Ministre de l’Économie, 23 avril 2001, n° ECOC0100000X
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ÉCONOMIE
Défendeur :
Conseil de la société BASF
MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par un dossier déclaré complet le 23 octobre 2000, vous m'avez adressé un dossier portant notification de l'acquisition de l'activité " vitamines hydrosolubles " du groupe Takeda par le groupe BASF.
J'ai saisi pour avis le Conseil de la concurrence de cette opération le 22 décembre 2000.
Le Conseil a conclu, dans son avis n° 2001-A-03 du 4 avril 2001, que la concentration qui lui était soumise n'était pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés pour les raisons suivantes :
1. BASF sera en mesure de proposer l'ensemble de la gamme des vitamines, ce qui représente, dans certains cas, un avantage concurrentiel. Le Conseil a cependant estimé que l'opération ne modifierait pas la situation préexistante dans la mesure où, par le biais d'achats effectués auprès d'autres producteurs, BASF offrait déjà l'ensemble de la gamme des vitamines à ses clients. Par ailleurs, même lorsque les vitamines sont commercialisées sous forme de prémélanges, il n'est pas apparu, au cours de l'instruction effectuée par le Conseil, que les producteurs de vitamines consentaient des remises spécifiquement liées à l'achat de plusieurs produits de leur gamme. Enfin, les acheteurs interrogés par le Conseil ont estimé que l'assortiment ne jouait pas de rôle, ou un rôle très secondaire, dans leur politique d'achat ;
2. Le marché des vitamines présente, en raison de sa structure oligopolistique, de nombreuses caractéristiques propres à favoriser la constitution d'une position dominante collective, ce qui pourrait se traduire par des comportements qui, sans être nécessairement illicites, conduiraient à restreindre la concurrence :
- produits homogènes ("commodities") et faciles à stocker ;
- techniques de fabrication maîtrisées par tous les grands groupes chimiques ou pharmaceutiques (brevets dans le domaine public) ;
- rôle mineur de la recherche et de l'innovation dans le développement des produits et de leurs applications ;
- industrie à forte intensité capitalistique (proportion des coûts fixes élevés) se traduisant par des économies d'échelle importantes ;
- capacités de production excédentaires ;
- cotation internationale des produits (notamment à Hambourg) facilement accessible pour les intermédiaires ou les utilisateurs, qui accroît la transparence des prix ;
- part faible ou très faible du coût des vitamines dans les coûts totaux des utilisateurs, d'où une faible élasticité de la demande ;
- participation de Roche, BASF et Takeda à l'organisation d'un cartel dont le rôle a été, depuis le début des années 1990, de fixer le prix de différentes vitamines à un niveau élevé, démontrant que les structures du marché avant même la concentration sont compatibles avec une collusion soutenue ;
- entrée peu vraisemblable sur le marché de nouveaux opérateurs ;
Dans un tel contexte, tout en constatant que la disparition d'un opérateur accentue la concentration de l'offre et pourrait augmenter les risques de position dominante collective, le Conseil a cependant relevé plusieurs éléments conduisant à relativiser ce risque:
- en ce qui concerne l'entente expresse, le Conseil de la concurrence considère que les risques de récidive apparaissent limités par la lourdeur des sanctions prononcées par la justice américaine, l'atteinte à l'image des producteurs qui en résulte et la volonté affirmée solennellement de BASF de tout mettre en œuvre pour empêcher la réitération de telles pratiques. Cet argument est cependant à relativiser dans la mesure où la qualification de la position dominante collective repose sur une analyse des structures d'un marché et non sur la prédiction des comportements futurs des opérateurs ;
- par ailleurs, le niveau artificiellement élevé des prix résultant des décisions du cartel ayant été identifié par les producteurs eux-mêmes comme le facteur principal ayant encouragé les producteurs chinois à investir pour entrer sur les marchés des vitamines, il convient de prendre en compte le facteur décisif constitué par la présence et la stratégie des producteurs chinois. L'existence d'un offreur puissant, dont la stratégie est totalement indépendante et délibérément orientée vers la baisse des prix et dont rien ne permet de penser qu'il pourrait décider d'en changer, rend moins probable la constitution d'une position dominante collective. De même, des producteurs indiens qui disposent de conditions de production particulièrement favorables (faibles coûts de main-d'œuvre et importance du marché intérieur) seraient susceptibles d'entrer sur le marché. Cet élément diminue en partie l'importance, mentionnée précédemment, des barrières à l'entrée ;
- enfin, comme BASF produira à terme l'ensemble des vitamines et n'aura plus à s'approvisionner auprès des autres producteurs, notamment auprès du groupe Roche, les liens économiques existant entre les deux groupes seront rompus et la transparence des prix, favorable en théorie à un comportement coordonné, sera donc réduite.
Je prends acte de cet avis et vous informe que je n'entends pas soumettre cette concentration à des conditions particulières.
Je vous prie de croire, Maître, en l'assurance de mes sentiments les meilleurs.