Conseil Conc., 11 juillet 2002, n° 02-D-44
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Situation de la concurrence dans les secteurs de l'eau potable et de l'assainissement, notamment en ce qui concerne la mise en commun des moyens pour répondre à des appels à concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de M. Arhel, par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mmes Mader-Saussaye, , Perrot, MM. Bargue, Bidaud, Charrière-Bournazel, Lasserre, Piot, membres.
Le Conseil de la concurrence (section I),
Vu la décision en date du 21 juin 2000, enregistrée sous le numéro F 1243, par laquelle le Conseil de la concurrence, en application de l'article L. 462-5 du Code de commerce, s'est saisi d'office de faits susceptibles d'entrer dans le champ d'application du titre II du livre IV du Code de commerce et concernant la situation de la concurrence dans les secteurs de l'eau potable et de l'assainissement, notamment en ce qui concerne la mise en commun des moyens pour répondre à des appels à concurrence ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, ainsi que le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Compagnie Générale des Eaux, Lyonnaise des eaux et SAUR ainsi que par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Compagnie Générale des Eaux, Lyonnaise des Eaux et SAUR entendus lors de la séance du 9 avril 2002 ;
Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
A. - Les faits
Les sociétés Compagnie Générale des Eaux (CGE), Lyonnaise des Eaux (SLDE) et SAUR ont des participations dans les douze entreprises communes suivantes, actives dans les secteurs de l'approvisionnement en eau potable et de l'assainissement.
Neuf de ces entreprises communes (signalées par un astérisque dans le tableau ci-dessus) ont, postérieurement au 21 juin 1997, formulé des offres en réponse à des appels à la concurrence lancés par des collectivités. Lors de ces appels à la concurrence, les sociétés mères ont adopté deux types de comportements ou bien elles se sont abstenues de présenter leur candidature ; ou bien plus rarement, elles l'ont présentée mais sans succès, soit que leur candidature n'ait pas été retenue, soit que le marché ait été emporté par l'entreprise commune, ou, plus rarement, par un concurrent.
Les raisons pour lesquelles, selon les éléments rassemblés au cours de l'instruction, les sociétés mères ont jugé nécessaire de ne pas présenter une offre en concurrence avec une entreprise commune sont indiquées dans le tableau ci-dessous, puis résumées pour chacune des entreprises en cause :
Attitude des sociétés mères dans les procédures de mise en concurrence auxquelles ont participé les entreprises communes
1) En ce qui concerne la CGE
Six des entreprises communes créées par la CGE (SEM, SEN, SED, Société martiniquaise des Eaux, Société guyanaise des Eaux et SEVESC) ont répondu à des appels à candidature lancés postérieurement au 21 juin 1997. Au total, 41 marchés étaient concernés. La CGE n'a présenté que quatre candidatures distinctes de celles des entreprises communes avant le 2 août 2000, c'est-à-dire avant la date à laquelle la CGE a été informée par le rapporteur de la saisine d'office du conseil en ce qui concerne la mise en commun des moyens pour répondre à des appels à concurrence ; s'y ajoutent deux candidatures transmises après cette date. Ces candidatures ont été présentées en concurrence avec la SEM (trois offres présentées avant le 2 août 2000 et deux présentées après cette date) ou la société SED (une offre). En revanche, la CGE n'a jamais présenté de candidature en concurrence avec l'une des quatre autres entreprises communes.
L'abstention de la CGE dans les 37 autres cas est justifiée, selon la CGE, par le peu d'intérêt que présentaient pour elle les marchés concernés, par l'éloignement de la collectivité par rapport à la localisation de l'agence CGE la plus proche ou encore, pour ce qui concerne les marchés de la Martinique, par le fait que la CGE ne dispose pas d'agence dans l'île.
Dans son mémoire en réponse au rapport, la CGE a ajouté les explications suivantes :
"Dans le dernier cas, plus rare, la collectivité est suffisamment proche d'une agence de la CGE, mais celle-ci ne dispose pas de ressources techniques et humaines pour assurer avec le degré de qualité et d'efficacité souhaité le service spécifique demandé par la collectivité délégante.
D'autres considérations peuvent également justifier une abstention de la CGE. Ainsi, lorsqu'une collectivité, ayant délégué la gestion de son service d'eau à une entreprise autre que la CGE, procède à un appel à la concurrence pour la gestion de son service d'assainissement uniquement, la CGE ne présente en principe pas sa candidature. En effet, la gestion du service abonnés est assurée par le délégataire du service d'eau, ce qui constitue un handicap pour le délégataire du service d'assainissement qui ne peut procéder à la facturation des abonnés de façon indépendante. L'intérêt commercial de ce marché est alors limité".
2) En ce qui concerne la Lyonnaise des Eaux
Neuf des entreprises communes créées par la SLDE (SEM, SEN, SED, SABARC, Société martiniquaise des Eaux, Société guyanaise des Eaux, Compagnie bourbonnaise, SEVESC et SEDUD) ont répondu à des appels à candidature lancés postérieurement au 21 juin 1997 ou signé un contrat de délégation après cette date. Au total, 44 marchés étaient concernés. Sur ces 44 marchés, la SLDE a présenté une candidature distincte de celle de l'entreprise commune dans onze cas. Sur ces onze candidatures, trois ont été rejetées, au motif que le dossier n'était pas complet ou que la filiale qui a soumissionné n'avait pas les références requises ; les huit autres marchés ont été emportés par l'entreprise commune dans sept cas et par une entreprise concurrente dans le dernier cas. Les onze candidatures ont été présentées en concurrence avec la SEM. En revanche, la SLDE n'a jamais présenté de candidature en concurrence avec l'une des huit autres entreprises communes.
L'abstention de la SLDE dans les 33 autres cas est justifiée, selon la SLDE, par le peu d'intérêt que présentaient pour elle les marchés concernés, par l'éloignement de la collectivité par rapport à la localisation du centre régional de la SLDE le plus proche, par le fait que la SLDE ne disposait pas de ressources en eau pour répondre à la demande, ou encore par le fait qu'elle n'était pas informée de l'existence du marché.
3) En ce qui concerne la SAUR
La SAUR a créé une entreprise commune avec la SLDE : la Compagnie bourbonnaise de services et d'environnement (CBSE) ; celle-ci a répondu à deux appels à candidature lancés postérieurement au 21 juin 1997. La SAUR n'a pas présenté de candidature distincte de celle de la CBSE. Selon elle, la participation de la SAUR dans le capital de l'entreprise commune et la situation des collectivités concernées justifient qu'elle n'ait pas formulé d'offre distincte.
B. - Les griefs notifiés
Le rapporteur a considéré que les marchés pertinents étaient le marché national de la gestion déléguée du service de distribution d'eau et le marché national de la gestion déléguée de l'assainissement et qu'en renonçant à répondre aux appels d'offres, en concurrence avec les entreprises communes, les entreprises en cause avaient limité l'intensité de la concurrence.
Il a estimé que, dès lors que ce comportement résultait d'un accord, il tombait sous le coup de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Il a également considéré que la CGE et la SLDE détenaient une position dominante conjointe et qu'elles avaient violé les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
Il a en conséquence établi la notification de griefs suivante :
"L'analyse à laquelle il a procédé conduit le rapporteur à retenir, à l'encontre :
De la Compagnie Générale des Eaux, de la Lyonnaise des Eaux et de la SAUR, un grief sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce pour avoir mis en commun sans justification leurs moyens pour répondre à des appels à concurrence et pour s'être abstenues de faire acte de candidature lorsque l'une de leurs entreprises communes a répondu à un appel à candidature.
Ce grief concerne les appels à concurrence lancés par les collectivités suivantes :
Pour la Compagnie Générale des Eaux : Grans, Rognes, La Brillanne, SI Durance Albion, Cugnes, Charleval, Valensole, Ventabren, Sivom Carry Sausset, Saint-Cyr (Eau), Saint-Cyr (Assainissement), Rousset, Carry, Les Pennes Mirabeau, Rognac, Orange, L'Isle-sur-la-Sorgue, Estaires-La-Gorgues, Sainghin-en-Weppes, Bois Bernard, Bassin d'Arcachon, François, Rivière salée, Marin, Saint-Esprit, Lamentin, Anses-d'Arlet, Conseil Général de Guyane, Sinnamary, Saint-Laurent-du-Maroni, Matoury, Cayenne, Apatou, Grand Santi, Awala Yalimapo, Maripasoula, Régina, Saint-Georges-de-l'Oyapock, Macouria, St-Cyr l'Ecole, SAN Saint-Quentin-en-Yvelines.
Pour la Lyonnaise des Eaux : Grans, Rognes, La Brillanne, SI Durance Albion, Cugnes, Charleval, Valensole, Ventabren, Sivom Carry Sausset, Saint-Cyr (Eau), Saint-Cyr (Assainissement), Rousset, Carry, Les Pennes Mirabeau, Rognac, Orange, L'Isle-sur-la-Sorgue, Estaires-La-Gorgues, Sainghin-en-Weppes, Bois Bernard, Bassin d'Arcachon, François, Rivière salée, Marin, Saint-Esprit, Lamentin, Anses-d'Arlet, Conseil Général de Guyane, Sinnamary, Saint-Laurent-du-Maroni, Matoury, Cayenne, Apatou, Grand Santi, Awala Yalimapo, Maripasoula, Régina, Saint-Georges de-l'Oyapock, Macouria, Brugheas, Randan, St. Cyr l'Ecole, SAN Saint-Quentin-en-Yvelines, Dinan.
Pour la SAUR : Brugheas, Randan.
De la Compagnie Générale des Eaux et de la Lyonnaise des Eaux, un grief sur le fondement de l'article L. 420-2 du Code de commerce pour avoir mis en commun sans justification leurs moyens pour répondre à des appels à concurrence et pour s'être abstenues de faire acte de candidature lorsque l'une de leurs entreprises communes a répondu à un appel à candidature.
Ce grief concerne les appels à concurrence lancés par les collectivités suivantes :
Pour la Compagnie Générale des Eaux : Grans, Rognes, La Brillanne, SI Durance Albion, Cugnes, Charleval, Valensole, Ventabren, Sivom Carry Sausset, Saint-Cyr (Eau), Saint-Cyr (Assainissement), Rousset, Carry, Les Pennes Mirabeau, Rognac, Orange, L'Isle-sur-la-Sorgue, Estaires-La-Gorgues, Sainghin-en-Weppes, Bois Bernard, Bassin d'Arcachon, François, Rivière salée, Marin, Saint-Esprit, Lamentin, Anses-d'Arlet, Conseil Général de Guyane, Sinnamary, Saint-Laurent-du-Maroni, Matoury, Cayenne, Apatou, Grand Santi, Awala Yalimapo, Maripasoula, Régina, Saint-Georges-de-l'Oyapock, Macouria, St-Cyr l'Ecole, SAN Saint-Quentin-en-Yvelines.
Pour la Lyonnaise des Eaux : Grans, Rognes, La Brillanne, SI Durance Albion, Cugnes, Charleval, Valensole, Ventabren, Sivom Carry Sausset, Saint-Cyr (Eau), Saint-Cyr (Assainissement), Rousset, Carry, Les Pennes Mirabeau, Rognac, Orange, L'Isle-sur-la-Sorgue, Estaires-La-Gorgues, Sainghin-en-Weppes, Bois Bernard, Bassin d'Arcachon, François, Rivière salée, Marin, Saint-Esprit, Lamentin, Anses-d'Arlet, Conseil Général de Guyane, Sinnamary, Saint-Laurent-du-Maroni, Matoury, Cayenne, Apatou, Grand Santi, Awala Yalimapo, Maripasoula, Régina, Saint-Georges-de-l'Oyapock, Macouria, Randan, St-Cyr l'Ecole, SAN Saint-Quentin-en-Yvelines, Dinan".
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI RPECEDENT, LE CONSEIL,
A. - Sur la procédure
1. Sur le défaut de signature et de date de la notification de griefs
Considérant que la SAUR soutient que la notification de griefs serait irrégulière car non datée ni signée ;
Mais considérant que, répondant à un moyen identique, la cour d'appel de Paris a jugé qu'une notification de griefs était suffisamment authentifiée par la mention portée en première page qu'elle avait été établie par le rapporteur désigné pour instruire l'affaire et que la date de la notification des griefs résulte de sa transmission faite par le président du Conseil de la concurrence (Paris, 21 nov. 2000, TF1) ; que le moyen présenté par la SAUR doit donc être écarté ;
Considérant que la SAUR soutient encore que la notification de griefs et le rapport contreviennent aux dispositions de l'article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration, qui dispose que "toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées" ;
Considérant, cependant, et en tout état de cause, que ces informations figuraient dans la décision par laquelle la Présidente du Conseil de la concurrence a désigné le rapporteur chargé de l'affaire, décision qui était jointe à la notification de griefs et au rapport ; que le moyen manque en fait ;
2. Sur la violation du principe d'impartialité
Considérant que la SAUR estime que la procédure viole le principe d'impartialité en ce que, en premier lieu la décision du 21 juin 2000 par laquelle le conseil s'est saisi d'office ne fait pas apparaître clairement les faits et les qualifications ; en deuxième lieu, que cette décision fait suite à l'avis sur le prix de l'eau en France, rendu le 31 mai 2000, par le Conseil de la concurrence ; et en troisième lieu que le rapporteur, auteur de la notification de griefs, a rédigé le rapport sur lequel le conseil a délibéré avant de rendre son avis du 31 mai 2000 ; que la SLDE développe également ce 3e argument en s'appuyant sur un arrêt du 23 février 2000 du Conseil d'Etat qui a annulé un arrêt de la Cour des comptes au motif, notamment, que cette institution avait précédemment évoqué l'affaire dans un rapport public en relevant l'irrégularité des faits ; que la SLDE soutient que la saisine d'office est incompatible avec l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et que la signature de la notification de griefs par la Présidente du conseil méconnaît le principe de séparation entre l'instruction et le jugement ;
Mais considérant que, répondant à un moyen tiré du défaut de motivation d'une décision de saisine d'office, la Cour d'appel de Paris a énoncé que la décision du Conseil de la concurrence en cause "a eu pour seul objet d'ouvrir la procédure devant le conseil afin que puissent être conduites les investigations pouvant servir de base à la notification ultérieure de griefs, sans qu'à ce stade aucun fait ne puisse être qualifié ni aucune pratique anticoncurrentielle imputée à quiconque" ; qu'elle a ajouté qu'"une telle décision, qui ne constitue pas une décision administrative individuelle entrant dans les prévisions de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, n'est pas soumise à l'obligation de motivation et de notification et que l'absence de motivation ne caractérise, en l'espèce, aucune atteinte à la règle d'impartialité inhérente au droit à un procès équitable" (Paris, 27 nov. 2001, Caisse nationale de Crédit agricole et autres) ; que dans, le même arrêt, la Cour d'appel de Paris a énoncé "qu'aucune disposition n'impose au Conseil de la concurrence de rendre compte des circonstances dans lesquelles il a estimé opportun d'exercer le pouvoir de se saisir d'office que la loi lui reconnaît afin, notamment, de le mettre en mesure de donner sa propre orientation à la politique de la concurrence" ;
Considérant que la licéité de principe de la saisine d'office a également été reconnue par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 20 octobre 2000, Habib Bank ; que, si le Conseil d'Etat a précisé dans cet arrêt que les conditions du respect de l'impartialité devaient être satisfaites et a, sur ce fondement, annulé une décision de la Commission bancaire au motif que celle-ci avait "méconnu la règle d'impartialité en présentant pour établis les faits dont elle faisait état et en prenant parti sur leur qualification d'infraction à différentes dispositions législatives et réglementaires" un tel reproche ne peut être valablement adressé à la décision de saisine d'office du 21 juin 2000, puisqu'elle vise "la situation de la concurrence dans les secteurs de l'eau potable et de l'assainissement, notamment en ce qui concerne la mise en commun des moyens pour répondre à des appels à concurrence", sans prendre parti sur la qualification d'infraction des faits dont s'est saisi le conseil ; que, pour cette même raison, l'arrêt du 23 février 2000 du Conseil d'Etat ne peut être utilement invoqué ici ;
Considérant que la SAUR n'établit pas davantage que le fait que la saisine d'office ait été précédée, quelques semaines auparavant, d'un avis, rendu à la demande de la commission des finances, de l'économie et du plan de l'Assemblée nationale sur le prix de l'eau en France, concernant les pratiques tarifaires observées dans le secteur de l'eau, et que le rapporteur ayant instruit ce dossier ait à nouveau été désigné pour rapporter la présente affaire a affecté l'impartialité du conseil ; que, par ailleurs, il n'est pas reproché au rapporteur d'avoir utilisé des éléments de preuve obtenus sur le fondement du titre V du livre IV du Code de commerce, dans le cadre de la procédure relative à l'avis du 31 mai 2000 ;
Considérant que le conseil, lorsqu'il est saisi pour avis, n'est pas habilité à qualifier les pratiques de tel ou tel opérateur au regard des dispositions des articles L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce ; que, dans son avis du 31 mai 2000, il n'a pas eu à connaître et à apprécier des faits précis et circonstanciés, notamment ceux de la présente affaire ; qu'il a seulement évoqué la possibilité d'appliquer le droit des ententes au "fait pour deux opérateurs économiques de créer une entreprise commune et de lui laisser le soin de répondre à l'appel à concurrence lancé par une collectivité", en estimant qu'un tel fait était "susceptible" de relever du droit des ententes ; que, plus loin, il a envisagé, à l'inverse, "l'hypothèse où la création d'une entreprise commune serait considérée comme ne relevant pas du droit des ententes" ;
Considérant, quant au principe de séparation des fonctions d'instruction et de décision invoqué par la SLDE, que la Cour d'appel de Paris a estimé (Paris 21 nov. 2000, TF1 et Paris 12 déc. 2000, CGST Save), que, dès lors que l'authentification de la notification de griefs et du rapport définitif du rapporteur ne prêtent pas à discussion, il ne saurait être reproché à la Présidente du Conseil de la concurrence de les avoir transmis.
B. - Sur le fond
1. Sur la définition des marchés pertinents
Considérant que les services de la distribution de l'eau et de l'assainissement sont rendus aux communes par environ 2 000 entités opérant dans le cadre d'une délégation de service public et 13 500 entités opérant dans le cadre de la régie ; que, selon le rapport du Haut Conseil du secteur public en date du mois de décembre 1999, la gestion déléguée distribue les trois quart de l'eau consommée en France ;
Considérant que les entreprises mises en cause contestent l'analyse de la notification de griefs selon laquelle il existerait un marché national de la gestion déléguée du service de distribution d'eau et un marché national de la gestion déléguée de l'assainissement ; qu'elles soutiennent notamment, que les acteurs publics et les sociétés privées interviennent sur le même marché ; que la CGE fait valoir également que les collectivités "interviennent de plus en plus en tant qu'offreur sur le marché de la distribution d'eau et de l'assainissement" ; que la SAUR estime, à propos de la délimitation géographique du marché, que, dès lors que l'attitude de la CBSE n'est critiquée qu'au regard des appels à candidature lancés sur les deux communes de Randan et Brugheas où la CBSE est intervenue, le conseil devra apprécier l'éventuelle coordination sur ces deux communes puisque l'activité de la CBSE est réduite au marché local autour de la ville de Vichy ; qu'enfin, la SLDE critique la généralité de la définition du marché retenue par la notification de griefs ; qu'elle considère, en effet, qu'on ne peut qualifier uniformément les marchés de l'eau et de l'assainissement de marchés nationaux ; que selon elle, le marché des grandes collectivités est national, le marché de celles qui sont inférieures à la taille critique (10 000 habitants) est infra-régional et pluri-communal, sa dimension variant en fonction des possibilités économiques et techniques de desserte ;
Considérant, d'abord, que la Commission de la concurrence, dans son avis du 28 octobre 1980, a adopté la position suivante : "en règle générale, chacune des régies existantes n'assure la distribution de l'eau que pour le compte de la ou les collectivités fondatrices ; (...) si quelques unes peuvent atteindre une certaine dimension, soit parce qu'elles relèvent d'un syndicat regroupant de nombreuses communes, soit parce qu'elles assurent la gestion du service d'eau d'une ville importante, fort peu nombreuses sont celles qui ont vocation à étendre de façon significative le champ géographique de leurs activités ; (...) ainsi les collectivités qui peuvent, pour différentes raisons, éprouver le besoin ou même se trouver dans la nécessité d'abandonner la gestion directe de leur service d'eau n'ont guère la possibilité - sauf dans quelques zones géographiques peu nombreuses et peu étendues - de faire appel à d'autres partenaires que les entreprises privées spécialisées" ;
Considérant que la question se pose de savoir si cette position est toujours d'actualité et, notamment, si, pendant la période couverte par la notification de griefs, les collectivités ne disposaient toujours pas de la possibilité de choisir entre un opérateur privé et un opérateur public ; que la CGE répond que la pression concurrentielle des opérateurs publics est sans cesse plus vive en citant trois exemples de collectivités qui ont résilié par anticipation les conventions qui les liaient à des entreprises privées pour revenir à la régie ; que ces trois exemples sont, cependant, postérieurs à la période couverte par la notification de griefs ; que, surtout, le retour à la régie suppose des investissements en matériels (ex. : rachat des compteurs) et est freiné par la crainte d'une perte de savoir-faire ce qui peut avoir sur les collectivités un effet dissuasif ; que,dès lors, s'il est exact que quelques retours à la régie ont pu être observés dans un passé récent, il n'est pas contesté que ces phénomènes revêtent un caractère peu fréquent ;
Considérant que, concernant la prétendue intervention des collectivités sur les marchés de la distribution d'eau et de l'assainissement, la CGE cite une douzaine d'exemples où des collectivités ont répondu à un appel à candidatures émanant d'une autre collectivité ; que, cependant, même s'il n'est pas contesté que les opérateurs publics peuvent valablement être en concurrence avec les opérateurs privés, le fait que la plupart de ces exemples concernent des marchés différents de ceux couverts par la notification de griefs et que les collectivités visées n'ont jamais emporté un marché couvert par ladite notification montre que les collectivités locales qui font appel au marché pour répondre à leurs besoins d'approvisionnement en eau potable et en assainissement ne voient que rarement dans les autres collectivités une alternative à l'offre des entreprises privées ;
Considérant, au demeurant, qu'il résulte de la pratique décisionnelle du conseil qu'un service rendu par une collectivité à une autre collectivité géographiquement proche ne constitue pas nécessairement une offre concurrentielle sur un marché : "même s'il peut arriver que le restaurant autogéré d'une collectivité assume le service de restauration du personnel ou des membres d'une structure géographiquement proche, ce phénomène purement local ne constitue pas une offre de services générale, comparable à celle proposée par les sociétés de restauration collective" (Avis, Cons. conc. n° 94-A-16 du 10 mai 1994 ; BOCCRF 23 août) ;
Considérant que la dimension nationale des marchés résulte du fait que les trois plus grandes entreprises présentes sur les marchés de la distribution d'eau et d'assainissement interviennent sur l'ensemble du territoire national; que cette position, adoptée par la Commission de la concurrence en 1980, est transposable à la présente procédure puisque la structure des marchés et le fonctionnement de la concurrence étaient analogues au début de la période couverte par la notification de grief, c'est-à-dire le 21 juin 1997 et que, par ailleurs, les modifications qui y ont été observées postérieurement ne sont pas déterminantes (cf. infra) ; qu'elle est également conforme à la pratique du conseil ; qu'en effet, à propos du marché du stationnement, celui-ci a énoncé dans l'avis n° 01-A-08 du 5 juin 2001 que "la dimension nationale du marché se justifie par (...), la mise en œuvre d'une procédure de choix de l'entreprise obligatoire et identique quelle que soit la commune, l'exigence d'une publicité préalable, par voie de presse et d'une mise en concurrence à l'échelle nationale, ainsi que la présence, sur ces appels d'offres, des opérateurs à vocation nationale" ;
Considérant que le fait que le conseil soit conduit à examiner l'incidence de l'abstention des sociétés mères dans des régions particulières n'implique pas nécessairement que les marchés pertinents, pour l'application des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, correspondent à ces zones; que,par ailleurs, le fait que les sociétés mères aient décidé de ne pas intervenir dans les zones d'influence des entreprises communes n'implique en rien que les marchés pertinents soient limités à ces zones ;
Considérant que l'analyse de la SLDE, suivant laquelle il conviendrait de distinguer plusieurs marchés selon la taille des collectivités concernées, est contredite par le fait que les trois entreprises en cause répondent aux appels à concurrence, directement, ou par l'intermédiaire de filiales, dans des conditions analogues sur l'ensemble du territoire national, sans opérer de distinction selon la taille de la collectivité; qu'à titre d'exemple, la SLDE a, dans le département du Gard, répondu à un appel concernant aussi bien 420 habitants (Boissières) que 25 000 (Sivom Aigues Mortes) ; qu'en outre, les agences de ces sociétés emploient des salariés qui peuvent travailler simultanément pour plusieurs collectivités, lesquelles peuvent avoir des tailles différentes ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il existe un marché national de la gestion déléguée de distribution d'eau et un marché national de la gestion déléguée de l'assainissement ;
2. Sur le droit applicable
Considérant que l'application cumulative des règles relatives aux concentrations et aux pratiques anticoncurrentielles est exclue par la jurisprudence (Cass. com. 26 nov. 1996, Syndicat des Distributeurs Indépendants et a.) ; qu'il importe dès lors, comme le demandent les entreprises mises en cause, de s'interroger sur le droit applicable en l'espèce ;
Considérant quel'article L. 430-1-II du Code de commerce, dans sa version issue de la loi du 15 mai 2001, dispose que "la création d'une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome constitue une concentration" ; que ces dispositions reprennent la définition de l'entreprise commune propre au droit communautaire ; que la pratique jurisprudentielle du conseil et celle de la cour d'appel de Paris tendent, autant que possible, à s'inspirer du droit communautaire de la concurrence dans l'interprétation du droit national afin d'offrir aux entreprises un cadre juridique cohérent ; que, conformément à la thèse soutenue par les entreprises mises en cause, il convient de retenir la définition précitée de l'entreprise commune en lieu et place de la formule, plus restrictive, de l'ancienne jurisprudence du conseil qui exigeait, en outre, une absence de coordination entre les sociétés mères; que la CGE, la SLDE et la SAUR soutiennent, sans être démenties par l'instruction, que les entreprises communes qu'elles ont créées exercent toutes les fonctions d'une entreprise et disposent de leurs propres moyens matériels, humains et financiers pour intervenir durablement sur le marché de manière indépendante ; qu'elles ne consultent jamais leurs mères sur l'opportunité de répondre à un appel d'offres ; qu'il n'est pas établi que l'abstention des sociétés mères est une condition de la viabilité de ces entreprises communes ; qu'elles répondent donc à la définition de l'entreprise commune concentrative ; que leur création relève du droit des concentrations; qu'ainsi,ni la création de ces entreprises communes ni leur survie ultérieure ne constituent des pratiques susceptibles d'être qualifiées d'anticoncurrentielles par le Conseil de la concurrence, statuant en matière contentieuse;
Considérant quel'application du titre III du livre IV du Code de commerce à la création ou à la survie d'une entreprise commune ne fait, cependant, pas obstacle à l'application du titre II du livre IV du même code à des comportements qui sont détachables de cette création ou de cette survie;
Considérant que les griefs notifiés portent, d'une part, sur une entente entre sociétés mères pour ne pas faire concurrence aux sociétés filiales communes et non sur un accord entre chaque société mère et sa filiale, accord dont l'existence n'a, à aucun moment, été alléguée ni invoquée, d'autre part, sur un abus de position dominante collective ; que, s'agissant de ce dernier grief, si une pratique de non-concurrence entre mères et filiales ne constituerait pas nécessairement une pratique anticoncurrentielle pour des entreprises sans pouvoir de marché, il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit d'entreprises qui détiennent une position dominante, dès lors qu'une obligation particulière de ne pas perturber le fonctionnement concurrentiel du marché pèse sur de telles entreprises ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que ne peut être qualifiée au regard des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce le fait que la CGE, la SDLE et la SAUR aient mis en commun leurs moyens au sein d'entreprises communes ; qu'en revanche, les autres pratiques faisant l'objet des griefs notifiés sont susceptibles de relever de ces mêmes dispositions.
3. Sur l'existence d'une entente illicite
Considérant que, d'une manière générale, les sociétés en cause se sont abstenues de répondre aux appels d'offres en concurrence avec les entreprises communes dans lesquelles elles avaient des participations ; que, cependant, la constatation d'un parallélisme de comportements ne suffit pas, à elle seule, à démontrer l'existence d'une entente anticoncurrentielle dans la mesure où le comportement des sociétés mères peut résulter d'une même préférence pour se partager presque sûrement, par moitié, le profit escompté d'une opération, la filiale commune étant presque sûre de remporter le marché lorsque les sociétés mères s'abstiennent d'y être présentes, plutôt que de chercher à s'attribuer la totalité du profit, mais avec un risque non négligeable d'échec ; qu'il n'est pas démontré que ce comportement ne serait pas rationnel, le choix inverse - celui de la compétition entre les sociétés mères et les filiales - pouvant conduire à un partage du profit, en moyenne, toujours par moitié lorsque les pouvoirs de marché des sociétés mères sont comparables, mais d'un profit diminué des effets de la compétition ; qu'il est nécessaire, pour établir l'existence d'une entente, d'apporter des éléments autres que la constatation du seul parallélisme de comportements, de telle sorte que soit constitué un faisceau d'indices graves, précis et concordants ; qu'en l'espèce, tous les éléments réunis par l'instruction : abstention des sociétés mères et absence d'agences dans les zones dotées d'entreprises communes, traduisent un parallélisme de comportement, sans que l'on puisse voir dans ces éléments les indices de concertations entre les sociétés, propres à manifester leur accord de volonté ; qu'ainsi, le grief d'entente ne peut être retenu ;
4. Sur l'existence d'une position dominante collective
Considérant que, comme l'a énoncé le Tribunal de première instance des Communautés européennes : "(...) on ne saurait exclure, par principe, que deux ou plusieurs entités économiques indépendantes soient, sur un marché spécifique, unies par de tels liens économiques que, de ce fait, elles détiennent ensemble une position dominante par rapport aux autres opérateurs (...)" (TPICE 10 mars 1992 aff. T-68-89, T-77-89 et T-78-89, Soc Italiana Verro Spa et autres, Rec CJCE II p. 1403).
Considérant que, comme l'a également énoncé le Tribunal de première instance, "sur le plan juridique ou économique, il n'existe aucune raison d'exclure de la notion de lien économique la relation d'interdépendance existant entre les membres d'un oligopole restreint à l'intérieur duquel, sur un marché ayant les caractéristiques appropriées, notamment en termes de concentration du marché, de transparence et d'homogénéité du produit, ils sont en mesure de prévoir leurs comportements réciproques et sont donc fortement incités à aligner leur comportement sur le marché, de façon notamment à maximiser leur profit commun en restreignant la production en vue d'augmenter les prix. En effet, dans un tel contexte, chaque opérateur sait qu'une action fortement concurrentielle de sa part destinée à accroître sa part de marché (par exemple une réduction de prix) provoquerait une action identique de la part des autres, de sorte qu'il ne retirerait aucun avantage de son initiative. Tous les opérateurs auraient donc à subir la baisse du niveau des prix" (TPICE 25 mars 1999, aff. T-102-96, Gencor, Rec. CJCE I, p. 1375).
a) Sur l'existence d'un oligopole restreint
Considérant que les trois principales entreprises du marché détiennent ensemble entre 98 et 99 % des marchés de la distribution de l'eau et de l'assainissement ;
b) Sur l'existence de liens structurels entre les entreprises en cause
Considérant que la CGE et la SLDE sont unies par des liens structurels résultant de la création des entreprises communes ;
c) Sur les caractéristiques du produit eau
Considérant que la demande de l'eau, compte tenu de la nature de ce produit, est inélastique par rapport à son prix ;
Considérant que si la production de l'eau est influencée par divers paramètres à caractère local, il n'en demeure pas moins que le produit final répond, sur l'ensemble du territoire national, à des critères de qualité uniformes qui confèrent un caractère homogène au produit ;
d) Sur les caractéristiques des marchés de l'eau et de l'assainissement
Considérant que la part de marché cumulée des deux entreprises en cause est restée à la fois très élevée et très stable au cours des 27 dernières années puisqu'elle se situait à hauteur de 82,5 % en 1975 (Cons. conc. avis 28 oct. 1980) et qu'elle se situe aujourd'hui à 85 % ; que le principal autre intervenant, la société SAUR, ne détient que 13 % de parts des marchés de l'eau et de l'assainissement;
Considérant que la CGE soutient qu'une part de marché de 85 % ne suffit pas, à elle seule, à établir l'existence d'une position dominante ; qu'il résulte cependant d'une jurisprudence constante qu'une part de marché "extrêmement importante" constitue par elle-même la preuve de l'existence d'une position dominante (CJCE 13 fév. 1979, aff 85-76, Rec. 461 ; TPICE 12 déc. 1991, aff. T-30-89, Rec. 1439) ; que la Cour de Justice a même considéré qu'une part de marché de 50 % pouvait être considérée comme une part extrêmement importante, suffisant à caractériser une position dominante (CJCE 3 juil. 1991, aff. C-62-86, Rec. 3359) ;
Considérant que la CGE soutient encore que la part de marché conjointe des deux groupes n'est que de l'ordre de 40 % pour l'eau et 17 % pour l'assainissement ; que, cependant, les calculs présentés par la CGE opèrent un amalgame entre, d'une part, le produit de la vente de l'eau et du service de l'assainissement, qui revient à l'entreprise, et, d'autre part, les taxes et redevances ; que ces calculs reviennent en effet à intégrer dans le marché l'ensemble des taxes et redevances et à attribuer aux collectivités publiques des parts de marché correspondant au montant de ces taxes ; que ces chiffres n'ont donc pas de signification ;
Considérant que s'il n'est pas contestable qu'occasionnellement, les petits opérateurs des marchés en cause ont remporté un marché alors qu'ils étaient en concurrence avec un ou plusieurs des trois gros opérateurs, il n'est pas établi que les succès ainsi obtenus, par des entreprises représentant environ 1 % de part de marché, ont pu modifier sensiblement l'intensité de la concurrence ; qu'au demeurant, comme le montre le rapport du BIPE (Bureau international de prévision économique) de janvier 2001, ces quelques succès sont récents et ne caractérisent donc pas l'ensemble de la période couverte par la notification de griefs ;
Considérant que, comme il en a été discuté ci-avant lors de la détermination des marchés pertinents la concurrence opérée par les régies sur les marchés de la gestion déléguée de l'eau et de l'assainissement est marginale ;
Considérant que si le marché français est ouvert à la concurrence étrangère, en réalité, peu d'entreprises étrangères participent aux appels à candidature ; qu'elles n'ont jamais remporté un marché important ; que le désintérêt manifesté par les entreprises étrangères pourrait s'expliquer par le fait que peu de délégations d'une importance susceptible de les intéresser ont fait, depuis l'adoption de la loi Sapin de 1993, l'objet d'une mise en concurrence ; qu'elle pourrait également s'expliquer par l'absence de lisibilité du marché français ; qu'en effet, il n'existe pas de calendrier systématique des échéances des délégations et les entreprises, notamment les entreprises étrangères, ne disposent, dès lors, que d'informations ponctuelles qui ne leur permettent pas de programmer des offres ;
Considérant qu'il résulte des éléments du dossier que, dans une grande majorité, les collectivités ont tendance à maintenir en place le délégataire à l'échéance des conventions ; que quelles qu'en soient les raisons, ce facteur rend plus difficile l'accès au marché ;
Considérant que la SLDE indique que le taux de non reconduction du délégataire antérieur, lors du renouvellement des conventions de délégations a été de 10 % en 1998, pour ce qui la concerne ; qu'à partir de 1999, les chiffres sont moins fiables ; que, selon les chiffres précis fournis par la CGE, le taux de non reconduction aurait été de 10 % ; que le rapport du BIPE précité et la lettre "Aquae" du Syndicat professionnel des entreprises de services d'eau et d'assainissement de mars 2000 indiquent un chiffre de 15 % et que l'Ecole nationale du génie rural des eaux et forêts et la SLDE s'accordent sur un taux de 18 % ;
Mais considérant que le rapport du Haut Conseil du service public évalue à 5 % le taux de non-reconduction à l'époque des faits (Rapp. déc. 1999, p. 20) ; que la SLDE est encore plus précise puisqu'elle admet qu'en 1997 (année qui correspond au début de la période couverte par la notification de griefs), ce taux a été de 5 % pour ce qui la concerne ; que, pour sa part, la Cour des comptes souligne la "(difficulté) de placer les candidats éventuels dans des conditions d'égalité face aux délégataires déjà en place, notamment lorsque ces derniers sont seuls à connaître les éléments financiers décisifs" (Cour des comptes, la gestion des services publics locaux d'eau et d'assainissement, janvier 1997, p. 98) ; que le taux de non-reconduction a augmenté au cours de la période couverte par la notification de griefs ; que la faiblesse de ce taux, au moins pour 1997 et 1998, pourrait s'expliquer par une tendance des collectivités à vouloir continuer avec le même prestataire s'il a donné satisfaction ; qu'il convient de noter, par ailleurs, que si une tendance à la hausse du taux de non reconduction a pu être observée au cours des dernières années, cette tendance ne concerne que les petites et moyennes collectivités ; qu'en effet, comme l'a établi la Cour des comptes, de nombreuses délégations importantes ont fait l'objet d'une renégociation avant l'entrée en vigueur de la loi Sapin de 1993 afin de retarder (d'environ 12 ans, c'est-à-dire la durée des conventions habituellement stipulées depuis la loi Sapin) l'application de cette loi qui impose une certaine mise en concurrence lors du renouvellement des délégations (Cour des comptes, rapp. préc. p. 105) ; que cette circonstance est confirmée par le rapport du BIPE précité ("de nombreux contrats, qui avaient été sécurisés avant la loi Sapin de 1992, arrivent aujourd'hui à échéance") ; que ce même rapport ajoute que le renouvellement de ces contrats "devrait intensifier la concurrence entre opérateurs" ; que cependant, cette intensification ne devrait intervenir qu'à partir de 2005, selon le Haut Conseil du secteur public ; que cette amélioration de la concurrence demeure donc hypothétique ;
Considérant que si l'une des sociétés mères d'une filiale commune devait emporter un marché en concurrence avec une filiale commune, l'autre société mère en serait, compte tenu de la structure du marché, forcément informée ;
Considérant que toute décision de la CGE ou de la SLDE de répondre à un appel à candidature dans le but d'évincer une entreprise commune pourrait donner lieu à des réactions de représailles de l'autre société mère, celle-ci pouvant, à son tour, à l'occasion des futurs appels à candidature, essayer d'emporter le marché en concurrence avec la filiale commune ; que la compétition qui en résulterait entre les mères et les filiales pourrait certes conduire à un partage du profit, en moyenne, par moitié, dès lors que les pouvoirs de marché des sociétés mères sont comparables, mais d'un profit diminué des effets de la compétition ;
Considérant que dans les zones où opère une entreprise commune, les comportements de la CGE et de la SLDE sont parallèles et prévisibles ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la CGE et la SLDE sont, à l'époque des faits, les deux premiers éléments d'un oligopole restreint en détenant 85 % des marchés ; qu'elles sont unies par des liens structurels ; que le produit "eau" qu'elles commercialisent est homogène et sa demande inélastique à son prix ; qu'elles opèrent sur un marché faiblement contestable ; que leurs comportements sont parallèles et prévisibles dans les zones où elles possèdent des entreprises communes ; que la CGE et la SLDE détiennent, à l'époque des faits, une position dominante collective sur le marché national de la gestion déléguée du service de distribution d'eau et sur le marché national de la gestion déléguée de l'assainissement ;
5. Sur l'exploitation abusive de la position dominante collective
Considérant qu'une entreprise ou un groupe d'entreprises en position dominante a la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et sur le marché ;
Considérant, en premier lieu, que, sous réserve de quelques exceptions (SEM, SEVESC, SEN et SED, pour la SLDE, et SED et SEVESC, pour la CGE), il a été relevé que les sociétés mères ne créent pas, à moins de 50 km du siège d'une entreprise commune, une entité ayant les mêmes fonctions que ces entreprises communes, c'est-à-dire une entité habituellement chargée de répondre aux appels à concurrence et dotée des moyens techniques nécessaires à l'exécution matérielle des contrats de délégation) ; qu'il est de notoriété publique, comme le signale la SAUR dans ses écritures, que "les communes portent particulièrement attention à l'implantation locale de l'entreprise délégataire" ; que la SLDE a également joint à ses observations un jugement du 9 novembre 1995 du Tribunal administratif de Lyon qui fait état d'une collectivité qui a estimé "que le candidat devait, pour être retenu, avoir une implantation locale dans au moins cinq communes de plus de 10 000 habitants" ; que l'entité de la CGE la plus proche de la SEM et la SABARC se trouve respectivement à 191 et 278 km des sièges de ces sociétés communes ;
Considérant que la SLDE oppose qu'elle disposait au moins d'une agence locale dans les différents départements où existe une filiale commune, alors, au surplus, qu'elle n'est pas présente dans plus d'une trentaine de départements où aucune filiale commune n'est implantée ;
Mais considérant que la SLDE n'établit pas que la zone d'influence d'une entreprise commune correspond aux dimensions géographiques d'un département ; qu'elle a observé en séance qu'elle disposait d'une agence à Aix-en-Provence, c'est-à-dire à environ 30 km du siège de la SEM, mais que cette distance était trop longue pour lui permettre de formuler des offres compétitives par rapport celles de la SEM ;
Considérant que, dans la plupart des cas, la CGE et la SLDE ne créent pas d'agence dans les zones où opèrent leurs entreprises communes ; que ce comportement reflète leur décision de ne pas entrer en concurrence avec ces entreprises ;
Considérant, en second lieu, qu'il n'est nullement démontré que l'existence préalable d'une agence soit une condition pour soumissionner ; que d'ailleurs, la SAUR, qui est un acteur relativement récent sur le marché, a développé son réseau d'agences au fur et à mesure qu'elle manifestait un intérêt pour des régions données ou au fur et à mesure qu'elle y obtenait des délégations de service public ; que, de même, l'expansion internationale de la CGE et de la SLDE démontre qu'il est possible d'obtenir des délégations dans des zones d'où l'on était préalablement absent ; qu'a fortiori, dans des zones du territoire métropolitain relativement proches d'agences préexistantes (cas des Bouches-du-Rhône), une telle politique d'expansion était réalisable, même pour des délégations de faible importance ;
Considérant, en outre, que, en dépit de l'amplitude des moyens dont la CGE et la SLDE disposent, les cas où ces entreprises soumissionnent en concurrence avec leurs entreprises communes sont peu nombreux ; qu'il ressort en effet de l'instruction qu'entre le 21 juin 1997 et le 2 août 2000, la SEM, la SEN, la SED, la Société martiniquaise des Eaux, la Société guyanaise des Eaux et la SEVESC ont répondu à 41 appels d'offres et que la CGE n'a présenté que 4 offres et la SLDE 11 offres, soit, respectivement, dans 10 % et 27 % des cas ; que ces chiffres sont très inférieurs au pourcentage d'appels à candidature auxquels répondent les sociétés mères lorsqu'elles ne sont pas en concurrence avec l'une des filiales communes qu'elles ont créées ; qu'ainsi, la CGE a indiqué, en séance, en réponse à une question posée par un membre du conseil, qu'elle répondait à environ 80 % des appels à candidature en France ;
Considérant enfin que, dans les cas où la CGE et la SLDE ont effectivement formulé des offres en concurrence avec les entreprises communes, aucune de leurs offres n'a été fructueuse ;
Considérant que les entreprises en cause ont cherché à justifier leur abstention par le peu d'intérêt que présentaient les marchés en cause et par l'éloignement de la collectivité par rapport à la localisation de leurs agences les plus proches ;
Mais considérant que l'argument tiré du faible intérêt des marchés en cause est inopérant dès lors qu'il est démontré que les sociétés mères s'abstiennent, de façon générale, d'entrer en concurrence avec leurs filiales communes ;
Considérant que les cas de la Martinique et de la Guyane ne sont pas différents par nature des départements métropolitains ; que, certes, l'éloignement impliquait que ces deux départements ne pouvaient servir de base qu'à une expansion ultérieure limitée ; que cependant, les entreprises en cause n'expliquent pas pourquoi cette circonstance justifie un abandon de la concurrence entre les sociétés mères ;
Considérant qu'en renonçant très largement à répondre aux appels d'offres, en cas de soumission de leurs entreprises communes, les entreprises en cause ont sensiblement limité l'intensité de la concurrence ; que cette abstention a eu pour effet, d'une manière générale, d'exclure du jeu de la concurrence, dans les zones d'influence de chacune des entreprises communes en cause, les deux sociétés mères, c'est-à-dire les principaux acteurs des marchés pertinents ; que celles-ci n'établissent pas la nécessité d'une concentration de leurs capacités techniques et qu'au contraire, il est constant que chacune des deux sociétés en cause était en mesure, compte tenu de ses capacités financières et techniques propres, de répondre seule à la demande des collectivités concernées ; que, compte tenu du degré de concentration des opérateurs sur les marchés, les entreprises en cause ne pouvaient ignorer qu'un tel comportement était susceptible d'y affecter sensiblement la concurrence ; que ce comportement a donc un objet anticoncurrentiel ; que dès lors que les entreprises en cause ont ainsi limité le nombre d'offreurs actifs dans la zone d'influence des entreprises communes, leur comportement a eu un effet anticoncurrentiel ;
Considérant qu'il est indifférent, pour l'application de l'article L. 420-2 du Code de commerce, que l'exploitation abusive de la position dominante en cause s'observe sur un marché différent du marché pertinent, ou a fortiori, sur une partie seulement de ce marché ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en renonçant à répondre aux appels d'offres, en concurrence avec les entreprises communes qu'elles ont créées, les sociétés CGE et SLDE ont violé les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce;
C. - Sur les suites à donner
1. En matière contentieuse
Considérant, d'une part, que les autorités chargées du contrôle des concentrations ne se sont pas opposées à la création des entreprises communes intervenue postérieurement à l'introduction en France d'un droit des concentrations ; que, par ailleurs, il est constant que les sociétés en cause ont procédé au décroisement d'une partie de leurs entreprises communes ;
Considérant, d'autre part, que l'instruction a établi que les collectivités avaient parfois été à l'origine de la création des entreprises communes visées ci-dessus ; qu'il en est ainsi de la délibération suivante, du 15 décembre 1989, de la ville de Vichy : "la ville a demandé à la CISE de se rapprocher de la société Lyonnaise des Eaux de manière à intégrer les différents aspects de l'intercommunalité des services d'eau et d'assainissement de l'agglomération dont certaines installations sont gérées par la société Lyonnaise des Eaux" ; que l'article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales dispose que les offres présentées par les candidats "sont librement négociées par l'autorité responsable de la personne publique délégante, qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire" ; que dès lors que les autorités délégantes exercent ainsi un choix discrétionnaire dans la sélection de leurs délégataires, il n'est pas exclu que les entreprises en cause n'aient pas pu s'affranchir des exigences formulées par les autorités délégantes ;
Considérant qu'au vu de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de prononcer de sanctions pécuniaires à l'encontre des sociétés CGE et SLDE ;
2. En matière administrative
Considérant qu'aux termes de l'article L. 430-9 du Code de commerce, "Le Conseil de la concurrence peut, en cas d'exploitation abusive d'une position dominante ou d'un état de dépendance économique, demander au ministre chargé de l'économie d'enjoindre, conjointement avec le ministre dont relève le secteur, par arrêté motivé, à l'entreprise ou au groupe d'entreprises en cause de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé, tous accords et tous actes par lesquels s'est réalisée la concentration de la puissance économique qui a permis les abus même si ces actes ont fait l'objet de la procédure prévue au présent titre" ;
Considérant qu'il résulte de ce texte que lorsqu'une opération concentrative qui, en elle-même, ne constitue pas une pratique répréhensible, a permis la réalisation d'un abus de position dominante, le Conseil de la concurrence peut, une fois qu'il a constaté qu'un tel abus de position dominante avait été commis, demander au ministre de mettre en œuvre les dispositions précitées afin que soit remise en cause pour l'avenir, par le biais d'une mesure de police non constitutive d'une sanction, l'opération de concentration; qu'à défaut de précision, à l'article L. 430-9 du Code de commerce, sur la date des accords et actes visés par cette disposition, le pouvoir d'injonction du ministre est applicable aux opérations antérieures à l'entrée en vigueur de ce texte ;
Considérant qu'en l'espèce, afin d'éviter que ne se reproduisent les abus de position dominante analysés dans la présente décision, il y a lieu de demander au ministre chargé de l'économie d'enjoindre aux sociétés Compagnie Générale des Eaux et Lyonnaise des Eaux de modifier, compléter ou résilier, dans un délai déterminé, tous accords et tous actes qui ont conduit ces entreprises à associer leurs moyens dans le cadre des filiales communes qu'elles ont créées conjointement dans les secteurs de l'eau potable et de l'assainissement,
Décide :
Article 1er - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure en ce qui concerne le grief tiré d'une violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 - Il est établi que les sociétés Compagnie Générale des Eaux et Lyonnaise des Eaux ont contrevenu aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
Article 3 - Il est demandé au ministre chargé de l'économie d'enjoindre aux sociétés Compagnie Générale des Eaux et Lyonnaise des Eaux de modifier, compléter ou de résilier, dans un délai déterminé, tous accords et tous actes qui ont conduit ces entreprises à associer leurs moyens dans le cadre des filiales communes qu'elles ont créées conjointement, dans les secteurs de l'eau potable et de l'assainissement.