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Décisions

CE, 3e et 8e sous-sect. réunies, 11 juillet 2001, n° 222039

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Syndicat CGT de la société Clemessy

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Secrétaire d'Etat à l'Industrie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Genevois

Rapporteur :

Mlle Hedary.

CE n° 222039

11 juillet 2001

LE CONSEIL D'ETAT : - Vu la requête, enregistrée le 14 juin 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le syndicat CGT de la société Clemessy, dont le siège est 18, rue de Thann à Mulhouse (68200), représenté par son secrétaire général, qui demande que le Conseil d'Etat : 1°) prononce le sursis à exécution de l'arrêté du 17 mars 2000 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du secrétaire d'Etat à l'industrie relatif à l'acquisition de la société Clemessy par les groupes Electricité de France, Cogema et Siemens ; 2°) annule pour excès de pouvoir cet arrêté ; 3°) condamne l'Etat à leur verser les sommes de 13 000 F et 25 000 F au titre des frais exposés par ce syndicat et non compris dans les dépens ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu le Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ; Vu le Code de commerce ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée ; Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ; Vu le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié ; Vu le Code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de Mlle Hedary, Auditeur, - les conclusions de M. Seners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 40 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, repris à l'article L. 430-1 du Code de commerce : "Tout projet de concentration ou toute concentration ne remontant pas à plus de trois mois peut être soumis au ministre chargé de l'économie par une entreprise concernée (...)" ; que, selon l'article 42 de la même ordonnance, repris à l'article L. 430-5 du Code de commerce : "Le ministre chargé de l'économie et le ministre dont relève le secteur économique intéressé peuvent, à la suite de l'avis du Conseil de la concurrence, par arrêté motivé et en fixant un délai, enjoindre aux entreprises, soit de ne pas donner suite au projet de concentration ou de rétablir la situation de droit antérieure, soit de modifier ou de compléter l'opération ou de prendre toute mesure propre à assurer ou rétablir une concurrence suffisante. Ils peuvent également subordonner la réalisation de l'opération à l'observation de prescriptions de nature à apporter au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence (...)" ;

Considérant qu'en application de ces dispositions l'établissement public Electricité de France (EDF) a notifié le 17 septembre 1999 au ministre de l'économie et des finances l'accord du 10 juin 1999 en vertu duquel la société Synergie développement services (SDS), filiale à 100 % de cet établissement, et la société Tasys, filiale à 100 % de la société anonyme Cogema, devaient chacune acquérir 45 % du capital de la société rhénane de participation et de gestion (SRPG), détentrice de plus des deux tiers du capital de la société Clemessy, la société Siemens France conservant les 10 % du capital de la SRPG qu'elle possédait auparavant ; que par arrêté du 17 mars 2000 le ministre de l'économie et des finances et le secrétaire d'Etat à l'industrie, après avoir recueilli l'avis du Conseil de la concurrence, ont autorisé cette opération de prise de contrôle de la société Clemessy, spécialisée dans l'entretien et la maintenance d'équipements électriques, en l'assortissant de prescriptions destinées à prévenir les atteintes à la concurrence qu'étaient susceptibles de créer les liens entre cette entreprise prestataire de services sur le marché de l'électricité et l'établissement public EDF fournisseur d'électricité en position de monopole légal sur le territoire national jusqu'à l'intervention de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, laquelle n'a maintenu ce monopole qu'à l'égard des seuls consommateurs dits "non éligibles" en raison du faible niveau de leur consommation annuelle d'énergie, fixé à moins de 16 Gwh jusqu'en février 2003 et à moins de 9 Gwh au-delà de cette date ; que le syndicat CGT de la société Clemessy demande l'annulation et le sursis à exécution de cet arrêté en contestant les prescriptions édictées principalement en ce qu'elles obligent la société Clemessy à cesser ses relations commerciales avec les clients "non éligibles" qui représentent environ 15 % de son activité ;

En ce qui concerne la possibilité pour les ministres d'édicter des prescriptions : - Considérant qu'aux termes de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, repris à l'article L 430-2 du Code de commerce : "La concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante" ; que l'accord intervenu entre EDF, la société Cogema et la société Siemens France, prévoyait qu'EDF détiendrait 45 % du capital de la SRPG par l'intermédiaire de sa filiale à 100 % la société SDS, désignerait quatre administrateurs sur neuf au conseil d'administration de la SRPG qui délibèrerait à la majorité qualifiée des 6/9ème, Cogema et Siemens désignant respectivement quatre et un administrateurs, nommerait pour deux ans en alternance avec la société Cogema le président du conseil d'administration lequel au cours de la première présidence devait être simultanément directeur du pôle Services d'EDF ; qu'ainsi, l'accord, qui prévoyait également qu'en cas de blocage du conseil d'administration une procédure de recours remonterait jusqu'aux présidents d'EDF et de la société Cogema, avait pour objet et pour effet de conférer à EDF une influence déterminante sur la société Clemessy ; que, dès lors, et en tout état de cause, le ministre de l'économie et des finances et le secrétaire d'Etat à l'industrie pouvaient, en vertu des dispositions précitées de l'article 42 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, soumettre l'autorisation de l'opération en cause à l'observation de prescriptions de nature à apporter au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence induites par l'opération; que l'édiction de telles prescriptions est prévue par les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relatives au contrôle a priori des concentrations au regard de leur incidence éventuelle sur le marché, qui sont distinctes de celles concernant la répression a posteriori des pratiques anticoncurrentielles ; qu'ainsi le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté du 17 mars 2000 serait sans objet du fait de la possibilité existant par ailleurs de sanctionner les infractions à la concurrence ni que cet arrêté méconnaîtrait "le principe de présomption d'innocence" ou la bonne foi de l'entreprise ;

Considérant qu'eu égard à l'influence déterminante conférée à EDF sur la société Clemessy par l'accord du 10 juin 1999, les ministres n'ont pas porté une appréciation erronée en estimant que cette société pourrait être en situation de bénéficier d'échanges privilégiés d'informations avec EDF et que cette entreprise de prestation de services électriques serait sous le contrôle de l'établissement public fournisseur d'électricité avec lequel elle serait en situation de présenter des offres globales de fourniture d'électricité, d'installation et d'entretien d'équipements électriques;

En ce qui concerne l'étendue des prescriptions : - Considérant qu'aux termes de l'article 44 de la loi du 10 février 2000 qui organise l'ouverture à la concurrence du secteur de l'électricité : "(...) II - Electricité de France peut, par ses filiales ou des sociétés, groupements ou organismes dans lesquels lui-même ou ses filiales détiennent des participations, proposer aux clients éligibles présents sur le territoire national une offre globale de prestations techniques ou commerciales accompagnant la fourniture d'électricité. III - Electricité de France, en dehors de sa mission de fourniture d'électricité, et les filiales qu'il contrôle directement ou indirectement ne peuvent proposer aux clients non éligibles présents sur le territoire national que des prestations de conseil destinées à promouvoir la maîtrise de la demande d'électricité. Ils ne peuvent offrir de services portant sur la réalisation ou l'entretien des installations intérieures, la vente et la location d'appareils utilisateurs d'énergie. (...)" ;

Considérant qu'eu égard aux modalités susanalysées du contrôle conjoint conféré par l'accord du 10 juin 1999 à EDF et à la société Cogema sur la société Clemessy, celle-ci devait être regardée comme une filiale indirectement contrôlée par EDF au sens des dispositions précitées du III de l'article 44 de la loi du 10 février 2000, lesquelles cantonnent les prestations que peuvent fournir de telles filiales, quand bien même elles n'agiraient pas en concertation avec EDF ; que, dès lors, les injonctions faites par l'arrêté du 17 mars 2000 à la société Clemessy de cesser avant le 18 septembre 2001 toute activité de prestations d'installation, de développement, de modernisation et de maintenance des matériels électriques avec les clients dont la consommation annuelle est inférieure à 9 Gwh et de ne pas accroître avant février 2003 sa part de chiffre d'affaires avec les clients dont la consommation annuelle est comprise entre 9 et 16 Gwh, trouvent leur fondement légal dans les dispositions précitées du III dudit article 44;

Considérant qu'en imposant à la société Clemessy de publier des comptes analytiques séparés pour chacune des trois catégories de clients résultant de la fixation des deux seuils de consommation annuelle susmentionnés, ainsi que les règles suivies pour imputer les charges et produits à ces comptes, les ministres se sont bornés à déterminer des conditions de vérification du respect des prescriptions mentionnées ci-dessus et n'ont pas porté une atteinte excessive au principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;

Considérant que les prescriptions dont les ministres ont assorti l'autorisation du projet de concentration notifié ont été édictées pour compenser certaines atteintes à la concurrence susceptibles de résulter de la mise en œuvre de ce projet ; qu'ainsi le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que ces mesures fragiliseraient illégalement la société Clemessy vis-à-vis de ses concurrents et méconnaîtraient le principe d'égalité ainsi que les stipulations du Traité instituant la Communauté européenne relatives à la liberté d'établissement et de prestations de services ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le syndicat CGT de la société Clemessy n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 17 mars 2000 ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser au syndicat requérant la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Décide :

Article 1er : La requête du syndicat CGT de la société Clemessy est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat CGT de la société Clemessy, au secrétaire d'État à l'industrie et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.