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Décisions

Ministre de l’Économie, 29 juin 1999, n° ECOC0100001Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ÉCONOMIE

Défendeur :

Conseil de la société Fort James Corporation

Ministre de l’Économie n° ECOC0100001Y

29 juin 1999

MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maître,

Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 30 avril 1999, vous avez notifié l'acquisition, par Fort James Corporation, des activités Demak'up et Happy Bébé de Procter & Gamble dans le secteur des produits en coton utilisés pour le démaquillage et le nettoyage de la peau.

Au terme du projet notifié, Fort James Corporation acquiert les marques Demak'up et Happy Bébé, l'ensemble des activités s'y rattachant en Europe et 99,9 % des titres de la société qui exploite l'usine de Procter & Gamble Brionne fabriquant les produits en coton à usage de démaquillage et de nettoyage de la peau commercialisés en Europe. Cette opération, en tant qu'elle emporte transfert de propriété et de jouissance des activités de Procter & Gamble dans la production et la vente de coton de démaquillage et de nettoyage pour la peau au profit de Fort James Corporation, constitue une opération de concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.

Fort James et Procter & Gamble réalisent en France un chiffre d'affaires hors taxes cumulé supérieur à 7 milliards de francs, chacune des sociétés réalisant par ailleurs plus de 2 milliards de francs de chiffres d'affaires. L'opération est donc contrôlable au regard du seuil en valeur absolue défini par l'article 38 de l'ordonnance susvisée.

Dans le secteur du démaquillage et du nettoyage de la peau, il convient de distinguer plusieurs marchés pertinents :

- le coton en vrac ;

- le coton-format : en boules, disques ou carrés, y compris les carrés pour bébés ;

- les mouchoirs papier en boîte, dénommés aussi serviettes à démaquiller ;

- les lingettes, produits 2 en 1, combinant support et lotion.

Ces produits se distinguent en effet de par leur usage, leurs qualités et leurs prix et ne peuvent être considérés comme suffisamment substituables pour former un seul marché.

Ces différents produits répondent à des usages spécifiques ; leur substituabilité est faible : si un mouchoir en papier peut accessoirement servir pour le démaquillage, le coton ne pourra remplacer un mouchoir. De même, les lingettes préimprégnées constituent un produit à part, car constitué de deux éléments (un support et une lotion) alors que le coton ne peut être utilisé seul pour le démaquillage ; les lingettes sont d'ailleurs présentées dans les rayons "soins du visage".

Les cotons en vrac ou formatés constituent eux aussi deux marchés différents ; bien que ces produits puissent occasionnellement avoir les mêmes fonctions, le coton en vrac est plutôt réservé à un usage médical (soins des plaies, application de compresses) tandis que le coton-format, d'une grande facilité d'usage, est destiné au démaquillage ou au nettoyage de la peau. Ils diffèrent en outre sensiblement par leur présentation. Les carrés de coton pour bébé sont, quant à eux, inclus dans le marché du coton-format : ils se distinguent seulement des cotons à démaquiller par leur taille et leur épaisseur.

Les prix de ces produits sont en outre sensiblement différents : 3 à 10 francs pour un sachet de 70 à 80 disques ronds à démaquiller, soit 10 centimes en moyenne environ l'unité, 6 à 10 francs pour une boîtes de mouchoirs de 150 pièces, soit 5 centimes environ l'unité, et 20 à 25 francs pour un paquet de 25 lingettes (soit près d'un franc l'unité), et environ 6 à 11 francs un paquet de coton en vrac.

Enfin, les procédés de fabrication ne sont pas les mêmes, les machines employées étant spécifiques à chaque produit.

Les habitudes de consommation et la présence de marques nationales conduisent à définir des marchés de taille nationale, ce qui est confirmé par la plupart des opérateurs.

Le marché pertinent directement concerné par cette opération est celui du coton-format.

Sur le marché du coton-format, Fort James bénéficie d'une part de 20,2 % alors que Procter & Gamble détient 31,7 %. Ainsi,le rachat de Demak'up et Happy Bébé en France permettra à Fort James d'obtenir une position dominante sur ce marché pertinent.

En effet, l'entreprise deviendra ainsi l'unique producteur de coton-format de marque, les parts de marchés restantes se partageant entre les marques de distributeurs (dont elle fabrique au demeurant 9 %) et les marques premiers prix. Fort James produit en outre une marque de coton en vrac vendue uniquement en pharmacie et parapharmacie, Polive.

Il existe certes des éléments de nature à limiter les risques d'atteinte à la concurrence :

- la grande distribution, relativement concentrée, aux pouvoirs de négociation commerciale importants, constitue l'essentiel de la clientèle du groupe Fort James ;

- la présence massive des marques de distributeurs, dont la qualité des produits est équivalente à celles des cotons de marque, et celle des marques premiers prix ;

- la présence sur les marchés voisins d'opérateurs de grande taille possédant des marques notoires : Kimberly-Clark (Kleenex pour les mouchoirs, Huggies pour les lingettes), L'Oréal (lingettes Plénitude et Synergie), Beiersdorf (lingettes Nivéa), Schwarzkopf & Henkel (lingettes Diadermine). Ils ont eux aussi de fortes capacités d'innovation et d'investissements techniques et publicitaires ;

- la substituabilité partielle et occasionnelle des autres produits du secteur : les mouchoirs en papier (selon une étude, 10 % des acheteurs utilisent essentiellement ces produits pour le démaquillage), et surtout les lingettes préimprégnées, qui sont apparues très récemment. Les carrés pour bébés sont quant à eux également susceptibles d'être concurrencés par les lingettes préimprégnées spécifiques ;

- le faible coût de transport des produits en coton, qui peut permettre aux distributeurs de recourir aux importations.

Cependant, la notoriété des marques Lotus et Demak'up permettra à Fort James, groupe à la puissance financière importante et aux fortes capacités d'innovation, de se positionner en leader incontesté du marché du coton-format. Un nouvel entrant ne pourrait s'y développer sans effectuer des dépenses publi-promotionnelles particulièrement importantes. L'opération est donc de nature à affecter la concurrence potentielle sur le marché pertinent.

Les éléments recueillis au cours de l'instruction, et notamment les déclarations de concurrents actuels ou potentiels, montrent d'ailleurs une inquiétude réelle quant à la possibilité de pénétrer le marché avec une nouvelle marque.

Afin de rétablir les possibilités d'entrée de concurrents potentiels, l'acquéreur s'est engagé par lettre du 28 juin 1999 à prendre les mesures suivantes :

- après une période de transition, ne commercialiser en France que l'une des deux marques Lotus ou Demak'up sur le marché du coton-format pour démaquillage ;

- après une période de transition, ne commercialiser en France que l'une des deux marques Lotus ou Demak'up sur le marché du coton-format pour bébés ;

- ne pas investir en France en publicité média portant sur la marque Demak'up ou Lotus utilisée en coton-format pour démaquillage un budget annuel supérieur à [...] millions de francs hors taxes et ceci pour une durée de [...] ans ;

- s'interdire pendant [...] ans à compter du 1er juillet 1999 de proposer en France des remises incluant des références de coton-format.

Fort James informera annuellement par écrit le ministre chargé de l'économie du respect des engagements pris. Il lui adressera également un rapport lors de la réalisation de chacune des étapes de la période de transition évoquées ci-dessus, selon le calendrier annexé à sa lettre du 28 juin 1999.

Ces engagements au titre de l'article 40 de l'ordonnance susvisée me paraissent de nature à résoudre les problèmes de concurrence soulevés par cette opération.

En effet, en facilitant la pénétration de nouveaux entrants sur le marché du coton-format, les engagements proposés me paraissent suffisants pour que l'opération n'affecte pas la concurrence potentielle.

En conséquence, compte tenu des engagements pris, je vous informe qu'il n'est pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette opération.

Je vous prie d'agréer, Maître, l'assurance de mes sentiments les meilleurs.

Pour le ministre et par délégation :

Le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, J. Gallot

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées.

Ces informations relèvent du "secret d'affaires", en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret n° 95-916 du 9 août 1995, avant-dernier alinéa.