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Décisions

Ministre de l’Économie, 3 mai 2002, n° ECOC0200173Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ÉCONOMIE

Défendeur :

Conseil de la société CGEA Connex

Ministre de l’Économie n° ECOC0200173Y

3 mai 2002

MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier, dont il a été accusé réception le 13 mars 2002, vous avez notifié l'acquisition par CGEA Connex, filiale du groupe Vivendi, de la Compagnie des transports Verney (ci-après GTV), dans le secteur du transport routier de voyageurs (cf. note 1).

Le groupe CGEA Connex, filiale à 100 % de Vivendi Environnement (elle-même détenue à 72,3 % par Vivendi Universal), a réalisé un chiffre d'affaires en 2000 de 3,13 milliards d'euros (dont 980 millions en France). CGEA Connex, dont le cour de métier est l'exploitation de services de transport de voyageurs pour le compte d'autorités publiques, gère des réseaux routiers et ferroviaires en France et à l'étranger. Par une opération de concentration autorisée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie par lettre en date du 7 juin 2000, CGEA Connex a repris environ 40 % des activités de Via GTI, principalement des filiales présentes dans le transport inter-urbain. Connex exploite le plus souvent en direct les activités situées en Ile-de-France et intervient par l'intermédiaire de quatre filiales principales dans le reste de la France : la CGFTE (Compagnie générale française de transports et d'entreprises, transport urbain de voyageurs), la CFTI (Compagnie française de transport interurbain, exerçant parfois en zone urbaine, pour les villes moyennes), la CFTA (secteur ferroviaire, assure pour le compte de la SNCF et d'autres entreprises le transport de voyageurs et de fret), et enfin Sud Cars (active principalement sur les liaisons interurbaines, en région parisienne et PACA). Le groupe Vivendi Universal est organisé au tour de deux grands pôles d'activités : le pôle communication, d'une part, et le pôle environnement, d'autre part (63,4 % du chiffre d'affaires consolidé). Le pôle environnement comprend les secteurs de l'eau (Vivendi Water), des services énergétiques (Dalkia), de la propreté (CGEA Onyx) et enfin des transports collectifs (CGEA Connex). Le groupe Vivendi Universal, qui emploie plus de 250 000 salariés, a réalisé un chiffre d'affaires au 31 décembre 2000 de 41,58 milliards d'euros (dont 24,285 milliards en France), et de 57,36 milliards d'euros en 2001.

Le groupe Verney a réalisé un chiffre d'affaires en 2001 de 206 millions d'euros, dont 200 millions pour les activités reprises (y compris l'activité de distribution de pièces détachées, que Connex entend céder), et 152 millions d'euros pour l'activité transport public. Le groupe Verney est structuré autour de 39 filiales et emploie 3 300 personnes (dont 75 % de conducteurs). L'activité du groupe Verney couvre l'ensemble des métiers du transport collectif par autobus et autocar (lignes régulières, services scolaires, transports et affrètements urbains, affrètements SNCF, transport de personnel et transport occasionnel).

Les groupes Connex et GTV sont engagés dans un pacte d'actionnaires relatif à la gestion de la société Kunegel, dont elles détiennent à parité le capital, conclu le 30 mars 1999.

Dans la mesure où elle emporte transfert de propriété sur une partie des actifs de GTV, l'opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce.

Compte tenu du chiffre d'affaires réalisé par la branche cédée de GTV en 2001 dans l'Union européenne, l'opération n'est pas de dimension communautaire.

Eu égard au chiffre d'affaires réalisé par GTV en 2001 en France, l'opération n'est pas contrôlable au regard des seuils exprimés en chiffres d'affaires mentionnés à l'article 430-2 du Code de commerce. Il est donc nécessaire de définir les marchés pertinents.

1. Définition des marchés concernés par l'opération

Dans le cadre de l'opération de concentration susmentionnée concernant CGEA, Via GTI et la SNCF, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a considéré qu'il convenait de distinguer les trois marchés suivants : le marché des transports routiers urbains de voyageurs ; les marchés des transports routiers interurbains de voyageurs ; le marché des transports routiers de voyageurs en Ile-de-France, hors monopole de la RATP.

L'instruction de la présente affaire n'a pas apporté d'éléments nouveaux, survenus depuis la décision du 7 juin 2000, susceptibles de remettre en cause ces définitions.

Dans la décision précitée, le ministre n'avait pas exclu la possibilité de distinguer deux marchés au sein des transports routiers urbains de voyageurs : les transports scolaires et les lignes régulières. Cependant, dans la présente affaire, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées que l'on retienne un marché du transport inter-urbain ou que l'on délimite de manière plus fine les marchés.

En ce qui concerne la délimitation géographique de ce marché, le ministre avait, dans sa décision précitée, plutôt privilégié une approche locale et n'avait pas exclu que les marchés concernés soient " de dimension départementale, ou, à tout le moins régionale, structurés autour des implantations locales des opérateurs ".

L'instruction de la présente opération a conforté l'analyse développée lors de la précédente opération. On peut ainsi relever que la concurrence s'exerce principalement au niveau local. Ainsi, même les entreprises ayant une dimension nationale ont une approche locale du marché et interviennent en règle générale, à l'image de CGEA Connex, par l'intermédiaire de filiales de dimension régionale. Les appels d'offres sont lancés au niveau départemental, et si l'on a pu constater par le passé, que certains transporteurs avaient pu répondre à certains appels d'offres, non remportés, à partir de leur siège social, la plupart des projets sont portés par des filiales implantées dans le département ou dans des départements peu éloignés. Les acteurs du marché ont d'ailleurs souligné qu'il était difficile, pour un opérateur non implanté dans le département ou les départements limitrophes, d'obtenir un marché. Cette exigence de proximité constitue d'ailleurs un facteur de qualité du service aux yeux de l'autorité organisatrice, et de gestion optimale par le prestataire de service (organisation des plannings, entretien et réparation des véhicules, réactivité en cas de problème d'exploitation, remplacement de conducteur, intervention d'urgence, connaissance du terrain, coûts moins élevés...). L'analyse de la structure des marchés locaux montre enfin de très fortes disparités de parts de marché entre les régions voire, au sein même de ces régions, entre les différents départements.

L'instruction de la présente affaire a donc confirmé la pertinence d'une approche locale de ces marchés, sans qu'il ne soit nécessaire de délimiter plus précisément la dimension géographique des marchés, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées que l'on retienne une dimension départementale ou régionale des marchés.

En ce qui concerne le transport urbain, on retiendra, conformément à la décision du 7 juin 2000, une dimension nationale.

Eu égard aux parts de marchés cumulées dont disposera CGEA Connex avec l'acquisition de GTV Verney sur plusieurs marchés interurbains de voyageurs, l'opération est contrôlable.

2. Analyse concurrentielle

A l'issue de l'opération, grâce à l'apport des infrastructures de Verney (présence dans 40 départements et 14 régions, avec 3 300 salariés et 2 300 véhicules), CGEA bénéficie d'un sensible renforcement dans le secteur du transport public de voyageurs.

Sur le marché national des transports urbains de voyageurs hors Ile-de-France, l'opération, si elle permet à CGEA Connex de conforter sa position en nombre de véhicules derrière Kéolis (39,7 %) et Transdev (26,4 %), ne vient pas renforcer substantiellement la position de CGEA, dont la part de marché passe de 20,8 % à 25 % en nombre de réseaux, et de 17,9 % à 18,6 % en nombre de véhicules. Si elle réduit le nombre d'opérateurs présents sur ce marché, l'opération n'est cependant pas de nature à conférer une position dominante à CGEA. GTV n'intervenait en effet sur ce marché que de façon marginale, et ne gérait que quelques réseaux dans des villes de taille moyenne (cf. note 2).

En outre, bien que les barrières à l'entrée sur ce marché soient relativement élevées, une expertise et des références étant nécessaires pour remporter des appels d'offres portant sur la gestion de systèmes complexes de transports, il n'est pas exclu que les opérateurs français subissent, dans les années à venir, la concurrence d'opérateurs européens. Bien que ce mouvement demeure encore marginal, on peut relever que des opérateurs britanniques ont répondu à certains appels d'offres d'importance moyenne et qu'un opérateur espagnol a remporté le marché de Perpignan.

En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché des transports urbains hors Ile-de-France.

Sur les marchés de transport inter-urbain de voyageurs, on relève que, à côté des grands groupes nationaux (Transdev, Kéolis et CGEA Connex, possédant de 5 à 10 000 véhicules), il existe un nombre important d'opérateurs régionaux petites et moyennes entreprises (moins de 500 véhicules). Même si les opérateurs nationaux bénéficient de certains avantages vis-à-vis des concurrents de plus petite taille (cf. note 3), il ressort de l'instruction que les petites et moyennes entreprises peuvent venir concurrencer efficacement ces grands réseaux, en raison notamment de la politique d'allotissement mise en œuvre par les autorités organisatrices.

Si l'on appréhende le marché des transports inter-urbains de voyageurs hors Ile-de-France à l'échelle nationale, CGEA verra, à l'issue de l'opération, sa part de marché passer de 14,4 % à 21,4 %.

Au plan local, faute d'informations disponibles plus précises, on évaluera les parts de marché sur les lignes régulières et le transport scolaire à travers le nombre de véhicules exploités (cf. note 4). Ainsi, appréciées d'un point de vue local, l'opération a principalement pour résultat de fournir à CGEA Connex un réseau géographiquement complémentaire de celui qu'elle exploite à ce jour. L'opération emporte une modification de la situation concurrentielle dans six départements.

L'opération conduit à une addition de parts de marché dans trois départements. Ainsi, la part de marché de CGEA Connex passe de 7,3 % à 30,2 % dans le Rhône, de 42,6 % à 46,3 % en Seine-Maritime, de 34,7 % à 36,1 % dans le Loir-et-Cher.

Dans trois autres départements, les parties n'étaient pas présentes directement mais par l'intermédiaire d'une filiale commune contrôlée conjointement, la société Kunegel. L'opération ne conduit donc pas à des additions de parts de marché, mais vient cependant renforcer Connex dans ces départements, Kunegel passant d'un contrôle conjoint à un contrôle exclusif de Connex. Dans le Bas-Rhin, Kunegel détient une part de marché de 5,2 %, dans le Haut-Rhin de 23 % et de 98,2 % dans le territoire de Belfort (cf. note 5). Dans ces trois départements, l'opération ne fait donc pas disparaître un concurrent, mais modifie uniquement la nature du contrôle exercé depuis 1999. Il ressort toutefois de l'instruction que CGEA assurait déjà l'exploitation de la société concernée.

Dans ces six départements, l'opération n'est pas susceptible de créer ou renforcer une position dominante au profit de la nouvelle entité. Le fait que CGEA bénéficie d'une forte part de marché par l'intermédiaire de sa filiale Kunegel n'est pas non plus de nature à modifier sensiblement l'état de la concurrence par rapport à la situation qui prévalait jusqu'alors (cf. note 6). Sur le plan régional, CGEA disposera d'une part de marché légèrement supérieure à 40 % à l'issue de l'opération dans la région de Franche-Comté. On relève notamment que Kéolis, qui détient une part de marché de près de 30 % dans la région, est un concurrent actif susceptible de répondre à des appels d'offres et de remettre en cause les fortes positions de Kunegel, notamment dans le territoire de Belfort.

Appréciée à l'échelon régional, l'opération conduit à une addition de parts de marchés dans quatre régions et n'a des effets que dans deux autres régions, du fait du passage de Kunegel d'un contrôle conjoint à un contrôle exclusif.

CGEA ne dépasse 40 % dans aucune des quatre régions dans lesquelles on relève des additions de parts de marché à la suite de l'opération.

Les quatre régions concernées sont les suivantes : la région Poitou-Charentes (28,3 % à 37,1 %, sans chevauchement au niveau départemental) ; la région Rhône-Alpes (5 % à 8,9 %, avec un chevauchement uniquement dans le département du Rhône) ; la région Haute-Normandie (35,2 % à 37,7 %, avec un chevauchement dans un seul département, la Seine-Maritime) ; la région Centre (24,7 % à 35,6 %, avec un chevauchement uniquement dans le Loir-et-Cher).

Appréciée à l'échelon régional, l'opération n'est pas susceptible de créer ou de renforcer une position dominante au profit de CGEA.

En conséquence, quelle que soit la dimension géographique des marchés, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés du transport interurbain de voyageurs.

Sur le marché du transport public de voyageurs en Ile-de-France, hors monopole de la RATP, l'opération n'aura qu'un impact limité sur la concurrence dans la mesure où GTV était très peu présente dans cette région (44 lignes, contre près de 1 600 lignes pour CGEA), et, en conséquence, ne sera pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur ce marché.

En conséquence, l'opération n'est susceptible de créer ou renforcer une position dominante au profit de CGEA sur aucun des marchés concernés. En conséquence, je vous informe qu'il n'est pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette opération.

NOTE (S) :

(1) La notification ne concerne ni les activités " agence de voyage " (réalisée par la société TVD) ni les activités pièces détachées du groupe GTV, que CGEA n'entend pas conserver.

(2) Verney gère le réseau des villes suivantes : Annonay, Chinon, Flers, Fougères, Riom, Sablé-sur-Sarthe, Saint-Lô et Saumur.

(3) On citera notamment une palette de prestations plus larges (centrales de réservation, informations instantanées des déplacements des véhicules grâce au GPS, structures d'étude ou d'analyse plus performantes), des prix plus bas et une capacité financière supérieure (centrales d'achat permettant un meilleur achat ou renouvellement des véhicules, possibilité d'offrir des prix ponctuellement plus bas pour gagner des marchés).

(4) En se basant sur l'état des parcs figurant dans l'annuaire 2000 de la FNTV (Fédération nationale du transport de voyageurs).

(5) Le parc total de véhicules est assez restreint dans le territoire de Belfort (55 véhicules contre plus de 200 dans le Doubs).

(6) Le conseil du Bas-Rhin, dans sa réponse au questionnaire envoyé, souligne que lors de la dernière mise en concurrence en 2001, après avoir constaté que la société Kunegel était le seul postulant à sa succession, a décidé de procéder à un meilleur allotissement de son appel d'offres afin de permettre aux plus petites entreprises de soumissionner. La petite taille des lots a permis d'ouvrir la concurrence aux entreprises locales et Kunegel SA a perdu les deux tiers des lots.