Conseil Conc., 21 février 1989, n° 89-A-05
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Avis
Projet de concentration entre les sociétés Spontex (du groupe Chargeurs SA) et 3 M France (filiale de Minnesota Mining and Manufacturing Co) dans le secteur des "outils d'entretien ménager"
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré en formation plénière sur le rapport de M. A.-P. Weber dans sa séance du 21 février 1989 où siégeaient: M. Laurent, président; MM. Béteille, Pineau, vice-présidents; MM. Azema, Cabut, Cortesse, Flécheux, Gaillard, Mme Lorenceau, MM. Sargos, Schmidt, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence,
Vu la lettre enregistrée le 22 novembre 1988 sous le numéro C. 241 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, d'une demande d'avis relative au projet de rachat de la société Spontex (filiale de Chargeurs SA) par la société Minnesota Mining and Manufacturing Co; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son application; Vu les pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties entendus; Retient les constatations (I) et adopte l'avis (II) ci-après exposés.
I. - CONSTATATIONS
Les sociétés Chargeurs SA et Minnesota Mining and Manufacturing Co (3 M) ont conclu, le 2 septembre 1988, un accord de principe en vue de la cession à 3 M par Chargeurs SA, qui a déclaré vouloir se retirer du marché des biens de grande consommation, des activités mondiales de Spontex Worldwide. S'agissant du marché national, l'opération envisagée concerne la société 3 M France et les composantes françaises de Spontex Worldwide (Spontex SA et Facel); 3 M France doit en effet se porter acquéreur de ces deux sociétés.
La société 3 M France est, à hauteur de 89,99 p. 100, filiale de la société Minnesota Mining and Manufacturing Co. Elle est implantée en France depuis 1951. En 1987, elle a réalisé un chiffre d'affaires global de 3,2 milliards de francs. Engagée dans de multiples activités, la société 3 M France participe au marché des produits récurants "grand public" (produits abrasifs, tissus et produits abrasifs contre-collés sur des éponges). Son chiffre d'affaires au titre de ces produits est, en 1987, évalué à 186 millions de francs. La production est réalisée dans l'usine de Beauchamp (Val-d'Oise); 150 personnes environ y sont employées.
Fondée en 1948. la société Spontex SA est simultanément engagée dans les productions de produits d'épongeage-essuyage et de produits récurants. En 1987, elle a réalisé un chiffre d'affaires global de 610,3 millions de francs. Elle exporte environ le quart de sa production. Elle est dotée d'une usine située à Beauvais; 700 personnes environ y sont employées.
Filiale de Spontex SA, la société Facel a, pour sa part, toujours en 1987, réalisé un chiffre d'affaires de 55,6 millions de francs; elle emploie 75 personnes engagées dans la production d'éponges cellulosiques.
L'opération de concentration concerne ainsi le marché des outils d'entretien ménager. Ces articles, pouvant être concurrencés par d'autres produits - savons, poudres à récurer, crèmes à récurer, aérosols pour le nettoyage -, permettent de répondre aux besoins de nettoyage. Ils se caractérisent par leur variété et, parmi ceux-ci, on peut citer les éponges et toiles-éponges cellulosiques, les éponges en polyuréthane, les papiers, les produits non tissés, les balais et les brosses, les peaux de chamois synthétiques ou naturelles, les tampons à récurer, les disques abrasifs, les laines d'acier et spirales métalliques. Ces différents produits peuvent être vendus sous la forme de "combinés" destinés à remplir simultanément différentes fonctions de nettoyage. Analytiquement, on a coutume de distinguer les produits relevant du marché de l'épongeage-essuyage (éponges, toiles-éponges, non tissés, lavettes textiles, peaux synthétiques) des produits relevant du marché du récurage (produits non tissés abrasifs, non tissés abrasifs contre-collés à une éponge, tampons).
L'offre française de produits d'épongeage-essuyage porte principalement sur des éponges et toiles-éponges cellulosiques dont la fabrication requiert l'achat de pâte de bois dissoute, de soude et de divers autres produits chimiques pour lesquels on dénombre de nombreux offreurs. Ces fabrications ne se caractérisent pas par de notables économies de coût liées à l'accroissement de la dimension des unités de fabrication et ne reposent sur aucun brevet. Tout au plus la production d'éponge cellulosique exige-t-elle un savoir-faire. L'offre de produits d'épongeage-essuyage à base de polyuréthane est résiduelle. En prix fabricant hors taxes l'offre globale française pour ces produits est évaluée en 1987 à 302 millions de francs. La valeur des exportations et des importations est, la même année, évaluée à 141,4 et 27,3 millions de francs.
Les sociétés Spontex SA et Facel assurent la majeure partie de l'offre de produits d'épongeage-essuyage. En 1987, s'agissant des produits vendus sous les marques Spontex et Facel, la part globale de marché est évaluée à 77,6 p. 100 de la consommation finale intérieure. Pour les seules éponges, la part de ces sociétés se monte à 86,4 p. 100; pour les toiles-éponges elle est évaluée à 83,3 p. 100.
Pour le solde, l'offre est assurée par des fournisseurs étrangers Vileda (du groupe Freundenberg, premier fournisseur mondial de produits non tissés), Yom (du groupe General Mils), Chif'O'Net (du groupe Johnson and Johnson), Enka (du groupe Akzo). A hauteur de 2,1 p. 100 de la demande nationale, des produits fabriqués par les sociétés Spontex et Facel sont enfin vendus sous marque de distributeur.
Pour leur part, les productions de produits récurants nécessitent particulièrement des fibres polyamides et polyester, des colles, résines et des produits abrasifs; on dénombre pour ces différents produits de nombreux offreurs nationaux et étrangers. Ces productions ne se caractérisent pas davantage par l'existence d'économies d'échelle et aucun obstacle d'ordre technique n'interdit l'entrée dans l'activité. En 1987, l'offre globale française de produits de récurage et d'abrasifs destinés tant à la consommation des ménages qu'à la consommation industrielle est évaluée à 853 millions de francs; la valeur des importations et des exportations s'élève alors respectivement à 171,5 et 224,9 millions de francs.
Globalement, les Sociétés Spontex SA et Facel, d'une part, et 3 M France, d'autre part, assurent en 1987 35,7 et 39,9 p. 100 de la consommation finale française de produits récurants. Sur le seul segment des produits non tissés abrasifs, leurs parts de marché s'élèvent, dans l'ordre, à 27,3 et 57,5 p. 100. Pour les produits combinés, c'est-à-dire les non tissés abrasifs contre-collés à une éponge, leurs parts se montent à 41,7 et 43,3 p. 100. La société 3 M France n'offre pas de tampon à récurer et la part de marché revenant à Spontex pour ce produit s'établit à 22,9 p. 100.
Pour partie, l'offre de Spontex en produits récurants résulte du contrat que cette société a conclu avec la société 3 M France. En application de ce contrat, 3 M France assure une partie de l'approvisionnement de Spontex en récurants non tissés destinés à la fabrication et à la vente d'éponges récurantes et de tissus récurants. Parallèlement, également pour partie, l'offre de produits combinés de 3 M France résulte du contrat que cette société a conclu avec la société Facel; en application de ce contrat, 3 M France s'approvisionne exclusivement auprès de Facel pour ses besoins en éponges cellulosiques destinées à la fabrication et à la vente de produits combinés. 3 M France acquiert aussi des éponges en mousse polyuréthane auprès de la société Tramico. En volume, 3 M France acquiert essentiellement de l'éponge cellulosique qui présente un pouvoir absorbant supérieur à celui de l'éponge polyuréthane.
L'approvisionnement du marché français en produits de récurage est, par ailleurs, assuré par d'autres entreprises Jex (American Home Products), Pad (Carbospam, filiale de British Petroleum), Stanhome (Stanhome Incorporated). Ces entreprises proposent en effet des produits présentant des caractéristiques analogues à celles des produits offerts par les sociétés 3 M France, Spontex SA et Facel. Enfin, d'autres sociétés offrent des produits dérivés de l'industrie chimique aérosols, crèmes liquides et poudres.
Participant au marché des produits de récurage, les sociétés 3 M France, Spontex SA et Facel ont adopté des politiques de prix indépendantes, lancé de nouveaux produits, engagé des programmes publicitaires, et tandis que de 1983 à 1987 les sociétés Spontex SA et Facel ont réussi à accroître dans de notables proportions leurs parts de marché, la société 3 M France a vu sa part de marché diminuer.
II. - A LA LUMIERE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT
Le Conseil de la concurrence,
Considérant, d'une part, que le projet de concentration notifié par les sociétés Chargeurs SA et Minnesota Mining and Manufacturing Co en application de l'article 40 de l'ordonnance n° 86-1243 du lot décembre 1986, et soumis au conseil par le ministre chargé de l'Economie, concerne la cession par Chargeurs SA à Minnesota Mining and Manufacturing Co des activités mondiales de Spontex; que ce projet une fois réalisé aurait pour conséquence de placer en France les sociétés Spontex SA et Facel sous le contrôle de la société 3 M France;
Considérant, d'autre part, que les sociétés Spontex SA, Facel et 3 M France détiennent ensemble sur le marché des produits récurants une part de marché en valeur relative supérieure au seuil fixé au deuxième alinéa de l'article 38 de l'ordonnance de 1986 susvisée et évaluée en 1987 à75,6 p. 100; qu'ainsi l'opération de concentration envisagée entre dans le champ d'application du deuxième alinéa de l'article 38 précité;
Considérant que la mission du Conseil de la concurrence telle qu'elle est définie en la matière par l'article 41 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 consiste à apprécier les atteintes à la concurrence pouvant éventuellement résulter de la concentration et la contribution que celle-ci peut apporter au progrès économique, en tenant compte de la compétitivité des entreprises au regard de la concurrence internationale;
Considérant que l'opération projetée, procurant une place prééminente à l'ensemble 3 M France-Spontex SA sur le marché des produits récurants, présente le risque d'affecter l'exercice de la concurrence en raison en particulier, de la puissance de vente qu'elle confère, alors que les entreprises parties à la concentration se sont, dans le passé, attachées à se prendre des parts de marché sur les récurants et produits combinés en dépit des contrats d'approvisionnement qui les liaient; que le nouvel ensemble sera le seul à offrir à la fois des produits d'épongeage-essuyage et des produits récurants; qu'il y a lieu encore de tenir compte du fait que les éponges cellulosiques produites par Spontex SA et Facel présentent des qualités intrinsèques dont il est difficile de trouver l'équivalent et que ces deux sociétés proposent, avec 3 M France, des produits d'une forte notoriété; que, toutefois, les atteintes à la concurrence qui pourraient résulter de cette situation sont limitées du fait que les activités en cause se caractérisent par l'absence de barrières à l'entrée sur le marché quant aux techniques de fabrication, à l'accès aux matières premières, aux économies d'échelle, et qu'en outre les fournisseurs européens sont aptes à franchir les barrières de nature commerciale;
Considérant que les sociétés 3 M France, Spontex SA et Facel offrent, selon leurs déclarations, des produits anciens susceptibles à brève échéance de ne plus être adaptés aux besoins des consommateurs; que, sur le marché de l'épongeage, des produits de nature différente de ceux offerts par ces entreprises, faisant appel à d'autres technologies que celles qu'elles maîtrisent et présentant des avantages d'utilisation pour les consommateurs, peuvent connaître un essor rapide; que, sur le marché des récurants, de nouveaux produits, poudres, crèmes et aérosols, sont d'ores et déjà offerts par des groupes chimiques; que, dès lors,la mise en commun notamment des moyens de recherche des deux entreprises, dont les activités sont d'ailleurs complémentaires, est nécessaire pour permettre au nouvel ensemble, par l'amélioration de la qualité et par la mise au point de produits nouveaux, de se mettre au niveau de la compétition sur les divers marchés ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la concentration envisagée apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence sus-analysée,
Est d'avis: - Que l'opération de concentration considérée n'appelle pas d'objection au regard des dispositions de l'article 41 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.