années les fournisseurs de produits de chocolat ont bénéficié de la baisse du prix des fèves de cacao et des produits semi-finis de chocolat. A ce titre, par rapport au niveau des prix de 1985, les économies réalisées en 1987 par l'ensemble des producteurs français se monteraient à 1,17 milliard de francs. Pour les sociétés Sopad Nestlé et Rowntree Mackintosh SA elles ont respectivement été évaluées à 90,25 et 63,17 millions de francs. Les ressources ainsi dégagées ont été affectées par les sociétés en cause à l'accroissement très sensible de leurs dépenses publicitaires et promotionnelles touchant particulièrement les produits nouveaux et leur ont permis, du moins en partie, d'augmenter le poids en chocolat des produits vendus. La baisse du prix des matières premières utilisées a enfin entraîné l'amélioration de leurs résultats nets, lesquels ont été contrariés, jusqu'en mars 1985, par la réglementation des prix. Cette baisse du prix des matières premières n'a pas conduit les entreprises à se livrer à des luttes de prix, du moins au niveau des tarifs publiés. Bien au contraire, les prix "tarif" des producteurs ont, de mars 1985 à décembre 1987, subi des augmentations se situant aux alentours de 8 à 15 p. 100 pour Sopad Nestlé, 6 à 14 p. 100 pour Rowntree Mackintosh SA, 2 à 7 p. 100 pour Bouquet d'Or. Depuis lors, ces prix "tarif" sont demeurés stables. En fait, la concurrence entre les fournisseurs s'est principalement exercée par le biais des produits nouveaux, des programmes publicitaires et promotionnels. La portée des programmes promotionnels est particulièrement attestée par l'évolution des prix consommateurs relevés par Nielsen et qui permettent de constater, de février 1986 à septembre 1988, la baisse unitaire du prix des barres. Toutefois, l'indice INSEE des prix à la consommation n'a pas marqué de mouvement de baisse pour la même période. Par ailleurs, de notables variations de parts de marché ont été relevées. Ainsi l'offre de barres de la société Sopad Nestlé est, en France, passée de 39,8 millions de francs en 1984 à 167,8 millions de francs en 1987 alors que, dans le même temps, la production globale est demeurée constante.

II. - A LA LUMIERE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT

Le Conseil de la concurrence,

Considérant, d'une part, que la concentration notifiée par le groupement d'intérêt économique Nestlé France en application de l'article 40 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, et soumise au conseil par le ministre chargé de l'Economie, concerne la prise de contrôle majoritaire par la société Suisse Nestlé SA de la société britannique Rowntree Plc; que cette opération a pour conséquence en France de placer les sociétés Sopad Nestlé, Bouquet d'Or et Rowntree Mackintosh SA sous un contrôle unique;

Considérant, d'autre part, que les sociétés Sopad Nestlé, Bouquet d'Or et Rowntree Mackintosh SA détiennent ensemble, sur trois des cinq marchés considérés, des parts de marché en valeur relative supérieures aux seuils fixés au deuxième alinéa de l'article 38 de l'ordonnance de 1986 susvisée, et évaluées à 31,5 p. 100 pour les barres, 38,5 p. 100 pour les turbinés et 29,3 p. 100 pour les confiseries de chocolat en boîte; que de ce seul fait l'opération de concentration entre dans le champ d'application du deuxième alinéa de l'article 38 précité;

Considérant que la mission du Conseil de la concurrence telle qu'elle est définie en la matière par l'article 41 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 consiste à apprécier les atteintes à la concurrence pouvant éventuellement résulter de la concentration et la contribution que celle-ci peut apporter au progrès économique, en tenant compte de la compétitivité des entreprises au regard de la concurrence internationale;

Considérant que l'opération examinée, procurant notamment à l'ensemble Sopad Nestlé-Bouquet d'Or-Rowntree Mackintosh SA d'importantes parts de marché, peut être considérée comme de nature à affecter l'exercice de la concurrence en raison, en particulier, de la puissance d'achat et de vente qu'elle confère; que la question peut d'autant plus se poser que, si la compétition sur le marché s'est manifestée par le lancement de nouveaux produits et le développement de campagnes publicitaires, il ressort du dossier que la diminution du prix des fèves de cacao et des produits semi-finis de chocolat, même si la part de ceux-ci dans le coût des produits finis n'est que, suivant les cas, de 5 à 25 p. 100, ne s'est pas traduite par une répercussion notable dans les prix de vente à la clientèle;

Mais considérant que le marché mondial des produits de chocolaterie de grande consommation est dominé par un petit nombre de firmes de dimension internationale, en particulier, les sociétés Mars Inc. (E.-U.), Hershey (E.-U.), Cadbury-Schweppes (G.-B.), Jacobs-Suchard (Suisse) et Lindt (Suisse); que ces différents opérateurs interviennent sur le marché français soit en y produisant, soit en y exportant; qu'ainsi les importations de produits de chocolat représentent en 1987, compte non tenu des importations réalisées par Sopad Nestlé et Rowntree Mackintosh SA, 14,18 p. 100 de la consommation apparente; que la concentration opérée, qui n'a pas pour objet de fermer l'accès au marché, est de nature à apporter aux entreprises concernées un potentiel d'amélioration de la productivité et une capacité concurrentielle, notamment sur le marché international, qui sont de nature à compenser les éventuelles limitations de la concurrence par les prix ci-avant mentionnées;

Est d'avis: - Qu'en rendant possible le renforcement du potentiel de développement du groupe, notamment par la mise au point et la diffusion de produits nouveaux, la concentration considérée peut, en raison de la structure des marchés en cause, apporter à la compétitivité des entreprises intéressées une contribution suffisante pour compenser les risques de limitation de la concurrence par les prix qu'elle pourrait comporter; que, dès lors, il n'y a lieu, du point de vue des critères fixés par l'article 41 de l'ordonnance de 1986 sus-visée, ni de faire opposition à cette opération ni de la subordonner à des conditions économiques particulières.