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Décisions

Ministre de l’Économie, 5 décembre 2001, n° ECOC0200081Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ÉCONOMIE

Défendeur :

Conseils de la société Kodak

Ministre de l’Économie n° ECOC0200081Y

5 décembre 2001

MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 5 octobre 2001, la société Kodak SA, filiale du groupe nord-américain Eastman Kodak Company, a notifié le projet d'acquisition des activités de " tirage et développement de films photographiques et distribution multi-marques en gros d'équipement léger et accessoires photographiques " de sociétés filiales de la société de droit belge Spector Photo Group NV (Sofira, Sodira et leurs filiales, Gemic SA et le fonds de commerce Spector Grand Est, à l'exclusion de l'activité développement et tirage " Vente par correspondance ").

L'accord a été signé entre les parties le 10 octobre 2001. L'opération a fait l'objet d'une notification en France, en Allemagne (où elle a été autorisée le 22 octobre) et en Autriche.

La société Kodak SA est une société de droit français, filiale à 99,94 % de Eastman Kodak Company. Ce groupe, présent en Amérique, en Asie et en Europe, développe, élabore et commercialise des produits et services, destinés aux particuliers et aux professionnels dans les métiers de l'image. Kodak produit et distribue des films, des appareils photographiques, des accessoires (imprimantes, CD-Roms...) et des produits pour l'industrie audiovisuelle (cinéma et télévision), l'imagerie documentaire, industrielle et médicale. Il réalise un chiffre d'affaires mondial de 15,36 milliards d'euros (100,76 MdsF), dont 1,62 milliard d'euros (10,6 MdsF) en France. La filiale française Kodak SA, dont le chiffre d'affaires total est de 1,25 milliard d'euros (8,24 MdsF), dont 410 millions d'euros (2,7 MdsF) en France, détient Laboratoires et Services Kodak (LSK) qui opère dans le secteur du développement photographique et dans la distribution multimarques en gros d'équipements photographiques par l'intermédiaire de Labo Service Distribution. Le chiffre d'affaires de Laboratoires Services Kodak réalisé en France est de 165 millions d'euros (1,08 MdF).

Le groupe Spector est actif dans les secteurs du tirage et du développement photographique analogique et numérique, et la commercialisation des produits photographiques, des appareils de télécommunication et divers produits de l'électronique de loisirs. Son chiffre d'affaires mondial est de 760 millions d'euros (5 MdsF). La cession effectuée par le groupe Spector en France concerne Sofira SA (qui contrôle Spector Provence SARL, Spector Bretagne SA, Spector Rhône-Alpes SA, Société photographique Nord Labo, Spector Pays-de-Loire SA, Spector Ile-de-France SA, Spector Sud-Est SA, Spector Sud-Ouest SA, Spector Grand Est SA (cf. note 1) , Sodira SA, Codit SA, Les Coteaux de Saint-Jean SCI) et une participation de 67,78 % de Spector NV dans GEMIC SA. L'activité cédée représente un chiffre d'affaires mondial de 180 millions d'euros (1,23 MdF) dont 90,4 millions d'euros (593 millions de francs) en France.

L'accord signé le 10 octobre précise que l'activité de " tirage et développement photographique via le canal de la vente par correspondance " de Spector est exclue du périmètre de l'opération, ainsi que la participation de 42 % dans le capital de JD Investments SA.

L'opération n'étant pas contrôlable en termes de chiffre d'affaires, il convient de déterminer les marchés pertinents.

Les parties ont délimité trois marchés distincts : un marché du développement et tirage photographiques à destination du grand public, un marché du développement et tirage photographique à destination des professionnels et un marché de la distribution multimarques en gros d'équipement " léger " (appareils photographiques, caméscopes, films, prêts à photographier) et d'accessoires (cadres et albums, cartonnages et archivages, cassettes, consommables numériques, flashs, papiers, piles, trépieds, etc.).

Le marché du développement et tirage photographique " grand public " tel que défini par les parties recouvre une activité dite " de 1er tour " de développement et tirage de films, sur papier argentique ou sous forme de CD-Roms, effectuée :

- soit dans des laboratoires spécialisés répartis sur plusieurs sites : Lille, Metz, Créteil, Caen, Brest, Nantes, Poitiers, Bordeaux, Toulouse, Vitrolles, Vienne, Annecy en ce qui concerne Kodak ; Lille, Bagneux, Lorient, Angers, Munster, Lyon, Toulouse, Marseille et Nice en ce qui concerne Spector. Ce mode opératoire exige une collecte des films par les opérateurs auprès des " comptoirs photos " installés dans divers circuits de distribution (grandes et moyennes surfaces, magasins sous enseigne tels que la FNAC, magasins spécialisés et magasins " points presse "), ainsi que leur transport dans les laboratoires. Il concerne, tous opérateurs confondus, 70 % du volume total des films développés ;

- soit en mini-laboratoires installés dans les lieux mêmes de collecte des films, dans ces mêmes circuits de distribution, pour les 30 % restants.

Compte tenu de l'existence de ces deux modes opératoires, il pourrait être justifié de segmenter le marché entre l'activité de " tirage et développement de films " grand public en laboratoires industriels et l'activité en mini-laboratoires.

Plusieurs facteurs montrent, du point de vue de l'offre, des différences importantes entre ces modes opératoires. L'outil industriel mis en œuvre n'est pas identique et nécessite des investissements différents (de l'ordre de 50 à 60 millions de francs pour un laboratoire et de l'ordre de 600 000 francs pour un mini-laboratoire). Le service en mini-laboratoire peut être réalisé sur place en 1 heure alors que les développements via les laboratoires industriels induisent des délais de livraison (de 24 à 48 heures). Les développements effectués en mini-laboratoires sont facturés au consommateur final à des prix 1,5 à 2 fois supérieurs à ceux réalisés en 24 ou 48 heures par les laboratoires industriels (le prix étant en général compris entre 1,50 et 2,50 francs par photo selon le délai de tirage).

Enfin, la structure de l'offre est sensiblement différente selon que l'on se place sur l'un ou l'autre des segments du marché. En effet, sur le segment du développement et tirage photographique grand public en " laboratoire industriel ", les opérateurs sont au nombre de quatre (Fuji, Kodak, Spector et Cewe Color) alors que sur le segment " mini-laboratoire ", l'offre est beaucoup plus atomisée compte tenu de la présence des nombreuses enseignes spécialisées (Shop Photo, Foci, Phox, Photocom...) et, parfois, de la grande et moyenne distribution (Leclerc, Système U, Intermarché...), qui fait par ailleurs appel aux prestations industrielles des grands laboratoires.

Cependant, du point de vue de la demande finale, il n'y a pas lieu de distinguer les prestations selon le mode de développement. Les produits délivrés sont homogènes quel que soit le mode opératoire choisi, et la gamme des produits offerts est également homogène. De plus, une grande partie des offreurs recourent alternativement aux prestations réalisées pour leur compte par des laboratoires industriels ou à leur propre équipement en mini-laboratoires. Enfin, et surtout, la demande exprimée par le consommateur final est satisfaite indépendamment du mode opératoire utilisé par le distributeur : c'est en effet le distributeur et non le client final qui choisit la technique utilisée lorsqu'il a les deux possibilités, l'arbitrage du client final se faisant seulement entre un développement relativement cher et très rapide (1 heure), ou un peu moins cher et un peu moins rapide (jusqu'à 48 heures). C'est pourquoi il convient en l'espèce de ne délimiter qu'un seul marché pertinent du développement et tirage photographique " grand public ".

La dimension géographique de ce marché est retenue par les parties comme nationale, les différents facteurs déterminant les conditions d'exercice de la concurrence étant déterminés au niveau national, à savoir les prix (déterminés dans les accords-cadres de référencement des laboratoires industriels par les enseignes dans le cas de cette sous-traitance, et dans le cadre de la politique tarifaire des enseignes lorsqu'elles réalisent elles-mêmes les prestations en cause avec un mini-laboratoire), la gamme et les spécifications des services proposés, les offres promotionnelles, et les opérations de fidélisation de la clientèle. Ainsi, l' " offre service ", quel que soit le circuit de distribution concerné et quelle que soit la situation géographique du donneur d'ordre, est homogène.

Le deuxième marché concerné correspond à une activité de " tirage et développement de films en laboratoire industriel " destinée à une clientèle de professionnels de la photographie. Ce marché se distingue donc du précédent par la nature des prestations effectuées : services supplémentaires de transformation de l'image préalablement au tirage, formats de tirage différents nécessitant un matériel et un savoir-faire spécifiques, plus sophistiqués et donnant lieu à des coûts nettement plus élevés que ceux relatifs aux prestations effectuées. Les prix sont également différents de ceux pratiqués pour les photos " grand public " : le prix moyen d'un tirage est d'environ 25 francs, soit 13 fois plus que le prix moyen d'un tirage équivalent grand public, ce qui tend à exclure toute substituabilité du côté du consommateur. Ainsi le prix par bobine traitée, en fonction des services d'inclusion et de transformation de l'image, peut varier de 200 à 6 000 francs selon le type de travaux réalisé.

Compte tenu du volume d'activité des parties dans ce secteur et de la nature de leurs prestations, plutôt réservées à des professionnels exerçant dans le domaine de la photographie " sociale " (mariages, scolaires...), il n'y a pas lieu de délimiter précisément les marchés pertinents, les conclusions en termes de contrôlabilité et d'analyse concurrentielle demeurant inchangées.

Ce marché est, selon les parties, de dimension nationale, la gamme de services proposés par les laboratoires concernés étant déterminée au niveau national, de même que les exigences de qualité quant à la prestation ou l'étendue du service.

Le troisième marché concerne la distribution multimarques en gros d'un ensemble de produits liés à la photographie, regroupés sous les termes d' " équipement photographique léger " et d' " accessoires ", destinés exclusivement aux spécialistes photo installés en commerce de détail, la grande distribution s'approvisionnant directement auprès des fabricants.

Ce marché serait soit de dimension européenne, les grossistes s'approvisionnant au niveau européen auprès d'autres grossistes ou directement auprès des fabricants, soit de dimension au moins transfrontalière " étendue aux pays limitrophes " (Allemagne, Espagne, Belgique), les grossistes " nationaux " s'approvisionnant de manière régulière auprès de grossistes d'origine allemande, belge ou espagnole, ou directement auprès des fabricants implantés dans ces pays. En effet, il convient de souligner que les produits concernés (appareils photographiques, prêts à photographier, consommables) sont homogènes quel que soit le pays dans lequel ils sont consommés, ce qui explique que les courants d'échanges sont importants. Les importations sont estimées à environ 90 %. Il convient donc de retenir un marché de dimension au moins transfrontalière.

Les parties totalisant [30-40] % du marché du développement et du tirage de films photographiques grand public, l'opération est contrôlable aux termes de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

A l'issue de l'opération, les positions des opérateurs seront les suivantes :

Sur le marché national du développement et tirage grand public, Kodak devient leader avec [30-40] % de parts de marché (et un total de 23 laboratoires industriels, dont 9 Spector), devançant Fuji ([20-30] % et 13 laboratoires) et Cewe Color ([10-20] % et 8 laboratoires). Les opérateurs indépendants, les grandes et moyennes surfaces et les magasins sous enseignes développant eux-mêmes les films (FNAC, Phox, Foci, Photocom, Shop Photo...) représentent collectivement [30-40] % de ce marché.

L'opération pourra permettre à Kodak de renforcer le pouvoir de sa marque en accédant à la clientèle de Spector, qui, pour partie, ne faisait pas partie de sa propre clientèle (notamment les prestations pour le compte de certaines enseignes de grandes et moyennes surfaces comme Intermarché ou Super U, des magasins sous enseigne Camara et France-Loisirs et des comités d'entreprises). Elle permettra aussi à Kodak de resserrer le maillage géographique de ses implantations industrielles, de diminuer les délais et les coûts de transport et donc de constituer une offre plus sécurisée par rapport aux opérateurs concurrents.

Toutefois, la position de Kodak sera limitée par la puissance de ses concurrents directs, notamment Fuji, et par la capacité importante de négociation de ses clients notamment les enseignes de la grande distribution qui drainent 41 % du développement et tirage grand public au moment de la négociation des accords-cadres annuels de référencement. En tout état de cause, le fait que certaines enseignes comme la FNAC utilisent à la fois les prestations assurées par les laboratoires industriels et le développement en mini-laboratoires garantit l'absence de divergence des prix entre les deux techniques. Or il faut rappeler la faiblesse des coûts d'acquisition d'un mini-laboratoire, qui est considéré comme rentabilisé au bout de 8 000 films développés par an.

Par ailleurs, dans la mesure où les sondages effectués montrent que les consommateurs considèrent que " les photos n'ont pas de marque ", les différents distributeurs peuvent mettre en avant leur propre marque de distributeur ou encore pratiquer une politique de " co-branding " (marque du " développeur " associée à celle du " distributeur " figurant sur la pochette de photos).

Enfin, il faut souligner que le marché du tirage et développement grand public sur papier argentique est aujourd'hui un marché en recul et en surcapacité. Il est de surcroît fortement contesté par l'apparition de la technique de la photographie numérique : l'image étant immédiatement contrôlable, effaçable, imprimable par le consommateur à partir d'un ordinateur, ou partageable via internet, le recours aux professionnels du développement est marginal dans cette technologie. Or les ventes d'appareils photo numériques doublent chaque année depuis 1998, représentant en France 13 % des ventes d'appareils photo en 2000, et l'arrivée de modèles aux tarifs plus accessibles va accélérer cette évolution. Cette technique a ainsi vocation à devenir une alternative à la photographie argentique.

Sur le marché national " étendu aux pays frontaliers " de la distribution en gros d'équipement photographique léger et d'accessoires (évalué à environ 765 millions d'euros), la nouvelle entité totalisera un peu moins de [moins de 10] % de parts de marché, se plaçant derrière les grossistes allemands (Ringfoto, [30-40] %, Carl Woeltje, [20-30] %, Batavia, [10-20] %) ou espagnol (Cialit, [moins de 10]%) et proche de son principal concurrent français (Japan Diffusion, [moins de 10] %).

La présence de Kodak et Spector sur ce marché a été justifiée par les parties comme permettant aux fabricants de maintenir, via la revente de produits par leurs grossistes, un réseau effectif de spécialistes photo qui offrent des qualifications professionnelles et de conseil supérieures à celles des autres circuits de distribution. Bien qu'il soit seul fabricant présent sur ce marché, Kodak pourra difficilement être en position de peser sur les conditions d'approvisionnement de la distribution de détail, puisque, d'une part, les concurrents grossistes non fabricants ont la possibilité de s'approvisionner dans les pays limitrophes où les niveaux de prix sont inférieurs et que, d'autre part, les détaillants dits " indépendants " ont la faculté de recourir à des groupements d'achats qui négocient les prix et les volumes pour leur compte.

Il ressort de ces éléments que le projet notifié n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante, sur les marchés concernés. Je vous informe donc qu'il n'est pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence.

Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, les parts de marché exactes sont remplacées par une fourchette plus générale.

Ces informations relèvent du " secret d'affaires " en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret 95-916 du 9 août 1995, avant-dernier alinéa.

NOTE (S) : (1) Spector Grand Est SA a été incluse par erreur dans le périmètre d'acquisition de Sofira SA.