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Décisions

Ministre de l’Économie, 21 février 2001, n° ECOC0100466Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ÉCONOMIE

Défendeur :

Conseil de la société Pathé

Ministre de l’Économie n° ECOC0100466Y

21 février 2001

MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 21 décembre 2000, les trois sociétés Gaumont, Pathé et Pathé Palace ont notifié le projet de mise en commun de leur réseau de salles de cinéma. La société Pathé Palace, détenue actuellement à 100 % par Pathé et dont l'objet est l'exploitation de salles de cinéma, prendra le nouveau nom de Europalaces. Gaumont apportera à cette dernière l'ensemble des actifs et des participations qu'elle détient actuellement dans le secteur de l'exploitation des salles. De son côté, Pathé apportera à Europalaces certaines participations détenues en Italie, aux Pays-Bas, en Suisse et dans la société " Cinéma Le Club " à Grenoble. A l'issue de ces opérations, le capital de Europalaces sera détenu à 66 % par Pathé et à 34 % par Gaumont.

Cette opération emporte transfert de propriété d'une partie des actifs de Gaumont au profit de Pathé et aboutit au contrôle exclusif de Europalaces par Pathé. Elle constitue donc une concentration au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce.

Le groupe Pathé exerce son activité dans le secteur du cinéma en tant que producteur, distributeur et exploitant de salles de cinéma. Il possède également trois chaînes thématiques françaises de télévision. Il détient par ailleurs 32,4 % du capital et 47,92 % des droits de vote de la société Chargeurs, qui est la tête d'un groupe textile. En 1999, le chiffre d'affaires hors taxes consolidé (pro forma) du groupe Pathé était de 387 millions d'euros (2 538,5 millions de francs), dont 351 millions d'euros (2 300 millions de francs) en France. Le chiffre d'affaires consolidé hors taxes du groupe Chargeurs était de 1 063 millions d'euros (6 972,8 millions de francs), dont 767,3 millions d'euros (5 033 millions de francs) en France.

Le groupe Gaumont exerce son activité dans le secteur du cinéma en tant que producteur, distributeur et exploitant de salles de cinéma. En 1999, son chiffre d'affaires consolidé hors taxes était de 280 millions d'euros (1 837,5 millions de francs), dont 192,5 millions d'euros (1 263 millions de francs) en France.

Pathé et Gaumont exploitent des salles de cinéma assurant la première diffusion des films non classés " X ". Conformément aux analyses réalisées sur ce secteur lors d'opérations de concentration passées et lors de procédures contentieuses, cette catégorie de salles constitue un marché pertinent qui, au plan géographique, doit s'analyser par zones de chalandises. La question de la définition d'un marché des multiplexes peut être laissée ouverte, dans la mesure où elle n'aurait pas, au cas d'espèce, d'impact sur les conclusions de l'analyse.

En amont, les marchés concernés par cette opération sont le marché de la distribution cinématographique, de dimension nationale, et le marché de la production cinématographique, de dimension au moins nationale. Pour ce dernier marché, on peut s'interroger sur une délimitation plus fine en termes de produits, mais, en tout état de cause, les conclusions de l'analyse de la présente opération seraient les mêmes quelle que soit la délimitation retenue.

Pathé et Gaumont réalisent ensemble plus de 25 % des entrées dans les salles de cinéma, tant au niveau national (25,4 % en 1999) qu'au niveau de Paris (27,9 % en 1999), qui constitue une partie substantielle du marché national. Conformément à la jurisprudence constante, ces parts de marché incluent les parts des groupements de programmation à la tête desquels se trouvent Gaumont (GIE Gaumont Associés) ou Pathé (GIE Pathé Edeline). En conséquence, l'opération de concentration est contrôlable aux termes de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

Pathé et Gaumont ne sont présents simultanément que sur quatre zones de chalandises : Paris (y compris les départements de la petite couronne), Douai-Lens, Nantes et Saint-Etienne.

Sur Paris, la question peut se poser de savoir si la zone de chalandise se restreint à Paris intra muros ou s'étend aux départements de la petite couronne. En tout état de cause, quelle que soit l'option retenue, l'analyse montre que Pathé est peu implanté sur cette zone (4,2 % de part de marché sur Paris intra muros et 7,2 % en ajoutant la petite couronne). L'opération ne portera donc pas atteinte à la concurrence puisque UGC reste de loin le principal exploitant avec près de 38 % de part de marché dans les deux cas, contre 28 % sur Paris intra muros et 25,5 % sur Paris y compris la petite couronne, pour Pathé et Gaumont. La restriction à un éventuel marché des multiplexes ne modifierait pas cette analyse.

En revanche, il existe un risque sérieux de création d'une position dominante au profit d'Europalaces ou de position dominante collective sur les trois agglomérations de province affectées :

Sur Douai-Lens : Pathé (33,5 % du marché) et Gaumont (28,5 % du marché) possèdent respectivement des multiplexes à Liévin et Hénin-Beaumont. Europalaces détiendrait donc 62 % du marché. La prise en compte de l'ouverture récente de deux nouveaux multiplexes à Douai (Bac Majestic) et à Bruay (CGR) en décembre 2000 abaisse la part de marché de Europalaces à 52 % en année pleine, devant deux indépendants qui se situent chacun à environ 16 %. Cette part de marché importante de Europalaces, alliée aux moyens de deux groupes intégrés et de grande taille, soulève un risque sérieux de création de position dominante, risque existant également en termes de multiplexes.

Les parties se sont cependant engagées, par courrier daté du 21 février 2001, à céder à un tiers, agréé par le ministre chargé de l'économie, [...], dans un délai [...] à compter de la réalisation effective de l'opération. [...].

Cet engagement supprime les additions de parts de marché issues de l'opération.

Sur Nantes : Pathé (22,2 % du marché) et Gaumont (24,4 % du marché) possèdent chacun un multiplexe. L'opération conduit à la création d'un duopole sur l'agglomération, au profit de Europalaces (46,6 %) et d'UGC (41,6 %). Le marché est caractérisé par la présence de deux concurrents ayant des parts de marchés symétriques, tant dans le centre-ville qu'en périphérie à Saint-Herblain. En outre, des barrières (notamment réglementaires et financières) existent à l'entrée d'un tel marché et les autres concurrents, peu nombreux et de faible poids, sont d'autant moins susceptibles d'exercer une réelle concurrence qu'ils sont essentiellement exploitants de salles d'art et essai. Cette situation est de nature à favoriser la création d'une position dominante collective.

Les parties se sont engagées, par courrier daté du 21 février 2001, à proposer à un exploitant agréé par le ministre chargé de l'économie, dans les [...] de la réalisation de l'opération de concentration, d'assurer la programmation et la gestion de [...] salles, [...], du multiplexe de [...]. Le contrat laissera à l'exploitant retenu une liberté totale de programmation.

En permettant le développement substantiel de la concurrence sur ce marché, cet engagement est de nature à supprimer le risque de création de position dominante collective.

Sur Saint-Etienne : Pathé programme le Royal et l'Eden, deux cinémas indépendants (36 % du marché), qu'il ne possède pas. Gaumont détient un multiplexe (36,7 % du marché). La création d'Europalaces se traduirait par la naissance d'une position fortement dominante (72,7 % du marché).

Les parties se sont cependant engagées, par courrier daté du 21 février 2001, à ce que Pathé Palace (Europalaces) se porte fort de ce que le GIE Pathé Edeline continue pendant une durée maximale d'un an, à assurer la programmation des salles du Royal et de l'Eden. Le GIE Pathé Edeline devra signifier aux exploitants des établissements Royal et Eden que, s'ils le souhaitent, ils devront mettre à profit cette période pour entamer des négociations afin de faire assurer la programmation par un tiers autre que Gaumont Associés. Le GIE Pathé Edeline devra assister les exploitants dans cette éventuelle négociation, et pourra être amené à justifier de ses diligences auprès de la DGCCRF.

Cela supprime les recouvrements d'activités entre les parties.

Par ailleurs, à l'issue de l'opération de concentration, Europalaces sera le premier exploitant de salles de cinéma en France avec plus de 25 % des entrées au plan national et devancera nettement UGC (environ 18 % des entrées). La nouvelle société sera de surcroît la seule à posséder un réseau de salles couvrant l'ensemble des agglomérations de plus de 200 000 habitants, considérées comme essentielles pour le succès commercial d'un film. En outre, ce circuit comprendra une part très importante du segment porteur des multiplexes, puisque Gaumont et Pathé totalisent actuellement près de 44 % des entrées sur ce segment. Enfin, Gaumont est le seul exploitant avec UGC à avoir mis en place une carte d'abonnement à accès illimité.

Dans ce nouveau contexte, Europalaces pourrait être tenté d'exiger, de certains distributeurs, l'exclusivité de films, notamment ceux considérés comme porteurs. Le poids du réseau Europalaces étant susceptible d'inciter des distributeurs à répondre favorablement à une telle demande, l'opération pourrait déboucher sur un affaiblissement des exploitants concurrents, notamment des indépendants.Cela renforcerait encore le poids des réseaux intégrés et notamment d'Europalaces. La situation créée par l'opération et l'évolution qu'elle pourrait engendrer directement sont donc susceptibles de porter atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence sur les marchés de l'exploitation des salles. Ce phénomène pourrait, de plus, être aggravé par la position forte des entreprises notifiantes et de leur principal concurrent sur les multiplexes, qui constituent l'une des parties les plus dynamiques du secteur, ainsi que par le jeu des cartes d'abonnement à accès illimité.

Toutefois, Pathé Palace (Europalaces) s'est engagé, par courrier daté du 21 février 2001, à ne pas imposer ni chercher à obtenir des distributeurs une exclusivité ni nationale ni par zones de chalandises en France, y compris sur une base hebdomadaire.

Cet engagement permet d'écarter le risque décrit précédemment.

En outre, Gaumont et Pathé sont, avec UGC, les seuls exploitants de taille nationale à être intégrés verticalement puisqu'ils sont également producteurs et distributeurs de films.

Sur le marché de la production, bien qu'il n'y ait pas de statistiques précises, Pathé et Gaumont produisent annuellement relativement peu de films : environ entre cinq et dix pour chacun, alors que la seule production française est d'environ 150 films par an. Dès lors, l'opération de concentration ne porte pas atteinte à la concurrence sur le marché de la production cinématographique.

Sur le marché de la distribution cinématographique, Pathé et Gaumont sont présents via leurs filiales respectives, Pathé Distribution (détenue à 100 % par Pathé) et Gaumont Buena Vista International (détenue à 50 % par Gaumont et à 50 % par le producteur Walt Disney). Les parts de marché de Pathé Distribution et de Gaumont Buena Vista International se situent respectivement à environ 13 % et 20 %. Ces parts incluent les films produits par Pathé ou Gaumont. Un calcul pertinent nécessiterait certes d'exclure ces films. Toutefois, étant donné le faible nombre de films produits par Pathé et Gaumont, ce nouveau calcul ne modifierait pas les conclusions de l'analyse de ce marché.

Le médiateur du cinéma a déjà souligné l'existence de " couloirs de programmation " mis en place par ces sociétés intégrées : ainsi, un film destiné à connaître un succès important était placé systématiquement dans des salles appartenant au même groupe que la société le distribuant, avec un plan de diffusion volontairement limité. Dès lors, Pathé, qui aura le contrôle exclusif de Pathé Distribution et de Europalaces, pourrait être incité à renforcer ce comportement, en essayant d'obtenir des contrats d'exclusivité de la part de certains producteurs (au travers, par exemple, de contrats de long terme par lesquels il offrirait aux producteurs la garantie d'une diffusion nationale dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants, ce qu'aucun autre opérateur ne peut promettre). De ce fait, les distributeurs non intégrés risqueraient d'avoir un accès plus difficile à des films commercialement rentables et l'opération porterait atteinte à la concurrence sur le marché de la distribution.

Toutefois, par courrier daté du 21 février 2001, les parties ont pris les engagements suivants :

Pathé s'engage à ce que Europalaces et Pathé Distribution, organisés en sociétés distinctes, déterminant chacune sa politique d'exploitation, au mieux de ses intérêts propres, fassent l'objet d'une gestion opérationnelle séparée, soient dirigées par des managements distincts, le directeur général de Pathé Distribution et le directeur général pour la France d'Europalaces n'ayant entre eux aucun lien de subordination, et n'aient aucun personnel commun.

Pathé se porte fort de ce que Pathé Distribution s'engage, dans les contrats à long terme portant sur un ensemble de films qu'il pourra être amené à conclure avec des producteurs, à les informer que les films objets du contrat seront traités par le distributeur de manière non discriminatoire entre les différents circuits de salles et que Europalaces, dans le cadre de la gestion opérationnelle distincte qui est la sienne, arrête sa politique d'exploitation au mieux de ses intérêts propres.

[...].

[...].

[...].

Cet engagement permet de limiter les effets de l'intégration verticale. [...]. Qui plus est, en posant le principe de l'indépendance des gestions opérationnelles entre Pathé Distribution, d'une part, et Europalaces, d'autre part, il écarte encore le risque de contrats de long terme reposant sur de telles garanties, dans la mesure où ces dernières, si elles avaient des effets positifs sur Pathé Distribution, auraient des effets plutôt négatifs sur Europalaces.

L'ensemble de ces engagements permettent donc de résoudre les problèmes de concurrence posés par l'opération, sans préjudice d'autres engagements devant, le cas échéant, être pris devant le comité consultatif de la diffusion cinématographique afin d'assurer les conditions d'une large diffusion des œuvres conforme à l'intérêt général.

Il ressort de ces éléments que l'opération de concentration entre les sociétés Pathé et Gaumont n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés identifiés. Je vous informe donc qu'il n'est pas dans mon intention d'en saisir le Conseil de la concurrence.

Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relèvent du secret d'affaires en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décemnre 1986, modifié par le décret n° 96-916 du 9 août 1996, avant dernier alinéa.