Conseil Conc., 29 juin 1993, n° 93-A-12
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Avis
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de M. Bernard Thouvenot, par M. Barbeau, président, M. jenny, vice-président, MM. Blaise, Cortesse, Mme Hagelsteen, MM. Marleix, Pichon, Robin, Sargos, Sloan, Thiolon, membres.
Le Conseil de la concurrence (formation plénière),
Vu la lettre, enregistrée le 24 février 1993 sous le numéro A. 111, par laquelle le ministre de l'Economie et des Finances a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, d'une demande d'avis sur l'acquisition par la société UGC de trois complexes cinématographiques ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu le Code de l'industrie cinématographique ; Vu la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 modifiée sur la communication audiovisuelle, ensemble le décret n° 83-13 du 10 janvier 1983 modifié pris pour l'application de son article 90 ; Vu la décision du Conseil de la concurrence n° 91-D-45 du 29 octobre 1991 relative à la situation de la concurrence sur le marché de l'exploitation des films dans les salles de cinéma, ensemble l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 22 avril 1992 ; Vu l'avis n° 93-A-0l du 12 janvier 1993 du Conseil de la concurrence relatif à la cession réciproque de salles de cinéma entre les sociétés Gaumont et Pathé Cinéma ou certaines de leurs filiales, ensemble l'arrêté du 18 mars 1993 du ministre de l'Economie et des Finances et du ministre d'Etat, ministre de l'Education nationale et de la Culture, relatif à une concentration dans le secteur de l'exploitation des salles de cinéma ; Vu la décision n° 92-4 du 13 novembre 1992 du directeur général du Centre national de la cinématographie ; Vu les observations du médiateur du cinéma enregistrées le 17 mai 1993 ; Vu les observations présentées par la société UGC, par le ministre de la Culture et de la Francophonie et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société UGC entendus, Adopte l'avis fondé sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :
I. - Constatations
Le 19 février 1992, la société UGC a acquis la totalité des actions de la société Alpe international. Celle-ci détenait le fonds de commerce du complexe George-V Portique et les titres de la société Compagnie commerciale des Champs-Elysées, laquelle était propriétaire des fonds de commerce des complexes George-V Pergola et Forum Horizon et venait d'acquérir le même jour celui du complexe Forum Orient-Express de la société Agora. Le 22 décembre 1992, l'assemblée générale extraordinaire de la société Alpe International a décidé la fusion par voie d'absorption de la Compagnie commerciale des Champs-Elysées par Alpe international. Une heure plus tard, l'assemblée générale extraordinaire de la société UGC a décidé la fusion par voie d'absorption d'Alpe international par UGC. Au terme de ces opérations, les sociétés Compagnie commerciale des Champs-Elysées et Alpe international ont été dissoutes et la propriété des fonds de commerce des salles de cinéma des George-V Portique et Pergola (qui ne forment en fait qu'un seul complexe) et de celles du Forum Horizon et du Forum Orient-Express a été transférée à la société UGC.
Le processus qui va de la conception d'un film à sa vision par les spectateurs met en relation plusieurs catégories d'opérateurs :
a) Les producteurs, concessionnaires des droits patrimoniaux des auteurs (droit de reproduction et droit de représentation), conformément à l'article 17 de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, engagent les acteurs et les techniciens et supportent la responsabilité financière du projet jusqu'à sa sortie en salles ;
b) Les distributeurs, intermédiaires entre les producteurs, auxquels ils sont liés le plus souvent par un mandat, et les exploitants de salles de cinéma assurent la négociation commerciale en concédant à leur tour aux exploitants le droit de représentation publique et sont responsables de la promotion publicitaire et de la distribution matérielle des copies ;
c) Les exploitants de salles. Ces derniers ne sont cependant pas seuls à diffuser des films puisque, en 1991, la diffusion dans les salles de cinéma a assuré 28 p. 100 des recettes totales de la commercialisation de l'industrie cinématographique, tandis que la télévision en a procuré 47 p. 100, les vidéocassettes 6 p. 100 et les ventes à l'exportation 19 p. 100.
Les conditions d'approvisionnement des salles de cinéma en films sont prévues par les articles 90 et 92 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et le décret n° 83-13 du 10 janvier 1983 portant application des dispositions de l'article 90 de ladite loi et relatif aux groupements et ententes de programmation, modifié par le décret n° 91-1130 du 25 octobre 1991. Selon ces dispositions, des "groupements" constitués en sociétés commerciales ou en groupements d'intérêt économique, ou des "ententes" résultant de conventions conclues entre plusieurs entreprises indépendantes, agréés par le directeur général du Centre national de la cinématographie (CNC), après avis de la commission de la diffusion cinématographie, sont habilités à conclure des accords de programmation avec les distributeurs. Ces groupements ou ententes ne peuvent obtenir leur agrément que s'ils s'engagent à "assurer la plus large diffusion des œuvres conforme à l'intérêt général", notamment afin de permettre cette diffusion "par des salles tierces connues pour la qualité de leur programmation et de leur animation".
La société UGC a réalisé en 1991 un chiffre d'affaires hors taxes consolidé de 1,083 milliard de francs, dont 887 millions en France. Son activité est répartie entre les marchés de la production, de la distribution, de l'exploitation en salles et de la gestion de droits. En ce qui concerne l'exploitation des salles, elle est associée à une trentaine de petites entreprises propriétaires de salles au sein d'un groupement de programmation constitué par le GIE UGC Diffusion. Celui-ci, qui assure la programmation de 363 salles et dont les recettes représentent une part de 21 p. 100 du total national, est aujourd'hui le premier des trois grands groupements; à Paris, en 1991, il assurait la programmation de 78 salles et ses recettes s'élevaient à environ 30 p. 100 des recettes parisiennes après l'achat des 24 salles des complexes George-V, Forum Horizon et Orient Express, son parc de programmation s'élève désormais à 102 salles dont les recettes correspondent à environ 36 p. 100 du total parisien.
Les sociétés Alpe international et Compagnie commerciale des Champs-Elysées ont réalisé ensemble en 1991 un chiffre d'affaires hors taxes d'environ 50 millions de francs.
Leur activité a uniquement été consacrée à l'exploitation de leurs 24 salles de cinéma.
En dehors des entreprises parties à l'opération, les principaux opérateurs sont :
a) La société Gaumont, qui a réalisé en 1991 un chiffre d'affaires de 783 millions de francs sur l'ensemble des marchés de l'industrie du cinéma et qui vient de renforcer sa position en créant, en association avec les studios Walt Disney, la société Gaumont Buena Vista International pour distribuer en France à partir de 1993 les films produits ou acquis par les deux groupes; en ce qui concerne l'exploitation de salles, la société en commandite à capital variable Gaumont associés et compagnie constitue un groupement de programmation comprenant 275 salles qui réalisent une part de l'ordre de 16 p. 100 du total des recettes nationales à Paris, en 1991, après un échange de salles opéré avec le groupement Pathé et d'autres acquisitions, le parc programmé par ce groupement est passé de 55 salles à 87 et la part que représentent ses recettes d'environ 20 p. 100 à 31,5 p. 100 du total parisien ;
b) La société Pathé Cinéma, qui a réalisé en 1991 un chiffre d'affaires hors taxes de 350 millions de francs limité à l'exploitation de salles et à la gestion d'un portefeuille de droit, mais qui est liée au sein de la société Chargeurs aux sociétés Renn Productions, AMLF, Pricel et Allied Filmmakers, dont les activités concernent les autres domaines de la filière cinématographique s'agissant de l'exploitation des salles, le GIE Pathé Edeline et indépendants, qui constituait le premier groupement de programmation national jusqu'en 1986, assure désormais la programmation de 305 salles qui réalisent une part de l'ordre de 14 p. 100 du total des recettes nationales à Paris, en 1991, après l'échange opéré avec la société Gaumont et le retrait des 24 salles acquises par la société UGC, il n'assure plus la programmation que de 35 salles représentant moins de 8 p. 100 des recettes totales ;
c) La société MK 2, qui s'est également intégrée pour être présente dans la production, la distribution, les salles et les droits audiovisuels, mais qui est de taille moindre ;
d) Des entreprises de production, dont les principales sont liées à des groupes tels que Canal Plus et Ciby 2000 ;
e) Des entreprises de distribution, dont les principales sont, d'une part, les filiales françaises des "majors" américaines, Columbia, Warner Bros, Twentieth Century Fox, Walt Disney, United International Pictures (Paramount, Metro Goldwyn Mayer, Artistes associés et Universal), qui réalisent ensemble un peu moins de la moitié du chiffre d'affaires de la distribution, et, d'autre part, un petit nombre d'entreprises françaises dont la société AMLF, qui appartient au groupe Chargeurs comme la société Pathé Cinéma et réalise environ 20 p. 100 dudit chiffre d'affaires, et quelques opérateurs indépendants dont la société Bac Films est le plus important.
Les distributeurs établissent des plans de sortie des films (également dénommés "plans de diffusion") avec les programmateurs des circuits susceptibles d'être intéressés par l'exploitation de ces films. Au cours de la négociation, les conditions de rémunération offertes par l'exploitant au distributeur jouent un rôle important dans l'ordre de passage des films dans les salles à cet égard, le distributeur prête une attention particulière aux facteurs qui commandent l'amortissement du film, à savoir la capacité de la salle, sa fréquentation, son emplacement, son équipement et les recettes globales que ses caractéristiques lui permettent de procurer.
Ces plans de sortie sont théoriques et ne deviennent effectifs qu'après une négociation avec les programmateurs chargés d'approvisionner les salles dont leurs circuits assurent la programmation. Ils varient selon la nature des œuvres et prévoient en première semaine une "combinaison de sortie", c'est-à-dire un ensemble de salles dans Paris ainsi que dans les "villes clés" et quelques villes de moindre importance où le film sera proposé. Les résultats obtenus en première semaine à Paris orientent la composition des plans de diffusion pour les semaines suivantes au fur et à mesure que des copies complémentaires circulent, ces plans de diffusion comportent des villes de moins en moins importantes.
Dans la mesure où les plans de sortie concernent d'abord Paris, les distributeurs avaient naturellement intérêt, jusqu'au retrait du groupement Pathé, à proposer leurs films aux programmateurs des trois groupements nationaux qui y détenaient une position privilégiée en étant implantés dans l'ensemble des quartiers et en détenant les emplacements les plus prestigieux.
En effet, depuis la disparition du groupement Parafrance, absorbé par les groupements Gaumont, Pathé et UGC, ceux-ci, qui sont les seuls à intervenir sur l'ensemble du territoire français, ont renforcé leur position en disposant à eux trois de 971 écrans, soit 21 p. 100 du parc, et en percevant plus de 50 p. 100 de la recette nationale dans le même temps, la moitié des salles indépendantes ont disparu et la moitié de celles qui subsistent ne se placent pas sur le même marché puisque, en dehors de celles qui diffusent des films classés X, elles se consacrent aux reprises, aux continuations ou à la recherche et non à la première diffusion des films.
Par sa décision n° 91-D-45 du 29 octobre 1991 susvisée, le Conseil avait retenu que ces trois organismes de programmation, qui disposaient d'un ensemble de salles, particulièrement en région parisienne, assurant une très large diffusion des œuvres, étaient en position d'imposer aux distributeurs, en contrepartie de l'exploitation des films dans l'agglomération parisienne, l'exclusivité de la programmation au bénéfice de salles de leur réseau situées dans les villes de province même lorsque s'y trouvaient des exploitants indépendants compétitifs. Le Conseil avait également estimé que leur capacité d'entraver le développement de leurs concurrents indépendants était d'autant plus importante qu'ils étaient les seuls à pouvoir organiser la sortie des films à Paris sur une échelle suffisamment large, cette sortie étant déterminante pour le succès commercial.
Actuellement, la stratégie des circuits consiste à raccourcir la durée d'exploitation pour profiter de l'impact publicitaire et assurer la meilleure occupation des salles, ce qui entraîne souvent des sorties massives monopolisant au profit d'un seul film jugé "porteur" des combinaisons pouvant aller jusqu'à 30 écrans à Paris, le film étant déprogrammé dès qu'il ne remplit plus les salles pour poursuivre sa carrière dans les petites salles des complexes ou dans les salles indépendantes des petites villes.
Depuis plusieurs années, la fréquentation des salles est en régression. Après la période de 1970 à 1980 au cours de laquelle le nombre annuel d'entrées s'était stabilisé autour de 170 millions, puis une progression jusqu'à 200 millions entre 1980 et 1982, due notamment à l'instauration du tarif réduit du lundi, apparaît une diminution d'environ 4 p. 100 par an jusqu'aux 117,4 et 116,4 millions d'entrées enregistrées respectivement en 1991 et en 1992. Cette évolution est concomitante de la multiplication des chaînes de télévision et de la généralisation de la vidéo domestique. Cependant, la baisse de fréquentation des salles de cinéma n'a porté que sur les films français et non sur les films américains les premiers ont perdu les deux tiers de leur public en dix ans (de 110 millions à 37 et 40,6 millions de spectateurs en 1991 et en 1992) et n'attirent plus que 3,5 spectateurs sur 10, tandis que les seconds n'ont pas connu de variation de leur audience (entre 60 et 70 millions de spectateurs).
Le parc français est actuellement composé de 4 441 salles et de 982 963 fauteuils, ce qui lui confère encore de loin la première place européenne, même si cette capacité a diminué de deux tiers dans les quarante dernières années, dans ce total, 3 011 salles, comprenant 571 063 fauteuils, sont regroupées en 841 complexes. Avec 348 écrans (dont 309 en complexes), la ville de Paris représente 7,9 p. 100 du parc national ces salles ont réalisé 23,24 p. 100 des entrées nationales en 1991 et 25,30 p. 100 des recettes. Si l'on rapporte le nombre de spectateurs accueillis annuellement dans ces salles (27,285 millions) à la population parisienne (2,152 millions d'habitants selon le recensement de 1990), l'indice de fréquentation est, à Paris, de 12,68, alors que l'indice national est de 2,07.
Les complexes George-V, Forum Horizon et Orient-Express ont réalisé 50,013 millions de francs de recettes en 1991 et 56,126 millions de francs en 1992, ce qui représente respectivement une part de 6,06 p. 100 et de 6,47 p. 100 des recettes constatées par le CNC pour les salles parisiennes non classées X, lesquelles se sont élevées à 825,860 millions de francs en 1991 et 867,622 millions de francs en 1992. Après l'acquisition de ces complexes, le parc parisien du groupement UGC Diffusion est passé de 84 salles à 102 et sa part des recettes de 29,95 p. 100 à 36,92 p. 100.
La situation du marché des salles de cinéma à Paris a également été profondément modifiée entre 1991 et 1992 par suite d'opérations faites par les sociétés Pathé Cinéma et Gaumont outre les 24 salles du George-V, du Forum Horizon et du Forum Orient-Express, le groupement Pathé Edeline et Indépendants a également cessé d'assurer la programmation des 7 salles du complexe Les Fauvettes acquis par la société Gaumont et les 24 salles des complexes Marignan, Français, Impérial, Hautefeuille et Pathé Montparnasse cédés par la société Pathé Cinéma à la société Gaumont; en conséquence, le parc total du groupement Pathé à Paris est passé de 90 à 35 salles et sa part de recettes de 24,57 p. 100 à 7,58 p. 100. Au cours de la même période, le parc parisien du groupement Gaumont et Associés est passé de 55 salles à 90 et sa part des recettes de 20,09 p. 100 à 30,30 p. 100.
Les tableaux 1 et 2 suivants présentent le détail de la situation du marché de l'exploitation des films dans les salles de cinéma à Paris selon les résultats enregistrés au cours des années 1991 et 1992 en distinguant les salles qui appartiennent aux sociétés UGC, Gaumont et Pathé Cinéma (salles "en propre") et celles qui leur sont liées dans le cadre des groupements de programmation UGC Diffusion, Gaumont et Associés et Pathé Edeline et Indépendants (salles programmées).
EMPLACEMENT TABLEAU
EMPLACEMENT TABLEAU
Cette situation devrait prochainement être modifiée sous l'effet notamment de trois facteurs :
- en application des dispositions de l'arrêté du 18 mars 1993 susvisé, le parc de salles du groupement Gaumont et Associés doit être réduit d'une part correspondant au moins à 2,5 p. 100 des recettes parisiennes ;
- du fait de son éviction des locaux où elle exploite actuellement le complexe Biarritz (dont les recettes ont représenté 3,33 p. 100 du total parisien en 1991 et 3,13 p. 100 en 1992), la société UGC devrait cesser d'exploiter ces six salles au terme de la procédure d'indemnisation qui est en cours, sous réserve de l'exercice éventuel de son droit de repentir par le propriétaire ;
- pour tenir compte de l'exploitation sur une année entière de son nouveau complexe de trois salles situé place d'Italie qui n'a été ouvert que pendant six mois et demi en 1992, la part du groupement Gaumont peut être revalorisée d'environ 1,3 p. 100.
Le complexe George-V acquis par la société UGC est situé aux Champs-Elysées, "quartier directeur" regroupant douze complexes comprenant 49 salles qui ont réalisé 20,55 p. 100 du total des recettes parisiennes en 1992 et dont, dans ses observations susvisées, le médiateur du cinéma confirme, au vu des affaires dont il est saisi, qu'elles jouent un "rôle déterminant" dans le succès commercial d'un film.
Le tableau 3 suivant présente la position des différents exploitants dans ce quartier en 1991 et en 1992 :
EMPLACEMENT TABLEAU
Les complexes Forum Horizon et Orient-Express sont situés dans le quartier des Halles, qui regroupe cinq complexes comprenant 27 salles qui ont réalisé 6,56 p. 100 du total des recettes parisiennes et qui n'est pas un "quartier directeur" selon le CNC. Dans ce quartier, où seules 2 salles appartiennent à des exploitants indépendants, le groupement UGC assure désormais la programmation de 19 salles et le groupement Gaumont de 6, soit 3,17 fois moins cependant, en 1992, le groupement UGC a réalisé 70 p. 100 des recettes totales de ces salles et le groupement Gaumont 28 p. 100, soit seulement 2,5 fois moins.
Par la décision du 13 novembre 1992 susvisée du directeur général du Centre national de la cinématographie, un nouvel agrément de programmation a été accordé au groupement UGC Diffusion avec effet à compter du 12 avril 1992, date à laquelle le précédent agrément était venu à expiration. Ce nouvel agrément, qui prend en compte les salles qui ont fait l'objet de l'opération de concentration, est subordonné au respect par le groupement de l'engagement d'accepter, "lorsqu'il détient 20 p. 100 ou plus des recettes d'une unité urbaine, que les distributeurs accordent des priorités ou des égalités pour des films porteurs à des salles indépendantes".
II. - A la lumière des constatations qui précèdent, le conseil
Sur la nature de l'opération :
Considérant qu'aux termes de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée "la concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs entreprises, une influence déterminante" ;
Considérant que les actes relatifs à l'opération examinée et analysés dans la partie I du présent avis emportent transfert de propriété sur la totalité des biens, droits et obligations des sociétés Agora, Compagnie commerciale des Champs-Elysées et Alpe international que cette opération répond ainsi à la définition donnée d'une concentration ;
Sur les seuils de référence :
Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les dispositions du premier alinéa "ne s'appliquent que lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 p. 100 des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de 7 milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins 2 milliards de francs" ;
Considérant que le total des chiffres d'affaires réalisés en 1991 par les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées est inférieur à 7 milliards de francs qu'ainsi, la condition fixée relative au montant du chiffre d'affaires des entreprises concernées n'est pas remplie qu'il importe donc de rechercher si le seuil en valeur relative fixé par ce même texte est atteint ;
Sur le marché de référence :
Considérant qu'il convient de rechercher la part de marché que détenaient ensemble en 1991 la société UGC et les entreprises qui lui sont économiquement liées au sein du groupement de programmation UGC Diffusion et les sociétés Alpe International et Compagnie commerciale des Champs-Elysées sur le marché national de l'exploitation des salles de cinéma ou sur une partie substantielle de celui-ci ;
Considérant qu'en 1991, avant l'acquisition examinée, le groupement UGC Diffusion et les sociétés Alpe international et Compagnie commerciale des Champs-Elysées ont réalisé respectivement 21 p. 100 et 1,3 p. 100 du total des recettes nationales des salles de cinéma que, par contre, ils ont perçu respectivement 29,95 p. 100 et 6,06 p. 100 des recettes des salles parisiennes, dont 22,91 p. 100 dans celles exploitées en propre par la société UGC.
Considérant que les salles de première exclusivité des "quartiers directeurs" de Paris (Champs-Elysées, Montparnasse, Quartier latin, grands boulevards) jouent un rôle déterminant dans le succès commercial d'un film, comme le souligne le médiateur du cinéma dans ses observations que la différence entre l'indice de fréquentation de Paris (12,68) et celui de la banlieue (1,56), alors que l'indice national est de 2,07, est suffisamment importante pour démontrer que les habitants de la banlieue se rendent plus fréquemment dans les salles de Paris que les Parisiens dans les salles de banlieue qu'à elles seules, les salles de Paris réalisent 23,24 p. 100 des entrées et 25,30 p. 100 des recettes nationales ;
Considérant qu'ainsi, avant l'échange d'actifs, les entreprises parties aux actes occupaient moins de 25 p. 100 du marché national de l'exploitation des films dans les salles de cinéma mais plus de 25 p. 100 à Paris, partie substantielle de ce marché ;
Sur les effets de l'opération sur la concurrence :
Considérant qu'en 1992 les 24 salles acquises par la société UGC ont réalisé 6,47 p. 100 des recettes parisiennes qu'à la suite de cette opération, le groupement UGC a réalisé des recettes représentant 36,9 p. 100 du total parisienque, par ailleurs, le groupement Pathé, qui a également perdu des salles du fait d'autres opérations faites à la même époque, a réalisé 7,58 p. 100 du total des recettes parisiennes qu'il en résulte que les groupements UGC et Gaumont sont désormais les deux opérateurs les plus importants de ce marché puisque Gaumont occupe de son côté une part de 30,3 p. 100et qu'en dehors d'eux, exception faite du groupement Pathé, seule la société MK 2, avec 5,7 p. 100, dispose d'une position notable;
Considérant en outre que les 11 salles du George-V ont réalisé en 1992 15,73 p. 100 des recettes réalisées dans le quartier des Champs-Elysées, lequel joue un rôle déterminant dans le succès commercial des films, et que les groupements UGC et Gaumont possèdent désormais respectivement 26 et 17 des 49 salles de ce quartier et ont réalisé en 1992 56,08 p. 100 et 39,17 p. 100 de ses recettes ; qu'à supposer même que la fermeture du complexe Biarritz devienne effective, les groupements UGC et Gaumont occuperaient toujours une situation quasi duopolistique dans ce quartier, avec respectivement 46,5 p. 100 et 39,5 p. 100 du parc de salles et 48,2 p. 100 et 46,3 p. 100 des recettes réalisées en 1992 ; que l'opération examinée a pour effet de faire disparaître un exploitant indépendant dans un quartier où la situation immobilière n'est pas de nature à favoriser l'accès d'un nouvel opérateur au marché ;
Considérant que cette situation comporte d'autant plus de risques d'atteintes au jeu de la concurrence sur les marchés de la production et de la distribution des films que la société UGC, comme d'ailleurs la société Gaumont, a d'importantes activités en tant que producteur et en tant que distributeur et qu'elle peut avoir intérêt à favoriser la programmation dans les salles de son circuit des films qu'elle distribue, puisqu'elle perçoit alors à la fois la part de recettes de l'exploitant et celle du distributeur; qu'en outre la société UGC a indiqué qu'elle cherche à conclure avec une société américaine de distribution un accord semblable à celui récemment conclu par la société Gaumont pour s'assurer la distribution des films Walt Disney et que de tels accords aggravent les risques d'atteintes à la concurrence en restreignant l'offre potentielle d'écrans pour les autres films;
Considérant qu'en ce qui concerne l'exploitation des salles de cinéma à Paris, l'opération soumise à l'avis du Conseil, comme celle qu'il a examinée dans l'avis du 12 janvier 1993 susvisé, est de nature à limiter l'approvisionnement des salles indépendantes non programmées et des petits circuits en permettant à un groupement de programmation de se réserver la diffusion des films dont le groupe auquel il est lié assure la production et la distribution et d'exiger des autres distributeurs le bénéfice de l'exclusivité au détriment des autres salles; que de telles pratiques sont loin d'être hypothétiques puisqu'elles ont déjà été relevées par le Conseil dans sa décision du 29 octobre 1991 susvisée;
Sur la contribution au progrès économique :
Considérant que la société UGC expose que l'opération contrôlée était indispensable pour compenser la fermeture prochaine du complexe Biarritz qu'elle exploite dans le quartier des Champs-Elysées et dont le bail a été résilié ;
Considérant toutefois que le fait, pour une entreprise de vouloir, par une opération de concentration, maintenir sa part de marché ne constitue pas en lui-même un progrès économique pour la collectivité;
Considérant que, si la société UGC est fondée à mettre en avant les difficultés auxquelles se heurtent la production et la distribution cinématographiques en France ainsi que les efforts qu'elle a entrepris et compte développer en faveur des salles relevant de son circuit, les avantages économiques attendus de l'opération de concentration, pour importants qu'ils puissent être, n'apparaissent pas suffisants pour compenser intégralement les risques d'atteinte, précédemment analysés, au libre jeu de la concurrence sur le marché de la distribution des films et sur le marché de leur exploitation dans les salles à Paris ; qu'il convient en conséquence de prescrire l'adoption de mesures propres à rétablir les conditions d'une concurrence suffisante ;
Sur les mesures proposées:
Considérant qu'à cet effet il y a lieu, sans préjudice des engagements de programmation souscrits ou à souscrire envers le Centre national de la cinématographie, d'empêcher la constitution d'un duopole aux Champs-Elysées par Gaumont et UGC ; que la constitution d'un groupement de programmation représentant une véritable solution alternative à celle des groupements UGC et Gaumont n'est possible qu'à partir de salles dont la compétitivité se mesure non seulement par leur volume d'affaires mais aussi par leur situation géographique; que les représentants de la société UGC ont reconnu lors de la séance que les salles de cinéma situées sur les Champs-Elysées étaient les plus valorisantes pour la distribution des films, comme l'établit d'ailleurs leur désir d'éviter de diminuer leur implantation dans ce quartier,
Emet l'avis : Qu'il y a lieu d'enjoindre à la société UGC de céder, dans un délai maximum d'un an, l'exploitation de salles de cinéma situées aux Champs-Elysées et ayant réalisé ensemble au moins 2 p. 100 des recettes parisiennes, ces salles devant être déterminées en liaison avec le Centre national de la cinématographie et ne pouvant renforcer directement ou indirectement le groupement Gaumont.