Ministre de l’Économie, 9 avril 1999, n° ECOC9910117Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ÉCONOMIE
Défendeur :
Conseil des sociétés Aérospatiale et Dassault Aviation
MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 10 février 1999, vous avez notifié l'acquisition par la société Aérospatiale des parts détenues par l'Etat (45,76 %) dans Dassault Aviation. L'accord a été conclu le 10 novembre 1998 et approuvé par arrêté interministériel le 24 décembre 1998. Les participations de Dassault Industries dans l'aéronautique ont été apportées à Dassault Aviation préalablement à l'opération, tandis que la participation de Dassault Aviation dans Dassault Systèmes était sortie du périmètre.
La société Aérospatiale, Société nationale industrielle, est une société anonyme de droit français. Elle est détenue à 62,1 % par l'Etat, le solde revenant à des sociétés publiques. Elle est active principalement dans les secteurs des avions, du transport spatial, des hélicoptères, ainsi que des systèmes. Son chiffre d'affaires a été de 56,3 milliards de francs en 1997 au niveau mondial, dont 14,1 en France. Elle emploie environ 37 000 personnes.
La société Dassault Aviation est une société anonyme de droit français dont le capital était détenu, avant l'opération, conjointement par la société Dassault Industries (49,9 %) et par l'Etat français (45,76 %). Elle est spécialisée dans la conception, le développement, la production et la vente d'avions militaires et d'avions d'affaires à réaction. En 1997, elle a réalisé un chiffre d'affaires mondial de 21 milliards de francs, dont 3,4 en France. Elle emploie environ 12 000 personnes.
La société Dassault Industries est une société anonyme de droit français dont le capital est entièrement détenu par la famille Dassault. C'est la société holding gérant les participations industrielles du groupe Dassault Industries. L'ensemble du groupe a réalisé en 1997 un chiffre d'affaires mondial de 26,7 milliards de francs, dont 7,2 en France. Le groupe emploie environ 18 000 personnes.
A l'issue de l'opération, Dassault Aviation est contrôlée à 45,76 % par Aérospatiale et 49,9 % par Dassault Industries. Un pacte a été scellé entre les deux actionnaires majoritaires, qui prévoit notamment une représentation paritaire au conseil d'administration, une prise en commun de toutes les décisions importantes, la constitution d'un comité stratégique ainsi qu'un droit de préemption réciproque en cas de cession ou d'offre publique. L'opération confère donc à Aérospatiale et Dassault Industries le contrôle commun de Dassault Aviation. Elle constitue ainsi une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.
Les seuils de chiffres d'affaires prévus à l'article 38 de l'ordonnance susvisée étant franchis, cette concentration est contrôlable en vertu du titre V de la même ordonnance.
L'opération contribue au regroupement des entreprises françaises d'aéronautique et de défense. Elle permet au nouveau groupe de maintenir une grande qualité technologique en dépit du contexte de diminution des crédits militaires. Elle lui permettra aussi de participer activement aux discussions européennes en cours portant sur la restructuration de l'industrie aéronautique militaire et civile.
De nombreux marchés sont concernés par l'opération. Toutefois, les activités d'Aérospatiale (AS) et de Dassault Aviation (DA) étant très complémentaires, il n'existe pratiquement pas de recouvrement. Les marchés pertinents sont, au sein des grands secteurs suivants :
Dans le secteur des avions commerciaux de grande capacité (via Airbus, dont AS est membre à hauteur de 37,9 %, avec Daimler Chrysler Aerospace Airbus, British Aerospace et CASA) :
- court-moyen courrier : A 319, A 320, A 321 ;
- long courrier : A 300-600, A 310, A 330, A 340 et les futurs A 340-500 et A 340- 600 ;
Dans le secteur des avions de transport régional (AS) :
- 40 à 59 sièges (ATR 42) ;
- 60 à 70 sièges (ATR 72) ;
Dans le secteur des jets d'affaires (essentiellement Falcon : DA) ;
- "médium large", entre [...] et [...] (1) millions de US dollars (Falcon 50 EX) ;
- "large", entre [...] et [...] millions de US dollars (Falcon 2000) ;
- "jumbo", entre [...] et [...] millions de US dollars (Falcon 900 EX) ;
- "globaux", au-dessus de [...] millions de dollars (A 319 Corporate : AS) ;
Dans le secteur des avions militaires (DA) :
- avions de combat (Rafale, Mirage 2000) ;
- avions de patrouille maritime (Atlantique 2) ;
Dans le secteur des missiles et systèmes de missiles (AS) :
- missiles stratégiques ;
- missiles tactiques : les marchés doivent être définis en fonction du type de missile (anti-char, anti-navire, défense anti-aérienne, anti-radar, de croisière, air-air, sol-sol) et de sa portée. Toutefois, compte tenu de l'absence totale de recouvrement sur ce secteur, il n'est pas nécessaire de détailler l'ensemble des marchés.
Dans le secteur des hélicoptères (via Eurocopter, détenu par AS et DASA) :
- "light" (EC 120, Ecureuil, EC 135, BK 117) ;
- "médium" (Dauphin) ;
- "médium-heavy" (Super Puma) ;
- "specialized" (Tigre).
Les hélicoptères peuvent aussi être distingués en fonction de leur destination (civile ou militaire) et du type de mission pour lequel ils sont commercialisés (combat, transport, liaison, offshore, recherche et sauvetage, police, VIP). Comme pour les missiles, il n'est pas nécessaire de détailler l'ensemble des marchés.
Dans le secteur des systèmes d'information et de commandement (AS) :
- photo-interprétation militaire ;
- commercialisation de données locales topographiques ;
Dans le secteur des systèmes de tests (AS) :
- bancs d'essais d'aéronautique civile (ATEC) ;
- bancs d'essais d'aéronautique militaire (SESAR 300) ;
Dans le secteur de l'aviation légère (AS, via la Socata) :
- avions légers de transport monoturbines (TBM 700) ;
- avions d'école, de formation et de loisir (Tampico, Tobago, Trinidad) ;
- avions militaires d'entraînement initial (Epsilon) ;
Marché des systèmes de transport spatial (via Arianespace, dont AS détient une participation minoritaire de 9,48 %, AS étant par ailleurs l'architecte industriel délégué par le Centre national d'études spatiales, maître d'œuvre, pour l'ensemble du programme).
Tous les marchés civils concernés sont mondiaux.
En ce qui concerne les marchés militaires, on peut considérer que leur taille est mondiale sauf lorsqu'il existe des spécificités nationales très fortes (en l'espèce, missiles stratégiques) ou dans le cas des pays producteurs des armements considérés : dans ces derniers cas, les marchés sont nationaux. Néanmoins, la nature même de l'acheteur et son unicité éliminent alors tout risque d'atteinte à la concurrence. De plus, les Etats lancent de plus en plus souvent des programmes de coopération internationale dans le domaine militaire et sont amenés, compte tenu du resserrement des budgets, à une ouverture croissante de leur politique d'achat, au moins dans la Communauté européenne (ce dont témoigne par exemple la création d'une Agence européenne d'armements). Ceci tend à l'élargissement des marchés nationaux et à la constitution d'un marché communautaire.
La présente opération ne comporte aucune addition de parts de marché, les entreprises fusionnantes n'étant jamais présentes ensemble sur un même marché.
Elle n'aura pas de conséquence non plus en terme d'effet de gamme.En effet, elle n'accroît aucune gamme existante, à l'exception, très marginale, de l'A 319 Corporate, qui s'intègre sur le marché des jets d'affaires globaux. Cependant, compte tenu de son coût, cet appareil est destiné à un marché étroit et très particulier, "personnalisé", où les acheteurs sont particulièrement capables de jouer sur les prix, d'autant plus que tous les constructeurs d'avions de ligne sont capables d'adapter à la demande l'aménagement intérieur de leurs appareils. La concurrence restera donc forte sur ce marché, ainsi que sur les autres marchés de jets d'affaires.
La présence d'avions légers de transport monoturbines n'est pas non plus de nature à accroître des effets de gamme, tant sur les jets d'affaires que sur les avions de transport régionaux. D'une part, le plus cher (TBM 700) coûte six fois moins cher que le jet le moins cher, pour une distance franchissable réduite de moitié, avec des coûts d'entretien et de fonctionnement beaucoup plus faibles. D'autre part, ces avions ne sont pas conçus pour le transport commercial public, notamment en termes de capacité, et ne peuvent donc pas rentrer sur une gamme destinée au transport commercial, à l'exception de situations tout à fait marginales.
Sur les différents marchés, le nouveau groupe fait face à de nombreux concurrents, dont un grand nombre appartiennent à des groupes puissants et diversifiés:
Pour les avions de transport de grande capacité : Boeing/McDonnel Douglas ;
Pour les avions de transport régionaux : Bombardier, CASA, Embraer ;
Pour les jets d'affaires : Bombardier-Canadair, Gulfstream, Cessna, IAI ;
Pour les avions militaires : Lockheed Martin Corporation, Saab, Boeing/McDonnel Douglas, Daimler Chrysler, British Aerospace, Alenia ;
Pour les hélicoptères : Bell, Agusta, Sikorski, Boeing/McDonnel Douglas ;
Pour l'aviation légère : Beechcraft, Piper, Cessna, Mooney ;
Pour les missiles : Alenia Marconi, BGT, Bofors, GEC Marconi, NFT Kongsberg Defense, Oerlikon, Oto Melara, Saab Dynamics, Thomson Air Systems et les groupes américains Boeing/McDonnel Douglas/Rockwell, Lockheed Martin/Loral et Raytheon/Hugues/Texas Instruments ;
Pour les SIC : Sagem, Sema Group, Thomson CSF NCS, Thomson Detexis, Lockheed Martin/Loral, Hugues Corporation, TRW ;
Pour le traitement des images : Thomson/Syseca, DASA, Vitrociset, EOS, Laserscan ;
Pour les systèmes de tests : RADA, BF Goodrich, ISIS MPP, British Aerospace, CASA, DASA, Alenia, Saab.
Enfin, les acheteurs sont essentiellement des Etats ou de grandes entreprises, capables de faire jouer pleinement la concurrence s'ils le désirent. De même, les fournisseurs sont très fréquemment de grands groupes industriels(General Electric, Pratt & Whitney, Rolls Royce, SNECMA, Sextant Avionique, Rockwell Collins, Allied-Signal, Honeywell, Messier-Dowty, BF Goodrich, Menasco, Thomson CSF).
Par conséquent, la présente opération ne crée ni ne renforce de position dominante sur les marchés pertinents concernés. Elle ne paraît pas de nature à modifier de façon substantielle les conditions d'exercice du jeu de la concurrence. Je vous informe qu'il n'est donc pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'assurance de mes sentiments les meilleurs.
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie,
Pour le ministre et par délégation : Le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, J. Gallot
(1) A la demande des parties notifiantes, les prix des jets d'affaires ont été occultés.
Cette information relève du "secret des affaires", en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret n° 95-916 du 9 août 1995, avant-dernier alinéa.