CA Paris, 1re ch. H, 4 juin 2002, n° ECOC0200203X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Syndicat Professionnel CFDT Radio Télé, Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
es : Mmes Riffault-Silk, Pézard
Conseiller :
M. Savatier
Avocats :
Mes Roumier, Lejard.
Vu la décision n° 01-D-81 du 19 décembre 2001, par laquelle le Conseil de la concurrence (le Conseil), saisi le 2 avril 2001 et le 23 avril 2001 par le syndicat CFDT Radio Télé qui représente le personnel des sociétés prestataires de services audiovisuels Française de Production (SFP), Télédiffusion de France (TDF) et Vidéo Communication France (VCF), de griefs formés à l'encontre des sociétés diffuseurs de télévision (TF1, France Télévision, Canal Plus, Arte, Métropole Télévision, Eurosport, Tps, Paris Première, Pathesport), sur le fondement des dispositions des articles L. 420-2 et suivants du Code de commerce, l'affaire ayant été examinée au cours de sa séance du 23 octobre 2001, a déclaré la saisine irrecevable en ce qu'elle vise des infractions au Code du travail, et l'a rejetée pour le surplus;
Vu le recours en annulation déposé le 24 janvier 2002 par le syndicat CFDT Radio Télé contre cette décision;
Vu les pièces et documents déposés au greffe à l'appui du recours;
Vu le mémoire déposé le 25 février 2002, auquel il est renvoyé, par lequel le syndicat CFDT Radio Télé reproche au Conseil de n'avoir pas clairement reconnu sa qualité à agir, d'avoir feint d'estimer que sa saisine portait sur des infractions au Code du travail alors que ces infractions n'étaient citées que comme les conséquences d'infractions aux seules règles de la concurrence, d'avoir refusé d'admettre l'existence d'un abus de position dominante des diffuseurs en faisant une analyse erronée de l'état et de la segmentation des marchés, enfin d'avoir estimé qu'aucun élément ne permettait de soutenir l'existence d'une dépendance économique alors que des exemples concrets lui étaient fournis, et demande à la Cour:
- à titre principal,
* de constater l'existence sur le marché de la prestation technique audiovisuelle de pratiques anticoncurrentielles,
* de prononcer à l'encontre des infracteurs telle sanction qu'il appartiendra,
* d'interdire pour l'avenir les pratiques relevées, sous astreinte par infraction relevée, d'un montant de 77.000 euros,
* de condamner solidairement les sociétés reconnues coupables des faits sanctionnés à lui payer la somme de 155.000 euros en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif qu'il représente,
- à titre subsidiaire, d'ordonner qu'il soit procédé à toute enquête utile,
- en tout état de cause, d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans diverses publications et de condamner les sociétés incriminées à lui payer 31.000 euros pour l'indemniser des frais exposés pour l'engagement de ce contentieux.
Vu les observations déposées le 25 mars 2002 par le ministre chargé de l'économie, concluant à la confirmation de la décision attaquée et au rejet du recours,
Vu les observations écrites déposées le 22 mars 2002 par le Conseil de la concurrence, réfutant chacun des moyens avancés par la requérante et concluant au rejet des recours,
Vu les observations orales développées par le Ministère Public, concluant à la confirmation de la décision du Conseil,
Le requérant ayant pu répliquer à l'ensemble des observations présentées lors de l'instruction écrite et à l'audience,
Sur ce, la Cour
Considérant que le syndicat CFDT Radio Télé , qui représente les intérêts collectifs des personnels des sociétés de prestation audiovisuelle et notamment ceux des salariés de la société Française de Production (SFP), de la société Télédiffusion de France (TDF)- Vidéo Service filiale du groupe France Télécom, et de la société Vidéo Communication France (VCF) filiale du groupe RTL, a saisi le Conseil de la concurrence par lettres des 2 avril 2001 et 23 avril 2001, de faits qu'il estime constitutifs de pratiques anticoncurrentielles imputables aux diffuseurs de télévision soit TF1, France Télévision, Canal Plus, Arte, Métropole Télévision, Eurosport, Tps, Paris Première et Pathesport;
Qu'il estime que les sociétés de diffusion détiennent collectivement une position dominante sur le marché de la prestation audiovisuelle et plus particulièrement sur chacun des sous-marchés que constituent les événements sportifs pour la couverture desquels les sociétés de prestation audiovisuelle réalisent l'essentiel de leur activité, et fait valoir que l'addition de comportements monopolistiques concertés sur chacun de ces sous-marchés aboutit à une situation oligopolistique de fait des diffuseurs sur les prestataires techniques;
Qu'il reproche à ces diffuseurs d'abuser de cette domination et d'être ainsi à l'origine de la dégradation alarmante des marges brutes dégagées par les sociétés de prestation audiovisuelle, et par suite de la dégradation de la santé des travailleurs, de la détérioration de leurs conditions de travail et de la précarité croissante de leur situation au sein de ces entreprises ; qu'il se fonde sur deux rapports rédigés respectivement par le cabinet Salustro Reydel le 24 novembre 2000 à propos de la SFP, et par Roland Peylet nommé médiateur sur la situation de la SFP, qui soulignent l'urgence d'une restauration sur le marché de la prestation audiovisuelle, de conditions normales de concurrence pour que soient respectées les règles du droit du travail;
Que les griefs énoncés par le requérant portent sur les investissements techniques coûteux imposés aux prestataires, sur la pratique de délais imposés pour la remise des devis, limitant d'autant la marge de négociation des prestataires, sur la pression exercée sur les prix assortie d'une menace permanente de déréférencement, seule l'intégration des sociétés prestataires dans des groupes puissants ou l'allocation d'aides étatiques ayant permis leur survie ; qu'il reproche au Conseil de n'avoir pas reconnu sa qualité à agir, et d'avoir rejeté sa plainte sans même interroger les acteurs concernés;
* Sur la qualité à agir du requérant :
Considérant que c'est à tort que le syndicat CFDT Radio Télé reproche au Conseil de n'avoir pas reconnu sa qualité à agir, et d'avoir ainsi méconnu les dispositions des articles L. 462-1 et L. 462-5 du Code de commerce qui prévoient que le Conseil peut être saisi de toute pratique mentionnée aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5 du même Code par les organisations syndicales, pour toute affaire qui concerne les intérêts dont ils ont la charge;
Qu' il résulte en effet des termes de la décision du Conseil que la plainte du requérant n'est déclarée irrecevable qu' "en ce qu'elle vise des infractions au Code du travail";
Que la qualité à agir du syndicat CFDT Radio Télé , n'étant pas mise en cause dans la décision attaquée, ce moyen ne peut qu'être écarté par la Cour;
* Sur la position dominante collective imputée aux sociétés de diffusion sur le marché de la prestation technique sportive :
Considérant que le requérant soutient que le marché pertinent doit être circonscrit à la prestation technique sportive, et fait valoir qu'il convient, à l'intérieur de ce marché, de considérer chacun des sous-marchés constitués par chaque événement sportif particulier ;
Considérant que le marché, au sens des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce, se définit comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour des produits ou des services substituables entre eux; qu'en l'espèce, la demande des diffuseurs et l'offre des sociétés prestataires techniques, en matière de prestation audiovisuelle, portent, d'une part, sur "l'activité plateau" orientée vers la fourniture de moyens pour le tournage de films, de magazines, d'émissions de jeux ou de divertissements et, d'autre part, sur "l'activité vidéomobile" dirigée vers la couverture et la réalisation d'événements, en particulier de compétitions sportives, de nature plus saisonnière ; que sans exclure l'existence d'un marché pertinent restreint à la diffusion d'événements sportifs, le Conseil observe à juste titre que l'exclusivité acquise par l'une ou l'autre des chaînes pour certains de ces événements ne suffit pas à conférer à chacun d'entre eux les caractères d'un marché pertinent, le fait que ces événements ne soient pas substituables entre eux pour le téléspectateur n'étant pas démontré;
Considérant, surtout, que le syndicat CFDT Radio Télé, qui impute aux sociétés de diffusion la détention d'une position dominante collective sur le marché de l'événement sportif, qui résulterait de l'addition des positions monopolistiques détenues individuellement par les chaines sur chacun de ses sous-marchés, ne justifie d'aucun indice ni commencement de preuve de ses assertions ; qu'une telle domination individuelle ou collective est au demeurant contredite par le grand nombre des sociétés de diffusion, personnes morales juridiquement indépendantes et autonomes, l'absence de liens structurels entre elles, comme celle d'une ligne de conduite commune ne permettant pas de les confondre en une seule entité;
Que les deux rapports cités par le requérant soulignent la surcapacité des entreprises prestataires et l'importance de leurs frais fixes les conduisant à rechercher une augmentation de leur chiffre d'affaires, quelle que soit la marge sur coût variable réalisée ; qu'ils notent le déséquilibre qui en résulte entre l'offre et la demande sur ce marché, bénéficiant très largement aux diffuseurs et aux producteurs, et" la concurrence acharnée ", voire" la guerre des prix" que se livrent les sociétés prestataires ; que les procédures d'appel d'offres auxquelles ont recours les sociétés de diffusion n'ont pu qu'attiser cette situation de concurrence, sans que ces pratiques excèdent le comportement normal d'entreprises qui mettent en concurrence leurs prestataires;
* Sur les pratiques qualifiées d'abus de dépendance économique :
Considérant que le syndicat CFDT Radio Télé fait encore valoir que les sociétés prestataires techniques sont sous la dépendance économique de "l'oligopole des diffuseurs", déclare que "les sociétés prestataires de service positionnées sur ce marché réalisent la quasi-totalité de leur chiffre d'affaire sur les commandes des diffuseurs, directement ou par l'intermédiaire de sociétés de production", et dénonce des abus qui en résulteraient à leur détriment;
Considérant qu'une entreprise se trouve dans une situation de dépendance économique vis-à-vis d'un client avec lequel elle réalise une part importante de ses ventes, dès lors qu'elle ne disposerait d'aucune solution équivalente pour poursuivre son activité dans le cas où elle devrait renoncer aux ventes réalisées avec ce client; qu'au cas d'espèce, il est constant que chacun des prestataires réalise une part seulement de son activité avec l'un ou l'autre des diffuseurs, les éléments chiffrés fournis par le requérant ne permettant pas de déterminer quelle fraction de ce chiffre d'affaires porte sur la couverture d'événements sportifs ; qu'au surplus, en l'absence de liens structurels entre eux ou d'une ligne de conduite commune, les diffuseurs ne peuvent être assimilés à un groupe d'entreprises au sens de l'article L. 420-5 du Code de commerce, aucun commencement de preuve d'une situation de dépendance économique dans laquelle seraient placés les prestataires techniques n'ayant été rapporté par le requérant;
* Sur l'existence de pratiques de prix abusivement bas mises en œuvre par les prestataires eux-mêmes :
Considérant que le syndicat CFDT Radio Télé reproche encore au Conseil d'avoir refusé de se saisir, alors que les pratiques de prix abusivement bas qui ont pu être volontairement mises en œuvre par certaines sociétés de prestation technique constituent également des pratiques anticoncurrentielles;
Mais considérant que comme l'observe le Conseil, ces pratiques concernant les relations interentreprises ne sont pas visées par les dispositions de l'article L. 420-5 du Code du commerce, qui prohibent les seules offres de prix abusivement bas au consommateur final;
Considérant ainsi que c'est à bon droit que le Conseil de la concurrence a rejeté sa saisine, le recours formé par le syndicat CFDT Radio Télé contre sa décision ne pouvant être accueilli;
Qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, Rejette le recours.